Henri IV

Henri IV

de Luigi Pirandello

PERSONNAGES

« HENRI IV ».

LA MARQUISE MATHILDE SPINA.

SA FILLE FRIDA.

LE JEUNE MARQUIS CARLO DI NOLLI.

LE BARON TITO BELCREDI.

LE DOCTEUR DIONISIO GENONI.

LES QUATRE PSEUDO-CONSEILLERS SECRETS :

1° ARIALD (Franco).

2° LANDOLF (Lolo).

3° ORDULF (Momo).

4° BERTHOLD (Fino).

LE VIEUX VALET DE CHAMBRE GIOVANNI.

DEUX HOMMES D’ARMES EN COSTUME.

 

De nos jours, en Ombrie, dans une villa isolée.

 

Henri IV a été représenté par laCompagnie Pitoeff pour la première fois au théâtre de Monte Carlole 3 janvier 1925, à Paris au théâtre des Artsle 23 février 1925 par M. Georges Pitoeff,Mme Mora Sylvère, Mme LudmillaPitoeff et MM. Peltier, Evseief, Jim Geralds,Hort, Penay, Ponty, Nauny, Mathis, Léonard.

ACTE PREMIER

Le salon d’une villa aménagé de façon à représenter ce que pouvait être la salle du trône du palais impérial de Goslar, au temps d’Henri IV. Mais, tranchant sur le mobilier ancien, deux tableaux modernes, deux portraits de grandeur naturelle, se détachent sur le mur du fond, placés à peu de hauteur du parquet, au-dessus d’un entablement de bois sculpté qui court le long du mur, large et saillant, de façon à ce qu’on puisse s’y asseoir comme sur une banquette. L’un de ces tableaux est à droite, l’autre à gauche du trône, qui interrompt l’entablement au milieu du mur, pour y insérer le siège impérial sous son baldaquin bas. Les deux tableaux représentent l’un, unhomme, l’autre, une femme, jeunes, chacun revêtu d’un travesti decarnaval : l’homme est déguisé en Henri IV, la femme enMathilde de Toscane. Portes à droite et à gauche.

Au lever du rideau, deux hommes d’armes,comme surpris en faute, bondissent de l’entablement où ils étaientétendus et vont s’immobiliser de part et d’autre du trône, avecleurs hallebardes. Peu après, par la seconde porte à droiteentrent : Ariald, Landolf, Ordulf et Berthold, jeunes genspayés par le marquis Carlo di Molli pour jouer le rôle de« conseillers secrets », seigneurs appartenant à lapetite noblesse et appelés à la cour de Henri IV. Ils revêtentle costume des chevaliers du XIe siècle. Le dernier,Berthold, de son vrai nom Fino, prend son service pour la premièrefois. Ses trois camarades lui donnent des détails tout en semoquant de lui. La scène sera jouée avec un grand brio.

LANDOLF, à Berthold, poursuivant sesexplications. – Et maintenant, voilà la salle dutrône !

ARIALD. – À Goslar !

ORDULF. – Ou, si tu préfères, au château duHartz !

ARIALD. – Ou encore, à Worms.

LANDOLF. – C’est selon l’épisode que nousreprésentons… La salle se déplace avec nous.

ORDULF. – De Saxe en Lombardie.

ARIALD. – Et de Lombardie…

LANDOLF. – Sur le Rhin !

UN DES HOMMES D’ARMES, sans bouger remuantseulement les lèvres. – Psst ! Psst !

ARIALD, se retournant à cet appel. –Qu’est-ce qu’il y a ?

PREMIER HOMME D’ARMES, toujours immobilecomme une statue, à mi-voix. – Il entre ou non ?

Il fait allusion à Henri IV.

ORDULF. – Non, non, il dort ; prenez vosaises.

DEUXIÈME HOMME D’ARMES, quittant saposition en même temps que le premier et allant de nouveaus’étendre sur l’entablement. – Eh, bon Dieu ! vous auriezpu le dire tout de suite !

PREMIER HOMME D’ARMES, s’approchantd’Ariald. – S’il vous plaît, vous n’auriez pas uneallumette ?

LANDOLF. – Hé là ! pas de pipesici !

PREMIER HOMME D’ARMES, tandis qu’Arialdlui tend une allumette enflammée. – Non, non, je vais fumerune cigarette…

Il allume et va s’étendre à sontour, en fumant, sur l’entablement.

BERTHOLD, qui observe la scène d’un airstupéfait et perplexe, promène son regard autour de la salle, puis,examinant son costume et celui de ses camarades. – Maispardon… cette salle… ces costumes… de quel Henri IVs’agit-il ? Je ne m’y retrouve pas du tout… D’Henri IV deFrance ou d’un autre ?

À cette question, Landolf, Ariald etOrdulf éclatent d’un rire bruyant.

LANDOLF, riant toujours et montrant dudoigt Berthold à ses camarades, qui continuent à rire, comme pourles inviter à se moquer encore de lui. – Henri IV deFrance !

ORDULF, de même. – Il croyait quec’était celui de France !

ARIALD. – C’est d’Henri IV d’Allemagnequ’il s’agit, mon cher… Dynastie des Saliens !

ORDULF. – Le grand empereurtragique !

LANDOLF. – L’homme de Canossa ! Nousmenons ici, jour après jour, la plus impitoyable des guerres, entrel’État et l’Église, comprends-tu ?

ORDULF. – L’Empire contre la Papauté !As-tu compris ?

ARIALD. – Les antipapes contre lespapes !

LANDOLF. – Les rois contre lesantirois !

ORDULF. – Et guerre au Saxon !

ARIALD. – Et guerre à tous les princesrebelles !

LANDOLF. – Guerre aux fils de l’Empereureux-mêmes !

BERTHOLD, sous cette avalanche, plongeantsa tête dans ses mains. – J’ai compris ! J’aicompris ! Voilà pourquoi je ne m’y retrouvais plus du tout,quand vous m’avez donné ce costume et m’avez fait entrer dans cettesalle ! Je me disais aussi : ce ne sont pourtant pas descostumes du XVIe siècle !

ARIALD. – Il n’y a pas plus de XVIesiècle que sur ma main !

ORDULF. – Nous sommes ici entre l’an 1000 etl’an 1100 !

LANDOLF. – Tu peux calculer toi-même :c’est aujourd’hui le 25 janvier 1071, nous sommes devantCanossa…

BERTHOLD, de plus en plus affolé. –Mais alors, bon Dieu ! je suis fichu !

ORDULF. – Ah ! ça… Si tu te croyais à lacour de France !

BERTHOLD. – Toute ma préparationhistorique…

LANDOLF. – Nous sommes, mon cher, plus âgés dequatre cents ans ! Tu nous fais l’effet d’un enfant aumaillot !

BERTHOLD, en colère. – Mais,sapristi, on aurait pu me dire qu’il s’agissait d’Henri IVd’Allemagne et non pas d’Henri IV de France ! Dans lesquinze jours qu’on m’a donnés pour ma préparation, j’ai peut-êtrelu cent bouquins !

ARIALD. – Mais pardon, ne savais-tu pas que cepauvre Tito représentait ici Adalbert de Brême ?

BERTHOLD. – Qu’est-ce que tu me chantes avecton Adalbert ? Je ne savais rien du tout !

LANDOLF. – Écoute : voici comment leschoses se sont passées : après la mort de Tito, le petitmarquis di Nolli…

BERTHOLD. – Précisément, c’est la faute dumarquis ! C’était à lui de me prévenir !…

ARIALD. – Mais il te croyait sans doute aucourant !…

LANDOLF. – Eh bien, voici : il ne voulaitpas remplacer Tito. Nous restions trois, le marquis trouvait quec’était suffisant. Mais Lui a commencé à crier :« Adalbert a été chassé ! » Ce pauvre Tito,comprends-tu, il ne le croyait pas mort. Il s’imaginait que lesévêques de Cologne et de Mayence, les rivaux de l’évêque Adalbert,l’avaient chassé de sa cour.

BERTHOLD, se prenant la tête à deuxmains. – Mais je ne sais pas le premier mot de toute cettehistoire, moi !

ORDULF. – Eh bien, alors, mon pauvre, te voilàfrais !

ARIALD. – Le malheur, c’est que nous ne savonspas nous-mêmes qui tu es !

BERTHOLD. – Vous ne savez pas quel rôle jedois jouer ?

ORDULF. – Hum ! Le rôle de« Berthold ».

BERTHOLD. – Mais Berthold, qui est-ce ?Pourquoi Berthold ?

LANDOLF, – Est-ce qu’on sait !Il s’est mis à crier : « Ils m’ont chasséAdalbert ! Alors qu’on m’amène Berthold ! Je veuxBerthold ! »

ARIALD. – Nous nous sommes regardés tous lestrois dans les yeux : qui diable était ce Berthold ?

ORDULF. – Voilà, mon cher, comment tu as ététransformé en Berthold.

LANDOLF. – Tu vas jouer ce rôle àravir !

BERTHOLD, révolté et faisant mine de s’enaller. – Oh ! mais je ne le jouerai pas ! Mercibeaucoup ! Je m’en vais ! Je m’en vais !

ARIALD, le retenant, aidé d’Ordulf, enriant. – Allons, calme-toi, calme-toi !

ORDULF. – Tu ne seras pas le Berthold stupidede la fable.

LANDOLF. – Tranquillise-toi : nous nesavons pas plus que toi qui nous sommes. Voici Hérold, voilàOrdulf, moi, je suis Landolf… Il nous a donné ces noms… Nous enavons pris l’habitude, mais qui sommes-nous ? Ce sont des nomsde l’époque… Berthold doit être aussi un nom de l’époque. Seul, lepauvre Tito jouait un rôle vraiment historique, celui de l’évêquede Brême. Et on aurait dit pour de bon un évêque ! Il étaitmagnifique, ce pauvre Tito !

