La Belle-Nivernaise – Légendes et récits

La Belle-Nivernaise – Légendes et récits

d’ Alphonse Daudet
Partie 1
LA BELLE-NIVERNAISE

Chapitre 1 UN COUP DE TÊTE

La rue des Enfants-Rouges, au quartier du Temple.

Une rue étroite comme un égout, des ruisseaux stagnants, des flaques de boue noire, des odeurs de moisi et d’eau sale sortant des allées béantes.

De chaque côté, des maisons très hautes, avec des fenêtres de casernes, des vitres troubles, sans rideaux, des maisons de journaliers, d’ouvriers en chambre, des hôtels de maçons et des garnis à la nuit.

Au rez-de-chaussée, des boutiques. Beaucoup de charcutiers, de marchands de marrons ; des boulangeries de gros pain, une boucherie de viandes violettes et jaunes.

Pas d’équipages dans la rue, de falbalas, ni de flâneurs sur les trottoirs, – mais des marchands de quatre saisons criant le rebut des Halles, et une bousculade d’ouvriers sortant des fabriques, la blouse roulée sous le bras.

C’est le huit du mois, jour où les pauvres payent leur terme, où les propriétaires, las d’attendre, mettent la misère à la porte.

C’est le jour où l’on voit passer dans des carrioles des déménagements de lits de fer et de tables boiteuses,entassés les pieds en l’air, avec les matelas éventrés et la batterie de cuisine.

Et pas même une botte de paille pour emballer tous ces pauvres meubles estropiés, douloureux, las de dégringoler les escaliers crasseux et de rouler des greniers aux caves !

La nuit tombe.

Un à un les becs de gaz s’allument, reflétésdans les ruisseaux et dans les devantures de boutiques.

Le brouillard est froid.

Les passants se hâtent.

Adossé au comptoir d’un marchand de vin, dansune bonne salle bien chauffée, le père Louveau trinque avec unmenuisier de la Villette.

Son énorme figure de marinier honnête, touterougeaude et couturée, s’épanouit dans un large rire qui secoue sesboucles d’oreilles.

« Affaire conclue, père Dubac, vousm’achetez mon chargement de bois au prix que j’ai dit.

– Topez-là.

– À votre santé !

– À la vôtre ! »

On choque les verres, et le père Louveau boit,la tête renversée, les yeux mi-clos, claquant la langue, pourdéguster son vin blanc.

Que voulez-vous ! personne n’est parfait,et le faible du père Louveau, c’est le vin blanc. Ce n’est pas quece soit un ivrogne. – Dieu non ! – La ménagère, qui est unefemme de tête, ne tolérerait pas la ribote ; mais quand on vitcomme le marinier, les pieds dans l’eau, le crâne au soleil, ilfaut bien avaler un verre de temps en temps.

Et le père Louveau, de plus en plus gai,sourit au comptoir de zinc qu’il aperçoit au travers d’unbrouillard et qui le fait songer à la pile d’écus qu’il empocherademain en livrant son bois.

Une dernière poignée de main, un dernier petitverre et l’on se sépare.

« À demain sans faute ?

– Comptez sur moi. »

Pour sûr il ne manquera pas le rendez-vous, lepère Louveau. Le marché est trop beau, il a été trop rondement menépour qu’on traînasse.

Et le joyeux marinier descend vers la Seine,roulant les épaules, bousculant les couples, avec la joiedébordante d’un écolier qui rapporte un bon point dans sapoche.

Qu’est-ce qu’elle dira la mère Louveau, – lafemme de tête, – quand elle saura que son homme a vendu le bois dupremier coup, et que l’affaire est bonne ?

Encore un ou deux marchés comme celui-là et onpourra se payer un bateau neuf, planter là laBelle-Nivernaise qui commence à faire par trop d’eau.

Ce n’est pas un reproche, car c’était un fierbateau dans sa jeunesse ; seulement voilà, tout pourrit, toutvieillit, et le père Louveau lui-même sent bien qu’il n’est plusaussi ingambe que dans le temps ou il était « petitderrière » sur les flotteurs de la Marne.

Mais qu’est-ce qui se passe là-bas ?

