Jean-François-les-bas-bleus et autres Contes

Charles Nodier

JEAN-FRANÇOIS-LES-BAS-BLEUS

ET AUTRES CONTES

1832

PRÉFACE.

Depuis plus cinquante ans que je subis l’ennui de la vie réelle, je n’ai trouvé aux soucis qui la dévorent qu’une compensation de quelque valeur ; c’est d’entendre des Contes ou d’en composer soi-même. Aussi, en sage dispensateur de mon temps, ne me suis-je guère, occupé d’autre chose, et si j’avais été plus libre, j’en aurais fait davantage ; mais quoi ? il n’est donné à personne d’être toujours heureux à sa guise ; il faut vivre.

La confession que je viens de faire n’est pas tout-à-fait une marque de mon humilité ; j’ai presque peur qu’elle ne trahisse même un secret orgueil dont je voudrais bien être exempt. C’est que je doute en vérité que les natures élevées s’accommodent de bonne foi du positif absurde que la société nous a fait. L’idéal, voilà leur domaine, et si ce n’est errer de le croire, j’ai du moins ce rapport avec elles. Cette hypothèse n’est pas modeste.

Quoi qu’il en soit, je ne préfère rien à la lecture des Contes, moins les contes de ma façon, dont je ne recommande la lecture à personne. Quand le progrès du progrès aura rendu la conflagration des bibliothèques inévitables, car la quintessence de tous les livres se trouvera nécessairement dans la charte de la perfectibilité, comme elle était dans l’Alcoran, je ne demanderai grâce que pour le Chat Botté, le Chaperon, Peau-d’Âne, et les Mille et Une Nuits ; il ne faut rien de plus en littérature pour le bien-être moral d’un peuple intelligent et sensible. On pourrait excepter Homère en faveur de l’Odyssée, mais il faudrait être impitoyable pour l’Histoire, car il y a, quoiqu’on en dise, des vérités dans l’Histoire : les dates et les noms propres.

J’ai déjà dit que je n’avais pas composé autant de Contes que je l’aurais voulu ; Dieu m’a refusé ces loisirs ; et cependant, le nombre de ceux que j’ai mis en prose ou en vers est presque incalculable ; il décuplerait sans peine le fatras qu’un libraire euphémiste a la politesse d’appeler mes Œuvres complètes. Mais une fois que la démangeaison d’écrire était satisfaite, je me souciais peu de l’œuvre qu’elle avait produite, parce que je n’imaginais pas qu’on s’avisât jamais de la donner au public ; je le croyais plus difficile. Ce volume ne s’est donc formé que de lambeaux égarés partout comme les feuilles volantes de la Sibylle, et quiconque se sera intrépidement résigné à lire ce qui reste, n’aura pas de peine à croire que le meilleur est perdu. C’est grand dommage pour les bonnes d’enfants.

Je prie donc messieurs les journalistes d’être convaincus d’avance que cette publication n’est pas une de celles dont la société sentait impérieusement le besoin, et qui placent toutes les semaines quelque auteur nouvellement éclos au rang de nos premiers prosateurs. Tant d’honneurs ne sont faits ni pour mes contes ni pour moi. Je serai assez fier de leur destinée, si on daigne les admettre sur la dernière tablette d’une bibliothèque ad usum adolescentulorum, fort au-dessous de l’aimable madame d’Aulnoy et du tendre M. Berquin ; mon respect pour la langue et pour les mœurs me permet du moins cette ambition ; mais toute place m’y sera bonne, pourvu qu’on me tienne à une grande distance de Charles Perrault ; ce génie-là m’épouvante.

Si toutefois quelque nouvel Aristarque s’avise de venger un jour mes écrits de la témérité des rhapsodes typographiques, dans une édition ordonnée avec plus de soin, je le préviens que les deux ou trois contes dont on a bourré, ob exiguitatem tomi, le volume qui contient Mademoiselle de Marsan, seront placés dans celui-ci d’une manière beaucoup plus convenable. Cette indication n’est pas de grande importance, car elle est seulement fondée sur la supposition qu’où réimprimera mes Œuvres complètes, mais pourquoi ne les réimprimerait-on pas ? On les a bien imprimées !

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