Jésus-Christ en Flandre

Jésus-Christ en Flandre

d’ Honoré de Balzac

À MARCELINE DESBORDES-VALMORE,

À vous, fille de la Flandre

et qui en êtes une des gloires modernes,

cette naïve tradition des Flandres.

DE BALZAC.

À une époque assez indéterminée de l’histoire brabançonne, les relations entre l’île de Cadzant et les côtes de la Flandre étaient entretenues par une barque destinée au passage des voyageurs.Capitale de l’île, Midelbourg, plus tard si célèbre dans les annales du protestantisme, comptait à peine deux ou trois cents feux. La riche Ostende était un havre inconnu, flanqué d’une bourgade chétivement peuplée par quelques pêcheurs, par de pauvres négociants et par des corsaires impunis. Néanmoins le bourg d’ostende, composé d’une vingtaine de maisons et de trois cents cabanes, chaumines ou taudis construits avec des débris de navires naufragés, jouissait d’un gouverneur, d’une milice, de fourches patibulaires, d’un couvent, d’un bourgmestre, enfin de tous les organes d’une civilisation avancée. Qui régnait alors en Brabant,en Flandre, en Belgique ?

Sur ce point, la tradition est muette. Avouons-le ? cette histoire se ressent étrangement du vague, de l’incertitude, du merveilleux que les orateurs favoris des veillées flamandes se sont amusés maintes fois à répandre dans leurs gloses aussi diverses de poésie que contradictoires par les détails. Dite d’âge en âge,répétée de foyer en foyer par les aïeules, par les conteurs de jour et de nuit, cette chronique a reçu de chaque siècle une teinte différente. Semblable à ces monuments arrangés suivant le caprice des architectures de chaque époque, mais dont les masses noires et frustes plaisent aux poètes, elle ferait le désespoir des commentateurs, des éplucheurs de mots, de faits et de dates. Le narrateur y croit, comme tous les esprits superstitieux de la Flandre y ont cru, sans en être ni plus doctes ni plus infirmes.Seulement, dans l’impossibilité de mettre en harmonie toutes les versions, voici le fait dépouillé peut-être de sa naïveté romanesque impossible à reproduire, mais avec ses hardiesses quel’histoire désavoue, avec sa moralité que la religion approuve, sonfantastique, fleur d’imagination, son sens caché dont peuts’accommoder le sage. A chacun sa pâture et le soin de trier le bongrain de l’ivraie.

La barque qui servait à passer les voyageurs de l’île de Cadzantà Ostende allait quitter le rivage.

Avant de détacher la chaîne de fer qui retenait sa chaloupe àune pierre de la petite jetée où l’on s’embarquait, le patron donnadu cor à plusieurs reprises, afin d’appeler les retardataires, carce voyage était son dernier. La nuit approchait, les derniers feuxdu soleil couchant permettaient à peine d’apercevoir les côtes deFlandre et de distinguer dans l’île les passagers attardés, errantsoit le long des murs en terre dont les champs étaient environnés,soit parmi les hauts joncs des marais.

La barque était pleine, un cri s’éleva : “ Qu’attendez-vous?Partons. ” En ce moment, un homme apparut à quelques pas de lajetée ; le pilote, qui ne l’avait entendu ni venir ni marcher,fut assez surpris de le voir. Ce voyageur semblait s’être levé deterre tout à coup, comme un paysan qui se serait couché dans unchamp en attendant l’heure du départ et que la trompette auraitréveillé. Etait-ce un voleur ? était-ce quelque homme dedouane ou de police ? Quand il arriva sur la jetée où labarque était amarrée, sept personnes placées debout à l’arrière dela chaloupe s’empressèrent de s’asseoir sur les bancs, afin de s’ytrouver seules et de ne pas laisser l’étranger se mettre avecelles. Ce fut une pensée instinctive et rapide, une de ces penséesd’aristocratie qui viennent au coeur des gens riches.

Quatre de ces personnages appartenaient à la plus haute noblessedes Flandres. D’abord un jeune cavalier, accompagné de deux beauxlévriers et portant sur ses cheveux longs une toque ornée depierreries, faisait retentir ses éperons dorés et frisait de tempsen temps sa moustache avec impertinence, en jetant des regardsdédaigneux au reste de l’équipage. Une altière demoiselle tenait unfaucon sur son poing, et ne parlait qu’à sa mère ou à unecclésiastique de haut rang, leur parent sans doute. Ces personnesfaisaient grand bruit et conversaient ensemble, comme si elleseussent été seules dans la barque. Néanmoins, auprès d’elles setrouvait un homme très important dans le pays, un gros bourgeois deBruges enveloppé dans un grand manteau.

Son domestique, armé jusqu’aux dents, avait mis près de lui deuxsacs pleins d’argent. A côté d’eux se trouvait encore un homme descience, docteur à l’université de Louvain, flanqué de son clerc.Ces gens, qui se méprisaient les uns les autres, étaient séparés del’avant par le banc des rameurs.