Les commères s’assemblent devant uneporte ; on s’arrête, on cause et le gardien de la paix, deboutau milieu du groupe, écrit sur son calepin.

Le marinier traverse la chaussée parcuriosité, pour faire comme tout le monde.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Quelque chien écrasé, quelque voitureaccrochée, un ivrogne tombé dans le ruisseau, riend’intéressant…

Non ! c’est un petit enfant assis sur unechaise de bois, les cheveux ébouriffés, les joues pleines deconfitures, qui se frotte les yeux avec les poings.

Il pleure. Les larmes, en coulant, ont tracédes dessins bizarres sur sa pauvre mine mal débarbouillée.

Imperturbable et digne comme s’il interrogeaitun prévenu, l’agent questionne le marmot et prend des notes.

« Comment t’appelles-tu ?

– Totor.

– Victor quoi ? »

Pas de réponse.

Le mioche pleure plus fort et crie :

« Maman ! maman ! »

Alors une femme qui passait, une femme dupeuple, très laide, très sale, traînant deux enfants après elle,sortit du groupe et dit au gardien :

« Laissez-moi faire. »

Elle s’agenouilla, moucha le petit, lui essuyales yeux, embrassa ses joues poissées.

« Comment s’appelle ta maman, monchéri ? »

Il ne savait pas.

Le sergent de ville s’adressa auxvoisins :

« Voyons, vous, le concierge, vous devezconnaître ces gens-là ? »

On n’avait jamais su leur nom.

Il passait tant de locataires dans lamaison !

Tout ce qu’on pouvait dire, c’est qu’ilshabitaient là depuis un mois, qu’ils n’avaient jamais payé un sou,que le propriétaire venait de les chasser, et que c’était un fameuxdébarras.

« Qu’est-ce qu’ils faisaient ?

– Rien du tout. »

Le père et la mère passaient leur journée àboire et leur soirée à se battre.

Ils ne s’entendaient que pour rosser leursenfants, deux garçons qui mendiaient dans la rue et volaient auxétalages.

Une jolie famille, comme vous voyez.

« Croyez-vous qu’ils viendront chercherleur enfant ?

– Sûrement non. »

Ils avaient profité du déménagement pour leperdre.

Ce n’était pas la première fois que cettechose-là arrivait, les jours du terme.

Alors l’agent demanda :

« Personne n’a donc vu les parents s’enaller ? »

Ils étaient partis depuis le matin, le maripoussant la charrette, la femme un paquet dans son tablier, lesdeux garçons les mains dans leurs poches.

Et maintenant, rattrape-les.

Les passants se récriaient indignés, puiscontinuaient leur chemin.

Il était là depuis midi, le malheureuxmioche !

Sa mère l’avait assis sur une chaise et luiavait dit :

« Sois sage. »

Depuis, il attendait.

Comme il criait la faim, la fruitière d’enface lui avait donné une tartine de confiture.

Mais la tartine était finie depuis longtemps,et le marmot avait recommencé à pleurer.

Il mourait de peur, le pauvre innocent !Peur des chiens qui rôdaient autour de lui ; peur de la nuitqui venait ; peur des inconnus qui lui parlaient, et son petitcœur battait à grands coups dans sa poitrine, comme celui d’unoiseau qui va mourir.

Autour de lui le rassemblement grandissait etl’agent ennuyé l’avait pris par la main pour le conduire auposte.

« Voyons, personne ne leréclame ?

– Un instant ! »

Tout le monde se retourna.

Et l’on vit une grosse bonne figure rougeaudequi souriait bêtement jusqu’aux oreilles chargées d’anneaux encuivre.

« Un instant ! si personne n’enveut, je le prends, moi. »

Et comme la foule poussait desexclamations :

« À la bonne heure !

– C’est bien, ce que vous faites là.

– Vous êtes un brave homme. »

Le père Louveau, très allumé par le vin blanc,le succès de son marché et l’approbation générale, se posa les brascroisés au milieu du cercle.

« Eh bien ! quoi ? C’est toutsimple. »

Puis les curieux l’accompagnèrent chez lecommissaire de police, sans laisser refroidir son enthousiasme. Là,selon l’usage en pareil cas, on lui fit subir uninterrogatoire.