ARIALD. – Dame ! il avait pu étudier sonrôle dans les livres, lui !

LANDOLF. – Il donnait des ordres à tout lemonde, même à Sa Majesté : il tranchait de tout, il s’érigeaiten mentor et en grand conseiller. Nous sommes aussi « desconseillers secrets », mais… c’est pour faire nombre.L’histoire dit qu’Henri IV était détesté par la hautearistocratie, parce qu’il s’était entouré de jeunes gens de lapetite noblesse.

ORDULF. – La petite noblesse, c’est nous.

LANDOLF. – Oui, nous sommes les petits vassauxdu roi : dévoués, un peu dissolus, boute-en-train surtout…

BERTHOLD. – Il faudra aussi que je soisboute-en-train ?

LANDOLF. – Mais oui, comme nous !

ORDULF. – Et je te préviens que ce n’est pasfacile !

LANDOLF. – Mais quel dommage ! Tu vois,le cadre est parfait : nous pourrions, avec ces costumes,figurer dans un de ces drames historiques qui ont tant de succèsaujourd’hui au théâtre. Et ce n’est pas la matière qui fait défaut.L’histoire d’Henri IV ne contient pas une tragédie, elle encontient dix… Nous quatre et ces deux malheureux-là (il montreles deux hommes d’armes) quand ils se tiennent immobiles aupied du trône, raides comme des piquets, nous sommes comme despersonnages qui n’ont pas rencontré un auteur, comme des acteurs àqui on ne donne pas de pièce à représenter… Comment dire ? Laforme existe, c’est le contenu qui manque ! Ah ! noussommes beaucoup moins favorisés que les véritables conseillersd’Henri IV ; eux, personne ne leur donnait de rôle àjouer. Ils ignoraient même qu’ils avaient un rôle à jouer !Ils le jouaient au naturel, sans le savoir… Pour eux, ce n’étaitpas un rôle, c’était la vie, leur vie. Ils faisaient leursaffaires aux dépens d’autrui : ils vendaient les investitures,touchaient des pots-de-vin, toute la lyre… Tandis que nous, nousvoilà habillés comme ils l’étaient, dans cet admirable cadreimpérial… Pour faire quoi ? Rien du tout… Nous sommes pareilsà six marionnettes accrochées au mur, qui attendent un montreur quise saisira d’elles, les mettra en mouvement et leur fera prononcerquelques phrases.

ARIALD. – Non, mon cher, pardon. Il nous fautrépondre dans le ton ! S’il te parle et que tu ne sois pasprêt à lui répondre comme il veut, tu es perdu !

LANDOLF. – Oui, c’est vrai, c’estvrai !

BERTHOLD. – Précisément ! Commentpourrais-je lui répondre dans le ton, moi, qui me suis préparé pourun Henri IV de France et qui me trouve, à présent, en faced’un Henri IV d’Allemagne ?

Landolf, Ordulf et Ariald recommencent àrire.

ARIALD. – Eh ! il faut te préparer sansretard !

ORDULF. – Ne t’inquiète pas ! Nous allonst’aider.

ARIALD. – Si tu savais tous les livres quenous avons à notre disposition ! Tu n’auras qu’à en feuilleterquelques-uns.

ORDULF. – Mais oui, pour prendre uneteinture…

ARIALD. – Regarde ! (Il le faittourner et lui montre, sur le mur du fond, le portrait de lamarquise Mathilde.) Voyons, celle-là, qui est-ce ?

BERTHOLD, regardant. – Quic’est ? Mais avant tout, quelqu’un qui n’est guère dans leton ! Deux tableaux modernes ici, au milieu de toutes cesantiquailles !

ARIALD. – Tu as parfaitement raison. Ils n’yétaient pas au début. Il y a deux niches derrière ces tableaux. Ondevait y placer deux statues, sculptées dans le style del’époque ; mais les niches sont restées vides et on les adissimulées sous les deux portraits que tu vois…

LANDOLF, l’interrompant etcontinuant. – … qui détonneraient tout à fait sic’étaient véritablement des tableaux.

BERTHOLD. – Comment, ce ne sont pas destableaux ?

LANDOLF. – Si, si, tu peux les toucher, cesont des toiles peintes, mais, pour lui (il montremystérieusement sa droite faisant allusion à Henri IV)qui ne les touche pas…

BERTHOLD. – Que sont-elles donc, pourlui ?

LANDOLF. – Simple interprétation de ma part…tu sais, mais, au fond, je la crois juste. Pour lui, eh bien !ce sont des images, des images comme… voyons… comme un miroir peutles offrir. Comprends-tu ? Celle ci (il montre le portraitd’Henri IV) le représente lui-même vivant, tel qu’il est,dans cette salle du trône, qui se présente, de son côté, tellequ’elle le doit, conforme au style et aux mœurs de l’époque. Dequoi t’étonnes-tu ? Si on te plaçait devant un miroir, ne t’yverrais-tu pas vivant et présent, bien que vêtu d’étoffesanciennes ? Eh bien, sur ce mur, c’est comme s’il y avait deuxmiroirs qui reflètent deux images vivantes d’un monde mort. Cemonde-là, en restant avec nous, tu le verras peu à peu reprendrevie lui aussi !

BERTHOLD. – Prenez garde que je ne veux pasdevenir fou dans cette maison !

ARIALD. – Tu ne deviendras pas fou ! Tut’amuseras !

BERTHOLD. – Mais, dites-moi, comment diableêtes-vous devenu tous les trois aussi savants ?

LANDOLF. – Eh, mon cher, on ne remonte pas dehuit cents ans en arrière dans l’histoire sans rapporter avec soiune petite expérience !

ARIALD. – Sois tranquille, tu verras comme enpeu de temps tu seras absorbé, toi aussi, par tout cela !

ORDULF. – Et comme nous, à cette école, tudeviendras savant à ton tour.

BERTHOLD. – Eh bien, aidez-moi sanstarder ! Donnez-moi tout de suite les renseignementsessentiels !

ARIALD. – Fie-toi à nous… Un peu l’un, un peul’autre !…

LANDOLF. – Nous t’attacherons toutes lesficelles qu’il faudra et nous ferons de toi la plus parfaite desmarionnettes, sois tranquille ! Et maintenant, viens…

Il le prend par le bras et l’entraîne versla sortie.

BERTHOLD, s’arrêtant et examinant leportrait. – Attendez ! Vous ne m’avez pas dit qui estcette femme. La femme de l’Empereur ?

ARIALD. – Non, la femme de l’Empereur, c’estBerthe de Suse, la sœur d’Amédée II de Savoie.

ORDULF. – Oui, et l’Empereur qui se pique derester aussi jeune que nous, ne peut plus la souffrir ; ilpense à la répudier.

LANDOLF. – La femme que tu vois sur ce tableauest son ennemie la plus féroce : c’est la marquise Mathilde deToscane.

BERTHOLD. – Ah ! je sais ! Celle quia donné l’hospitalité au pape…

LANDOLF. – Précisément, à Canossa !

ORDULF. – Au pape Grégoire VII

ARIALD. – Grégoire VII, notre bêtenoire ! Allons, viens !

Ils se dirigent tous les quatre vers laporte à droite, par où ils sont entrés, quand, par la porte àgauche, entre le vieux valet de chambre Giovanni, en frac.

GIOVANNI. – Eh ! psst !Franco ! Lolo !

ARIALD, s’arrêtant et se tournant verslui. – Qu’est-ce que c’est ?

BERTHOLD, étonné à la vue du valet enfrac. – Comment ? Lui, ici ?

LANDOLF. – Un homme du XXe siècleici ! Dehors !

Il court sur lui, le menaçant pour rireet, aidé d’Ariald et d’Ordulf, fait mine de le chasser.

ORDULF. – Émissaire de Grégoire VII, horsd’ici !

ARIALD. – Hors d’ici ! horsd’ici !

GIOVANNI, agacé, se défendant. –Laissez-moi tranquille !

ORDULF. – Non, tu n’as pas le droit de mettreles pieds dans cette salle !

ARIALD. – Hors d’ici ! horsd’ici !

LANDOLF, à Berthold. – C’est de lamagie pure, tu sais ! C’est un démon évoqué par le Sorcier deRome ! Vite, tire ton épée !

Il fait le geste de tirer l’épée, luiaussi.

GIOVANNI, criant. – Au nom duciel ! cessez de faire les fous avec moi ! Monsieur leMarquis vient d’arriver. Il est en compagnie…

LANDOLF, se frottant les mains. – Ah,ah ! très bien ! Est-ce qu’il y a des dames ?

ORDULF, de même. – Desvieilles ? des jeunes ?

GIOVANNI. – Il y a deux messieurs.

ARIALD. – Mais les dames, les dames, quisont-elles ?

GIOVANNI. – Madame la Marquise et safille.

LANDOLF, étonné. – Commentcela ?

ORDULF, de même. – Tu dis lamarquise ?

GIOVANNI. – La marquise, la marquise,parfaitement.

ARIALD. – Et les messieurs ?

GIOVANNI. – Connais pas.

ARIALD, à Berthold. – Ils apportentle contenu qui manquait à notre forme !

ORDULF. – Ce sont tous des émissaires deGrégoire VII ! Nous allons rire !

GIOVANNI. – Allez-vous me laisser parler à lafin ?

ARIALD. – Parle ! Parle !

GIOVANNI. – Je crois qu’un de ces messieursest un médecin !

LANDOLF. – Ah ! très bien ! Encoreun nouveau médecin !