Lorsque le passager en retard mit le pied dans la barque, iljeta un regard rapide sur l’arrière, n’y vit pas de place, et allaen demander une à ceux qui se trouvaient sur l’avant du bateau.Ceux-là étaient de pauvres gens. À l’aspect d’un homme à tête nue,dont l’habit et le haut-de-chausses en camelot brun, dont le rabaten toile de lin empesé n’avaient aucun ornement, qui ne tenait à lamain ni toque ni chapeau, sans bourse ni épée à la ceinture, tousle prirent pour un bourgmestre sûr de son autorité, bourgmestre bonhomme et doux comme quelques-uns de ces vieux Flamands dont lanature et le caractère ingénus nous ont été si bien conservés parles peintres du pays. Les pauvres passagers accueillirent alorsl’inconnu par des démonstrations respectueuses qui excitèrent desrailleries chuchotées entre les gens de l’arrière. Un vieux soldat,homme de peine et de fatigue, donna sa place sur le banc àl’étranger s’assit au bord de la barque, et s’y maintint enéquilibre par la manière dont il appuya ses pieds contre une de cestraverses de bois qui semblables aux arêtes d’un poisson servent àlier les planches des bateaux. Une jeune femme, mère d’un petitenfant, et qui paraissait appartenir à la classe ouvrièred’ostende, se recula pour faire assez de place au nouveau venu. Cemouvement n’accusa ni servilité, ni dédain. Ce fut un de cestémoignages d’obligeance par lesquels les pauvres gens, habitués àconnaître le prix d’un service et les délices de la fraternité,révèlent la franchise et le naturel de leurs âmes, si naïves dansl’expression de leurs qualités et de leurs défauts ; aussil’étranger les remercia-t-il par un geste plein de noblesse.

Puis il s’assit entre cette jeune mère et le vieux soldat.Derrière lui se trouvaient un paysan et son fils, âgé de dix ans.Une pauvresse, ayant un bissac presque vide, vieille et ridée, enhaillons, type de malheur et d’insouciance, gisait sur le bec de labarque, accroupie dans un gros paquet de cordages. Un des rameurs,vieux marinier, qui l’avait connue belle et riche, l’avait faitentrer, suivant l’admirable diction du peuple, pour l’amour deDieu.

– Grand merci, Thomas, avait dit la vieille, je dirai pour toice soir deux Pater et deux Ave dans ma prière.

Le patron donna du cor encore une fois, regarda la campagnemuette, jeta la chaîne dans le bateau, courut le long du bordjusqu’au gouvernail, en prit la barre, resta debout ; puis,après avoir contemplé le ciel, il dit d’une voix forte à sesrameurs, quand ils furent en pleine mer : “ Ramez, ramez fort, etdépêchons ! la mer sourit à un mauvais grain, lasorcière ! Je sens la houle au mouvement du gouvernail, etl’orage à mes blessures. ” Ces paroles, dites en termes de marine,espèce de langue intelligible seulement pour des oreillesaccoutumées au bruit des flots, imprimèrent aux rames un mouvementprécipité, mais toujours cadencé; mouvement unanime, différent dela manière de ramer précédente, comme le trot d’un cheval l’est deson galop. Le beau monde assis à l’arrière prit plaisir à voir tousces bras nerveux, ces visages bruns aux yeux de feu, ces musclestendus, et ces différentes forces humaines agissant de concert,pour leur faire traverser le détroit moyennant un faible péage.Loin de déplorer cette misère, ils se montrèrent les rameurs enriant des expressions grotesques que la manoeuvre imprimait à leursphysionomies tourmentées. À l’avant, le soldat, le paysan et lavieille contemplaient les mariniers avec cette espèce de compassionnaturelle aux gens qui, vivant de labeur, connaissent les rudesangoisses et les fiévreuses fatigues du travail.

Puis, habitués à la vie en plein air, tous avaient compris, àl’aspect du ciel, le danger qui les menaçait, tous étaient doncsérieux. La jeune mère berçait son enfant, en lui chantant unevieille hymne d’église pour l’endormir.

– Si nous arrivons, dit le soldat au paysan, le bon Dieu auramis de l’entêtement à nous laisser en vie.

– Ah ! il est le maître, répondit la vieille ; mais jecrois que son bon plaisir est de nous appeler près de lui. Voyezlà-bas cette lumière ?

