La Ceinture empoisonnée

La Ceinture empoisonnée

de Sir Arthur Conan Doyle

Chapitre 1 Des lignes qui se brouillent

Mon devoir est clair : je n’ai pas un instant à perdre ! Ces événements prodigieux sont encore frais dans ma mémoire : il faut donc que je les relate dans tous leurs détails, avec une exactitude que le temps pourrait effacer si je tardais. Mais, au moment d’écrire, comment ne saluerais-je pas le miracle grâce auquel c’est notre petite équipe du Monde perdu(le Pr Challenger, le Pr Summerlee, lord John Roxton et moi-même) qui a vécu cette nouvelle expérience passionnante ?

Lorsque, il y a quelques années, j’ai rendu compte dans la Daily Gazette de notre voyage sensationnel en Amérique du Sud, je ne pensais guère qu’il m’arriverait d’avoir à raconter un jour une aventure personnelle encore plus étrange.Or, celle-ci est unique dans les annales de l’humanité : sur les tablettes de l’Histoire, elle se détachera irrésistiblement ; un pic majestueux écrase toujours les modestes contreforts qui l’entourent.

Pour vivre cet épisode extraordinaire, nousnous sommes trouvés réunis tous les quatre le plus normalement dumonde. Toutefois, il y a eu un enchaînement de circonstances tout àfait involontaire que je vais conter aussi brièvement et aussiprécisément que possible… sans oublier que la curiosité publique,qui a été et qui demeure insatiable, exige que je fournisse aulecteur un maximum de détails sur un sujet pareil.

Ce vendredi 27 août – date à jamais mémorabledans l’histoire de notre monde – je me suis rendu à mon journal etj’ai demandé un congé de trois jours à M. McArdle, qui esttoujours notre rédacteur en chef. Le bon vieil Écossais a hoché latête, il s’est gratté la frange raréfiée de ses cheveux rougeâtres,après quoi il s’est décidé à traduire enfin sa répugnance parquelques paroles.

– Je pensais justement, monsieur Malone, quenous pourrions ces jours-ci vous occuper avec profit… Je me disaisqu’il y avait là une histoire particulière… bref, une histoire quevous seul seriez capable de débrouiller et de mener à bien.

– J’en suis désolé ! lui ai-je répondu enessayant de cacher ma déception. Naturellement, puisque vous avezbesoin de moi, la question ne se pose plus. Mais j’avais unrendez-vous important et intime… Si vous pouviez vous passer demoi…

– C’est que je ne vois pas le moyen de mepasser de vous !

La pilule était amère ; je n’avais qu’àl’avaler sans trop de grimaces. Après tout, c’était ma faute :depuis quand un journaliste a-t-il le droit d’avoir des projetspersonnels ? J’ai affiché un air guilleret pourdéclarer :

– N’en parlons plus ! Que désirez-vous demoi ?

– Simplement une interview de ce diabled’homme qui habite à Rotherfield…

– Du Pr Challenger ? me suis-jeécrié.

– Hé ! oui, pardi ! Il a« coursé » le jeune Alec Simpson, du Courrier,pendant quinze cents mètres, il l’a fait dévaler la grande route enle tenant par le col de sa veste d’une main et par le fond de laculotte de l’autre… Vous avez lu ce fait divers, n’est-ce pas, dansles rapports de la police ? Ici, vos camarades préféreraientaller interviewer un alligator en liberté ! Mais vous, vouspourriez tenter votre chance : vous êtes de vieux amis. Et jeme disais…

J’étais tout à fait soulagé :

– Alors, tout va bien ! Il se trouve quec’était pour rendre visite au Pr Challenger que je vousdemandais un congé. Pour l’anniversaire de notre aventure d’il y atrois ans sur le plateau, il a invité notre équipe, chez lui àRotherfield et nous y célébrerons l’événement tous les quatre.

– Formidable ! a rugi McArdle en sefrottant les mains et en dardant sur moi un regard qui étincelaitderrière ses lunettes. Formidable ! Dans ce cas, vous serez àmême d’approfondir son opinion. De tout autre je dirais qu’ils’agit de rêveries lunaires, mais ce type a vu juste unefois ; on ne sait jamais ; il peut avoir misé dans lemille une autre fois.

– Approfondir quoi ? sur quoi ?

– Vous n’avez pas lu, dans le Timesd’aujourd’hui, sa lettre sur les « possibilitésscientifiques » ?

– Non.

McArdle a alors plongé vers le plancher où ila ramassé le journal en question.

– Lisez à haute voix, m’a-t-il ordonné endésignant une colonne. Je serais content de l’entendre, car je nesuis pas tout à fait sûr d’avoir bien compris, à la premièrelecture, ce que le bonhomme a dans la tête.