« Votre nom ?

– François Louveau, monsieur lecommissaire, un homme marié, et bien marié, j’ose le dire, avec unefemme de tête. Et c’est une chance pour moi, monsieur lecommissaire, parce que je ne suis pas très fort, pas très fort,hé ! hé ! voyez-vous. Je ne suis pas un aigle.« François n’est pas un aigle », comme dit mafemme. »

Il n’avait jamais été si éloquent.

Il se sentait la langue déliée, l’assuranced’un homme qui vient de faire un bon marché et qui a bu unebouteille de vin blanc.

« Votre profession ?

– Marinier, monsieur le commissaire,patron de la Belle-Nivernaise, un rude bateau, monté parun équipage un peu chouette. Ah ! ah ! fameux, monéquipage !… Demandez plutôt aux éclusiers, depuis le pontMarie jusqu’à Clamecy… Connaissez-vous ça, Clamecy, monsieur lecommissaire ? »

Les gens souriaient autour de lui, le pèreLouveau continua, bredouillant, avalant les syllabes.

« Un joli endroit, Clamecy, allez !Boisé du haut en bas ; du beau bois, du bois ouvrable ;tous les menuisiers savent ça… C’est là que j’achète mes coupes.Hé ! hé ! je suis renommé pour mes coupes. J’ai le coupd’œil, quoi ! Ce n’est pas que je sois fort ; – bien sûrje ne suis pas un aigle, comme dit ma femme ; – maisenfin ! j’ai le coup d’œil. Ainsi, tenez je prends un arbre,gros comme vous, – sauf votre respect, monsieur le commissaire, –je l’entoure avec une corde comme ça… »

Il avait empoigné l’agent et l’entortillaitavec une ficelle qu’il venait de tirer de sa poche.

L’agent se débattait.

« Laissez-moi donc tranquille.

– Mais si… Mais si… C’est pour faire voirà monsieur le commissaire… Je l’entortille comme ça, et puis, quandj’ai la mesure, je multiplie, je multiplie… Je ne me rappelle pluspar quoi je multiplie… C’est ma femme qui sait le calcul. Une fortetête, ma femme. »

La galerie s’amusait énormément, et M. lecommissaire lui-même daignait sourire derrière sa table.

Quand la gaieté fut un peu calmée, ildemanda :

« Que ferez-vous de cetenfant-là ?

– Pas un rentier, pour sûr. Il n’y ajamais eu de rentier dans la famille. Mais un marinier, un bravegarçon de marinier, comme les autres.

– Vous avez des enfants ?

– Si j’en ai ! Une qui marche, unequi tette et un qui vient. Pas trop mal, n’est-ce pas, pour unhomme qui n’est pas un aigle ? Avec celui-là ça fera quatre,mais bah ! quand il y en a pour trois, il y en a pour quatre.On se tasse un peu. On serre sa ceinture, et on tâche de vendre sonbois plus cher. »

Et ses boucles d’oreilles remuaient, secouéespar son gros rire, tandis qu’il promenait un regard satisfait surles assistants.

On poussa devant lui un gros livre.

Comme il ne savait pas écrire, il fit unecroix, au bas de la page.

Puis le commissaire lui remit l’enfanttrouvé.

« Emmenez le petit, François Louveau, etélevez-le bien. Si j’apprends quelque chose à son sujet, je voustiendrai au courant. Mais il n’est pas probable que ses parents leréclament jamais. Quant à vous, vous m’avez l’air d’un brave homme,et j’ai confiance en vous. Obéissez toujours à votre femme. Et aurevoir ! Ne buvez pas trop de vin blanc. »

La nuit noire, le brouillard froid, la presseindifférente des gens qui se hâtent de rentrer chez eux, tout celaest fait pour dégriser vivement un pauvre homme.

À peine dans la rue, seul avec son papiertimbré en poche et son protégé par la main, le marinier sentit toutd’un coup tomber son enthousiasme ; et l’énormité de sonaction lui apparut.

Il serait donc toujours le même ?

Un niais ? Un glorieux ?

Il ne pouvait point passer son chemin commeles autres, sans se mêler de ce qui ne le regardait pas.