ARIALD. – Bravo, Berthold ! Tu nousportes chance !

LANDOLF. – Tu vas voir comment nous allons lerecevoir, ce médecin !

BERTHOLD. – Mais je vais me trouver, dès monarrivée, dans un sacré embarras !

GIOVANNI. – Écoutez-moi bien ! Ilsveulent pénétrer dans cette salle.

LANDOLF, stupéfait et consterné. –Comment ! Elle, la marquise, ici ?

ARIALD. – En fait de contenu…

LANDOLF. – C’est une tragédie qui va sortir delà !

BERTHOLD, plein de curiosité. – Etpourquoi cela ? Pourquoi ?

ORDULF, indiquant le portrait. – Maisc’est que la marquise, c’est elle, comprends-tu ?

LANDOLF. – Sa fille est fiancée au petitmarquis di Nolli !

ARIALD. – Mais que viennent-ils faireici ? Peut-on le savoir ?

ORDULF. – S’il la voit, gare !

LANDOLF. – Va-t-il seulement lareconnaître ?

GIOVANNI. – S’il s’éveille, retenez-le dansson appartement.

ORDULF. – C’est facile à dire, maiscomment ?

ARIALD. – Tu sais bien comment ilest !

GIOVANNI. – Par la force, s’il le faut !Voilà les ordres qu’on m’a donnés. Vous n’avez qu’à exécuter !Allez, maintenant !

ARIALD. – Allons… Il est peut-être déjàréveillé !

ORDULF. – Allons ! allons !

LANDOLF, suivant ses camarades, àGiovanni. – Mais tu nous expliqueras tout à l’heure !

GIOVANNI, criant. – Fermez à doubletour par là-bas, et cachez la clé. (Indiquant l’autre porte àdroite.) L’autre porte aussi.

Landolf et Ordulf sortent par la secondeporte à droite.

GIOVANNI, aux deux hommes d’armes. –Allez-vous-en aussi ! Passez par là ! (Il montre lapremière porte à droite.) Refermez la porte et emportez laclé !

Les deux hommes d’armes sortent par lapremière porte à droite. Giovanni va vers la porte de gauche etintroduit donna Mathilde Spina, sa fille, la marquiseFrida, le docteur Dionisio Genoni, le baron Tito Belcredi, et lejeune marquis Carlo di Nolli qui, en sa qualité de maître demaison, entre le dernier. Donna Mathilde a environ quarante-cinqans. Elle est encore belle, bien qu’elle répare d’une façon tropvoyante les outrages du temps par un maquillage excessif, toutsavant qu’il soit, qui lui donne une tête farouche de Walkyrie. Cemaquillage prend un relief en contraste profond avec la boucheadmirablement belle et douloureuse. Veuve depuis de longues années,elle est devenue la maîtresse du baron Tito Belcredi, qu’enapparence personne, pas plus elle que les autres, n’a jamais prisau sérieux. Ce que Tito Belcredi est en réalité pour elle, lui seulle sait bien, et c’est pourquoi il peut rire si son amie éprouve lebesoin de faire semblant de l’ignorer, rire aussi pour répondre auxrires que les plaisanteries de la marquise à ses dépens provoquentchez les autres. Mince, précocement gris, un peu plus jeunequ’elle, il a une curieuse tête d’oiseau. Il serait plein devivacité si sa souple agilité (qui fait de lui un escrimeur trèsredouté), ne semblait enfermée dans le fourreau d’une paressesomnolente d’Arabe qu’exprime sa voix un peu nasale et traînante.Frida, la fille de la marquise, a dix-neuf ans. Grandie tristementdans l’ombre où sa mère, impérieuse et trop voyante, l’a tenue,elle est en outre blessée par la médisance facile que provoque samère et qui, désormais, nuit surtout à elle. Par bonheur, elle estdéjà fiancée au marquis Carlo di Nolli, jeune homme sérieux, trèsindulgent pour les autres, mais réservé et désireux d’égards ;il est pénétré du peu qu’il croit être et de sa valeur dans lemonde ; bien que, peut-être, il ne sache pas bien lui-même aufond ce qu’il vaut. D’autre part, il est accablé par le sentimentde toutes les responsabilités qu’il s’imagine peser sur lui :ah ! les autres sont bien heureux, ils peuvent rire ets’amuser, tandis que lui ne le peut pas ; il le voudrait bien,mais il a le sentiment qu’il n’en a pas le droit. Il est en granddeuil de sa mère. Le docteur Dionisio Genoni a un large facièsimpudique et rubicond de satyre ; des yeux saillants, unebarbiche en pointe, brillante comme de l’argent, de belles façons.Il est presque chauve. Tous entrent avec componction, presque aveccrainte ; ils examinent la salle avec curiosité, sauf di Molliqui la connaît déjà. Les premières répliques s’échangent à voixbasse.

Di Nolli, à Giovanni. – Tu as biendonné les ordres ?

GIOVANNI. – Monsieur le Marquis peut êtretranquille.

Il s’incline et sort.

BELCREDI. – Ah ! c’est magnifique !c’est magnifique !

LE DOCTEUR. – C’est remarquablementintéressant ! Le délire est systématisé à la perfection,jusque dans le cadre ! C’est vraiment magnifique !

DONNA MATHILDE, qui a cherché des yeux sonportrait, le découvrant et s’en approchant. – Ah ! levoilà ! (Elle se place à bonne distance pour le regarder,agitée par des sentiments divers.) Oui ! Oui !…Oh ! regardez… Mon Dieu !… (Elle appelle safille.) Frida, Frida !… Regarde !…

FRIDA. – C’est ton portrait !…

DONNA MATHILDE. – Mais non !… Regardebien… ce n’est pas moi, c’est toi qui es là !…

DI NOLLI. – N’est-ce pas ? Je vousl’avais dit !…

DONNA MATHILDE. – Je n’aurais jamais cru quece fut à ce point… (S’agitant comme si un frisson luiparcourait le dos.) Mon Dieu ! quelle impression !(Puis regardant sa fille.) Mais comment, Frida ?(Elle lui entoure la taille de son bras.) Viens un peu. Tune te vois pas en moi, dans ce portrait ?

FRIDA. – À dire vrai… heu…

DONNA MATHILDE. – Tu ne trouves pas ?…Est-il possible ?… (Se tournant vers Belcredi.)Regardez, Tito, et dites-le, dites-le vous-même !

BELCREDI, sans regarder. – Non, moi,je ne regarde pas ! Pour moi, a priori, c’estnon !

DONNA MATHILDE. – Quel imbécile ! Ilcroit me faire un compliment ! (Se tournant vers ledocteur.) Et vous, docteur, qu’est-ce que vous enpensez ?

Le docteur s’approche.

BELCREDI, tournant le dos et feignant dele rappeler. – Psst ! Non, docteur ! Je vous enprie ! ne répondez pas !

LE DOCTEUR, étonné et souriant. –Mais pourquoi ?

DONNA MATHILDE. – Ne l’écoutez pas !Approchez !… Il est insupportable !

FRIDA. – Il fait l’imbécile parvocation ! Vous le savez bien.

BELCREDI, au docteur, en le voyants’approcher. – Regardez vos pieds, docteur ! Regardez vospieds ! Vos pieds !

LE DOCTEUR. – Mes pieds ? Pourquoidonc ?

BELCREDI. – Vous avez des souliers ferrés.

LE DOCTEUR. – Moi ?

BELCREDI. – Oui, monsieur, et vous allezécraser quatre pieds de cristal.

LE DOCTEUR, riant fort. – Maisnon !… Y a-t-il vraiment lieu de faire tant d’histoires parcequ’une fille ressemble à sa mère…

BELCREDI. – Patatras ! la gaffe estfaite !

DONNA MATHILDE, exagérément en colère,marchant sur Belcredi. – Pourquoi patatras ? Qu’est-cequ’il y a ? Qu’a dit le docteur ?

LE DOCTEUR, avec candeur. – N’ai-jepas raison ?

BELCREDI, regardant la marquise. – Ildit qu’il n’y a pas lieu de s’étonner de cette ressemblance…Pourquoi donc marquez-vous tant de stupeur, je vous le demande, sila chose vous semble toute naturelle ?

DONNA MATHILDE, encore plus encolère. – Idiot ! Idiot ! Précisément, ce seraittout naturel, si c’était le portrait de ma fille. (Elle montrele tableau.) Mais ce portrait, c’est le mien, et y retrouverma fille, au lieu de m’y retrouver, moi, voilà ce qui a provoqué mastupeur. Et, je vous prie de la croire sincère… Je vous défends dela mettre en doute !

Après cette violente sortie, un moment desilence embarrassé.

FRIDA, à voix basse, avec ennui. –C’est toujours la même chose ! Pour un rien, unediscussion !…

BELCREDI, à voix basse également, commepour s’excuser. – Mais je n’ai rien mis en doute… J’aiseulement remarqué que, dès le début, tu ne partageais par lastupeur de ta mère. Si tu t’es étonnée de quelque chose, c’est queta ressemblance entre toi et ce portrait parût si frappante à tamère.

DONNA MATHILDE. – Naturellement ! Elle nepeut pas se reconnaître en moi telle que j’étais à son âge ;tandis que moi, je peux, dans ce portrait, me reconnaître en elletelle qu’elle est en ce moment.

LE DOCTEUR. – C’est parfaitement juste !Un portrait fixe pour toujours une minute. Cette minute lointainene rappelle rien à mademoiselle, tandis qu’elle peut rappeler àmadame la Marquise des gestes, des attitudes, des regards, dessourires, mille choses, enfin, qui ne sont pas peintes sur latoile.

DONNA MATHILDE. – Voilà, c’est exactementcela !