La lettre que j’ai lue aussitôt à monrédacteur en chef de la Gazette était ainsirédigée :

POSSIBILITÉS SCIENTIFIQUES

Monsieur,

J’ai lu avec un amusement qui n’était pascomplètement dépourvu d’un sentiment moins flatteur, la lettresuffisante et pour tout dire imbécile de James Wilson MacPhail,récemment publiée dans vos colonnes, sur le brouillage des lignesde Frauenhofer dans les spectres des planètes et des étoiles fixes.Selon lui, l’affaire est sans signification. Pour une intelligenceplus développée que la sienne, l’affaire peut revêtir au contraireune très grande importance : si grande qu’elle mettrait enjeu, par exemple, la vie de tous les hommes, femmes et enfants surcette planète. Le langage scientifique m’apparaît impropre àcommuniquer mes vues à un public dont l’intelligence estsuffisamment indigente pour tirer sa pâture d’articles de journaux.Je m’efforcerai donc de me placer à sa portée réduite et d’user,pour m’expliquer, d’un raisonnement par analogie qui ne dépasserapas les capacités intellectuelles de vos lecteurs…

« Mon cher, c’est un as ! unemerveille vivante ! s’est exclamé McArdle. Il a fait sehérisser les plumes d’une colombe au biberon, il a provoqué uneémeute à une réunion de quakers : rien d’étonnant à ce queLondres lui soit devenu intenable ! C’est dommage, monsieurMalone, car c’est un grand cerveau ! Bon : tâtons un peude son analogie.

Nous supposerons qu’un petit paquet debouchons reliés les uns aux autres a été lancé dans un courantparesseux pour lui faire traverser l’Atlantique. Lentement, jouraprès jour, les bouchons seront entraînés parmi des conditionsinvariantes. Si les bouchons étaient doués de sensibilité, nouspourrions imaginer qu’ils considéreraient ces conditions commepermanentes et sûres. Mais nous, avec notre science supérieure,nous savons que des tas de choses peuvent survenir quisurprendraient fort les bouchons. Ainsi, ils pourraient heurter unbateau ou une baleine endormie, à moins qu’ils n’échouent dans desherbes. En tout état de cause, leur voyage se terminerait sansdoute par un accostage brutal sur les rochers du Labrador. Maiscomment s’en douteraient-ils pendant qu’ils flottent trèstranquillement sur ce qu’ils croient être un océan illimité ethomogène ?

Vos lecteurs saisiront peut-être quel’Atlantique, dans cette parabole, a pris la place du puissantocéan de l’éther où nous flottons, et que ce paquet de bouchonsreprésente le minuscule et obscur système planétaire auquel nousappartenons. Soleil de troisième catégorie qui remorque uneracaille de satellites insignifiants, nous sommes entraînés dansles mêmes conditions quotidiennes vers je ne sais quelle fin :mettons une misérable catastrophe qui nous engloutira aux derniersconfins de l’espace, où nous serons projetés dans un Niagara del’éther ou brisés sur quelque impensable Labrador. Je ne vois làrien qui laisse une place à l’optimisme superficiel et ignare devotre correspondant, M. James Wilson MacPhail. Au contraire,j’y discerne quantité de raisons au nom desquelles nous devrionssurveiller avec une vigilance aussi attentive qu’intéressée touteindication de changement dans l’ambiance cosmique dont peutdépendre notre destinée suprême…

« Mon cher, il aurait fait un grandministre ! a coupé McArdle, admiratif. Il a les résonancesd’un orgue… Bon. Maintenant, voyons un peu ce qui le tarabuste.

Le brouillage général et le déplacementdes lignes de Frauenhofer du spectre indiquent, selon moi, unemodification cosmique considérable, dont le caractère est à la foissubtil et singulier. La lumière d’une planète est la lumièreréfléchie du soleil. La lumière d’une étoile est une lumièreautonome, à origine personnelle. Or dans cet exemple tous lesspectres, aussi bien ceux des étoiles que ceux des planètes,accusent la même modification. Serait-elle la conséquence d’unemodification intervenue dans ces planètes et ces étoiles ? Unetelle hypothèse me semble insoutenable : quelle modificationcommune pourrait intervenir simultanément aussi bien dans lesplanètes que dans les étoiles ? S’agit-il alors d’unemodification de notre propre atmosphère ? C’est possible, maisau plus haut point improbable, puisque nous n’en avons décelé aucunsymptôme autour de nous, et que les analyses chimiques ne l’ont pasétablie. Quelle serait dans ces conditions la troisièmeéventualité ? Une modification du milieu conducteur ? decet infini d’éther fin qui s’étend d’une étoile à l’autre et serépand dans tout l’univers. Au sein de cet océan d’éther, nousflottons sur un courant paresseux : est-il interdit de croireque ce courant nous emporte vers des zones d’éther neuf àpropriétés inimaginables ? Une modification s’est produitequelque part. Elle peut être mauvaise. Elle peut être bonne. Ellepeut être neutre : ni bonne ni mauvaise. Nous n’en savonsrien. Libre à des observateurs légers de traiter ce sujet avecdédain ! Mais l’homme qui comme moi-même possède uneintelligence plus profonde – celle du véritable philosophe –comprendra que les possibilités de l’univers sont incalculables etque la sagesse consiste à se tenir prêt pour l’imprévu. Prenons unexemple : qui oserait soutenir que cette épidémie subite,mystérieuse et générale qui s’est déclarée parmi les indigènes deSumatra, et qui a été relatée ce matin même dans vos colonnes, estsans rapport avec une modification cosmique à laquelle ils sontpeut-être davantage sensibles que les populations plus complexes del’Europe ? Je lance l’idée pour ce qu’elle vaut. Certifierqu’elle est exacte serait, dans l’état actuel des choses, aussistupide qu’affirmer qu’elle est fausse. Mais il faudrait être unidiot bien épais pour croire qu’elle déborde du cadre despossibilités scientifiques.

