Andromaque

Scène II

 

Hermione,Cléone

 

Hermione

Ah ! qu’ai-je fait, Cléone ? et queviens-tu me dire ?

Que fait Pyrrhus ?

 

Cléone

Il est au comble de ses vœux,

Le plus fier des mortels, et le plusamoureux.

Je l’ai vu vers le temple, où son hymens’apprête,

Mener en conquérant sa nouvelle conquête,

Et d’un œil où brillaient sa joie et sonespoir,

S’enivrer en marchant du plaisir de lavoir.

Andromaque, au travers de mille cris dejoie,

Porte jusqu’aux autels le souvenir deTroie.

Incapable toujours d’aimer et de haïr,

Sans joie et sans murmure elle sembleobéir.

 

Hermione

Et l’ingrat ? jusqu’au bout il a poussél’outrage ?

Mais as-tu bien, Cléone, observé sonvisage ?

Goûte-t-il des plaisirs tranquilles etparfaits ?

N’a-t-il point détourné ses yeux vers lepalais ?

Dis-moi, ne t’es-tu point présentée à savue ?

L’ingrat a-t-il rougi lorsqu’il t’areconnue ?

Son trouble avouait-il soninfidélité ?

A-t-il jusqu’à la fin soutenu safierté ?

 

Cléone

Madame, il ne voit rien. Son salut et sagloire

Semblent être avec vous sortis de samémoire.

Sans songer qui le suit, ennemis ousujets,

Il poursuit seulement ses amoureuxprojets.

Autour du fils d’Hector il a rangé sagarde,

Et croit que c’est lui seul que le périlregarde.

Phœnix même en répond, qui l’a conduitexprès

Dans un fort éloigné du temple et dupalais.

Voilà dans ses transports le seul soin qui luireste.

 

Hermione

Le perfide ! Il mourra. Mais que t’a ditOreste ?

 

Cléone

Oreste avec ses Grecs dans le temple estentré.

 

Hermione

Hé bien ! à me venger n’est-il paspréparé ?

 

Cléone

Je ne sais.

 

Hermione

Tu ne sais ? Quoi donc ? Oresteencore,

Oreste me trahit ?

 

Cléone

Oreste vous adore.

Mais de mille remords son esprit combattu

Croit tantôt son amour et tantôt sa vertu.

Il respecte en Pyrrhus l’honneur dudiadème ;

Il respecte en Pyrrhus Achille et Pyrrhusmême ;

Il craint la Grèce, il craint l’univers encourroux,

Mais il se craint, dit-il, soi-même plus quetous.

Il voudrait en vainqueur vous apporter satête ;

Le seul nom d’assassin l’épouvante etl’arrête.

Enfin il est entré, sans savoir dans soncœur

S’il en devait sortir coupable ouspectateur.

 

Hermione

Non, non, il les verra triompher sansobstacle ;

Il se gardera bien de troubler cespectacle.

Je sais de quels remords son courage estatteint :

Le lâche craint la mort, et c’est tout cequ’il craint.

Quoi ? sans qu’elle employât une seuleprière,

Ma mère en sa faveur arma la Grèceentière ?

Ses yeux pour leur querelle, en dix ans decombats,

Virent périr vingt rois qu’ils neconnaissaient pas ?

Et moi, je ne prétends que la mort d’unparjure,

Et je charge un amant du soin de moninjure,

Il peut me conquérir à ce prix, sansdanger,

Je me livre moi-même et ne puis mevenger !

Allons : c’est à moi seule à me rendrejustice.

Que de cris de douleur le templeretentisse ;

De leur hymen fatal troublons l’événement,

Et qu’ils ne soient unis, s’il se peut, qu’unmoment.

Je ne choisirai point dans ce désordreextrême :

Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Orestelui-même.

Je mourrai ; mais au moins ma mort mevengera,

Je ne mourrai pas seule, et quelqu’un mesuivra.

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