LE DOCTEUR, poursuivant, tourné verselle. – Et que tout naturellement vous retrouvez aujourd’huivivantes dans votre fille !

DONNA MATHILDE. – Il faut qu’il gâte lemoindre de mes abandons à un sentiment spontané, par simple besoinde m’irriter.

LE DOCTEUR, aveuglé par les lumières qu’ilvient de répandre, reprend sur un ton professoral, en s’adressant àBelcredi. – La ressemblance, mon cher Baron, est souvent unequestion « d’impondérables »…« d’impondérables », et c’est ainsi qu’on peut expliquerque…

BELCREDI, pour interrompre la leçon.– Quelqu’un pourrait trouver, mon cher docteur, une ressemblanceentre vous et moi !

Di NOLLI. – Je vous en prie, parlons d’autrechose ! (Il montre les deux portes à droite, pour indiquerqu’on peut être entendu.) Nous avons déjà perdu trop de tempsen route…

FRIDA. – Naturellement. (MontrantBelcredi.) Quand il est là…

DONNA MATHILDE, l’interrompant. –C’est pourquoi je ne voulais pas qu’il vînt !

BELCREDI. – Quelle ingratitude ! Pendantle voyage vous avez fait rire tout le monde à mes dépens !

Di Nolli. – Je t’en prie, Tito ! Laissonscela. Le docteur est ici. Ne perdons pas de temps. Tu sais combiencette consultation me tient à cœur.

LE DOCTEUR. – Voyons un peu… Essayons toutd’abord de bien préciser quelques points. Je vous demande pardon,madame la Marquise : comment votre portrait se trouve-t-ilici ? Vous lui en aviez fait cadeau à l’époque del’accident ?

DONNA MATHILDE. – Pas du tout. À quel titreaurais-je pu lui en faire cadeau ? J’avais l’âge de Frida, jen’étais même pas encore fiancée. J’ai cédé ce portrait sur lesvives instances de sa mère (elle montre di Nolli), troisou quatre ans après l’accident ?

LE DOCTEUR. – La mère de monsieur était sasœur ?

Il montre la porte à droite, faisantallusion à Henri IV.

Di NOLLI. – Oui, docteur, et notre visited’aujourd’hui est une dette sacrée envers ma mère, que j’ai perdueil y a un mois. Au lieu d’être ici, elle (il montre Frida)et moi, nous devrions être en voyage de noces…

LE DOCTEUR. – Et occupés à bien d’autressoins, j’entends bien !

Di NOLLI. – Ma mère est morte avec l’idée quela guérison de son frère adoré était prochaine.

LE DOCTEUR. – Et vous ne pouvez pas me diresur quels symptômes elle se fondait ?

Di NOLLI. – Peu de temps avant la mort de mamère, il lui avait tenu, paraît-il, un étrange discours.

LE DOCTEUR. – Un discours ? Ehmais !… il serait extrêmement utile, extrêmement, de leconnaître !

Di NOLLI. – Ce qu’il lui a dit, je l’ignore.Je sais que ma mère revint terriblement angoissée de cette dernièrevisite. Il semble qu’il lui ait témoigné une tendresseinaccoutumée. Comme s’il avait pressenti la fin prochaine de sasœur. Sur son lit de mort, elle m’a fait promettre de ne jamaisl’abandonner, de le faire examiner par d’autres médecins…

LE DOCTEUR. – Bon, très bien. Nous allonsvoir. Tout d’abord… vous le savez, souvent les plus petites causes…Ce portrait…

DONNA MATHILDE. – Ah ! je ne crois pas,docteur, qu’il faille lui accorder une importance excessive. Sij’ai été troublée en l’apercevant, c’est que je ne l’avais pas revudepuis de longues années.

LE DOCTEUR. – Je vous en prie… je vous enprie… de la méthode…

Di NOLLI. – Le portrait est là depuis unequinzaine d’années…

DONNA MATHILDE. – Davantage ! Plus dedix-huit ans !

LE DOCTEUR. – Voudriez-vous me faire la grâcede m’écouter ! Vous ne savez pas encore ce que je veux vousdemander ! Je compte beaucoup, mais beaucoup, sur ces deuxportraits, qui ont été exécutés, naturellement, avant cette fameuseet malheureuse cavalcade ?

DONNA MATHILDE. – Naturellement !

LE DOCTEUR. – À un moment, par conséquent, oùil avait toute sa raison… J’en viens à ma question… Est-ce lui quivous avait proposé de faire exécuter ces portraits ?

DONNA MATHILDE. – Mais, pas du tout,docteur ! La plupart de ceux qui prenaient part à la cavalcadese firent portraiturer pour en conserver un souvenir.

BELCREDI. – Je me suis fait peindre, moiaussi, en « Charles d’Anjou ».

DONNA MATHILDE. – Dès que les costumes furentprêts.

BELCREDI. – Voilà. On se proposait derassembler toutes ces toiles en souvenir, comme dans un musée, dansle salon de la villa où devait avoir lieu le bal masqué après lacavalcade, mais ensuite, chacun préféra conserver son portrait.

DONNA MATHILDE. – Et le mien, je vous l’aidéjà dit, je l’ai cédé plus tard, sans regret d’ailleurs, sur lesinstances de sa mère.

Elle montre de nouveau di Nolli.

LE DOCTEUR. – Vous ne savez pas si c’est luiqui l’a réclamé ?

DONNA MATHILDE. – Je l’ignore… Peut-être…C’est peut-être aussi sa sœur, pour seconder affectueusement…

LE DOCTEUR. – Autre chose, autre chose !L’idée de la cavalcade était-elle de lui ?

BELCREDI, lui coupant la parole. –Non, non ! elle était de moi, elle était de moi !

LE DOCTEUR. – Je vous en prie…

DONNA MATHILDE. – Ne l’écoutez pas, c’est cepauvre Belassi qui en avait eu l’idée.

BELCREDI. – Belassi, pas du tout !

DONNA MATHILDE, au docteur. – Lecomte Belassi qui mourut deux ou trois mois plus tard…

BELCREDI. – Belassi n’était pas là quand…

DI NOLLI, ennuyé par la menace d’unenouvelle discussion.

– Pardon, docteur, est-ilvraiment nécessaire d’établir qui eut l’idée première de lacavalcade ?

LE DOCTEUR. – Eh oui ! cela pourraitm’être utile…

BELCREDI. – L’idée était de moi !Pourquoi me la disputer ? Je n’ai pas tant à m’en glorifier,étant donné les suites qu’elle a eues ! C’était, docteur, jeme le rappelle très bien, au cercle, un soir, début novembre. Jefeuilletais une revue illustrée allemande. (Je regardais simplementles images, bien entendu, – je ne sais pas l’allemand.) Une de cesgravures représentait l’Empereur, dans je ne sais quelle villeuniversitaire, où il avait été étudiant.

LE DOCTEUR. – Bonn, sans doute.

BELCREDI. – Bonn, c’est possible. Il était àcheval, revêtu d’un de ces étranges costumes des vieillesassociations goliardiques d’Allemagne. Un cortège d’étudiantsnobles le suivait à cheval aussi et en costumes. Cette gravure medonna l’idée de la cavalcade. Il faut que vous sachiez qu’aucercle, nous songions à organiser une grande fête travestie pour lecarnaval. Je proposai cette cavalcade historique : historiquesi l’on veut : « babélique », plutôt. Chacun de nousdevait choisir un personnage à représenter, pris dans un siècle oudans un autre : un roi, un empereur ou un prince, avec sa dameà côté de lui, reine ou impératrice, à cheval. Les chevauxcaparaçonnés, bien entendu, à la mode de l’époque. La propositionfut acceptée.

DONNA MATHILDE. – Moi, c’est Belassi quim’avait invitée.

BELCREDI. – S’il vous a dit que l’idée étaitde lui, il se l’est indûment appropriée. Il n’était même pas aucercle, je vous le répète, le soir où je fis ma proposition. Lui(il fait allusion à Henri IV) n’y était pasdavantage, du reste !

LE DOCTEUR. – Et il fixa son choix sur lepersonnage d’Henri IV ?

DONNA MATHILDE. – Oui, parce qu’à cause de monnom, et sans beaucoup réfléchir, j’avais déclaré que je medéguiserais en marquise Mathilde de Toscane.

LE DOCTEUR. – Je vous avoue que je ne vois pasbien le rapport…

DONNA Mathilde. – Je ne le voyais pas nonplus, tout d’abord, mais à mes questions, il répondit qu’il seraitalors à mes pieds comme Henri IV à Canossa. Je connaissaisbien l’affaire de Canossa, mais j’en ignorais les détails, etj’éprouvai une curieuse impression, en relisant mon histoire pourpréparer mon rôle, à me trouver l’amie fidèle et zélée du papeGrégoire VII, en lutte féroce contre l’Empire. Mais je comprisaussi pourquoi, mon choix s’étant fixé sur Mathilde, implacableennemie de l’Empereur, il avait voulu figurer à mes côtés danscette cavalcade, sous le costume d’Henri IV.

LE DOCTEUR. – Ah ! C’est que sansdoute… ?

BELCREDI. – Vous avez deviné, docteur… Il luifaisait, à cette époque, une cour acharnée, et elle,naturellement…

DONNA MATHILDE, piquée, avec feu. –Naturellement ! Oui, naturellement ! et surtout à cetteépoque : « naturellement » !

BELCREDI, la désignant. – Elle nepouvait pas le souffrir !

DONNA MATHILDE. – C’est faux ! Il nem’était pas antipathique ! Au contraire ! Mais, pour moi,il a toujours suffi que quelqu’un veuille se faire prendre ausérieux…

BELCREDI, continuant la phrase. –Pour que vous tiriez de là aussitôt une preuve éclatante de sastupidité !