Il voyait d’ici la colère de la mèreLouveau !

Quel accueil, bonnes gens, quelaccueil !

C’est terrible une femme de tête pour unpauvre homme qui a le cœur sur la main.

Jamais il n’oserait rentrer chez lui.

Il n’osait pas non plus retourner chez lecommissaire ?

Que faire ? Que faire ?

Ils cheminaient dans le brouillard.

Louveau gesticulait, parlait seul, préparaitun discours.

Victor traînait ses souliers dans lacrotte.

Il se faisait tirer comme un boulet.

Il n’en pouvait plus.

Alors le père Louveau s’arrêta, le prit à soncou, l’enveloppa dans sa vareuse.

L’étreinte des petits bras serrés lui renditun peu de courage.

Il reprit son chemin.

Ma foi, tant pis ! il risquerait lepaquet.

Si la mère Louveau les mettait à la porte, ilserait temps de reporter le marmot à la police ; maispeut-être bien qu’elle le garderait pour une nuit, et ce seraittoujours un bon dîner de gagné.

Ils arrivaient au pont d’Austerlitz, où laBelle-Nivernaise était amarrée.

L’odeur fade et douce des chargements de boisfrais emplissait la nuit.

Toute une flottille de bateaux grouillait dansl’ombre de la rivière.

Le mouvement du flot faisait vaciller leslanternes et grincer les chaînes entrecroisées.

Pour rejoindre son bateau, le père Louveauavait à traverser deux chalands reliés par des passerelles.

Il avançait à pas craintifs, les jambesflageolantes, gêné par l’enfant qui lui étranglait le cou.

Comme la nuit était noire !

Seule une petite lampe étoilait la vitre de lacabine, et une raie lumineuse, qui filtrait sous la porte, animaitle sommeil de la Belle-Nivernaise.

On entendait la voix de la mère Louveau quigrondait les enfants en surveillant sa cuisine.

« Veux-tu finir Clara ? »

Il n’était plus temps de reculer.

Le marinier poussa la porte.

La mère Louveau lui tournait le dos, penchéesur le poêlon, mais elle avait reconnu son pas et dit sans sedéranger :

« C’est toi, François ? Comme turentres tard ! »

Les pommes de terre sautaient dans la friturecrépitante et la vapeur qui s’envolait de la marmite vers la porteouverte troublait les vitres de la cabine.

François avait posé le marmot par terre, et lepauvre mignon, saisi par la tiédeur de la chambre, sentait sedéraidir ses petits poings rougis.

Il sourit et dit d’une voix un peuflûtée :

« Fait chaud… »

La mère Louveau se retourna.

Et montrant à son homme l’enfant déguenillédebout au milieu de la chambre, elle cria d’un toncourroucé :

« Qu’est-ce que c’est queça ? »

Non ! il y a de ces minutes, dans lesmeilleurs ménages.

« Une surprise, hé ! hé ! unesurprise ! »

Le marinier riait jusqu’aux oreilles pour sedonner une contenance ; mais il aurait bien voulu être encoredans la rue.

Et comme sa femme, attendant une explication,le regardait d’un air terrible, il bégaya l’histoire tout detravers, avec des yeux suppliants de chien qu’on menace.

Ses parents l’avaient abandonné, il l’avaittrouvé pleurant sur le trottoir. On avait demandé :

« Qu’est-ce qui en veut ? »

Il avait répondu :

« Moi. »

Et le commissaire lui avait dit :

« Emportez-le.

– Pas vrai, petit ? »

Alors la mère Louveau éclata :

« Tu es fou, ou tu as trop bu !A-t-on jamais entendu parler d’une bêtise pareille ?

« Tu veux donc nous faire mourir dans lamisère ?

« Tu trouves que nous sommes tropriches ?

« Que nous avons trop de pain àmanger ? Trop de place pour coucher ? »

François considérait ses souliers sansrépondre.

« Mais, malheureux, regarde-toi, regardenous ! Ton bateau est percé comme mon écumoire !

« Et il faut encore que tu t’amuses àramasser les enfants des autres dans les ruisseaux. »

Il s’était déjà dit tout cela, le pauvrehomme.

