La Dame noire des frontières

La Dame noire des frontières

de Gustave Le Rouge

Chapitre 1 MISS ARABELLA WILLOUGBY

C’était quelques semaines avant la déclaration de guerre. Deux croiseurs anglais venaient d’entrer dans le port de Boulogne-sur-Mer. Toute la ville était en fête. Le casino et les luxueux hôtels qui l’environnent étaient brillamment illuminés. Sur le port, les cabarets étaient remplis de matelots et de« matelotes ».

Jusqu’à une heure avancée de la nuit, des groupes en goguette répétaient d’une voix sonore des chansons nautiques :

Celui-là n’aura pas du vin dans son bidon !

La Paimpolaise ;

La belle frégate, etc., etc.

Des patrouilles d’infanterie, la baïonnette au canon, la jugulaire baissée, tâchaient de mettre un peu d’ordre dans cette joie populaire. Ce n’était pas là une chose commode et,à maintes reprises, ils se heurtaient à des groupes de matelots anglais et français, se tenant fraternellement bras dessus, bras dessous, et chantant à perdre haleine la Marseillaise et leGod save the King.

Seulement c’étaient les Anglais qui chantaientla Marseillaiseet c’étaient les Français qui braillaientle God save the King, de toute la force de leurspoumons.

Dans le port, la plupart des navires étaientbrillamment illuminés. Seul, un yacht d’environ mille tonneaux,ancré un peu à l’écart des autres bâtiments, semblait protestercontre l’enthousiasme général. C’était leNuremberg,propriété d’un millionnaire allemand, le fameuxvon der Kopper.

Le pont était désert, tous les fanaux éteints.Mais, si l’on eût pénétré dans le salon du yacht, dont les hublotsétaient strictement fermés, on eût aperçu une dizaine d’officiersde la marine allemande, dont quelques-uns, en uniforme,fiévreusement penchés sur des cartes et des plans.

Ils discutaient à demi-voix avec animation.Vers minuit, ils se retirèrent un à un, en prenant les plus grandesprécautions pour n’être pas remarqués. Puis, tout en flânant, ilsse dirigèrent du côté du casino, où ils devaient se retrouver.

Dans le luxueux établissement, la fête battaitson plein. Il était minuit passé, que, derrière les hauts vitragesde la façade flamboyants de clarté, le bruit des chants et desrires s’entendait encore.

Vers une heure, deux hommes quittèrent lesalon de jeu et descendirent lentement les marches du perron. L’unportait l’uniforme de capitaine de l’infanterie de marine, l’autreétait en smoking et avait, dans les gestes et dans l’allure, cettedécision, cette brusquerie qui décèlent tout de suite un hommed’action.

Comme ils allaient atteindre la plage, ils setrouvèrent en face d’une limousine dans laquelle une jeune femmes’apprêtait à monter.

Très belle, vêtue d’une sévère toilette desoie noire, elle avait, dans les traits et dans l’attitude, quelquechose de profondément impressionnant. Son visage, que ne relevaitaucun fard, était d’une pâleur mortelle. Ses yeux noirs, légèrementcernés de bistre, brillaient d’un éclat fiévreux, presqueinsoutenable, et son épaisse chevelure, d’un noir de jais à refletsbleuâtres, était maintenue par un peigne d’or orné de diamantsnoirs de la plus grande beauté.

Elle s’insinua dans l’intérieur de l’auto avecune souplesse toute féline ; elle venait de prendre place surles coussins lorsque son regard rencontra celui du capitaine.Aussitôt, un sourire éclaira cette face presque tragique et ellerépondit d’un gracieux mouvement de tête au respectueux salut del’officier.

Le compagnon de celui-ci avait salué, luiaussi, d’un geste machinal, et maintenant, il demeurait immobile,comme figé de stupeur. La vue de cette femme à l’énigmatique visageavait réveillé en lui tout un monde de souvenirs.

– Ah çà ! mon vieux Robert, lui ditgaiement son compagnon, est-ce que la beauté de miss Willougby aproduit sur toi une si foudroyante impression ?

– Peut-être, mon vieux Marchal, réponditl’autre tout pensif.

Et il ajouta :

– Mais tu es bien sûr qu’elle se nommemiss Willougby ?

– Absolument sûr ; je la connaisparfaitement. Son frère, lord Arthur Willougby, un très braveofficier de la marine anglaise, que j’ai connu au Maroc, était, cesoir même, un de nos partenaires à la table de jeu. Tu sais, cegrand blond aux lèvres minces, à l’air un peu poseur, avec unlorgnon d’or.