DONNA MATHILDE. – Non, mon cher ! Dumoins pas cette fois-là. Vous êtes stupide, lui ne l’était pas…

BELCREDI. – Du moins je n’ai jamais essayé deme faire prendre au sérieux !

DONNA MATHILDE. – Je le sais bien ! Maisavec lui, il n’y avait pas à plaisanter. (Sur un autre ton, setournant vers le docteur.) Il arrive aux femmes, mon cherdocteur, entre mille disgrâces, de rencontrer parfois un regardchargé de la promesse contenue, intense d’un sentimentéternel ! (Elle éclate d’un rire aigu.) Rien de plusdrôle ! Ah ! si les hommes se voyaient avec ce« sentiment éternel » dans le regard… Je n’ai jamais pum’empêcher d’en rire ! et surtout à cette époque-là !…Mais je dois l’avouer : je le peux bien aujourd’hui, aprèsvingt ans et plus… Je me mis à rire de lui comme des autres, maisce fut surtout parce que j’en avais peur. On aurait pu avoirconfiance dans une promesse de ces yeux-là. Mais ç’aurait ététerriblement dangereux.

LE DOCTEUR, avec un vif intérêt,concentrant son attention. – Ah ! voilà ! voilà unechose que j’aimerais beaucoup savoir ! Très dangereux,pourquoi ?

DONNA MATHILDE, avec légèreté. –Précisément parce qu’il n’était pas comme les autres ! etétant donné que je suis, moi aussi… je suis… je peux le dire…, jesuis un peu…, et même plus qu’un peu… Je suis (elle cherche uneparole modeste), oui, tout à fait incapable de supporter…voilà, incapable de supporter tout ce qui est compassé, pesant,artificiel ! Mais j’étais si jeune alors, vouscomprenez ? Jeune fille, je rongeais mon frein, mais pourrépondre à cet amour-là, il m’aurait fallu un courage que je ne mesentais pas. Et alors j’ai ri de lui comme des autres. J’en avaisdu remords. J’enrageai contre moi, plus tard, en me rendant compteque mon rire ne faisait qu’un avec celui de tout le monde, de tousles imbéciles qui se moquaient de lui.

BELCREDI. – Oui, à peu près comme on se moquede moi.

DONNA MATHILDE. – Vous, vous faites rire àcause de votre manie de toujours vous ravaler ! Tandis quelui, c’était tout le contraire ! Vous, d’abord, on vous rit aunez !

BELCREDI. – Mieux vaut qu’on vous rie au nezque dans le dos.

LE DOCTEUR. – Voulez-vous que nous revenions ànos moutons ! Il était donc, à ce que je crois comprendre,déjà un peu exalté ?

BELCREDI. – Oui, mais d’une façon siparticulière, docteur !

LE DOCTEUR. – Expliquez-vous !

BELCREDI. – Voilà, il était exalté… mais àfroid…

DONNA MATHILDE. – Mais non, pas à froid !Il était un peu étrange, certainement, mais parce qu’il débordaitde vitalité ; c’était… un poète !

BELCREDI. – Je ne prétends pas qu’il simulait,l’exaltation. Non, tout au contraire ; souvent, il s’exaltaitvéritablement. Mais je peux vous assurer, docteur,qu’instantanément il se voyait lui-même, en proie à son exaltation,il en prenait conscience et il se mettait à contempler cetteexaltation comme un spectacle. Cela devait lui arriver jusque dansses mouvements les plus spontanés. Je suis certain qu’il ensouffrait : il entrait parfois contre lui-même dans des ragesdu plus haut comique !

LE DOCTEUR. – Ah ! vraiment !

DONNA MATHILDE. – Oui, c’est exact !

BELCREDI, au docteur Genoni. – Il ensouffrait, parce que ce dédoublement, cette lucidité immédiatel’exilait de ses sentiments les plus profonds, les lui rendaitétrangers… Ses sentiments lui paraissaient aussitôt – non pas fauxpuisqu’ils étaient sincères – mais des choses, auxquelles ilfallait donner sans retard une valeur… comment dire ? lavaleur d’un acte intellectuel, pour remplacer la chaleur desincérité qu’il sentait se retirer de lui. Et alors il improvisait,il exagérait, il s’exaltait pour s’étourdir et ne plus sevoir… C’est ce qui le faisait paraître inconstant, léger et,disons le mot, parfois même ridicule.

LE DOCTEUR. – Dites-moi un peu… était-ilinsociable ?

BELCREDI. – Mais pas le moins du monde !Il adorait mettre en scène des tableaux vivants, organiser desballets, des représentations de bienfaisance… Il se qualifiaitd’amateur en riant, mais c’était un acteur tout à faitremarquable !

Di NOLLI. – Sa folie a fait de lui un acteurmagnifique et terrible !…

BELCREDI. – Et dès le premier instant…Figurez-vous qu’aussitôt après son accident, après sa chute decheval…

LE DOCTEUR. – Il était tombé sur la nuque,n’est-ce pas ?

DONNA MATHILDE. – Quelle horreur ! Ilétait à côté de moi ! Je le vis étendu entre les pattes ducheval, qui s’était brusquement cabré…

BELCREDI. – Tout d’abord, nous n’imaginionspas qu’il se fût fait grand mal. La cavalcade s’arrêta. Il y eut unpeu de désordre, on voulait savoir ce qui était arrivé ; maisdéjà on l’avait relevé et transporté dans la villa.

DONNA MATHILDE. – Il n’avait rien, vous savez,pas la moindre blessure ! pas une goutte de sang !

BELCREDI. – On le croyait simplementévanoui…

DONNA MATHILDE. – Et quand deux heuresaprès…

BELCREDI. – Oui, quand il reparut dans lesalon de la villa – c’est à cela que je faisais allusion…

DONNA MATHILDE. – Si vous aviez vu sonvisage ! J’en fus tout de suite frappée !

BELCREDI. – Mais non, ne dites pas ça !Personne ne s’aperçut de rien. Comprenez-vous, docteur ?

DONNA MATHILDE. – Naturellement ! Vousétiez tous comme des fous !

BELCREDI. – Chacun jouait son rôle, c’étaitune vraie tour de Babel !

DONNA MATHILDE. – Imaginez, docteur,l’épouvante quand on comprit qu’il jouait son rôlesérieusement ?

LE DOCTEUR. – Comment, il était làaussi ?

BELCREDI. – Mais oui ! Il nous avaitrejoints. Nous imaginions qu’il était déjà rétabli et qu’il jouaitson rôle, lui aussi, comme nous tous… mieux que nous… parce que, jevous l’ai dit, c’était un acteur de premier ordre ! En sommenous imaginions qu’il plaisantait comme nous !

DONNA MATHILDE. – On commença à se moquer delui.

BELCREDI. – Et alors… il était armé (comme unroi devait l’être). Il dégaina et se précipita sur deux ou troisdes invités. Ce fut un moment de terreur !

DONNA MATHILDE. – Je n’oublierai jamais cettescène ! Ces visages grimés, fardés, décomposés en présencesoudain de ce masque terrible qui n’était plus un masque, qui étaitla Folie !

BELCREDI. – Oui, c’était Henri IV,Henri IV en personne, dans une crise de fureur !

DONNA MATHILDE. – Cette mascarade, l’obsessionde cette mascarade, dut avoir une influence sur lui. Depuis plusd’un mois, il ne pensait qu’à ça. Il était toujours obsédé par toutce qu’il faisait !

BELCREDI. – Vous n’imaginez pas les étudesqu’il avait faites pour préparer son personnage ! Il étaitdescendu jusqu’aux plus infimes détails !…

LE DOCTEUR. – Rien de plus facile àcomprendre ! Ce qui était une obsession momentanée devint idéefixe. La chute, le choc contre la nuque ayant troublé le cerveau,l’obsession s’est fixée, perpétuée… Deux cas peuvent seprésenter : devenir idiot, ou devenir fou…

BELCREDI, à Frida et à Di Nolli. –Vous voyez ça d’ici, hein ! les enfants ! (À DiNolli.) Toi, tu avais quatre ou cinq ans. (À Frida.)Ta mère dit que tu as pris sa place dans ce portrait, mais quandelle posait pour lui elle ne pensait même pas à te mettre au monde.Moi, j’ai les cheveux gris à présent, mais lui, regardez (ilmontre le portrait) – pan ! un coup sur la nuque, et iln’a plus bougé… – Henri IV.

LE DOCTEUR, plongé dans ses réflexions,levant les mains à hauteur de son visage comme pour réclamerl’attention de ses auditeurs ; il se prépare à donner uneexplication scientifique. – Eh bien, mesdames et messieurs,voici exactement…

La première porte à droite, – laplus proche de la rampe, – s’ouvre tout à coup et Berthold entre enscène, le visage décomposé.

BERTHOLD, sur le ton de quelqu’un qui nepeut plus se contenir. – Pardon ! Pardon !Excusez-moi !…

Il s’arrête en voyant l’embarras que sonapparition a suscité dans le groupe.

FRIDA, avec un cri d’épouvante, cherchantà se cacher. – Ah ! mon Dieu ! le voilà !

DONNA MATHILDE, reculant, épouvantée, unbras levé, pour ne pas le voir. – C’est lui ! C’estlui !

Di NOLLI. – Mais non ! Mais non ! Ducalme !

LE DOCTEUR, étonné. – Mais quiest-ce, alors ?

BELCREDI. – C’est quelque survivant de notremascarade !

Di NOLLI. – C’est un des quatre jeunes gensque nous avons ici pour servir sa folie.

