Andromaque

Scène II

 

Pyrrhus,Oreste,Phœnix

 

Oreste

Avant que tous les Grecs vous parlent par mavoix,

Souffrez que j’ose ici me flatter de leurchoix,

Et qu’à vos yeux, Seigneur, je montre quelquejoie

De voir le fils d’Achille et le vainqueur deTroie.

Oui, comme ses exploits nous admirons voscoups :

Hector tomba sous lui, Troie expira sousvous ;

Et vous avez montré, par une heureuseaudace,

Que le fils seul d’Achille a pu remplir saplace.

Mais, ce qu’il n’eût point fait, la Grèce avecdouleur

Vous voit du sang troyen relever lemalheur,

Et vous laissant toucher d’une pitiéfuneste,

D’une guerre si longue entretenir lereste.

Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel futHector ?

Nos peuples affaiblis s’en souviennentencor.

Son nom seul fait frémir nos veuves et nosfilles,

Et dans toute la Grèce il n’est point defamilles

Qui ne demandent compte à ce malheureuxfils

D’un père ou d’un époux qu’Hector leur aravis.

Et qui sait ce qu’un jour ce fils peutentreprendre ?

Peut-être dans nos ports nous le verronsdescendre,

Tel qu’on a vu son père embraser nosvaisseaux,

Et, la flamme à la main, les suivre sur leseaux.

Oserai-je, Seigneur, dire ce que jepense ?

Vous-même de vos soins craignez larécompense,

Et que dans votre sein ce serpent élevé

Ne vous punisse un jour de l’avoirconservé.

Enfin de tous les Grecs satisfaitesl’envie,

Assurez leur vengeance, assurez votrevie ;

Perdez un ennemi d’autant plus dangereux

Qu’il s’essaiera sur vous à combattre contreeux.

 

Pyrrhus

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée.

De soins plus importants je l’ai crueagitée,

Seigneur, et sur le nom de sonambassadeur,

J’avais dans ses projets conçu plus degrandeur.

Qui croirait en effet qu’une telleentreprise

Du fils d’Agamemnon méritâtl’entremise ;

Qu’un peuple tout entier, tant de foistriomphant,

N’eût daigné conspirer que la mort d’unenfant ?

Mais à qui prétend-on que je lesacrifie ?

La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur savie ?

Et seul de tous les Grecs ne m’est-il paspermis

D’ordonner d’un captif que le sort m’asoumis ?

Oui, Seigneur, lorsqu’au pied des murs fumantsde Troie

Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leurproie,

Le sort, dont les arrêts furent alorssuivis,

Fit tomber en mes mains Andromaque et sonfils.

Hécube près d’Ulysse acheva samisère ;

Cassandre dans Argos a suivi votrepère ;

Sur eux, sur leurs captifs, ai-je étendu mesdroits ?

Ai-je enfin disposé du fruit de leursexploits ?

On craint qu’avec Hector Troie un jour nerenaisse ;

Son fils peut me ravir le jour que je luilaisse :

Seigneur, tant de prudence entraîne trop desoin ;

Je ne sais point prévoir les malheurs de siloin.

Je songe quelle était autrefois cetteville

Si superbe en remparts, en héros sifertile,

Maîtresse de l’Asie ; et je regardeenfin

Quel fut le sort de Troie, et quel est sondestin.

Je ne vois que des tours que la cendre acouvertes,

Un fleuve teint de sang, des campagnesdésertes,

Un enfant dans les fers ; et je ne puissonger

Que Troie en cet état aspire à se venger.

Ah ! si du fils d’Hector la perte étaitjurée,

Pourquoi d’un an entier l’avons-nousdifférée ?

Dans le sein de Priam n’a-t-on pul’immoler ?

Sous tant de morts, sous Troie, il fallaitl’accabler.

Tout était juste alors : la vieillesse etl’enfance

En vain sur leur faiblesse appuyaient leurdéfense ;

La victoire et la nuit, plus cruelles quenous,

Nous excitaient au meurtre, et confondaientnos coups.

Mon courroux aux vaincus ne fut que tropsévère.

Mais que ma cruauté survive à macolère ?

Que malgré la pitié dont je me senssaisir,

Dans le sang d’un enfant je me baigne àloisir ?

Non, Seigneur : que les Grecs cherchentquelque autre proie ;

Qu’ils poursuivent ailleurs ce qui reste deTroie :

De mes inimitiés le cours estachevé ;

L’Épire sauvera ce que Troie a sauvé.

 

Oreste

Seigneur, vous savez trop avec quelartifice

Un faux Astyanax fut offert au supplice

Où le seul fils d’Hector devait êtreconduit.

Ce n’est pas les Troyens, c’est Hector qu’onpoursuit.

Oui, les Grecs sur le fils persécutent lepère ;

Il a par trop de sang acheté leur colère,

Ce n’est que dans le sien qu’elle peutexpirer,

Et jusque dans l’Épire il les peutattirer.

Prévenez-les.

 

Pyrrhus

Non, non. J’y consens avec joie !

Qu’ils cherchent dans l’Épire une secondeTroie ;

Qu’ils confondent leur haine, et nedistinguent plus

Le sang qui les fit vaincre et celui desvaincus.

Aussi bien ce n’est pas la premièreinjustice

Dont la Grèce d’Achille a payé le service.

Hector en profita, Seigneur ; et quelquejour

Son fils en pourrait bien profiter à sontour.

 

Oreste

Ainsi la Grèce en vous trouve un enfantrebelle ?

 

Pyrrhus

Et je n’ai donc vaincu que pour dépendred’elle ?

 

Oreste

Hermione, Seigneur, arrêtera voscoups :

Ses yeux s’opposeront entre son père etvous.

 

Pyrrhus

Hermione, Seigneur, peut m’être toujourschère,

Je puis l’aimer, sans être esclave de sonpère ;

Et je saurai peut-être accorder quelquejour

Les soins de ma grandeur et ceux de monamour.

Vous pouvez cependant voir la filled’Hélène :

Du sang qui vous unit je sais l’étroitechaîne.

Après cela, Seigneur, je ne vous retiensplus,

Et vous pourrez aux Grecs annoncer monrefus.

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