– Oui, en effet.

– Mais, pourquoi toutes cesquestions ?

– C’est étrange. Miss Willougby ressemblesingulièrement à une célèbre espionne prussienne que j’ai eul’occasion de voir pendant la guerre des Balkans. Elle avait livréaux officiers allemands qui dirigeaient les Turcs le plan d’un fortqui commandait le croisement de deux lignes de chemin de fer. Elles’est enfuie juste à temps, au moment où les Serbes allaient lafusiller.

« C’était, de l’autre côté du Rhin, unevraie célébrité ; parlant toutes les langues, capable deprendre tous les déguisements, elle était, dit-on, royalement payéepar la Wilhelmstrasse. Tu n’as donc jamais entendu parler de lafameuse Dame noire des frontières ?

Le capitaine Marchal éclata d’un bon rirefranc et sonore.

– Ah çà ! fit-il, mais c’est duroman que tu me racontes là ! La Dame noire desfrontières ! A-t-on idée d’une chose pareille ? Tu es entrain de me monter un bateau. Est-ce que, par hasard, tu meprendrais pour un de tes lecteurs ?

Robert – Robert Delangle, rédacteur etcorrespondant de guerre au Grand Journal de Paris – étaitlégèrement vexé.

– Ris tant que tu voudras, mon vieux,répliqua-t-il ; n’empêche qu’il existe une stupéfianteressemblance entre l’espionne prussienne que j’ai vue à Belgrade etcette belle Anglaise.

– Calme-toi, Robert, murmura le capitaineen frappant amicalement sur l’épaule de son ami. Ton imaginationt’entraîne ; miss Arabella Willougby appartient à la hautearistocratie anglaise ; elle est très connue dans la gentry etelle est même reçue à la cour. Et, ce qui va te rassurercomplètement, elle ne sait pas un mot d’allemand, quoiqu’elle parlede façon très pure le français et l’italien.

– Bon, grommela Robert, admettons que jeme sois trompé ; mais c’est là une des ressemblances les plusétonnantes que j’aie jamais constatées. D’ailleurs,n’importe ! Je surveillerai cette femme mystérieuse.

– À ton aise. Cela te sera d’autant plusfacile que je suis de toutes ses soirées ; mais, je tepréviens d’avance que tu perdras ton temps. Miss Willougby estplusieurs fois millionnaire. Elle possède une haute cultureintellectuelle, et c’est une sincère amie de la France, uneenthousiaste de toutes les idées françaises.

Robert Delangle ne répondit pas, et les deuxamis continuèrent à longer les quais en se dirigeant vers le centrede la ville.

Tous deux avaient fait leurs études dans ungrand lycée parisien ; puis, ils s’étaient perdus de vue. Leshasards de la vie les avaient séparés.

Louis Marchal était parti pour les colonies etavait participé aux expéditions du lac Tchad.

Delangle, qui, dès ses débuts, avait montréd’étonnantes aptitudes pour le métier de reporter, avaitsuccessivement suivi la guerre au Maroc, la guerre des Balkans,n’échangeant avec son ancien camarade que de rarescorrespondances.

Un hasard les avait fait se retrouver àBoulogne, où Delangle était venu goûter quelques semaines de repos,en attendant qu’il se produisît en Europe, ou ailleurs, unenouvelle guerre.

L’officier et le reporter avaient tout desuite renoué leurs anciennes relations et il avait suffi dequelques conversations entre eux, de quelques échanges d’idées,pour qu’ils redevinssent les deux bons « copains » deLouis-le-Grand, à l’époque heureuse où ils mettaient en communleurs billes, leurs tablettes de chocolat, et leurs premièrescigarettes.

Tout en causant de choses et d’autres, ilsgrimpaient maintenant cette longue et abrupte rue des Vieillardsqui vient aboutir derrière la cathédrale et que bordent de hautesmaisons silencieuses, aux allures aristocratiques. Ni l’un nil’autre ne pensait déjà plus à la fameuse Dame noire desfrontières.

– Robert, mon ami, dit le capitaine,avoue que tu as eu, ce soir, au casino, une veine de tous lesdiables.

– Bah ! fit l’autre, en haussant lesépaules d’un air de supériorité.

– Je parie que tu gagnes au moins dixmille francs !

– Je n’ai pas compté.

– Moi, non plus ; mais ça doit faireà peu près cela.

– Voyons : trois mille de lordWillougby…

– Un beau joueur, celui-là, et un vraigentleman.