BERTHOLD. – Je vous demande pardon, monsieurle Marquis…

Di NOLLI. – Il n’y a pas de pardon !J’avais donné ordre de fermer les portes à clé, et personne nedevait entrer ici !

BERTHOLD. – Oui, monsieur ! Mais je n’ytiens plus et je vous demande la permission de m’enaller !

Di NOLLI. – Ah ! vous êtes le nouveau…Vous êtes entré en service ce matin ?

BERTHOLD. – Oui, monsieur, et je n’y tiensdéjà plus !…

DONNA MATHILDE, consternée, à DiNolli. – Mais, il n’est donc pas aussi tranquille que vousnous le disiez ?

BERTHOLD. – Non, non, madame ! Il nes’agit pas de lui, ce sont mes trois camarades ! Vous parliezde servir cette folie, monsieur le Marquis ? Il s’agit bien deça : ce sont eux trois les véritables fous ! Moi quientre ici pour la première fois, monsieur le Marquis, au lieu dem’aider…

Landolf et Ariald entrent par la mêmeporte, à droite, en hâte, avec anxiété, mais s’arrêtent sur leseuil sans oser s’avancer.

LANDOLF. – Oh !… pardon…

ARIALD. – Monsieur le Marquis…

Di NOLLI. – Allons, entrez ! Mais qu’ya-t-il enfin ? Que faites-vous ?

FRIDA. – Ah ! mon Dieu ! Je mesauve, je me sauve ! J’ai trop peur !

Elle se dirige vers la porte àgauche.

Di NOLLI, la retenant. – Mais non,Frida !

LANDOLF. – Monsieur le Marquis, c’est cetimbécile…

Il montre Berthold.

BERTHOLD, protestant. – Ah !non, merci ! Je ne continuerai pas à me prêter à cejeu-là ! Je m’en vais ! Je m’en vais !

LANDOLF. – Comment, tu t’en vas ?

ARIALD. – Il a tout gâté, monsieur le Marquis,en se sauvant par ici !

LANDOLF. – Oui, Il est entré enfureur ! Nous ne pouvons plus le retenir dans sachambre ! Il a donné l’ordre qu’on l’arrête et il veut, sansretard, « le juger » dans la salle du trône ! Quefaut-il que nous fassions ?

Di NOLLI. – Mais fermez ! Fermezdonc ! Allez fermer cette porte !

Landolf va fermer la porte.

ARIALD. – Ordulf tout seul ne va pas pouvoirle retenir…

LANDOLF. – Monsieur le Marquis, si l’onpouvait tout de suite lui annoncer votre visite pour détourner lecours de ses idées ?… Ces messieurs et dames ont peut-êtredéjà décidé sous quels habits ils se présenteraient à lui…

Di NOLLI. – Nous avons pensé à tout. (Audocteur.) Docteur, croyez-vous pouvoir le visiter tout desuite ?

FRIDA. – Pas moi, pas moi, Carlo ! Je meretire, et toi aussi, maman, je t’en supplie ! viens avec moi,viens avec moi !…

LE DOCTEUR. – Je… Je veux bien. Mais,dites-moi, il n’est pas armé ?

Di NOLLI. – Il n’est pas armé, docteur, iln’est pas armé ! (À Frida). Voyons, Frida, c’estenfantin ! C’est toi qui as voulu venir…

FRIDA. – Non, je proteste ! C’est mamanqui a voulu venir !

DONNA MATHILDE. – Mais moi, je suis prête à levoir. En somme, que faudra-t-il faire ?

BELCREDI. – Est-ce qu’il est vraimentnécessaire de nous déguiser ?

LANDOLF. – C’est indispensable, indispensable,messieurs ! Il y voit clair, par malheur… (Montrant soncostume.) Et s’il vous apercevait, monsieur, dans vosvêtements d’aujourd’hui !

ARIALD. – Il croirait à un travestissementdiabolique.

Di NOLLI. – Nous lui ferions l’effet d’êtredéguisés, comme ils nous font, eux ! l’effet del’être !

LANDOLF. – Cela ne serait rien, monsieur leMarquis, s’il ne s’imaginait que c’est par ordre de son plus mortelennemi.

BELCREDI. – Le PapeGrégoire VII ?

LANDOLF. – Précisément ! Il le traite depaïen !

BELCREDI. – Le Pape ? Ce n’est pasmal !

LANDOLF. – Oui, monsieur, il dit qu’ilévoquait les morts ! Il l’accuse de toutes sortes dediableries ! Il en a une peur effroyable.

LE DOCTEUR. – C’est le délire de lapersécution.

ARIALD. – Il aurait une crise !…

Di NOLLI, à Belcredi. – Ta présencen’est pas nécessaire… Nous pouvons passer à côté : il suffitque le docteur le voie.

LE DOCTEUR. – Heu… heu !… Je veux bien,mais moi tout seul ?

DI NOLLI, montrant les trois jeunesgens. – Ils seront avec vous.

LE DOCTEUR. – Heu… heu… Si madame la Marquise…peut-être…

DONNA MATHILDE. – Mais oui, je veux y êtreaussi ! Je veux le revoir !

FRIDA. – Mais pourquoi, maman ? Je t’enprie, viens avec nous !

DONNA MATHILDE, impérieuse, –Laisse-moi !… Je suis venue exprès ! (ÀLandolf.) Je serai « Adélaïde », la mère.

LANDOLF. – Ce sera parfait ! La mère del’Impératrice Berthe, parfait ! Il suffira que madame secoiffe de la couronne ducale et revête un manteau qui la couvriratout entière. (À Ariald.) Va, va, Ariald !

ARIALD. – Minute !… (Montrant ledocteur.) Et monsieur ?

LE DOCTEUR. – Ah ! oui… Vous avez parlé,je crois, d’un évêque… l’évêque Hugues de Cluny.

ARIALD. – Monsieur veut parler de l’abbé deCluny ? Ce sera parfait. Hugues de Cluny.

LANDOLF. – Il est déjà venu ici trèssouvent…

LE DOCTEUR, stupéfait. –Comment : venu ici ?

LANDOLF. – Ne craignez rien. Je veux dire quece déguisement n’était pas compliqué…

ARIALD. – On l’a employé plusieurs foisdéjà.

LE DOCTEUR. – Mais…

LANDOLF. – Il n’y a pas de danger qu’il s’ensouvienne. Il fait plus attention au vêtement qu’à la personne.

DONNA MATHILDE. – C’est parfait pour moi,cela.

Di NOLLI. – Allons-nous-en, Frida !laissons-les ! Viens avec nous, Tito !

BELCREDI. – Ah ! mais non !(Montrant la marquise.) Si elle reste, je reste aussi.

DONNA MATHILDE. – Je n’ai pas besoin devous !

BELCREDI. – Je ne dis pas le contraire… Maismoi aussi, j’aurai plaisir à le revoir. N’en ai-je pas ledroit ?

LANDOLF. – Oui, il vaut peut-être mieux quevous soyez trois.

ARIALD. – Alors, monsieur ?

BELCREDI. – Eh bien ! mais trouvez-moi unautre de ces travestis bon marché.

LANDOLF, à Ariald. – Mais oui :en moine de Cluny.

BELCREDI. – En moine de Cluny ? C’estcomment ?

LANDOLF. – Un froc de bénédictin de l’abbayede Cluny. Vous figurerez la suite de Monseigneur. (ÀAriald.) Allons, va ! (À Berthold.) Et toi aussiva-t’en ! et qu’on ne te revoie pas d’aujourd’hui !(Il les rappelle au moment où ils sortent.)Attendez ! (À Berthold.) Toi, apporte ici lesvêtements qu’Ariald va te donner ! (À Ariald.) Ettoi, va tout de suite annoncer la visite de la « duchesseAdélaïde » et de Monseigneur « Hugues de Cluny ».C’est compris ?

Ariald et Berthold sortent par la premièreporte à droite.

Di NOLLI. – Alors, nous vous laissons.

Il sort avec Frida par la porte àgauche.

LE DOCTEUR, à Landolf. – Dites-moi unpeu… Vous croyez vraiment qu’il aura plaisir à voir l’évêque Huguesde Cluny ?

LANDOLF. – Mais certainement ! Soyeztranquille. Monseigneur a toujours été reçu ici avec le plus grandrespect. Et vous aussi, madame la Marquise, vous pouvez êtretranquille. Il n’a jamais oublié que c’est grâce à vous deux qu’ila pu, à moitié mort de froid, après quarante-huit heures d’attentedans la neige, être admis au château de Canossa, en présence deGrégoire VII, qui ne voulait pas le recevoir. Il le dit biensouvent…

BELCREDI. – Et moi, s’il vous plaît ?

LANDOLF. – Vous, vous vous tiendrezrespectueusement à l’écart…

DONNA MATHILDE irritée, avecnervosité. – Vous feriez mieux de vous en aller !

BELCREDI, bas, avec colère. – Vousvoilà bien émue…

DONNA MATHILDE, avec fierté. – Jesuis comme il me plaît… Laissez-moi en paix !

Berthold entre avec lestravestissements.

LANDOLF, le voyant entrer. –Ah ! voici les costumes ! C’est le manteau pour madame laMarquise.

DONNA MATHILDE. – Attendez, j’enlève monchapeau.

Elle enlève son chapeau et le tend àBerthold.

LANDOLF. – Portez-le à côté. (À lamarquise, en faisant le geste de poser la couronne ducalesur sa tête.) Vous permettez ?

DONNA MATHILDE. – Mon Dieu ! Pas lemoindre miroir, ici ?

LANDOLF. – Il y en a un à côté. (Il montrela porte à gauche.) Si madame la Marquise veut passer parlà…

DONNA MATHILDE. – Oui, oui, cela vaudramieux ! Donnez, je reviens tout de suite.

