Brutus

Brutus

de Voltaire

Acte I

Scène I

Le théâtre représente une partie de la maison des consuls sur le mont Tarpéien; le temple du Capitole se voit dans le fond. Les sénateurs sont assemblés entre le temple et la maison, devant l’autel de Mars. Brutus et Valérius Publicola, consifls, présidentà cette assemblée: les sénateurs sont rangés en demi-cercle. Des licteurs avec leurs faisceaux sont debout derrière les sénateurs.

 

BRUTUS, VALERIUS PUBLICOLA, LES SÉNATEURS.

BRUTUS.

Destructeurs des tyrans, vous qui n’avez pour rois
Que les dieux de Numa, vos vertus et nos lois,
Enfin notre ennemi commence à nous connaître.
Ce superbe Toscan qui ne parlait qu’en maître,
Porsenna, de Tarquin ce formidable appui,
te tyran, protecteur d’un tyran comme lui,
Qui couvre de son camp les rivages du Tibre,
Respecte le sénat et craint un peuple libre.
Aujourd’hui, devant vous abaissant sa hauteur,
Il demande à traiter par un ambassadeur.
Arons, qu’il nous députe, en ce moment s’avance
Aux sénateurs de Rome il demande audience:
Il attend dans ce temple, et c’est à vous de voir
S’il le faut refuser, s’il le faut recevoir.

VALÉRIUS PUBLICOLA.

Quoi qu’il vienne annoncer, quoi qu’on puisse en attendre,
Il le faut à son roi renvoyer sans l’entendre
Tel est mon sentiment. Rome ne traite plus
Avec ses ennemis que quand ils sont vaincus.
Votre fils, il est vrai, vengeur de la patrie,
A deux fois repoussé le tyran d’Étrurie;
Je sais tout ce qu’on doit à ses vaillantes mains;
Je sais qu’à votre exemple il sauva les Romains
Mais ce n’est point assez; Rome, assiégée encore,
Voit dans les champs voisins ces tyrans qu’elle abhorre.
Que Tarquin satisfasse aux ordres du sénat;
Exilé par nos lois, qu’il sorte de l’État;
De son coupable aspect qu’il purge nos frontières,
Et nous pourrons ensuite écouter ses prières.
Ce nom d’ambassadeur a paru vous frapper;
Tarquin n’a pu nous vaincre, il cherche à nous tromper.
L’ambassadeur d’un roi m’est toujours redoutable;
Ce n’est qu’un ennemi, sous un titre honorable,
Qui vient, rempli d’orgueil ou de dextérité,
Insulter ou trahir avec impunité.
Rome, n’écoute point leur séduisant langage:
Tout art t’est étranger; combattre est ton partage:
Confonds tes ennemis de ta gloire irrités;
Tombe, ou punis les rois: ce sont là tes traités.

BRUTUS.

Rome sait à quel point sa liberté m’est chère:
Mais, plein du même esprit, mon sentiment diffère.
Je vois cette ambassade, au nom des souverains,
Comme un premier hommage aux citoyens romains.
Accoutumons des rois la fierté despotique
A traiter en égale avec la république;
Attendant que, du ciel remplissant les décrets,
Quelque jour avec elle ils traitent en sujets.

Arons vient voir ici Rome encor chancelante,
Découvrir les ressorts de sa grandeur naissante,
Épier son génie, observer son pouvoir:
Romains, c’est pour cela qu’il le faut recevoir.
L’ennemi du sénat connaîtra qui nous sommes,
Et l’esclave d’un roi va voir enfin des hommes.
Que dans Rome à loisir il porte ses regards
Il la verra dans vous: vous êtes ses remparts.
Qu’il révère en ces lieux le dieu qui nous rassemble;
Qu’il paraisse au sénat, qu’il écoute, et qu’il tremble.

(Les sénateurs se lèvent, et s’approchent
un moment pour donner leurs voix.)

VALÉRIUS PUBLICOLA.

Je vois tout le sénat passer à votre avis;
Rome et vous l’ordonnez: à regret j’y souscris.
Licteurs, qu’on l’introduise; et puisse sa présence
N’apporter en ces lieux rien dont Rome s’offense!
(A Brutus.)
C’est sur vous seul ici que nos yeux sont ouverts;
C’est vous qui le premier avez rompu nos fers:
De notre liberté soutenez la querelle;
Brutus en est le père et doit parler pour elle.

 

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