Et, par un geste de tête, elle montrait le couchant, où desbandes de feu tranchaient vivement sur des nuages bruns nuancés derouge qui semblaient bien près de déchaîner quelque vent furieux.La mer faisait entendre un murmure sourd, une espèce de mugissementintérieur, assez semblable à la voix d’un chien quand il ne faitque gronder. Après tout, Ostende n’était pas loin. En ce moment, leciel et la mer offraient un de ces spectacles auxquels il estpeut-être impossible à la peinture comme à la parole de donner plusde durée qu’ils n’en ont réellement. Les créations humaines veulentdes contrastes puissants. Aussi les artistes demandent-ilsordinairement à la nature ses phénomènes les plus brillants,désespérant sans doute de rendre la grande et belle poésie de sonallure ordinaire, quoique l’âme humaine soit souvent aussiprofondément remuée dans le calme que dans le mouvement, et par lesilence autant que par la tempête. Il y eut un moment où, sur labarque, chacun se tut et contempla la mer et le ciel, soit parpressentiment, soit pour obéir à cette mélancolie religieuse quinous saisit presque tous à l’heure de la prière, à la chute du jourà l’instant où la nature se tait, où les cloches parlent. La merjetait une lueur blanche et blafarde, mais changeante et semblableaux couleurs de l’acier. Le ciel était généralement grisâtre. Àl’ouest, de longs espaces étroits simulaient des flots de sang,tandis qu’à l’orient des lignes étincelantes, marquées comme par unpinceau fin, étaient séparées par des nuages plissés comme desrides sur le front d’un vieillard. Ainsi, la mer et le cieloffraient partout un fond terne, tout en demi-teintes, qui faisaitressortir les feux sinistres du couchant. Cette physionomie de lanature inspirait un sentiment terrible. S’il est permis de glisserles audacieux tropes du peuple dans la langue écrite, on répéteraitce que disait le soldat, que le temps était en déroute, ou, ce quelui répondit le paysan, que le ciel avait la mine d’un bourreau. Levent s’éleva tout à coup vers le couchant, et le patron, qui necessait de consulter la mer, la voyant s’enfler à l’horizon,s’écria : “Hau ! hau!”.

À ce cri, les matelots s’arrêtèrent aussitôt et laissèrent nagerleurs rames.

– Le patron a raison, dit froidement Thomas quand la barqueportée en haut d’une énorme vague redescendit comme au fond de lamer entre ouverte.

À ce mouvement extraordinaire, à cette colère soudaine del’océan, les gens de l’arrière devinrent blêmes, et jetèrent un criterrible :

– Nous périssons !

– Oh ! pas encore, leur répondit tranquillement lepatron.

En ce moment, les nuées se déchirèrent sous l’effort du vent,précisément au-dessus de la barque.

Les masses grises s’étant étalées avec une sinistre promptitudeà l’orient et au couchant, la lueur du crépuscule y tomba d’aplombpar une crevasse due au vent d’orage, et permit d’y voir lesvisages. Les passagers, nobles ou riches, mariniers et pauvres,restèrent un moment surpris à l’aspect du dernier venu. Ses cheveuxd’or partagés en deux bandeaux sur son front tranquille et serein,retombaient en boucles nombreuses sur ses épaules, en découpant surla grise atmosphère une figure sublime de douceur et où rayonnaitl’amour divin. Il ne méprisait pas la mort, il était certain de nepas périr. Mais si d’abord les gens de l’arrière oublièrent uninstant la tempête dont l’implacable fureur les menaçait, ilsrevinrent bientôt à leurs sentiments d’égoïsme et aux habitudes deleur vie.

– Est-il heureux, ce stupide bourgmestre, de ne pas s’apercevoirdu danger que nous courons tous !

Il est là comme un chien, et mourra sans agonie, dit ledocteur.

À peine avait-il dit cette phrase assez judicieuse, que latempête déchaîna ses légions. Les vents soufflèrent de tous lescôtés, la barque tournoya comme une toupie, et la mer y entra.

– Oh ! mon pauvre enfant ! mon enfant ! Quisauvera mon enfant ? s’écria la mère d’une voixdéchirante.

– Vous-même, répondit l’étranger.

Le timbre de cet organe pénétra le coeur de la jeune femme, il ymit un espoir ; elle entendit cette suave parole malgré lessifflements de l’orage, malgré les cris poussés par lespassagers.

– Sainte Vierge de Bon-Secours, qui êtes à Anvers, je vouspromets mille livres de cire et une statue, si vous me tirez de là,s’écria le bourgeois à genoux sur des sacs d’or.

– La Vierge n’est pas plus à Anvers qu’ici, lui répondit ledocteur.

– Elle est dans le ciel, répliqua une voix qui semblait sortirde la mer.

– Qui donc a parlé ?

– C’est le diable, s’écria le domestique, il se moque de laVierge d’Anvers.

– Laissez-moi donc là votre sainte Vierge, dit le patron auxpassagers. Empoignez-moi les écopes et videz-moi l’eau de labarque. Et vous autres, reprit-il en s’adressant aux matelots,ramez ferme ! Nous avons un moment de répit, au nom du diablequi vous laisse en ce monde, soyons nous-mêmes notre providence. Cepetit canal est furieusement dangereux, on le sait, voilà trenteans que je le traverse.

Est-ce de ce soir que je me bats avec la tempête ?

Puis, debout à son gouvernail, le patron continua de regarderalternativement sa barque, la mer et le ciel.

– Il se moque toujours de tout, le patron, dit Thomas à voixbasse.

– Dieu nous laissera-t-il mourir avec ces misérables ?demanda l’orgueilleuse jeune fille au beau cavalier.

– Non, non, noble demoiselle. Écoutez-moi ?.

– Il l’attira par la taille, et lui parlant à l’oreille :

– Je sais nager, n’en dites rien!.