Elle reprend son chapeau et sort, suiviede Berthold qui porte le manteau et la couronne. Pendant ce temps,le docteur et Belcredi revêtent seuls les robes debénédictins.

BELCREDI. – Devenir bénédictin, j’avoue que jene m’y attendais pas !… Cette folie me semble assezcoûteuse…

LE DOCTEUR. – Ce n’est pas la seule…

BELCREDI. – Il faut une fortune pour s’enpayer de semblables…

LANDOLF. – Nous avons ici une garde-robecomplète. Rien que des costumes de l’époque, exécutés à laperfection sur des modèles anciens. C’est moi qui en ai la charge.Je m’adresse à des tailleurs de théâtre spécialisés. Cela coûtegros.

Donna Mathilde rentre, revêtue du manteauet la couronne sur la tête.

BELCREDI, avec admiration. – Vousêtes magnifique ! Vraiment royale !

DONNA MATHILDE, regardant Belcredi etéclatant de rire. – Oh ! mon Dieu ! Non, sortezd’ici ! Vous êtes impossible ! Vous semblez une autruchehabillée en moine !

BELCREDI. – Et regardez le docteur !

LE DOCTEUR. – Évidemment… évidemment…

DONNA MATHILDE. – Mais non, le docteur estbeaucoup mieux… C’est vous, qui êtes à mourir de rire !

LE DOCTEUR, à Landolf. – Vous recevezdonc beaucoup dans cette maison ?

LANDOLF. – C’est selon. Parfois, il demandequ’on lui présente tel ou tel personnage, et alors il faut chercherdes gens qui se prêtent à la comédie. Il réclame même desfemmes…

DONNA MATHILDE, blessée et voulant lecacher. – Ah ! vraiment ! des femmesaussi ?

LANDOLF. – Autrefois surtout, oui, il enréclamait souvent.

BELCREDI, riant. – Ah ! Elle estbien bonne… En costume ? (Montrant la marquise.)Comme ça ?

LANDOLF. – Vous savez, on lui amenait desfemmes… de ces femmes qui…

BELCREDI. – Oui, des femmes faciles ! Jecomprends ! (Perfidement, à la marquise.) Prenezgarde, la chose peut devenir dangereuse pour vous !

La seconde porte à droite s’ouvre etAriald paraît. Il fait d’abord un signe pour obtenir le silence,puis il annonce solennellement :

ARIALD. – Sa Majesté l’Empereur !

Entrent les deux hommes d’armes, qui vontse poster au pied du trône ; puis, encadré par Ordulf et parAriald qui se tiennent respectueusement un peu en arrière,Henri IV. Il approche de la cinquantaine. Très pâle, déjàgrisonnant sur la nuque. Sur les tempes et, sur le haut de la tête,ses cheveux sont teints en blond, d’une façon puérile, trèsapparente. Son visage est d’une pâleur tragique, avec deux tachesde rouge sur les pommettes, pareilles à des joues de poupées. Cemaquillage est également très apparent. Henri IV revêt,par-dessus ses habits royaux, le sayon de poil de chèvre despénitents, comme à Canossa. Il a dans les yeux une fixité anxieusequi épouvante, en contraste avec son attitude qui s’efforced’exprimer l’humilité et le repentir, attitude qu’il accentued’autant plus qu’il éprouve l’injustice de son abaissement. Ordulfporte à deux mains la couronne royale, Ariald le sceptre avecl’Aigle et le globe surmonté de la croix.

HENRI IV, s’inclinant d’abord devantdonna Mathilde, puis devant le docteur. – Madame… Monseigneur…(Il regarde Belcredi et ébauche un salut, mais il l’interromptet, se tournant vers Landolf qui s’est approché, il lui demande àvoix basse, avec défiance 🙂 C’est PierreDamien ?

LANDOLF. – Non, Majesté. C’est un moine deCluny, qui accompagne l’abbé.

HENRI IV (il recommence à considérerBelcredi avec une défiance croissante et, remarquant que celui-cise tourne avec embarras vers donna Mathilde et vers le docteur,comme pour les consulter du regard, il se redresse etcrie) : C’est Pierre Damien ! – Inutile, mon Père,de regarder la Duchesse ! (Se tournant vers donna Mathildecomme pour conjurer un danger.) Je vous jure, madame, je vousjure que mon âme est changée envers votre fille ! J’avoue ques’il (il montre Belcredi) n’était pas venu me l’interdireau nom du Pape Alexandre, je l’aurais répudiée ! Oui, il yavait quelqu’un qui favorisait cette répudiation : c’étaitl’évêque de Mayence, en échange de cent vingt domaines.(Regardant d’un air égaré Landolf.) Mais il ne faut pas,en ce moment, que je dise du mal des évêques. (Il s’approcheavec humilité de Belcredi.) Je vous suis reconnaissant,croyez-le je vous suis reconnaissant, aujourd’hui, Pierre Damien,de cette interdiction ! – Toute ma vie est un tissud’humiliations : – ma mère, Adalbert, Tribur, Goslar – etmaintenant ce sayon de poil de chèvre que vous me voyez là, sur ledos. (Changeant de ton brusquement, comme quelqu’un qui repasseson rôle, dans une parenthèse de ruse.) N’importe ! De laclarté dans les idées, de la perspicacité, une attitude ferme et dela patience quand la fortune est adverse ! (Se tournantvers les visiteurs avec une gravité convaincue.) Je saiscorriger les erreurs commises, et devant vous aussi, Pierre Damien,je m’humilie ! (Il s’incline profondément et reste courbédevant Belcredi, comme pris d’un soupçon oblique, qui grandit enlui et lui fait ajouter comme malgré lui, sur un tonmenaçant.) À condition, toutefois, que vous n’ayez pas répandule bruit infâme qu’Agnès, ma sainte mère, avait des rapportsinavouables avec l’évêque Henri d’Augsbourg.

BELCREDI (comme Henri IV reste encorecourbé en un geste de menace contre lui, porte ses mains à sapoitrine et nie.) Eh non ! ce n’est pas moi…

HENRI IV, se redressant. – Non,n’est-ce pas ? Quelle infamie ! (Il le dévisage unmoment et reprend.) Je ne vous en crois pas capable.(S’approchant du docteur et lui tirant un peu lamanche, avec un clin d’œil de ruse.) Ce sont« eux » ! Toujours les mêmes !Monseigneur !

ARIALD, bas, avec un soupir, comme poursuggérer une réponse au docteur. – Eh, oui, les évêquesravisseurs.

LE DOCTEUR, pour jouer son rôle, setournant vers Ariald. – Eh oui, ce sont eux…, toujours lesmêmes…

HENRI IV. – Rien ne leur a suffi ! –Un pauvre enfant, Monseigneur… Que fait-il ? Il passe sontemps à jouer – même quand (sans le savoir) il est roi. J’avais sixans, et ils me ravirent à ma mère, et ils se servirent de moi, quine savais rien, contre elle et contre la dynastie elle-même,profanant tout, et volant, volant, plus gloutons l’un quel’autre : Annon plus qu’Étienne, Étienne plusqu’Annon !

LANDOLF, à voix basse, persuasif, pour lerappeler à l’ordre. – Majesté…

HENRI IV, se tournant aussitôt.– Ah ! oui ! il ne faut pas, en ce moment, que je dise dumal des évêques… Mais cette infamie sur ma mère, Monseigneur, passeles bornes ! (Il regarde la marquise et s’attendrit.)Et je ne puis même pas la pleurer, madame… Je me tourne vers vous,qui devez avoir des entrailles de mère. Elle m’a rendu visite, il ya un mois environ. Elle venait de son couvent. On m’a dit qu’elleétait morte… (Une longue pause, lourde d’émotion. Il souritavec une grande tristesse.) Et je ne puis pas la pleurer…Puisque vous vous trouvez ici, et que je revêts ce sayon (ilmontre le sayon qu’il a sur le dos) cela veut dire que je n’aique vingt-six ans…

ARIALD. – Et que, par conséquent, votre mèreest encore vivante, Majesté…

ORDULF. – Toujours dans son couvent…

HENRI IV, se tournant pour lesregarder. – Oui… Je puis ajourner ma douleur à plus tard.(Montrant à la marquise, avec coquetterie, la teinture dont ila blondi ses cheveux.) Regardez : je suis encore blond…(Puis, plus bas, comme en confidence.) C’est pourvous ! – Moi, je n’en aurais pas besoin, mais les signesextérieurs ne sont pas inutiles ; ils jalonnent le temps. Vouscomprenez, Monseigneur ? (S’approchant de la marquise etregardant ses cheveux.) Mais je m’aperçois que vous aussi,Duchesse… (Il cligne de l’œil et fait de la main unsigne expressif.) Eh, vous êtes Italienne… (Comme pourdire : « hypocrite », mais sans ombre deressentiment ; au contraire avec une admirationmalicieuse.) Dieu me préserve d’en témoigner émerveillement oudégoût. – Velléités !… Nul ne veut admettre le pouvoir obscuret fatal qui limite notre volonté. Et pourtant, puisqu’on naît,puisqu’on meurt !… Naître, Monseigneur, est-ce que vous avezdemandé à naître ? Moi, non. Et entre ces deux hasards –naître et mourir – indépendants tous deux de notre volonté, combiend’autres choses encore que nous n’aurions pas voulues et auxquellesnous nous résignons à contre-cœur !

LE DOCTEUR, pour dire quelque chose, touten l’étudiant attentivement. – Eh oui,malheureusement !