Votre dévoué,

George Edward Challenger.

Les Bruyères, Rotherfield.

« Une belle lettre, et qui stimule lamatière grise ! a commenté McArdle, en ajustant une cigarettedans le long tuyau de verre qui lui servait de fume-cigarette.Qu’est-ce que vous en pensez, monsieur Malone ?

J’ai été contraint d’avouer mon ignorancetotale, humiliante, du sujet abordé dans cette communication.Ainsi, qu’est-ce que c’était que ces lignes de Frauenhofer ?Par chance, McArdle venait d’étudier la question avec le concoursdu savant maison ; aussi s’est-il empressé de tirer de sonbureau deux bandes spectrales multicolores, du genre de ces rubansqu’on voit parfois aux chapeaux des membres d’un jeune clubambitieux de cricket. Il m’a montré qu’il y avait certaines lignesnoires qui formaient des croisillons sur la série des couleursbrillantes allant du rouge au violet, en passant par des gradationsd’orange, de jaune, de vert, de bleu et d’indigo.

« Ces lignes noires sont des lignes deFrauenhofer, m’a-t-il expliqué. Les couleurs sont la lumièreelle-même. N’importe quelle lumière, si vous la décomposez avec unprisme, donne les mêmes couleurs. Elles ne nous apprennent rien. Cesont les lignes qui comptent, parce qu’elles varient selon ce quiproduit la lumière. Or ces lignes noires, la semaine dernière, sesont brouillées et tous les astronomes se disputent pour en donnerla raison. Voici une photographie de ces lignes brouillées ;nous la publierons dans notre numéro de demain. Le public n’y apris jusqu’ici aucun intérêt, mais je pense que cette lettre deChallenger dans le Times mettra le feu aux poudres.

– Et cette histoire de Sumatra ?

– Ça, il y a loin d’une ligne brouillée dansun spectre à un nègre malade dans Sumatra ! Seulement, votrephénomène nous a déjà administré la preuve qu’il savait de quoi ilparlait. Sans aucun doute, il sévit là-bas une maladie bizarre. Uncâble de Singapour vient justement de nous apprendre que les pharesont cessé de fonctionner dans les détroits de la Sonde ;conséquence : deux navires à la côte… Bon ! De toutefaçon, voilà un joli sujet de conversation entre Challenger etvous. Si vous obtenez quelque chose de précis, ça fera une colonnepour lundi.

Au moment où, la tête pleine de cette nouvelleaffaire, je quittais le bureau de mon rédacteur en chef, j’aientendu appeler mon nom dans le salon d’attente. C’était un petittélégraphiste avec une dépêche que, de mon appartement, on m’avaitfait suivre. Ce message émanait de l’homme dont nous venions deparler et il était ainsi conçu :

« Malone, 17, Hill Street,Streatham. – Apportez oxygène. – Challenger. »

« Apportez oxygène ! » Leprofesseur, je ne l’avais pas oublié, était doté d’un senséléphantesque de l’humour, qui pouvait le pousser à des gaudriolesaussi lourdes que maladroites. S’agissait-il là de l’une de sesplaisanteries qui déclenchaient un énorme rire irrésistible, quiréduisait son visage à n’être plus qu’une bouche béante et unebarbe hoquetante, et qui tuait sans remède toute la gravité dont ils’entourait comme Jupiter sur son Olympe ?

J’ai eu beau m’appesantir sur ces deux mots,il m’a été impossible de leur trouver une résonance facétieuse.C’était sûrement un ordre : précis autant qu’étrange ! EtChallenger était le seul homme au monde à qui je ne me souciais pasde désobéir. Peut-être avait-il envisagé une expérience dechimie ? Peut-être… Zut ! Qu’avais-je besoin de chercherà découvrir ce qu’il voulait ? Il fallait que je me procurassede l’oxygène, voilà tout !