Je vous prendrai par vos beaux cheveux, et vous conduiraidoucement au rivage ; mais je ne puis sauver que vous.

La demoiselle regarda sa vieille mère. La dame était à genoux etdemandait quelque absolution à l’évêque qui ne l’écoutait pas. Lechevalier lut dans les yeux de sa belle maîtresse un faiblesentiment de piété filiale, et lui dit d’une voix sourde : “Soumettez-vous aux volontés de Dieu ! S’il veut appeler votremère à lui, ce sera sans doute pour son bonheur.., en l’autremonde”, ajouta-t-il d’une voix encore plus basse. “ Et pour lenôtre en celui-ci ”, pensa-t-il. La dame de Rupelmonde possédaitsept fiefs, outre la baronnie de Gâvres. La demoiselle écouta lavoix de sa vie, les intérêts de son amour parlant par la bouche dubel aventurier, jeune mécréant qui hantait les églises, où ilcherchait une proie, une fille à marier ou de beaux denierscomptants. L’évêque bénissait les flots, et leur ordonnait de secalmer en désespoir de cause ; il songeait à sa concubine quil’attendait avec quelque délicat festin, qui peut-être en ce momentse mettait au bain, se parfumait, s’habillait de velours, oufaisait agrafer ses colliers et ses pierreries. Loin de songer auxpouvoirs de la sainte Église, et de consoler ces chrétiens en lesexhortant à se confier à Dieu, l’évêque pervers mêlait des regretsmondains et des paroles d’amour aux saintes paroles du bréviaire.La lueur qui éclairait ces pâles visages permit de voir leursdiverses expressions, quand la barque, enlevée dans les airs parune vague, puis rejetée au fond de l’abîme, puis secouée comme unefeuille frêle, jouet de la bise en automne, craqua dans sa coque etparut près de se briser.

Ce fut alors des cris horribles, suivis d’affreux silences.L’attitude des personnes assises à l’avant du bateau contrastasingulièrement avec celle des gens riches ou puissants. La jeunemère serrait son enfant contre son sein chaque fois que les vaguesmenaçaient d’engloutir la fragile embarcation; mais elle croyait àl’espérance que lui avait jetée au coeur la parole dite parl’étranger ; chaque fois, elle tournait ses regards vers cethomme, et puisait dans son visage une foi nouvelle, la foi forted’une femme faible, la foi d’une mère. Vivant par la parole divine,par la parole d’amour échappée à cet homme, la naïve créatureattendait avec confiance l’exécution de cette espèce de promesse,et ne redoutait presque plus le péril. Cloué sur le bord de lachaloupe, le soldat ne cessait de contempler cet être singulier surl’impassibilité duquel il modelait sa figure rude et basanée endéployant son intelligence et sa volonté, dont les puissantsressorts s’étaient peu viciés pendant le cours d’une vie passive etmachinale; jaloux de se montrer tranquille et calme autant que cecourage supérieur, il finit par s’identifier, à son insu peut-être,au principe secret de cette puissance intérieure. Puis sonadmiration devint un fanatisme instinctif, un amour sans bornes,une croyance en cet homme, semblable à l’enthousiasme que lessoldats ont pour leur chef, quand il est homme de pouvoir environnépar l’éclat des victoires, et qu’il marche au milieu des éclatantsprestiges du génie. La vieille pauvresse disait à voix basse : “Ah ! pécheresse infâme que je suis ! Ai-je souffert assezpour expier les plaisirs de ma jeunesse ? Ah ! pourquoi,malheureuse, as-tu mené la belle vie d’une Galloise, as-tu mangé lebien de Dieu avec des gens d’Église, le bien des pauvres avec lestorçonniers et maltôtiers? Ah ! j’ai eu grand tort. Oh monDieu ! mon Dieu ! laissez-moi finir mon enfer sur cetteterre de malheur. ” Ou bien : “ Sainte Vierge, mère de Dieu, prenezpitié de moi ! ”

– Consolez-vous, la mère, le bon Dieu n’est pas un lombard.Quoique j’aie tué, peut-être à tort et à travers, les bons et lesmauvais, je ne crains pas la résurrection.

– Ah! monsieur l’anspessade, sont-elles heureuses, ces bellesdames, d’être auprès d’un évêque, d’un saint homme! reprit lavieille, elles auront l’absolution de leurs péchés. Oh ! si jepouvais entendre la voix d’un prêtre me disant: “ Vos péchés vousseront remis ”, je le croirais !

L’étranger se tourna vers elle, et son regard charitable la fittressaillir.

– Ayez la foi, lui dit-il, et vous serez sauvée.

– Que Dieu vous récompense, mon bon Seigneur, lui répondit-elle.Si vous dites vrai, j’irai pour vous et pour moi en pèlerinage àNotre Dame-de-Lorette, pieds nus.