HENRI IV. – Quand nous refusons de nousrésigner, les velléités apparaissent. Une femme qui veut être unhomme… un vieillard qui veut être jeune… Velléités, velléités,chimères ridicules, c’est certain. Mais réfléchissez, Monseigneur,toutes nos autres velléités ne sont pas moins ridicules, même quandelles ne débordent pas les limites du possible humain. Nul mensongepourtant, nulle fiction de notre part. Nous sommes, de bonne foi,immobilisés dans une noble idée de nous-mêmes. Vous, par exemple,Monseigneur, vous êtes là, vous ne bougez plus, vous vous agrippezà deux mains à votre saint vêtement, et vous ne prenez pas gardequ’il glisse de vos manches, qu’il coule de vos manches quelquechose, comme un serpent : c’est la vie ! Ah ! quellesurprise, quand, soudain, vous apercevez là, dressée devant vous,cette vie qui s’est échappée de vous-même. Quelle colère, quellerage contre vous-même ! Ou bien quels remords, oui, quelsremords !… Ah ! si vous saviez, j’ai trouvé devant moitant de remords !… Avec un visage qui était le mien, mais siaffreux que je ne pouvais le regarder en face… (Il s’approchede la marquise.) Cela ne vous est-il jamais arrivé,Madame ? Vous rappelez-vous vraiment avoir toujours été lamême ? Un jour, pourtant, Dieu… comment avez-vous pu fairecela… (Il la fixe d’une façon si aiguë qu’elle est près des’évanouir.) Oui, « cela », vous savez quoi… nousnous comprenons, oh ! soyez tranquille, je ne le dirai àpersonne ! Et vous, Pierre Damien, vous, l’ami de cethomme…

LANDOLF, bas. – Majesté…

HENRI IV, vite. – Non, non, jene prononcerai pas son nom ! Je sais qu’il le supportemal ! (Se tournant vers Belcredi, comme en aparté.)Quelle opinion ? quelle opinion aviez-vous de lui ?… Iln’en est pas moins vrai que nous nous obstinons tous dans l’idéeque nous nous faisons de nous-mêmes, tout comme, en vieillissant,nous teignons nos cheveux. Peu importe que la teinture de mescheveux ne puisse pas être pour vous une réalité, si du moins, pourmoi, elle est un tout petit peu réelle. – Vous, madame, vous neteignez certainement pas vos cheveux pour tromper les autres, nivous-même, mais simplement pour tromper un peu, un tout petit peu,votre image au miroir. Moi, je me teins pour rire. Vous, vous vousteignez pour de bon, mais vous avez beau le faire sérieusement,vous n’en êtes pas moins masquée, vous aussi, madame. Oh ! jene parle pas de la vénérable couronne qui ceint votre front… Jem’incline devant elle. Je ne parle pas de votre manteauducal ; je parle uniquement du souvenir de vos cheveux blondsque vous avez voulu fixer sur vous artificiellement, parce que vousvous complaisiez autrefois à être blonde… ou bien du souvenir devos cheveux bruns, si vous étiez brune. Ce souvenir, vous le fixezsur vous comme un masque pour retenir l’image de votre jeunesse quia fui. Pour vous, Pierre Damien, c’est le contraire : lesouvenir de ce que vous avez été, de ce que vous avez fait, renaîtaujourd’hui avec la figure des réalités passées, et vous avezl’impression, n’est-il pas vrai ? d’un cauchemar. Et pour moiaussi, c’est comme un rêve : tant de réalités inexplicables… àbien y repenser… Bah ! il n’y a rien là d’étonnant, PierreDamien ; demain, il en sera ainsi de notre vied’aujourd’hui ! (Se mettant soudain en colère et crispantses mains sur son sayon.) Ce sayon ! (Avec une joiepresque féroce, faisant le geste de l’arracher, tandis qu’Ariald,Landolf, Ordulf se précipitent, épouvantés, comme pour l’enempêcher.) Ah ! Dieu du ciel ! (Il recule et,enlevant son sayon, il leur crie.) Demain, à Bressanone,vingt-sept évêques allemands et lombards signeront avec moi ladestitution du pape Grégoire VII, qui n’est pas le SouverainPontife, mais qui n’est qu’un faux moine !

ORDULF et ses trois compagnons leconjurant de se taire. – Majesté, Majesté, au nom duSeigneur !

ARIALD, l’invitant par gestes à endosserde nouveau le sayon. – Prenez garde à ce que vousdites !

LANDOLF. – Monseigneur est ici avec laDuchesse pour intercéder en votre faveur !

Il fait des signes pressants au docteurpour l’inviter à dire sans tarder quelque chose.

LE DOCTEUR, égaré. – Effectivement,oui, nous sommes ici pour intercéder…

HENRI IV, pris d’un repentir subit,presque épouvanté, se laissant remettre par ses trois vassaux lesayon sur les épaules et le serrant contre lui de ses mainsconvulsées. – Pardon… Oh, oui… pardon, pardon,Monseigneur ; pardon, madame… Je sens, je vous le jure, jesens tout le poids de l’anathème ! (Il se courbe, plongesa tête dans ses mains, comme dans l’attente de quelque chose quiva l’écraser. Il reste un instant ainsi, puis, d’une voix toutedifférente, sans bouger, il dit tout bas en confidence à Landolf, àAriald et à Ordulf.) Je ne sais pourquoi, aujourd’hui, je neréussis pas à me montrer humble devant celui-là !

Il indique Belcredi.

LANDOLF, à voix basse. – Maispourquoi, Majesté, vous obstinez-vous à croire que c’est PierreDamien ? Ce n’est pas lui.

HENRI IV, regardant en dessous aveccrainte. – Ce n’est pas Pierre Damien ?

ARIALD. – Mais non, ce n’est qu’un pauvrepetit moine, Majesté !

HENRI IV, avec une exaspérationcontenue et douloureuse. – Personne ne peut mesurer la portéede ses actes, quand il agit par instinct… Vous, madame, vous pouvezpeut-être me comprendre mieux que les autres… Vous êtes femme etduchesse. Nous sommes à une heure solennelle et décisive. Jepourrais, sachez-le, en ce moment même où je vous parle, accepterl’appui des évêques lombards et m’emparer du Pontife enl’assiégeant ici, dans son château, courir à Rome, élire unantipape, tendre la main à l’alliance de Robert Guiscard. –Grégoire VII serait perdu ! Je résiste à cette tentationet, croyez-le, je suis sage. Je comprends mon époque et la majestéde cet homme qui sait être ce qu’il doit : un pape digne de cenom. Si vous riez de moi en me voyant ainsi humilié, vous êtesstupides, vous ne comprenez pas que la sagesse politique meconseille de revêtir aujourd’hui cet habit de pénitent. Je vous disque les rôles, demain, pourraient être intervertis ! Et queferiez-vous alors ? Ririez-vous, par hasard, d’un papeprisonnier ? – Non. – Nous serions quittes. – Je suis déguiséaujourd’hui en pénitent ; lui le serait demain en prisonnier.Mais malheur à qui ne sait pas porter son masque, que ce soit lemasque d’un roi ou celui d’un pape. – Peut-être est-il, en cemoment, un peu trop cruel : oui, sans doute. Pensez, madame,que Berthe, votre fille, envers qui, je vous le répète, mon âme estchangée (il se tourne brusquement vers Belcredi et lui crie auvisage, comme si Belcredi avait nié) changée, changée, à causede l’affection, du dévouement dont elle a su me donner les preuvesdans ce terrible moment ! (Il se tourne vers lamarquise.) Elle m’a accompagné à Canossa, madame ; elleest en bas, dans la cour ; elle a voulu me suivre, comme unemendiante ; elle est demi-morte de froid, après ces deux nuitspassées dehors, sous la neige ! Vous êtes sa mère ! Vosentrailles devraient tressaillir de pitié, et vous devriez vousunir à lui (il montre le docteur) pour implorer duSouverain Pontife notre pardon : qu’il nous reçoive !

DONNA MATHILDE, tremblante, avec un filetde voix. – Mais oui, oui, tout de suite…

LE DOCTEUR. – C’est ce que nous allonsfaire !

HENRI IV. – Autre chose encore !Autre chose ! (Il les fait approcher de lui et leur dittout bas, en grand secret.) Il ne suffit pas qu’il me reçoive.Vous savez qu’il peut tout. Je dis « tout ». Il peut mêmeévoquer les morts ! (Il se frappe la poitrine.) Mevoici ! Vous me voyez ! Aucun secret de sorcellerie nelui est inconnu. Eh bien, Monseigneur, madame, voilà ma vraiecondamnation. Regardez ! (Il montre son portrait pendu aumur, presque avec effroi.) Ne plus pouvoir me délivrer de cetensorcellement ! Me voici pénitent, et je le resterai !Je vous jure que tel je resterai tant qu’il ne m’aura pas reçu.Mais vous devriez, tous les deux, quand il aura levé monexcommunication, implorer autre chose du Pape : qu’il medétache de là. (Il montre de nouveau son portrait.) Qu’ilme laisse vivre ma pauvre vie, toute ma vie, dont j’ai été exclu…On ne peut pas toujours avoir vingt-six ans, madame ! Et jevous le demande aussi pour votre fille : pour que je puissel’aimer comme elle le mérite. (Vous avez vu les bonnes dispositionsoù je me trouve, attendri comme je le suis maintenant par sapitié.) Voilà, c’est cela qu’il faut lui demander. Mon sort estentre vos mains… (Il salue.) Madame !Monseigneur !

Et il se retire, en saluant, repasse laporte par où il est entré, les laissant tous dans la stupeur. Pourla marquise, elle est si profondément émue qu’à peine Henri IVdisparu, elle se laisse aller sur un siège, presqueévanouie.

Rideau.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer