Buridan, le héros de la tour Nesle

Buridan, le héros de la tour Nesle

de Michel Zévaco

Chapitre 1 LA COURTILLE-AUX-ROSES

Près du Temple, presque dans l’ombre sinistre de cette noire et silencieuse bastille aux abords de laquelle nul n’osait s’aventurer, c’était un enclos fleuri, d’une exquise et imprévue gaieté, plein de chants d’oiseaux, quelque chose comme une jolie primevère tapie au pied d’un monstrueux champignon.

On l’appelait la Courtille-aux-Roses, nom charmant de ce poétique jardin où, venue la belle saison, les roses de toutes nuances éclosaient, en effet, en buissons magiques.

Dans l’enclos, c’était une mignonne maison, un bijou, avec un toit aigu à clochetons, sa tourelle, ses fenêtres ogivales à vitraux de couleur, un logis qui respirait le bonheur.

Et là, par cette claire matinée caressée de brises folles, là, en une salle ornée de belles tapisseries et de meubles richement sculptés, c’était un groupe adorable de jeunesse et de beauté… deux amoureux ! Elle, délicate, fine, gentille à ravir ; lui, mince, fier, et très élégant dans son costume unpeu râpé.

Dans le fond de la pièce, une femme déjàvieille, au teint blafard, au sourire visqueux, les couvait de sonregard louche.

« Adieu, Myrtille… à demain, murmura lejeune homme.

– Demain ! répondit la jeune fille.Demain, hélas ! Puis-je être assurée que je te reverrai demainou jamais, quand tu cours à un si terrible danger ! Oh !si tu m’aimes, Buridan, renonce à cette folie ! »

Les bras autour du cou de l’aimé, ses cheveuxblonds dénoués en flots d’or, ses yeux d’azur pleins de larmes,elle suppliait :

« Songe que ce soir mon père seraici ! Songe que ce soir je vais lui avouer notreamour !

– Ton père, Myrtille ! fit le jeunehomme en tressaillant.

– Oui, Jean, oui, mon cher fiancé, cesoir, mon père saura tout !

– Ton père !… Mais ce père que je neconnais pas, qui ne me connaît pas, voudra-t-il de moi ? Quisait ?… Et qu’est-ce, ton père ? Ô Myrtille, depuis sixmois que tu m’apparus en cet enclos retiré, depuis le soir où tulaissas tomber sur moi ton doux regard, que de fois n’ai-je pasessayé d’entrevoir cet homme qui est ton père ! En vain !Toujours en vain ! »

La vieille au regard louches’avança :

« Maître Claude Lescot, dit-elle, esttoujours par monts et par vaux dans le lointain pays des Flandres,pour son commerce de tapisserie. Mais ce soir, sûrement, il seraici, comme il me l’a fait savoir…

– Et je lui dirai tout ! repritMyrtille. Si tu savais comme il m’aime, comme il me comble de satendresse ! Quand je lui dirai que je te veux pour époux, queje meurs si je ne suis pas à toi, il sera bien heureux, va, demettre ma main dans la tienne !

– À demain donc ! fit gaiement lejeune homme. Et puisse le digne Claude Lescot accueillir Buridanqui, alors, se croira admis dans le paradis des anges !

– Cher bien-aimé !… Mais est-ce biendans un jour comme celui-là, à la veille de notre bonheur, que tuveux… oh ! jure-moi de n’y pas aller… oh ! il secoue latête… Gillonne, ma bonne Gillonne, aide-moi à leconvaincre ! »

La vieille s’approcha et posa sa main sèchesur le bras du jeune homme.

« Ainsi, dit-elle, vous êtes résolu àparler à Mgr Enguerrand de Marigny ?

– Ce matin même. Et puisque tu as surprisce secret, vieille, puisque la langue t’a démangé et qu’à touteforce tu en as parlé à ta jeune maîtresse, répare ta faute en luidisant la vérité : que je ne cours aucun danger.

– Aucun danger ! gronda Gillonne.Insensé ! Il faut être possédé du diable pour s’attaquer à MgrEnguerrand de Marigny ! Écoutez, Jean Buridan, écoutez :ne savez-vous pas que le premier ministre est plus puissant que leroi lui-même ? Malheur à qui se heurte à pareil rocher !Celui-là est mis en pièces. Car cet homme sait tout, voit tout,peut tout ! L’un après l’autre, ses ennemis tombent par lepoignard ou le poison. Et il a encore la hache et la corde. Son œild’aigle lira dans votre conscience le projet que n’aurez bagayéqu’à votre pensée dans le silence des nuits profondes. Sa rude mainvous saisira au fond de la retraite la plus sûre, et, toutpantelant, vous jettera au bourreau. »

Gillonne fit un signe de croix.

« Tu entends ? » balbutiaMyrtille.

Un nuage assombrit le front du jeune homme.Mais, secouant la tête :

« Enguerrand de Marigny fût-il pluspuissant encore, fût-il escorté de cent diables des plus cornus etdes plus fourchus, rien ne peut m’empêcher d’aller au rendez-vousque m’ont assigné mes deux braves amis, Philippe et Gautierd’Aulnay. Et même, si je n’avais pas promis assistance à ces deuxloyaux gentilshommes, je hais Marigny comme il me hait. Il fautenfin que face à face…

– Écoutez ! » s’écriaGillonne.

Un bruit de cloches traversait l’espace.

Myrtille enlaça le cou de l’aimé.

« Jean ! fit-elle d’une voixmourante, par pitié, n’y va pas ! »

D’autres cloches se mettaient à sonner… puisd’autres, partout, dans Paris, et les airs se remplirent d’un vastebourdonnement.

« Voici le roi qui sort de sonLouvre ! cria Buridan. C’est l’heure ! Adieu,Myrtille !

– Buridan ! Mon fiancébien-aimé !

– À demain, Myrtille ! Demain,l’amour ! Aujourd’hui, la vengeance ! Demain, laCourtille-aux-Roses ! Aujourd’hui,Montfaucon ! »

En s’arrachant à l’étreinte désespérée, iljeta un dernier baiser du bout des doigts à Myrtille et s’élançaau-dehors.

Éperdue, sanglotante, Myrtille tomba à genouxdevant une naïve image de la Vierge…

À ce moment, Gillonne, d’un pas furtif, sortitdu logis dans l’enclos et de l’enclos sur la route.

Un homme était là, qui, d’un recoin de haie oùil se dissimulait, s’avançait vivement :

« Est-ce fait, Gillonne ?

– Oui, Simon Malingre. Et voici lachose. »

La vieille sortit d’une poche un petitcoffret, que l’homme ouvrit avec crainte.

Et c’était étrange ce que contenait cecoffret ! C’était une figure de cire ornée d’un diadème etvêtue d’un manteau royal ! Une épingle était plantée dans lesein, à l’endroit du cœur ! Alors, Gillonne, les yeux auxaguets, la voix sourde, murmura :

« Tu diras à ton maître, le noble Charlescomte de Valois : cette figure est le premier maléfice établipar la sorcière Myrtille à l’effet de tuer le roi. Myrtille en apréparé un autre qu’on trouvera dans sa chambre. Va, SimonMalingre, et répète bien ces paroles au comte deValois ! »

Simon Malingre, alors, cacha le coffret sousson manteau, puis s’élança, rasant les haies.

Gillonne, un livide sourire sur ses lèvresminces, rentra dans la Courtille-aux-Roses et gagna la salle oùMyrtille priait la Vierge pour son fiancé…

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