Les deux paysans, le père et le fils, restaient silencieux,résignés et soumis à la volonté de Dieu, en gens accoutumés àsuivre instinctivement, comme les animaux, le branle donné à laNature. Ainsi, d’un côté les richesses, l’orgueil, la science, ladébauche, le crime, toute la société humaine telle que la font lesarts, la pensée, l’éducation, le monde et ses lois ; maisaussi, de ce côté seulement, les cris, la terreur, mille sentimentsdivers combattus par des doutes affreux, là, seulement, lesangoisses de la peur. Puis, au-dessus de ces existences, un hommepuissant, le patron de la barque, ne doutant de rien, le chef, leroi fataliste, se faisant sa propre providence et criant : “ SainteÉcope!… ” et non pas : “ Sainte Vierge !… ” enfin, défiantl’orage et luttant avec la mer corps à corps. À l’autre bout de lanacelle, des faibles !… la mère berçant dans son sein un petitenfant qui souriait à l’orage ; une fille, jadis joyeuse,maintenant livrée à d’horribles remords ; un soldat criblé deblessures, sans autre récompense que sa vie mutilée pour prix d’undévouement infatigable ; il avait à peine un morceau de paintrempé de pleurs; néanmoins il se riait de tout et marchait sanssoucis, heureux quand il noyait sa gloire au fond d’un pot de bièreou qu’il la racontait à des enfants qui l’admiraient, il commettaitgaiement à Dieu le soin de son avenir; enfin, deux paysans, gens depeine et de fatigue, le travail incarné, le labeur dont vivait lemonde. Ces simples créatures étaient insouciantes de la pensée etde ses trésors, mais prêtes à les abîmer dans une croyance, ayantla foi d’autant plus robuste qu’elles n’avaient jamais riendiscuté, ni analysé ; natures vierges où la conscience étaitrestée pure et le sentiment puissant; le remords, le malheur,l’amour, le travail avaient exercé, purifié, concentré, décupléleur volonté, la seule chose qui, dans l’homme, ressemble à ce queles savants nomment une âme.

Quand la barque, conduite par la miraculeuse adresse du pilote,arriva presque en vue d’ostende, à cinquante pas du rivage, elle enfut repoussée par une convulsion de la tempête, et chavirasoudain.

L’étranger au lumineux visage dit alors à ce petit monde dedouleur : “ Ceux qui ont la foi seront sauvés ; qu’ils mesuivent ! ” Cet homme se leva, marcha d’un pas ferme sur lesflots. Aussitôt la jeune mère prit son enfant dans ses bras etmarcha près de lui sur la mer. Le soldat se dressa soudain endisant dans son langage de naïveté: “ Ah ! nom d’unepipe ! je te suivrais au diable. ” Puis, sans paraître étonné,il marcha sur la mer. La vieille pécheresse, croyant à latoute-puissance de Dieu, suivit l’homme et marcha sur la mer. Lesdeux paysans se dirent : “ Puisqu’ils marchent sur l’eau, pourquoine ferions-nous pas comme eux ? ” Ils se levèrent et coururentaprès eux en marchant sur la mer. Thomas voulut les imiter ;mais sa foi chancelant, il tomba plusieurs fois dans la mer, sereleva ; puis, après trois épreuves, il marcha sur la mer.L’audacieux pilote s’était attaché comme un rémora sur le plancherde sa barque. L’avare avait eu la foi et s’était levé ; maisil voulut emporter son or, et son or l’emporta au fond de la mer.Se moquant du charlatan et des imbéciles qui l’écoutaient, aumoment où il vit l’inconnu proposant aux passagers de marcher surla mer le savant se prit à rire et fut englouti par l’océan. Lajeune fille fut entraînée dans l’abîme par son amant. L’évêque etla vieille dame allèrent au fond, lourds de crimes, peut-être, maisplus lourds encore d’incrédulité, de confiance en de faussesimages, lourds de dévotion, légers d’aumônes et de vraiereligion.

La troupe fidèle qui foulait d’un pied ferme et sec la plainedes eaux courroucées entendait autour d’elle les horriblessifflements de la tempête. D’énormes lames venaient se briser surson chemin. Une force invincible coupait l’océan. À travers lebrouillard, ces fidèles apercevaient dans le lointain, sur lerivage, une petite lumière faible qui tremblotait par la fenêtred’une cabane de pêcheurs. Chacun, en marchant courageusement verscette lueur, croyait entendre son voisin criant à travers lesmugissements de la mer : “ Courage ! ” Et cependant, attentifà son danger, personne ne disait mot.

Ils atteignirent ainsi le bord de la mer. Quand ils furent tousassis au foyer du pêcheur, ils cherchèrent en vain leur guidelumineux. Assis sur le haut d’un rocher, au bas duquel l’ouraganjeta le pilote attaché sur sa planche par cette force que déploientles marins aux prises avec la mort, L’HOMME descendit, recueillitle naufragé presque brisé ; puis il dit en étendant une mainsecourable sur sa tête :

“ Bon pour cette fois-ci, mais n’y revenez plus, ce serait d’untrop mauvais exemple. ” Il prit le marin sur ses épaules et leporta jusqu’à la chaumière du pêcheur. Il frappa pour lemalheureux, afin qu’on lui ouvrît la porte de ce modeste asile,puis le Sauveur disparut. En cet endroit, fut bâti, pour lesmarins, le couvent de la Merci, où se vit longtemps l’empreinte queles pieds de Jésus Christ avaient, dit-on, laissée sur le sable. En1793, lors de l’entrée des Français en Belgique, des moinesemportèrent cette précieuse relique, l’attestation de la dernièrevisite que Jésus ait faite à la Terre.

Ce fut là que, fatigué de vivre, je me trouvais quelque tempsaprès la révolution de 1830. Si vous m’eussiez demandé la raison demon désespoir, il m’aurait été presque impossible de la dire, tantmon âme était devenue molle et fluide. Les ressorts de monintelligence se détendaient sous la brise d’un vent d’ouest. Leciel versait un froid noir, et les nuées brunes qui passaientau-dessus de ma tête donnaient une expression sinistre à lanature.

L’immensité de la mer, tout me disait: “Mourir aujourd’hui,mourir demain, ne faudra-t-il pas toujours mourir ? et, alors…” J’errais donc en pensant à un avenir douteux, à mes espérancesdéchues. En proie à ces idées funèbres, j’entrai machinalement danscette église du couvent, dont les tours grises m’apparaissaientalors comme des fantômes à travers les brumes de la mer. Jeregardai sans enthousiasme cette forêt de colonnes assemblées dontles chapiteaux feuillus soutiennent des arcades légères, élégantlabyrinthe. Je marchai tout insouciant dans les nefs latérales quise déroulaient devant moi comme des portiques tournant sureux-mêmes. La lumière incertaine d’un jour d’automne permettait àpeine de voir en haut des voûtes les clefs sculptées, les nervuresdélicates qui dessinaient si purement les angles de tous lescintres gracieux. Les orgues étaient muettes. Le bruit seul de mespas réveillait les graves échos cachés dans les chapelles noires.Je m’assis auprès d’un des quatre piliers qui soutiennent lacoupole, près du choeur de là, je pouvais saisir l’ensemble de cemonument que je contemplai sans y attacher aucune idée. L’effetmécanique de mes yeux me faisait seul embrasser le dédale imposantde tous les piliers, les roses immenses miraculeusement attachéescomme des réseaux au-dessus des portes latérales ou du grandportail, les galeries aériennes où de petites colonnes menuesséparaient les vitraux enchâssés par des arcs, par des trèfles oupar des fleurs, joli filigrane en pierre. Au fond du choeur, undôme de verre étincelait comme s’il était bâti de pierresprécieuses habilement serties. A droite et à gauche, deux nefsprofondes opposaient à cette voûte, tour à tour blanche etcoloriée, leurs ombres noires au sein desquelles se dessinaientfaiblement les fûts indistincts de cent colonnes grisâtres. À forcede regarder ces arcades merveilleuses, ces arabesques, ces festons,ces spirales, ces fantaisies sarrasines qui s’entrelaçaient lesunes dans les autres, bizarrement éclairées, mes perceptionsdevinrent confuses. Je me trouvai, comme sur la limite desillusions et de la réalité, pris dans les pièges de l’optique etpresque étourdi par la multitude des aspects. Insensiblement cespierres découpées se voilèrent, je ne les vis plus qu’à travers unnuage formé par une poussière d’or, semblable à celle qui voltigedans les bandes lumineuses tracées par un rayon de soleil dans unechambre. Au sein de cette atmosphère vaporeuse qui rendit toutesles formes indistinctes, la dentelle des roses resplendit tout àcoup. Chaque nervure, chaque arête sculptée, le moindre traits’argenta. Le soleil alluma des feux dans les vitraux dont lesriches couleurs scintillèrent.

Les colonnes s’agitèrent, leurs chapiteaux s’ébranlèrentdoucement. Un tremblement caressant disloqua l’édifice, dont lesfrises se remuèrent avec de gracieuses précautions. Plusieurs grospiliers eurent des mouvements graves comme est la danse d’unedouairière qui, sur la fin d’un bal, complète par complaisance lesquadrilles. Quelques colonnes minces et droites se mirent à rire età sauter parées de leurs couronnes de trèfles. Des cintres pointusse heurtèrent avec les hautes fenêtres longues et grêles,semblables à ces dames du Moyen âge qui portaient les armoiries deleurs maisons peintes sur leurs robes d’or. La danse de ces arcadesmitrées avec ces élégantes croisées ressemblait aux luttes d’untournoi.

Bientôt chaque pierre vibra dans l’église, mais sans changer deplace. Les orgues parlèrent, et me firent entendre une harmoniedivine à laquelle se mêlèrent des voix d’anges, musique inouïe,accompagnée par la sourde basse-taille des cloches dont lestintements annoncèrent que les deux tours colossales se balançaientsur leurs bases carrées. Ce sabbat étrange me sembla la chose dumonde la plus naturelle, et je ne m’en étonnai pas après avoir vuCharles X à terre. J’étais moi-même doucement agité comme sur uneescarpolette, qui me communiquait une sorte de plaisir nerveux, etil me serait impossible d’en donner une idée. Cependant, au milieude cette chaude bacchanale, le choeur de la cathédrale me parutfroid comme si l’hiver y eût régné. J’y vis une multitude de femmesvêtues de blanc, mais immobiles et silencieuses. Quelquesencensoirs répandirent une odeur douce qui pénétra mon âme en laréjouissant. Les cierges flamboyèrent. Le lutrin, aussi gai qu’unchantre pris de vin, sauta comme un chapeau chinois. Je compris quela cathédrale tournait sur elle-même avec tant de rapidité quechaque objet semblait y rester à sa place. Le christ colossal, fixésur l’autel, me souriait avec une malicieuse bienveillance qui merendit craintif, je cessai de le regarder pour admirer dans lelointain une bleuâtre vapeur qui se glissa à travers les piliers,en leur imprimant une grâce indescriptible. Enfin plusieursravissantes figures de femmes s’agitèrent dans les frises. Lesenfants qui soutenaient de grosses colonnes, battirent eux mêmesdes ailes. Je me sentis soulevé par une puissance divine qui meplongea dans une joie infinie, dans une extase molle et douce.J’aurais, je crois, donné ma vie pour prolonger la durée de cettefantasmagorie, quand tout à coup une voix criarde me dit àl’oreille :

“Réveille-toi, suis-moi ! ” Une femme desséchée me prit parla main et me communiqua le froid le plus horrible aux nerfs. Sesos se voyaient à travers la peau ridée de sa figure blême etpresque verdâtre. Cette petite vieille froide portait une robenoire traînée dans la poussière, et gardait à son cou quelque chosede blanc que je n’osais examiner. Ses yeux fixes, levés vers leciel, ne laissaient voir que le blanc des prunelles. Ellem’entraînait à travers l’église et marquait son passage par descendres qui tombaient de sa robe. En marchant, ses os claquèrentcomme ceux d’un squelette. À mesure que nous marchions, j’entendaisderrière moi le tintement d’une clochette dont les sons pleinsd’aigreur retentirent dans mon cerveau, comme ceux d’unharmonica.

– Il faut souffrir, il faut souffrir, me disait-elle.

Nous sortîmes de l’église, et traversâmes les mes les plusfangeuses de la ville; puis, elle me fit entrer dans une maisonnoire où elle m’attira en criant de sa voix, dont le timbre étaitfêlé comme celui d’une cloche cassée :

“Défends-moi, défends-moi ! ” Nous montâmes un escaliertortueux. Quand elle eut frappé à une porte obscure, un homme muet,semblable aux familiers de l’inquisition, ouvrit cette porte. Nousnous trouvâmes bientôt dans une chambre tendue de vieillestapisseries trouées, pleine de vieux linges, de mousselines fanées,de cuivres dorés.

– Voilà d’éternelles richesses, dit-elle.

Je frémis d’horreur en voyant alors distinctement, à la lueurd’une longue torche et de deux cierges, que cette femme devait êtrerécemment sortie d’un cimetière. Elle n’avait pas de cheveux. Jevoulus fuir, elle fit mouvoir son bras de squelette et m’entourad’un cercle de fer armé de pointes. A ce mouvement, un cri poussépar des millions de voix, le hurrah des morts, retentit près denous !

– Je veux te rendre heureux à jamais, dit-elle. Tu es monfils !

Nous étions assis devant un foyer dont les cendres étaientfroides. Alors la petite vieille me serra la main si fortement queje dus rester là. Je la regardai fixement, et tâchai de devinerl’histoire de sa vie en examinant les nippes au milieu desquelleselle croupissait. Mais existait-elle ? C’était vraiment unmystère. Je voyais bien que jadis elle avait dû être jeune etbelle, parée de toutes les grâces de la simplicité, véritablestatue grecque au front virginal.

– Ah ! ah ! lui dis-je, maintenant je tereconnais.

Malheureuse, pourquoi t’es-tu prostituée aux hommes ? Dansl’âge des passions, devenue riche, tu as oublié ta pure et suavejeunesse, tes dévouements sublimes, tes moeurs innocentes, tescroyances fécondes, et tu as abdiqué ton pouvoir primitif, tasuprématie tout intellectuelle pour les pouvoirs de la chair.Quittant tes vêtements de lin, ta couche de mousse, tes grotteséclairées par de divines lumières, tu as étincelé de diamants, deluxe et de luxure. Hardie, fière, voulant tout, obtenant tout etrenversant tout sur ton passage, comme une prostituée en vogue quicourt au plaisir, tu as été sanguinaire comme une reine hébétée devolupté. Ne te souviens-tu pas d’avoir été souvent stupide parmoments? Puis tout à coup merveilleusement intelligente, àl’exemple de l’Art sortant d’une orgie.

Poète, peintre, cantatrice, aimant les cérémonies splendides, tun’as peut-être protégé les arts que par caprice, et seulement pourdormir sous des lambris magnifiques ? Un jour, fantasque etinsolente, toi qui devais être chaste et modeste, n’as-tu pas toutsoumis à ta pantoufle, et ne l’as-tu pas jetée sur la tête dessouverains qui avaient ici-bas le pouvoir, l’argent et letalent!