Il me restait une heure avant le train quipartait de Victoria. J’ai sauté dans un taxi et je me suis faitconduire à la Société de distribution des bouteilles d’oxygène dansOxford Street.

Comme je posais pied à terre devantl’immeuble, deux jeunes gens en sortaient en portant un tubecylindrique de fer ; ils l’ont hissé et calé devant moi dansune voiture qui attendait. Et, sur leurs talons, j’ai vu apparaîtreun homme âgé dont la voix de crécelle leur disait des chosesdésagréables. Il s’est tourné vers moi… Je n’ai pas eu à hésitersur ces traits austères et sur ce bouc : c’était mon camaradebourru et revêche, le Pr Summerlee.

– Quoi ! s’est-il exclamé en me voyant.Auriez-vous reçu, vous aussi, cet absurde télégramme pourl’oxygène ?

Je l’ai sorti de ma poche.

« Bon ! Bon ! J’en ai reçu unégalement. Vous savez, c’est vraiment à contrecœur que je me suisincliné. Notre vieil ami est, comme toujours, impossible !Comme s’il ne pouvait pas se procurer de l’oxygène par les moyensordinaires ! Mais non : il a fallu qu’il morde sur letemps de ceux qui ont mieux à faire que lui ! Pourquoi nel’a-t-il pas commandé directement ?

– Sans doute doit-il en avoir besoinimmédiatement ?

– Ou il a cru qu’il en aurait besoinimmédiatement ! Ce qui n’est pas la même chose… Voyons, vousn’allez pas acheter une autre bouteille. Dans la mienne, il y aassez d’oxygène pour deux, non ?

– Écoutez, il m’a tout l’air de tenir à ce quenous lui apportions chacun une bouteille. Je préfère ne pas lecontrarier.

Summerlee haussait les épaules, grognait, maisje ne me suis pas laissé faire : j’ai acheté une bouteille,qui est allée rejoindre la première dans sa voiture, car il m’avaitoffert de me conduire à Victoria.

Je me suis éloigné pour payer mon taxi ;le chauffeur était hargneux : il me réclamait un pourboireexcessif. Finalement, je m’en suis débarrassé et je suis revenuvers le Pr Summerlee ; il était près de se colleter avecles jeunes employés qui avaient transporté son oxygène ; sonbouc se soulevait d’indignation. L’un des garçons l’a appelé, jem’en souviens : « Vieux cacatoès imbécile ! »Pareille insulte a fait sursauter le chauffeur de Summerlee, qui apris fait et cause pour son maître et qui est descendu de son siègepour punir l’insolent. Nous avons de justesse évité la bagarre.

Tous ces détails peuvent paraître bien banalset indignes de figurer dans mon récit. Mais c’est seulement àprésent, avec le recul, que je distingue leur place dansl’enchaînement des faits tels que je dois les raconter.

Le chauffeur de Summerlee était un novice, ouil avait eu les nerfs troublés par la dispute, car il s’est avérétrès maladroit. Nous avons failli tamponner deux autres voitures –aussi mal pilotées d’ailleurs – et je me rappelle avoir faitremarquer à Summerlee que la qualité moyenne des chauffeurs, àLondres, avait baissé. Ensuite, nous avons frôlé de trop près unattroupement qui s’était formé pour regarder une rixe à l’angle duMail ; très excités, des gens ont poussé des cris de colèrecontre notre « chauffard », et l’un deux a même sauté surle marchepied et a brandi une canne dans notre direction. Je l’airepoussé, mais nous n’avons pas été mécontents de quitter le parcsains et saufs. Tous ces petits événements survenant les uns aprèsles autres m’avaient mis les nerfs en boule ; quant à moncompagnon, son irritabilité traduisait une impatience qu’il necontrôlait plus.

Nous avons retrouvé notre bonne humeur devantlord John Roxton, qui nous guettait sur le quai : toujoursmince et long, il était vêtu d’un costume de chasse en tweed marronclair. Quand il nous aperçut, son visage aigu, dominé par des yeuxinoubliables, à la fois féroces et souriants, s’est éclairé deplaisir. Des fils gris couraient à présent dans ses cheveux roux,des rides avaient été creusées par le burin du temps, mais il étaittoujours le lord John avec lequel nous nous étions bien entendusdans le passé.

– Hullo ! HerrProfessor ! Hullo ! Bébé !

Il s’est mis à rugir de joie devant lesbouteilles d’oxygène qu’un porteur tirait derrière nous.

– Alors, vous en avez pris aussi ? Lamienne est dans le fourgon. Qu’est-ce que le cher vieux peut bienvouloir en faire ?

– Attendez ! lui ai-je dit. Avez-vous lusa lettre au Times ?

– Du baratin absurde ! a déclaréSummerlee avec une grande sévérité.

– Hé bien ! elle est à la base de cettehistoire d’oxygène ou je me trompe fort !