– Certes, il est d’une admirablecorrection. Nous disons donc : trois mille. Et j’ai sesbank-notes dans ma poche. Quatre à cinq mille, je ne sais plus aujuste, à MM. Bréville et Debussey…

– Et deux mille que je te dois, reprit lecapitaine Marchal, cela fait presque le compte.

– Oui, ce n’est pas mal. Mais, tu connaisle proverbe : ce qui vient de la flûte retourne autambour…

– Proverbe très juste. Aussi, moi, je nejoue jamais. Un officier français ne doit jamais jouer… Ce soir,j’ai eu la faiblesse de me laisser griser par la vue du tapis vertoù s’amoncelaient l’or et les billets bleus. Mais, on ne m’yreprendra pas de sitôt.

– Voilà qui est bien parlé. Somme toute,je t’ai rendu service en te gagnant ton argent. En bonne justice,tu me devrais un supplément.

– Non, ce serait t’encourager à jouer.Mais, sérieusement, tu m’as donné là une excellente leçon. Je vaisme replonger avec une ardeur féroce dans les plans de mes avionsblindés. Je vais potasser mes épures.

– Cela marche ? Tu es content ?Tu as trouvé des capitaux ?

– Nous reparlerons de cela demain soir.J’ai précisément un rendez-vous très sérieux à ce sujet.

Les deux amis étaient arrivés en face dumarché aux poissons ; devant eux, le port, calme comme un lac,étincelait sous la lune, rayonnante et blanche derrière un sombremassif de nuages.

Les silhouettes élancées des mâtures sedécoupaient dans le lointain sur l’azur nocturne de la mer, commeglacées d’argent. Au loin, les feux des phares anglais et françaisclignotaient dans la brume.

Les deux amis contemplèrent quelque temps ensilence la magnifique perspective.

– Il faut tout de même que j’aille mecoucher, murmura Robert en étouffant un bâillement.

– Tu ne me fais pas un bout deconduite ?

– Impossible ce soir, je tombe defatigue.

– Alors, à demain. Je te donnerai desnouvelles de mon commanditaire.

Les deux amis échangèrent une cordiale poignéede mains et se perdirent dans un lacis de petites rues ténébreuses.Le reporter se dirigea vers le quartier de la sous-préfecture où setrouvait son hôtel, tandis que le capitaine Marchal qui,subitement, paraissait avoir perdu toute envie de dormir,redescendait du côté du casino.

Il longea quelque temps la jetée et fit halteen face d’une grande villa à la façade sculptée, aux balcons de ferdoré, aux fenêtres de laquelle ne brillait aucune lumière.

Il sonna.

Il y eut, dans l’intérieur, un bruit dechaînes et de verrous ; puis, dans l’entrebâillement del’huis, un domestique à la face rougeaude, aux cheveux d’un blondpâle, apparut.

– Ah ! c’est vous, monsieur lecapitaine, murmura-t-il, avec un fort accent exotique. Miss vousattend.

Le capitaine Marchal, qui paraissait connaîtreparfaitement les aîtres, monta directement l’escalier de marbre àrampe de cuivre forgé. Il traversa, au premier étage, un palier quedécoraient des tentures de soie brodée et de gros bouquets de lilasblanc, de camélias et de violettes, dans des vases de Sèvres et deWedgwood.

Il poussa une porte et recula, ébloui. Deslustres électriques aux abat-jour de cristal, éclairaient un salontendu de soie verte à grandes fleurs bleues. Sur un guéridon delaque un souper délicat était servi.

Un opulent buisson de crevettes roses faisaitpendant à un pâté à la croûte dorée, des huîtres d’Ostende,succulentes et nacrées, s’amoncelaient sur un plateau d’argent.

De beaux fruits dans la glace, de grosbouquets de roses thé, complétaient ce décor appétissant.

Mais, comme le palais de la Belle au boisdormant, ce salon plein d’enchantement était désert.

Marchal promenait ses regards autour de lui,avec une certaine inquiétude, quand, tout à coup, une portièreindienne à grands ramages d’or se souleva. Miss Willougbyapparut.

– Vous voyez que je vous attendais,dit-elle en serrant cordialement la main de l’officier.

– Vous êtes mille fois trop aimable…

– Je ne suis pas une femme comme lesautres. Beaucoup se croiraient compromises en recevant à pareilleheure une visite masculine. Mais moi, j’ai pour principe de ne pasme soucier de l’opinion publique. Il m’a plu de vous inviter àsouper. Je l’ai fait, sans m’occuper du qu’en dira-t-on.

