Andromaque

Acte II

Scène I

 

Hermione,Cléone

 

Hermione

Je fais ce que tu veux ; je consens qu’ilme voie.

Je lui veux bien encore accorder cettejoie.

Pylade va bientôt conduire ici sespas ;

Mais si je m’en croyais, je ne le verraispas.

 

Cléone

Et qu’est-ce que sa vue a pour vous defuneste ?

Madame, n’est-ce pas toujours le mêmeOreste

Dont vous avez cent fois souhaité leretour,

Et dont vous regrettiez la constance etl’amour ?

 

Hermione

C’est cet amour payé de trop d’ingratitude

Qui me rend en ces lieux sa présence sirude.

Quelle honte pour moi, quel triomphe pourlui,

De voir mon infortune égaler sonennui !

Est-ce là, dira-t-il, cette fièreHermione ?

Elle me dédaignait ; un autrel’abandonne.

L’ingrate, qui mettait son cœur à si hautprix,

Apprend donc à son tour à souffrir desmépris ?

Ah dieux !

 

Cléone

Ah ! dissipez ces indignesalarmes :

Il a trop bien senti le pouvoir de voscharmes.

Vous croyez qu’un amant vienne vousinsulter ?

Il vous rapporte un cœur qu’il n’a pu vousôter.

Mais vous ne dites point ce que vous mande unpère ?

 

Hermione

Dans ses retardements si Pyrrhuspersévère,

À la mort du Troyen s’il ne veutconsentir,

Mon père avec les Grecs m’ordonne departir.

 

Cléone

Eh bien, Madame, eh bien ! écoutez doncOreste.

Pyrrhus a commencé, faites au moins lereste.

Pour bien faire il faudrait que vous leprévinssiez.

Ne m’avez-vous pas dit que vous lehaïssiez ?

 

Hermione

Si je le hais, Cléone ! Il y va de magloire,

Après tant de bontés dont il perd lamémoire ;

Lui qui me fut si cher, et qui m’a putrahir,

Ah ! je l’ai trop aimé pour ne le pointhaïr !

 

Cléone

Fuyez-le donc, Madame ; et puisqu’on vousadore…

 

Hermione

Ah ! laisse à ma fureur le temps decroître encore.

Contre mon ennemi laisse-moi m’assurer.

Cléone, avec horreur je m’en veux séparer.

Il n’y travaillera que trop bien,l’infidèle !

 

Cléone

Quoi ? vous en attendez quelque injurenouvelle ?

Aimer une captive, et l’aimer à vos yeux,

Tout cela n’a donc pu vous le rendreodieux ?

Après ce qu’il a fait, que saurait-il doncfaire ?

Il vous aurait déplu, s’il pouvait vousdéplaire.

 

Hermione

Pourquoi veux-tu, cruelle, irriter mesennuis ?

Je crains de me connaître en l’état où jesuis.

De tout ce que tu vois tâche de ne riencroire ;

Crois que je n’aime plus, vante-moi mavictoire ;

Crois que dans son dépit mon cœur estendurci,

Hélas ! et, s’il se peut, fais-le moicroire aussi.

Tu veux que je le fuie ? Eh bien !rien ne m’arrête :

Allons ; n’envions plus son indigneconquête :

Que sur lui sa captive étende son pouvoir.

Fuyons… Mais si l’ingrat rentrait dans sondevoir !

Si la foi dans son cœur retrouvait quelqueplace ;

S’il venait à mes pieds me demander sagrâce ;

Si sous mes lois, Amour, tu pouvaisl’engager !

S’il voulait… Mais l’ingrat ne veut quem’outrager.

Demeurons toutefois pour troubler leurfortune,

Prenons quelque plaisir à leur êtreimportune ;

Ou, le forçant de rompre un nœud sisolennel,

Aux yeux de tous les Grecs rendons-lecriminel.

J’ai déjà sur le fils attiré leurcolère ;

Je veux qu’on vienne encor lui demander lamère.

Rendons-lui les tourments qu’elle m’a faitsouffrir :

Qu’elle le perde, ou bien qu’il la fassepérir.

 

Cléone

Vous pensez que des yeux toujours ouverts auxlarmes

Se plaisent à troubler le pouvoir de voscharmes,

Et qu’un cœur accablé de tant dedéplaisirs

De son persécuteur ait brigué lessoupirs ?

Voyez si sa douleur en paraît soulagée.

Pourquoi donc les chagrins où son âme estplongée ?

Contre un amant qui plaît pourquoi tant defierté ?

 

Hermione

Hélas ! pour mon malheur, je l’ai tropécouté.

Je n’ai point du silence affecté lemystère :

Je croyais sans péril pouvoir êtresincère,

Et sans armer mes yeux d’un moment derigueur,

Je n’ai pour lui parler consulté que moncœur.

Et qui ne se serait comme moi déclarée

Sur la foi d’une amour si saintementjurée ?

Me voyait-il de l’œil qu’il me voitaujourd’hui ?

Tu t’en souviens encor, tout conspirait pourlui :

Ma famille vengée, et les Grecs dans lajoie,

Nos vaisseaux tout chargés des dépouilles deTroie,

Les exploits de son père effacés par lessiens,

Ses feux que je croyais plus ardents que lesmiens,

Mon cœur, toi-même enfin de sa gloireéblouie,

Avant qu’il me trahît, vous m’avez toustrahie.

Mais c’en est trop, Cléone, et quel que soitPyrrhus,

Hermione est sensible, Oreste a desvertus ;

Il sait aimer du moins, et même sans qu’onl’aime,

Et peut-être il saura se faire aimerlui-même.

Allons : Qu’il vienne enfin.

 

Cléone

Madame, le voici.

 

Hermione

Ah ! je ne croyais pas qu’il fût si prèsd’ici.

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