– Du baratin absurde ! a répété Summerleeavec une violence qui n’était pas du tout indispensable.

Nous avions pris place dans un compartiment depremière classe pour fumeurs et il avait déjà allumé la courte pipede bruyère charbonneuse qui semblait prolonger la ligne agressivede son nez.

« L’ami Challenger est un hommeintelligent ! a-t-il poursuivi. Personne ne peut le nier. Ilfaudrait être fou pour le nier. Considérez son chapeau :dessous, il y a un cerveau qui fait un kilo sept cents ; c’estun gros moteur, qui tourne bien, et qui abat du bon travail.Montrez-moi le capot, je vous dirai le volume du moteur. Seulement,Challenger est aussi un bateleur-né. Vous m’avez entendu : jele lui ai lancé une fois en pleine figure. Il est né bateleur,cabot ; il faut qu’il se place toujours sous le feu desprojecteurs. Tout est calme ? Hé bien ! l’ami Challengercherche l’occasion de faire parler de lui ! Vous n’imaginezpas qu’il croit sérieusement en son idiotie d’une modification del’éther qui mettrait la race humaine en péril ? De sa part,c’est invention pure : je conviens que c’est l’invention laplus audacieuse et la plus forte qui ait jamais été produite surcette terre, mais…

Il avait l’air d’un vieux corbeau blanchi quicroassait avec un rire sardonique qui lui secouait la carcasse.

En l’écoutant, j’ai senti la colère m’envahir.N’était-il pas inélégant de parler ainsi du chef qui était àl’origine de toute notre célébrité et qui nous avait fait vivre uneexpérience à nulle autre pareille ? J’ouvrais la bouche pourrépliquer, mais lord John m’a devancé :

– Vous vous êtes déjà battu une fois avec levieux Challenger, a-t-il dit froidement à Summerlee. Et vous avezété mis knock-out au premier round. Il me semble, professeurSummerlee, qu’il est d’une classe supérieure à la vôtre. Le mieuxque vous ayez à faire est de cheminer derrière lui :laissez-le seul en tête !

J’ai aussitôt renchéri :

– Par ailleurs, il s’est toujours montré unbon ami avec chacun d’entre nous. Quels que soient ses défauts, ilest droit comme un fil, et je ne crois pas qu’il ait jamais dit dumal de ses camarades derrière leur dos.

– Bien parlé, bébé !…

Lord John Roxton m’a dédié un gentil sourireavant de taper amicalement sur l’épaule de Summerlee :

« Allons, Herr Professor, nousne commencerons pas cette journée par une dispute, hein ? Nousen avons trop vu ensemble ! Mais prenez garde à ne paspiétiner les plates-bandes quand vous touchez à Challenger, carnous avons, le jeune bébé et moi-même, un faible pour ce cher vieuxprofesseur.

L’humeur de Summerlee ne se prêtaitmalheureusement à aucun compromis. Il avait le visage fermé ;ses traits durcis dans une désapprobation totale ne laissaientprévoir que le refus d’abandonner une position ; de sa pipes’échappaient les furieux anneaux d’une fumée épaisse. Sa voixgrinçante s’est adressée à lord John :

– Votre opinion sur un sujet scientifiqueprésente, à mes yeux, autant de valeur que pourrait en présenteraux vôtres mon avis sur un nouveau modèle de fusil. J’ai monjugement propre, monsieur, et je m’en sers comme il me plaît. Parcequ’il m’a trompé une fois, est-ce une raison pour que j’acceptesans esprit critique n’importe quelle élucubration plus ou moinstirée par les cheveux ? Aurions-nous donc un pape de lascience, dont les décrets infaillibles seraient énoncés excathedra, et devant lesquels le pauvre public devraits’incliner sans murmurer ? J’ai l’honneur, monsieur, de vousinformer que je possède aussi un cerveau et que je me prendraispour un snob ou pour un serf si je ne le mettais pas àcontribution. Peut-être vous plaît-il de croire vrais ces proposincohérents sur l’éther et sur les lignes spectrales deFrauenhofer ? Fort bien, ne vous gênez pas ! Mais nedemandez pas à un homme plus âgé que vous, plus cultivé que vous,de partager votre stupidité. Voyons, monsieur, si l’éther étaitaffecté au degré que prétend Challenger et s’il était devenu nocifpour la santé humaine, les résultats n’en apparaîtraient-ils passur nous-mêmes ?

Il s’est mis à rire, tellement cet argumentlui semblait sans réplique.

– Oui, monsieur, nous devrions déjà être trèsdifférents de ce que nous sommes ! Au lieu d’êtretranquillement assis en chemin de fer et de discuter de problèmesscientifiques, nous devrions montrer quelques symptômes du poisonqui nous travaille. Où voyez-vous un signe de ce troublecosmique ? Allons, monsieur, répondez à cela !Répondez ! Allons, pas d’échappatoire ! Je vous somme derépondre !

La moutarde me montait au nez. Dans lecomportement de Summerlee, il y avait quelque chose de trèsdésagréable, d’agressif… Je n’ai pu me contenir plus longtemps.

– Je crois que si vous connaissiez les faitsun peu mieux, vous seriez moins affirmatif !

Summerlee a retiré sa pipe de sa bouche et ilm’a fixé avec un étonnement glacé.

– Auriez-vous l’obligeance de me dire,monsieur, ce que sous-entend cette remarque un tant soit peuimpertinente ?

– Je veux simplement dire ceci : quandj’ai quitté le journal, nous venions de recevoir un télégrammeannonçant une épidémie générale chez les indigènes deSumatra ; la dépêche ajoutait en outre que les pharesn’avaient pas été allumés dans les détroits de la Sonde.

Summerlee a explosé.

– Réellement, il devrait y avoir des limites àla folie et à la bêtise humaines ! Ne comprenez-vous pas quel’éther, si pour un instant nous adoptons l’hypothèse saugrenue deChallenger, est une substance universelle qui est la même ici qu’àl’autre bout du monde ? Supposez-vous par hasard qu’il y a unéther anglais et un éther particulier à Sumatra ? Peut-êtrevous imaginez-vous que l’éther du Kent est supérieur à l’éther duSurrey à travers lequel nous transporte actuellement notretrain ?… Non, décidément, le profane moyen estindécrottable ! Est-il concevable que l’éther à Sumatra soitmortel au point de provoquer là-bas une insensibilité totale, alorsqu’au même moment il n’a par ici aucun effet perceptible ? Envérité, je puis affirmer que personnellement je ne me suis jamaissenti plus solide avec un cerveau mieux équilibré !

– C’est possible, ai-je répondu. Je nem’arroge pas la qualité de savant. J’ai pourtant entendu dire etrépéter que la science d’une génération était généralementconsidérée comme une somme d’erreurs par la génération suivante.Mais il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de bon sens pour voirque, l’éther étant si peu connu des savants, il pourrait êtreaffecté d’un trouble local, sur quelques points du globe où ilmanifesterait là-bas un effet capable de se développerultérieurement vers nous.

– Avec des « pourrait » et tous lesconditionnels du monde, s’est écrié Summerlee positivement furieux,on prouve n’importe quoi ! Des cochons pourraient voler. Oui,monsieur, les cochons pourraient voler, mais ils ne volentpas ! Il est d’ailleurs très inutile de discuter avecvous : Challenger a semé dans vos cervelles l’absurdité. Tousdeux vous êtes incapables de raisonner : je ferais aussi biend’argumenter avec les coussins du compartiment !

Lord John a pris un visage sévère :

– Je me vois obligé de vous dire, professeurSummerlee, que vos manières ne se sont guère améliorées depuis quej’ai eu le plaisir de vous rencontrer !

– Votre Seigneurie n’est pas habituée àentendre la vérité ? Cela vous fait quelque chose, n’est-cepas, quand quelqu’un vous amène à réaliser que derrière votre titrese cache un pauvre ignorant.

– Sur ma parole, monsieur ! a durementrépliqué lord John, si vous étiez plus jeune, vous n’auriez pasl’audace de me parler sur ce ton !

Summerlee a pointé son bouc en avant d’unmouvement sec du menton :

– Je vous aurais appris, monsieur, que je n’aijamais eu peur, jeune ou vieux, de dire son fait à un petit maîtreignorant… Oui, monsieur, à un petit maître ignorant !… Même sicet imbécile pouvait se parer de tous les titres que les esclavesont inventés et dont seuls les sots s’enorgueillissent.

Pendant quelques instants, les yeux de lordJohn ont jeté des éclairs. Tout de même, au prix d’un effortcolossal, il a dompté sa colère ; il s’est adossé contre sonsiège et il a croisé les bras ; mais quelle amertume dans lesourire qu’il arborait ! Moi, j’étais écœuré, atterré. Commeune vague, le souvenir de notre passé commun a déferlé : notrecamaraderie, nos jours de joie, d’aventures, et aussi toutes nossouffrances, nos angoisses, notre travail… tout ce que nous avionsgagné enfin ! Était-ce cela l’aboutissement ? Desinsultes, des injures… Alors j’ai subitement éclaté ensanglots : des sanglots entrecoupés, bruyants,incontrôlables ; je ne pouvais pas m’arrêter ; mescompagnons me regardaient avec étonnement ; j’avais enfoui matête dans mes mains. Et puis j’ai dit :

– Ne vous inquiétez pas. Seulement… seulementc’est tellement dommage…

– Vous êtes malade, bébé ! a murmuré lordJohn. Voilà ce qui ne va pas. Depuis le début, je vous ai trouvébizarre.