– Vous êtes au-dessus de la calomnie.

– Je l’espère bien.

Puis, changeant brusquement de ton :

– Je parie que vous avez laissé mon frèreau casino ?

– Oui, murmura-t-il. Nous avons même jouéensemble.

– Oh ! lui, fit-elle avec unénigmatique sourire, quand il est devant une table de jeu, il ne seconnaît plus. Vous a-t-il gagné, au moins ?

– Oui, balbutia l’officier en rougissantimperceptiblement.

– C’est bien fait. Cela vous apprendra àme négliger pour la dame de pique. Mais vous devez avoirfaim ?

Miss Arabella agita une petite sonnette devermeil. Une femme de chambre parut.

– Débarrassez donc le capitaine de sonmanteau et de son képi, et servez-nous.

Miss Arabella, qui avait fait par hasardconnaissance du capitaine Marchal dans les salons de l’ambassade,se montrait avec lui étrangement coquette. L’officier ne passaitpas un jour sans rendre visite à la belle Anglaise. Elle ne faisaitrien sans le consulter et elle lui avait laissé entrevoir qu’elleavait pour lui la plus grande sympathie : qu’un mariage entreeux ne serait pas impossible.

– Je ne puis guère épouser un simplecapitaine, lui avait-elle dit un jour. Soyez seulement commandant,et mon frère n’aura plus aucune objection à faire à notreunion.

Le capitaine se croyait sincèrement aimé demiss Arabella. Il avait en elle la plus entière confiance. Il luifaisait part de tous ses projets, de tous ses espoirs.

C’est peut-être avec l’arrière-pensée de serendre digne d’elle qu’il avait repris ses études sur les avionsblindés, qui, maintenant, le classaient au premier rang destechniciens.

Le capitaine Marchal avait pris place en facede la jeune fille. Le jeune officier, dans la capiteuse atmosphèrede ce salon qui ressemblait à un boudoir, se sentait littéralementgrisé.

Tour à tour, sévère et souriante, prude etcoquette, miss Arabella lui faisait perdre complètement la tête.Quand il se trouvait en face de l’enchanteresse, il n’était pluslui-même.

Puis, sa conversation était si puissammentattrayante. Il se demandait où cette jeune fille, qui avait tout auplus vingt-trois ans, avait pu puiser des connaissances si variées,une érudition si complète sur toutes sortes de sujets.

– Vous savez tout, miss, lui disait-ilquelquefois en riant. Vous êtes savante comme un professeurd’Oxford, et en même temps mystérieuse comme un sphinx. Je croisque je n’arriverai jamais à connaître le fond de votre pensée.

– Peut-être bien, répondait-elle avec unsourire inquiétant.

Et ses grands yeux noirs s’allumaient d’uneétrange flamme.

On était arrivé au dessert. Le thé fut servidans d’exquises tasses de porcelaine de Chine, et la soubretteapporta une boîte de havanes qu’elle plaça en face del’officier.

– Vous fumerez un cigare ? demandamiss Arabella.

– Non, je préfère rouler une cigarette decet excellent tabac d’Égypte, dont votre frère m’a précisément faitcadeau.

– Comme il vous plaira, murmura-t-ellesans pouvoir cacher tout à fait le désappointement que lui causaitce refus.

Marchal avait tiré de sa poche une boîted’argent qui contenait le tabac blond et le papier à cigarettes.Mais, en la prenant, il fit tomber à terre une minuscule clé qui setrouvait, en même temps que la boîte, dans la poche de côté de sondolman.

Le tapis de haute laine étouffa le bruit, etl’officier ne s’aperçut pas de la perte qu’il venait de faire. Maismiss Arabella, qui ne perdait pas de vue un seul de ses mouvements,avait parfaitement remarqué la chose.

Un instant après, elle emmena son hôte dans lesalon voisin pour lui faire admirer un curieux coffret d’ivoire,qu’elle avait reçu de Londres quelques jours auparavant. Mais, ense levant, elle avait eu le temps de faire un signe mystérieux auvalet de chambre qui, en ce moment, était occupé à desservir latable.

Sitôt que Marchal fut passé dans la piècevoisine, le valet aux cheveux blond filasse se courba avec un riregoguenard.

Il ramassa la petite clé, tira de sa poche uneboule de cire rouge et prit une empreinte. Puis, doucement, ilremit la clé sur le tapis, à la place même où il l’avaittrouvée.