Il ne songeait pas à protester.

Il baissait la tête comme un condamné quientend le réquisitoire.

« Tu vas me faire le plaisir de reportercet enfant-là au commissaire de police.

« S’il fait des façons pour le reprendre,tu lui diras que ta femme ne veut pas.

« Est-ce compris ? »

Elle marchait sur lui, son poêlon à la main,avec un geste menaçant.

Le marinier promit tout ce qu’elle voulut.

« Voyons, ne te fâche pas.

« J’avais cru bien faire.

« Je me suis trompé.

« Ça suffit.

« Faut-il le ramener tout desuite ? »

La soumission du bonhomme adoucit la mèreLouveau. Peut-être aussi eut-elle la vision d’un de ses enfants àelle perdu tout seul dans la nuit, la main tendue vers lespassants.

Elle se détourna pour mettre son poêlon sur lefeu et dit d’un ton bourru :

« Ce n’est pas possible ce soir, lebureau est fermé.

« Et maintenant que tu l’as pris, tu nepeux pas le reporter sur le trottoir.

« On le gardera cette nuit, mais demainmatin… »

Et la mère Louveau était si en colère qu’elletisonnait le feu à tour de bras…

« Mais demain matin, je te jure bien quetu m’en débarrasseras ! »

Il y eut un silence.

La ménagère mettait le couvert brutalement,heurtant les verres, jetant les fourchettes.

Clara, effrayée, se tenait coite dans uncoin.

Le bébé grognait sur le lit, et l’enfanttrouvé regardait avec admiration rougir la braise.

Lui qui n’avait peut-être jamais vu de feudepuis qu’il était né !

Ce fut bien une autre joie quand il se trouvaà table, une serviette au cou, un monceau de pommes de terre dansson assiette.

Il avalait comme un rouge-gorge à qui l’onémiette du pain un jour de neige.

La mère Louveau le servait rageusement, aufond un brin touchée par cet appétit d’enfant maigre.

La petite Clara, ravie, le flattait avec sacuillère.

Louveau, consterné, n’osait plus lever lesyeux.

La table desservie, ses enfants couchés, lamère Louveau s’assit près du feu, le petit entre les genoux, pourlui faire un peu de toilette.

« On ne peut pas le coucher, sale commeil est.

« Je parie qu’il n’a jamais vu nil’éponge ni le peigne. »

L’enfant tournait comme une toupie dans sesmains.

Vraiment, une fois lavé et démêlé, il n’avaitpas trop laide mine, le pauvre petit gosse, avec son nez rose decaniche et ses mains rondes comme des pommes d’api.

La mère Louveau considérait son œuvre avec unenuance de satisfaction.

« Quel âge peut-ilavoir ? »

François posa sa pipe, enchanté de rentrer enscène.

C’était la première fois qu’on lui parlait dela soirée, et une question valait presque un retour en grâce.

Il se leva, tira ses ficelles de sa poche.

« Quel âge, hé ! hé ! On va tedire ça. »

Il prit le marmot à bras le corps.

Il l’entortilla de ses cordes comme les arbresde Clamecy.

La mère Louveau le regardait avecstupéfaction.

« Qu’est-ce que tu fais donc ?

– Je prends la mesure,bédame ! »

Elle lui arracha la corde des mains, et lajeta à l’autre bout de la chambre.

« Mon pauvre homme, que tu es bête avectes manies !

« Un enfant n’est pas unbaliveau. »

Pas de chance ce soir, le malheureuxFrançois !

Il bat en retraite, tout penaud, tandis lamère Louveau couche le petit dans le dodo de Clara.

La fillette sommeille les poings fermés,tenant toute la place.

Elle sent vaguement que l’on glisse quelquechose à côté d’elle, étend les bras, refoule son voisin dans uncoin, lui fourre les coudes dans les yeux, se retourne et serendort.

Maintenant on a soufflé la lampe.

La Seine, qui clapote autour du bateau,balance tout doucement la maison de planches.

Le petit enfant perdu sent une douce chaleurl’envahir et il s’endort avec la sensation inconnue de quelquechose comme une main caressante qui a passé sur sa tête, lorsqueses yeux se fermaient.

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