Summerlee est intervenu avec une grandesévérité :

– Durant ces trois années, vous n’avez pas,monsieur, corrigé vos habitudes ! Moi non plus, je n’avais pasmanqué d’observer depuis notre rencontre que votre comportementétait étrange. Ne gaspillez pas votre sympathie, lord John !Ces larmes sont celles d’un alcoolique : Malone a bu, voilàtout ! D’autre part, lord John, je vous ai appelé tout àl’heure un petit maître : peut-être ai-je été quelque peuexcessif. Mais le mot me rappelle quelque chose : vous meconnaissez sous les apparences d’un savant austère, n’est-cepas ? Or je possède un petit talent de société dans lequel jesuis passé maître. Me croiriez-vous si je vous disais que dansquelques nurseries je me suis fait une réputation méritée – tout àfait méritée, lord John ! – d’imitateur ? Et d’imitateurde quoi ? je vous le donne en mille ! J’imite à laperfection les animaux de basse-cour. Au fait, ce serait une façonagréable de passer ici notre temps ! Désirez-vous que je vousoffre le plaisir de m’entendre imiter le cocorico du coq ?

– Non, monsieur ! a répondu lord John,encore sous le coup de l’offense reçue. Cela ne me ferait aucunplaisir.

– Mon imitation de la poule qui vient depondre un œuf est cotée par les connaisseurs d’une note nettementau-dessus de la moyenne. Voudriez-vous vous en rendrecompte ?

– Non, monsieur, non ! Certainementpas !

Mais le professeur Summerlee était décidé ànégliger l’avis qu’il sollicitait. Déjà il posait sa pipe… Jusqu’àla fin de notre voyage, il nous a distraits – du moins il a essayéde nous distraire – par une succession de cris d’oiseaux etd’animaux divers qui nous ont semblé si absurdes que mes larmes ontcessé de couler comme par enchantement. J’ai été pris au contraired’un fou rire quasi hystérique quand j’ai vu, ou plutôt entendu, legrave professeur assis en face de moi imiter le glapissement duchien dont la queue se serait trouvée prise dans une porte. À unmoment donné, lord John m’a passé son journal ; il avait écritau crayon dans la marge : « Pauvre diable ! Il estfou à lier ! ». Évidemment, les manières du professeurétaient très excentriques ; néanmoins, son « petittalent » m’a semblé extraordinairement divertissant.

Puis lord John s’est penché vers moi et m’araconté je ne sais quelle histoire interminable : il étaitquestion d’un buffle et d’un rajah des Indes ; j’ai eul’impression qu’elle avait ni queue ni tête. Au moment où toutefoisl’action se corsait, et où parallèlement le Pr Summerlee selançait dans les roulades d’un canari, notre train s’est arrêté àJarvis Brook, petite gare qui nous avait été indiquée comme la plusproche de Rotherfield.

Challenger était là pour nous accueillir. Ilavait l’air radieux. Aucun paon sur la terre depuis la créationn’aurait pu rivaliser avec lui en dignité lente etdédaigneuse ; il paradait sur le quai de la gare ; ilconsidérait les gens avec un sourire empreint d’une condescendancebienveillante… S’il avait changé avec les années, ce n’avait étéqu’en accentuant ses caractéristiques : la grosse tête et lefront haut toujours barré d’une mèche de cheveux noirs cosmétiquessemblaient avoir pris du volume ; sa barbe déversait unecascade de reflets bleus qui tombait encore plus basqu’auparavant ; sous leurs paupières insolemment lourdes, sesyeux gris clair affirmaient davantage son extraordinaire volonté dedomination.

Il m’a gratifié de la poignée de main amuséeet du sourire encourageant que le maître d’école accorde aux plusjeunes de sa classe ; puis il s’est entretenu avec mes deuxcompagnons ; il nous a aidés à rassembler nos bouteillesd’oxygène et il nous a menés vers une grosse voiture ; lechauffeur était l’impassible Austin, l’homme peu loquace quej’avais vu officier en qualité de maître d’hôtel lors de mapremière visite au professeur. Nous nous sommes engagés dans unecôte qui gravissait une colline ; le paysage était magnifique.J’avais pris place à côté du chauffeur. Derrière, mes troiscamarades me donnaient l’impression qu’ils parlaient tous à lafois. Lord John était reparti sur son histoire de buffle pendantque les sourds grognements de Challenger et la voix aiguë deSummerlee entamaient un duo qui annonçait un débat scientifiqueaussi élevé que farouche. Soudain, Austin a tourné vers moi safigure basanée, mais ses yeux restaient fixés sur le volant.

– J’suis renvoyé !

– Mon Dieu !

Tout aujourd’hui était bizarre. Les gens nedisaient que des choses étranges, imprévues, comme dans unrêve.

– C’est la quarante-septième fois, a-t-ilajouté après réflexion.

– Quand partez-vous ?

– Partirai pas !

La conversation aurait pu s’arrêter là, maisAustin est bientôt revenu à la charge.