Tout cela s’était fait avec une rapidité, uneprestesse que l’on n’eût jamais attendues de ce grand diable auxgestes gauches, au sourire niais.

Quelques minutes plus tard, miss Arabella etson invité revenaient s’asseoir devant le guéridon sur lequel lethé était servi.

– Mademoiselle, dit l’officier, il estgrand temps que je me retire. Je suis sûr que vous mourez desommeil.

– Pour une fois, vous avez deviné juste.Je suis un peu fatiguée.

Et elle ajouta, avec un malicieuxsourire :

– Puis, que dirait-on, si on vous voyaitsortir d’ici au petit jour ?

Le capitaine Marchal remit dans sa poche laboîte d’argent. Mais, tout à coup, il devint pâle.

– La clef ? balbutia-t-il.

– Quelle clef ? demandanonchalamment la belle Anglaise.

– Miss, vous ne pouvez pas savoir,murmura-t-il d’une voix étranglée. C’est la clef du coffre-fort oùse trouvent enfermés les plans de l’avion blindé qui, en cas deguerre, assurerait à la France une supériorité écrasante sur sesennemis.

Miss Arabella parut très sincèrementpeinée.

– Ne vous désolez pas, fit-elle. Si c’estchez moi que vous avez perdu cette fameuse clef, on aura vite faitde la retrouver. Nous allons la chercher ensemble, sans plusattendre.

Mais, déjà, Marchal venait d’apercevoir laclef à ses pieds.

– La voici ! Ne cherchez plus,s’écria-t-il avec une explosion de joie. Vous ne pouvez pas vousimaginer quelle peur j’ai eue… J’en ai encore froid dans ledos…

– Remettez-vous, murmura-t-elle avec unsourire sarcastique. Un officier ne doit jamais avoir peur.

– Cela dépend des circonstances. Je nevoudrais pas, pour un doigt de ma main, avoir perdu cette clef. Jem’explique maintenant qu’elle a dû tomber de ma poche.

– Allons, tout est bien qui finit bien.J’aurais été navrée que vous eussiez perdu cette clef chez moi. Àdemain, capitaine, et travaillez ferme. Je suis sûre que vous allezdoter la France d’un appareil merveilleux.

Miss Arabella serra cordialement la main deson hôte et rentra tranquillement dans ses appartements. À demiétendue dans une bergère, elle demeura plongée dans sesréflexions.

Tout à coup, en levant les yeux, elle aperçutdevant elle lord Arthur Willougby, l’homme dont tous les touristesadmiraient le chic suprême, l’impeccable correction. S’ilsl’avaient aperçu à ce moment, ils eussent éprouvé une désillusioncomplète.

Le teint fripé, les yeux rougis, le plastronéclaboussé de champagne, un cigare éteint entre les dents, il avaitl’aspect à la fois vulgaire et sinistre d’un habitué detripots.

– Eh bien ! ma chère, avez-voustravaillé ? Avez-vous obtenu un résultat ?

La jeune fille jeta sur lui un regard glacial,chargé de mépris.

– Oui, dit-elle, j’ai travaillé et j’airéussi. Regardez.

Elle avait ouvert le tiroir d’un petit meuble,et elle montrait l’empreinte de la petite clef dans le morceau decire rouge.

– Qu’est-ce que c’est que ça ?demanda-t-il en étouffant un long bâillement.

– C’est, tout simplement, la clef ducoffre-fort où se trouvent les documents secrets sur l’avionblindé.

– Ça, par exemple, c’est intéressant,fit-il, brusquement arraché à sa torpeur. Dès demain, je vais fairefabriquer la clef par le fidèle Gerhardt.

– Cela vous regarde ; mais, agissezvite. J’ai vu rôder autour de nous un personnage suspect :vous savez, ce journaliste français que nous avons connu autrefoisà Belgrade.

– Tiens, il est donc ici ?

– Oui, et vous avez joué avec lui sans lereconnaître.

– J’y suis. C’est ce gros garçon jouffluavec des cheveux roux, qui est entré au casino en compagnie deMarchal.

– C’est un de ses amis intimes. À l’heurequ’il est, il suffirait d’un mot imprudent de lui pour toutgâter.

– J’y veillerai.

– Là-dessus, je vous souhaite le bonsoir.Je suis excédée de fatigue. Ce Français est ennuyeux comme lapluie. Le pauvre diable est si naïf, qu’il s’imagine véritablementque je suis éprise de lui.

Et miss Arabella, soulevant la portièreindienne à grands ramages d’or, se retira dans sa chambre àcoucher.

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