Insultant à l’homme et prenant joie à voir jusqu’où allait labêtise humaine, tantôt tu disais à tes amants de marcher à quatrepattes, de te donner leurs biens, leurs trésors, leurs femmes même,quand elles valaient quelque chose!.

Tu as, sans motif, dévoré des millions d’hommes, tu les as jetéscomme des nuées sablonneuses de l’Occident sur l’Orient. Tu esdescendue des hauteurs de la pensée pour t’asseoir à côté des rois.Femme, au lieu de consoler les hommes, tu les as tourmentés,affligés ! Sûre d’en obtenir, tu demandais du sang ! Tupouvais cependant te contenter d’un peu de farine, élevée comme tule fus, à manger des gâteaux et à mettre de l’eau dans ton vin.Originale en tout, tu défendais jadis à tes amants épuisés demanger, et ils ne mangeaient pas.

Pourquoi extravaguais-tu jusqu’à vouloir l’impossible ?Semblable à quelque courtisane gâtée par ses adorateurs, pourquoit’es-tu affolée de niaiseries et n’as-tu pas détrompé les gens quiexpliquaient ou justifiaient toutes tes erreurs ? Enfin, tu aseu tes dernières passions ! Terrible comme l’amour d’une femmede quarante ans, tu as rugi ! tu as voulu étreindre l’universentier dans un dernier embrassement, et l’univers qui t’appartenaitt’a échappé.

Puis, après les jeunes gens sont venus à tes pieds desvieillards, des impuissants qui t’ont rendue hideuse. Cependantquelques hommes au coup d’oeil d’aigle te disaient d’un regard: “Tu périras sans gloire, parce que tu as trompé, parce que tu asmanqué à tes promesses de jeune fille. Au lieu d’être un ange aufront de paix et de semer la lumière et le bonheur sur ton passage,tu as été une Messaline aimant le cirque et les débauches, abusantde ton pouvoir. Tu ne peux plus redevenir vierge, il te faudrait unmaître. Ton temps arrive.

Tu sens déjà la mort. Tes héritiers te croient riche, ils tetueront et ne recueilleront rien. Essaie au moins de jeter teshardes qui ne sont plus de mode, redeviens ce que tu étais jadis.Mais non ! tu t’es suicidée ! ” N’est-ce pas là tonhistoire ? lui dis-je en finissant, vieille caduque, édentée,froide, maintenant oubliée et qui passes sans obtenir unregard.

Pourquoi vis-tu ? Que fais-tu de ta robe de plaideuse quin’excite le désir de personne ? où est ta fortune ?pourquoi l’as-tu dissipée ? où sont tes trésors? Qu’as-tu faitde beau ?

À cette demande, la petite vieille se redressa sur ses os,rejeta ses guenilles, grandit, s’éclaira, sourit, sortit de sachrysalide noire. Puis, comme un papillon nouveau-né, cettecréation indienne sortit de ses palmes, m’apparut blanche et jeune,vêtue d’une robe de lin. Ses cheveux d’or flottèrent sur sesépaules, ses yeux scintillèrent, un nuage lumineux l’environna, uncercle d’or voltigea sur sa tête, elle fit un geste vers l’espaceen agitant une longue épée de feu.

– Vois et crois ! dit-elle.

Tout à coup, je vis dans le lointain des milliers decathédrales, semblables à celle que je venais de quitter, maisornées de tableaux et de fresques ; j’y entendis de ravissantsconcerts. Autour de ces monuments, des milliers d’hommes sepressaient, comme des fourmis dans leurs fourmilières. Les unsempressés de sauver des livres et de copier des manuscrits, lesautres servant les pauvres, presque tous étudiant. Du sein de cesfoules innombrables surgissaient des statues colossales, élevéespar eux.

À la lueur fantastique, projetée par un luminaire aussi grandque le soleil, je lus sur le socle de ces statues : SCIENCES.HISTOIRE. LITTÉRATURES.

La lumière s’éteignit, je me retrouvai devant la jeune fille,qui, graduellement, rentra dans sa froide enveloppe, dans sesguenilles mortuaires, et redevint vieille. Son familier lui apportaun peu de poussier, afin qu’elle renouvelât les cendres de sachaufferette, car le temps était rude; puis, il lui alluma, à ellequi avait eu des milliers de bougies dans ses palais, une petiteveilleuse afin qu’elle pût lire ses prières pendant la nuit.

– On ne croit plus !… dit-elle.

Telle était la situation critique dans laquelle je vis la plusbelle, la plus vaste, la plus vraie, la plus féconde de toutes lespuissances.

– Réveillez-vous, monsieur, l’on va fermer les portes, me ditune voix rauque.

En me retournant, j’aperçus l’horrible figure du donneur d’eaubénite, il m’avait secoué le bras. Je trouvai la cathédraleensevelie dans l’ombre, comme un homme enveloppé d’un manteau.

“ Croire ! me dis-je, c’est vivre ! Je viens de voirpasser le convoi d’une Monarchie, il faut défendre L’EGLISE !”

Paris, février 1831.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer