Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

de Gaston Leroux

I – Françoise ment

Il y a de certains moments où le mensonge devient une chose sacrée et dérobe à la vérité son éclat,son rayonnement, sa force irrésistible de persuasion. On ne voit point d’ombre alors sur la figure qui ment, ni de trouble dans le regard. Et cependant Françoise ne sait pas mentir. Elle n’a jamais menti. Voilà pourquoi elle ment si bien quand elle ment pour la première fois, soutenue par cette idée terrible que si elle ment mal, elle va déterminer une catastrophe. Laquelle exactement ?Elle l’ignore !… Elle ne comprend rien à ce qui se passe, si ce n’est que la police poursuit son mari, que son mari se cache de la police, et d’elle, Françoise !…Et qu’il a partie liée avec cette espèce de monstre blessé dont il lui semble entendre le souffle au-dessous d’elle.

« Il y a longtemps que vous êtes dans cette pièce, madame ? demanda l’inspecteur…

– Mais, monsieur, depuis au moins deux heures… Vous m’effrayez, s’écria-t-elle. Êtes-vous sûr que des malfaiteurs ?… Il va falloir fouiller toute la maison !Ne me quittez pas, monsieur !… »

Elle s’est redressée sur sa chaise longue : elle est subitement haletante. Son mensonge s’aggrave ! Et elle dit instinctivement tout ce qu’il fautdire pour que cet homme parte et cherche ailleurs ! Ellelui dit de rester près d’elle ! Il est déjà parti !…Elle le suit ! Elle l’accompagne !… Françoise est néeinstantanément à l’intrigue. Elle en connaît tous les détours. Uneattitude trop calme devant une irruption policière aussi inattendueaurait été des plus maladroites, et Françoise s’est émue tout justece qu’il fallait.

Non seulement elle a convaincu de sonignorance l’inspecteur, mais encore cette sorte de monstre qui secache sous sa chaise longue, et son mari, derrière le rideau !Tous deux pensent qu’elle les sauve sans qu’elle s’endoute !

Cela aussi était nécessaire. L’œuvre estparfaite. Ils entendent la jeune femme questionner anxieusementl’inspecteur qui redescend dans les jardins, appelé par seshommes.

Aussitôt deux têtes se montrent dans leboudoir : celle de Palas d’abord, puis celle de Chéri-Bibientre les glands qui pendent de la chaise longue…

« … Vingt-deux !(attention) souffleChéri-Bibi, qui, dans les moments critiques, retrouve facilementl’argot du bagne, c’est peut-être un « décanillage à lamanque ! »

– Je ne pense pas ! réplique àvoix basse Palas ; ma femme l’a convaincu…

– Sans Mme d’Haumont« nous étions cuits », continue Chéri-Bibi, qui saitallier les formules du plus profond respect et de la plus grandecorrection (dès qu’il s’agit du beau sexe) au jargon le plusverdâtre…

Palas ne répond pas. Le cœur battant etles tempes glacées, il écoute… il écoute s’éloigner cette voix…cette chère voix qui les a sauvés… et qui questionne… questionneencore…

Le miracle heureux, pense Palas, cen’est pas qu’ils aient échappé à l’inspection, c’est que Françoisene se soit pas soudain trouvée en face de l’horreur qu’ilsapportaient tous deux quand ils avaient pénétré dans leboudoir.

Il est comme assommé par l’idée quecette chose affreuse eût pu se produire, et il faut le glissementdouloureux de Chéri-Bibi sur le parquet et le sourd halètement dubandit pour le rappeler à la réalité féroce de la minuteprésente :

« Où vas-tu ? demande-t-il,hébété…

– Eh bien, quoi ? tu nem’invites pas à dîner, probable ? Et puis, Mme d’Haumontpeut rentrer ! je ne puis pas rester ici ! fauts’trotter ! mais t’occupe plus de moi ! Tu as assez fait,Palas ! T’as tout payé d’un coup ! Et ça, monvieux ! je te le rendrai ! Et avant qu’il soitlongtemps ! Si tu n’étais pas si loin, j’embrasserais le boutde tes ripatons ! j’ai connu des poteaux ! mais toi, tues digne de mon cœur ! Et tu sais, le cœur de Chéri-Bibi,c’est quelque chose dont on ne se doutepas !… »

Ce disant, il continuait de se traînersur les coudes, et, peu à peu, il gagnait du côté dubalcon…

« On ne viendra plus par là cesoir ! Écoute les flics ! Ils sortent de lavolière ! (la villa). Ils en ont assez vu par ici ! moiaussi !… Tu vas me descendre sur la pelouse !… et cevieux cachalot de Sylvio aura tôt retrouvé sa piaule… t’en faispas !… »

Palas ne le quitta point. Il avaitretrouvé toute sa lucidité d’esprit en entendant à nouveau la voixde Françoise qui appelait les domestiques dans le jardin et leurordonnait de fermer les portes avec soin. Lui aussi était dans lanécessité de disparaître à nouveau, de sortir de la villa pour yrevenir le plus normalement possible. Tous deux purent profiter dece que, sur l’initiative de Françoise, qui avait fait rentrer toutle personnel, les jardins étaient redevenus déserts, pour s’yglisser et gagner la grève.

De là, ils atteignirent la cabane, sansautre aventure, et Palas donna les premiers soins àChéri-Bibi :

« Mon vieux, soupirait le bandit,t’as des mains de femme, et tu me dorlotes comme une poupée !J’en ai l’âme en pleurs ! Mais, tout de même, j’ai le cuirdéchiré, et je connais quelqu’un qui n’a pas son pareil pour cesblessures-là ! C’est le docteur Yoyo !… »

Palas retourna à Nice et rentra à lavilla avec une auto. Le soir même, le docteur Ross veillaitChéri-Bibi.

Quand M. d’Haumont se présenta à lavilla Thalassa, les domestiques lui apprirent en quelques motsl’événement de la soirée. Effrayée par l’irruption de la police,Mme d’Haumont s’était couchée. Elle reposaitmaintenant.

Après quelques minutes où, dans lasolitude du cabinet de toilette, il avait fait disparaître lesdernières traces d’un labeur de forçat, Palas s’en fut entrouvrirla porte de la chambre de Françoise. Celle-ci dormait d’un sommeilsi profond que le malheureux remercia le Ciel… et referma laporte.

À la vérité, dans ce sombre acharnementdu mauvais sort à le poursuivre, il y avait des éclaircies, unsoudain retour heureux des événements qui le sortait de l’abîme aumoment où il croyait en toucher le fond. Cette femme qui reposaitsi paisiblement derrière cette porte lui redonna un peu decalme.

Il avait cru qu’il allait falloir mentirencore, inventer des choses, tout de suite… expliquer son retard,et montrer un visage de comédie… Déjà, par un effort suprême, ledernier d’une journée bien remplie, il s’était préparé à cela… Cen’était pas seulement de ses effets qu’il avait fait la toilette,mais de son regard, mais de son sourire. Et voilà qu’elledormait !… Quand il se retrouva seul chez lui, il eut unedétente farouche et il tomba dans un fauteuil en riant d’un riresourd et stupide qu’il arrêta net, du reste, car il lui faisaitpeur et cela touchait à la folie…

Événement formidable ! Palas étaittranquille… jusqu’au lendemain matin… Alors il s’endormit comme unebête. Il ne rêva même pas du bagne !

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