– Si j’partais, qui s’occuperait de lui ?a-t-il insisté en désignant son maître d’un geste de la tête. Quiest-ce qu’il dégotterait pour le servir ?

– Il trouverait quelqu’un d’autre,non ?

– Lui ? Personne ! Personne neresterait plus d’une semaine. Si je partais, la maisonfonctionnerait comme une montre sans ressort. J’vous dis ça parceque vous êtes son ami : vous devez savoir. Si j’le prenais aumot… Mais j’aurais pas le cœur ! Lui et la patronne, ilsseraient comme deux bébés abandonnés. Je fais tout. Et pourtant,v’là qu’il arrive et qui m’flanque à la porte !

– Pourquoi personne ne resterait ? ai-jedemandé.

– Parce que personne ne le supporterait. Ilest très intelligent, le patron ! Si intelligent quequelquefois il est complètement cinglé. Je vous l’jure : jel’ai vu cinglé ! Tenez, savez-vous ce qu’il a fait cematin ?

– Qu’est-ce qu’il a fait ce matin ?

Austin s’est penché vers monoreille :

– A mordu la femme de ménage.

– Mordu ?

– Oui, monsieur ! Mordu à la jambe. Demes propres yeux je l’ai vue qui démarrait pour un marathon à laporte du vestibule.

– Seigneur, quel homme !

– Vous aussi, vous le traiteriez de cinglé sivous pouviez le voir comme je le vois ! Il s’fait pas d’amisavec les voisins. Y’en a qui pensent que quand il était avec lesmonstres dont vous avez parlé, c’était pour lui le home, sweethome, la société qui lui convenait, quoi ! Ça, c’est cequ’on dit. Mais moi je suis à son service depuis dix ans, et ilm’plaît. C’est un grand bonhomme en fin de compte, et il y a del’honneur à le servir, monsieur ! Seulement, il lui arrived’être méchant. Maintenant, regardez ça, monsieur. On ne peut pasdire que ça ressemble à l’hospitalité classique, hé ? Lisezvous-même !

Très au ralenti, la voiture escaladait lesderniers mètres d’une côte tout en virages en épingle à cheveux.Dans un angle, un écriteau se détachait au-dessus d’une haie bientaillée. Austin avait raison : il valait la peine d’êtrelu :

AVIS

Les visiteurs, les journalistes et les mendiants sontindésirables.

G. E. Challenger.

« Non, a souligné Austin, ça n’est pas cequ’on appelle chaleureux !

Il a secoué la tête en passant devant cetécriteau déplorable et il a ajouté :

« Ça ne ferait pas bien sur une carte deNoël… Je vous demande pardon, monsieur ; en de nombreusesannées, je n’ai pas parlé autant qu’aujourd’hui. Mais aujourd’hui…ben ! ce n’est pas un jour comme les autres ! Il peut medonner mon congé, il peut me flanquer à la porte encore cinquantefois, mais moi je ne m’en irai pas. C’est mon homme à moi, c’estmon patron, et il le sera, je l’espère bien, jusqu’à la fin de mesjours.

Nous avions franchi les poteaux blancs d’uneporte et nous nous étions engagés dans une allée bordée derhododendrons. Au bout apparaissait une maison en brique, basse,avec une charpente blanche, très attrayante et confortable.Mme Challenger, petite, mignonne, souriante, setenait sur le seuil pour nous accueillir.

– Eh bien ! ma chère, a lancé Challengeren s’extrayant de la voiture, voici nos visiteurs ! C’est unechose extraordinaire pour nous que d’avoir des hôtes, n’est-cepas ? Avec nos voisins, nous vivons plutôt à couteaux tirés.S’ils pouvaient mettre de la mort-aux-rats dans le pain que nousapporte le boulanger, je crois qu’ils n’y manqueraientpas !

– C’est terrible ! Terrible ! s’estexclamée la dame entre le rire et les larmes. George se disputetoujours avec tout le monde. Dans le pays, nous ne comptons pas unami.

– Ce qui me permet de concentrer mon attentionsur mon incomparable épouse, a assuré Challenger en passant un brasautour de sa taille.

Imaginez un gorille et une gazelle : vousaurez une reproduction à peu près exacte du couple.

– Allons, allons ! ces gentlemen sontfatigués de leur voyage, et le déjeuner devrait être prêt. Est-ceque Sarah est revenue ?

Mme Challenger a répondu parun signe de tête négatif ; le professeur a éclaté de rire, etil s’est frappé la barbe avec un évident contentement de soi.

– Austin ! a-t-il crié. Quand vous aurezgaré la voiture, vous voudrez bien aider votre maîtresse à préparerla table. Maintenant, messieurs, auriez-vous l’obligeance dem’accompagner à mon bureau ? J’ai en effet une ou deux chosesextrêmement urgentes à vous communiquer.

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