Scène II
Hermione,Oreste,Cléone
Hermione
Le croirai-je, Seigneur, qu’un reste detendresse
Vous fasse ici chercher une tristeprincesse ?
Ou ne dois-je imputer qu’à votre seuldevoir
L’heureux empressement qui vous porte à mevoir ?
Oreste
Tel est de mon amour l’aveuglementfuneste,
Vous le savez, Madame, et le destind’Oreste
Est de venir sans cesse adorer vosattraits,
Et de jurer toujours qu’il n’y viendrajamais.
Je sais que vos regards vont rouvrir mesblessures,
Que tous mes pas vers vous sont autant deparjures :
Je le sais, j’en rougis ; mais j’attesteles dieux,
Témoins de la fureur de mes derniersadieux,
Que j’ai couru partout où ma pertecertaine
Dégageait mes serments et finissait mapeine.
J’ai mendié la mort chez des peuplescruels
Qui n’apaisaient leurs dieux que du sang desmortels :
Ils m’ont fermé leur temple ; et cespeuples barbares
De mon sang prodigué sont devenus avares.
Enfin je viens à vous, et je me voisréduit
À chercher dans vos yeux une mort qui mefuit,
Mon désespoir n’attend que leurindifférence :
Ils n’ont qu’à m’interdire un rested’espérance,
Ils n’ont, pour avancer cette mort où jecours,
Qu’à me dire une fois ce qu’ils m’ont dittoujours.
Voilà, depuis un an, le seul soin quim’anime.
Madame, c’est à vous de prendre unevictime
Que les Scythes auraient dérobée à voscoups
Si j’en avais trouvé d’aussi cruels quevous.
Hermione
Quittez, Seigneur, quittez ce funestelangage.
À des soins plus pressants la Grèce vousengage.
Que parlez-vous du Scythe et de mescruautés ?
Songez à tous ces rois que vousreprésentez.
Faut-il que d’un transport leur vengeancedépende ?
Est-ce le sang d’Oreste enfin qu’on vousdemande ?
Dégagez-vous des soins dont vous êteschargé.
Oreste
Les refus de Pyrrhus m’ont assez dégagé,
Madame : il me renvoie ; et quelqueautre puissance
Lui fait du fils d’Hector embrasser ladéfense.
Hermione
L’infidèle !
Oreste
Ainsi donc, tout prêt à le quitter,
Sur mon propre destin je viens vousconsulter.
Déjà même je crois entendre la réponse
Qu’en secret contre moi votre haineprononce.
Hermione
Hé quoi ? toujours injuste en vos tristesdiscours,
De mon inimitié vous plaindrez-voustoujours ?
Quelle est cette rigueur tant de foisalléguée ?
J’ai passé dans l’Épire où j’étaisreléguée :
Mon père l’ordonnait ; mais qui sait sidepuis
Je n’ai point en secret partagé vosennuis ?
Pensez-vous avoir seul éprouvé desalarmes ;
Que l’Épire jamais n’ait vu couler meslarmes ?
Enfin, qui vous a dit que malgré mondevoir
Je n’ai pas quelquefois souhaité de vousvoir ?
Oreste
Souhaité de me voir ! Ah ! divinePrincesse…
Mais, de grâce, est-ce à moi que ce discourss’adresse ?
Ouvrez vos yeux : songez qu’Oreste estdevant vous,
Oreste, si longtemps l’objet de leurcourroux.
Hermione
Oui, c’est vous dont l’amour, naissant avecleurs charmes,
Leur apprit le premier le pouvoir de leursarmes ;
Vous que mille vertus me forçaientd’estimer ;
Vous que j’ai plaint, enfin que je voudraisaimer.
Oreste
Je vous entends. Tel est mon partagefuneste :
Le cœur est pour Pyrrhus, et les vœux pourOreste.
Hermione
Ah ! ne souhaitez pas le destin dePyrrhus :
Je vous haïrais trop.
Oreste
Vous m’en aimeriez plus.
Ah ! que vous me verriez d’un regard biencontraire !
Vous me voulez aimer, et je ne puis vousplaire ;
Et l’amour seul alors se faisant obéir,
Vous m’aimeriez, Madame, en me voulanthaïr.
Ô dieux ! tant de respects, une amitié sitendre…
Que de raisons pour moi, si vous pouviezm’entendre !
Vous seule pour Pyrrhus disputezaujourd’hui,
Peut-être malgré vous, sans doute malgrélui :
Car enfin il vous hait ; son âme ailleurséprise
N’a plus…
Hermione
Qui vous l’a dit, Seigneur, qu’il meméprise ?
Ses regards, ses discours vous l’ont-ils doncappris ?
Jugez-vous que ma vue inspire des mépris,
Qu’elle allume en un cœur des feux si peudurables ?
Peut-être d’autres yeux me sont plusfavorables.
Oreste
Poursuivez : il est beau de m’insulterainsi.
Cruelle, c’est donc moi qui vous mépriseici ?
Vos yeux n’ont pas assez éprouvé maconstance ?
Je suis donc un témoin de leur peu depuissance ?
Je les ai méprisés ? Ah ! qu’ilsvoudraient bien voir
Mon rival comme moi mépriser leurpouvoir !
Hermione
Que m’importe, Seigneur, sa haine ou satendresse ?
Allez contre un rebelle armer toute laGrèce ;
Rapportez-lui le prix de sarébellion ;
Qu’on fasse de l’Épire un second Ilion.
Allez. Après cela direz-vous que jel’aime ?
Oreste
Madame, faites plus, et venez-y vous-même.
Voulez-vous demeurer pour otage en ceslieux,
Venez dans tous les cœurs faire parler vosyeux.
Faisons de notre haine une communeattaque.
Hermione
Mais, Seigneur, cependant, s’il épouseAndromaque ?
Oreste
Hé, Madame !
Hermione
Songez quelle honte pour nous,
Si d’une Phrygienne il devenaitl’époux !
Oreste
Et vous le haïssez ! Avouez-le,Madame,
L’amour n’est pas un feu qu’on renferme en uneâme ;
Tout nous trahit, la voix, le silence, lesyeux,
Et les feux mal couverts n’en éclatent quemieux.
Hermione
Seigneur, je le vois bien, votre âmeprévenue
Répand sur mes discours le venin qui latue,
Toujours dans mes raisons cherche quelquedétour,
Et croit qu’en moi la haine est un effortd’amour.
Il faut donc m’expliquer ; vous agirezensuite.
Vous savez qu’en ces lieux mon devoir m’aconduite ;
Mon devoir m’y retient ; et je n’en puispartir
Que mon père ou Pyrrhus ne m’en fassentsortir.
De la part de mon père allez lui faireentendre
Que l’ennemi des Grecs ne peut être songendre.
Du Troyen ou de moi faites-ledécider :
Qu’il songe qui des deux il veut rendre ougarder ;
Enfin qu’il me renvoie, ou bien qu’il vous lelivre.
Adieu. S’il y consent, je suis prête à voussuivre.