La Dégringolade, Tome 3

La Dégringolade, Tome 3

d’ Émile Gaboriau
CINQUIÈME PARTIE – LA COURSE AUXMILLIONS
I

C’est le 29 décembre 1869, un mercredi, que Raymond Delorge arriva à Paris…

Ce qu’il y venait faire, quelles étaient ses espérances positives, il eût été bien embarrassé de le dire.Mlle Simone de Maillefert y avait été attirée, Dieu sait par quels moyens, et il accourait, prêt à tout…

Mais le voyage, un voyage de dix heures, seul,dans un coupé, lui avait été comme une douche, et s’il n’avait pas recouvré sa liberté d’esprit, au moins avait-il repris une sorte de sang-froid relatif.

Neuf heures sonnaient, lorsqu’il frappa à la porte de sa mère, rue Blanche.

– Eh ! mille tonnerres ! c’est Raymond ! s’écria le vieux Krauss qui était venu lui ouvrir.

Car le fidèle troupier était toujours au service de Mme Delorge, et les années semblaient n’avoir pas eu de prise sur son maigre corps musclé d’acier.

– Mon frère !… fit presque aussitôt une voix jeune et fraîche.

Et Mlle Pauline Delorge vintse jeter au cou de Raymond.

C’était, à vingt ans qu’elle allait avoir, unegrande et belle jeune fille, aux cheveux châtains, aux yeuxspirituels, à la bouche toujours souriante.

Après avoir fait sonner une douzaine de bonsgros baisers sur les joues pâlies de son frère :

– Ah ! tu tombes joliment bien, luidisait-elle. M. Ducoudray vient justement de nous envoyer deshuîtres qu’il a reçues de Marennes…

Elle fut interrompue parMme Delorge, qui, ayant reconnu la voix de sonfils, se hâtait d’accourir.

– Que je suis heureuse de te revoir, monRaymond ! répétait-elle toute émue…

Et après l’avoir embrassé, elle l’attiraitdans le salon pour mieux le considérer au grand jour…

Tel Raymond l’avait quitté, ce petit salon,tel il le revoyait. Le portrait du général Delorge occupaittoujours le grand panneau en face de la cheminée. Et en travers dela toile, gardant encore la trace des scellés du commissaire depolice de Passy, pendait toujours l’épée que le général portait lejour de sa mort.

– Ainsi, repritMme Delorge, lorsqu’elle eût fait asseoir son filsprès d’elle, bien près, ainsi tu as eu cette bonne pensée de venirpasser les fêtes de l’an avec ta mère et ta sœur…

– Ah ! quel bonheur ! s’écriaMlle Pauline.

Raymond se leva. Cet accueil, cette joie, legênaient.

– Je viens pour longtemps sans doute,répondit-il. J’ai donné ma démission…

Ce fut au tour de Mme Delorgede se dresser.

– Ta démission, interrompit-elle ;pourquoi ?

Raymond hésita. L’influence de sa réponse surl’avenir devait être énorme, il le sentait. Pourquoi ne pas toutdire ? Une mère est-elle donc si terrible ! Mais lecourage lui manqua. Il recula devant le chagrin qu’il causerait, ileut peur des larmes encore plus que des reproches.

– Je n’ai pas cru, répondit-il, devoir mesoumettre à une mesure exceptionnellement injuste del’administration…

L’œil de Mme Delorges’enflamma.

– Cela devait arriver, prononça-t-elled’une voix sourde, je l’attendais. Souvent je m’étais étonnée devoir les assassins de ton père te laisser suivre paisiblement taroute, tandis qu’ils brisaient la carrière de Léon et qu’ilsfaisaient déporter Jean Cornevin…

Tout bas, Raymond se félicitait de cettefacilité de sa mère à admettre, sans explication, sa parole.Facilité bien explicable d’ailleurs. Il était clair que sadémission, donnée dans les conditions qu’il disait, devait flattercette haine qui était la vie même deMme Delorge.

– Mais les misérables se sont lassés denous laisser en repos, poursuivit-elle. Ils ne veulent pas que nousles oubliions !

Et étendant la main vers le portrait de sonmari :

– Comme si nous pouvions oublier !…ajouta-t-elle.

Certes, Raymond haïssait d’une haine mortelleles lâches meurtriers de son père, et pour les punir d’un châtimentproportionné au crime, il eût avec bonheur versé tout son sang.Mais en M. de Maumussy et M. de Combelaine, ilexécrait plus encore peut-être les infâmes qui s’étaient faits lescomplices de la duchesse de Maillefert pour lui enleverMlle Simone.

– Oh ! non, je n’oublie pas, fit-ilavec une indicible expression de rage, et il faudra bien que lesmisérables expient tout ce que j’ai souffert.

Jamais encore Mme Delorgen’avait entendu à son fils cet accent terrible. Elle en tressaillitde joie, et lui prenant la main :

– Bien ! mon fils, prononça-t-elle,très bien !… Parfois, te croyant insoucieux et léger,préoccupé, à ce qu’il me semblait, d’intérêts étrangers, j’avais,je te l’avoue, douté, non de ton énergie, mais de ta ténacité, etj’avais tremblé de te voir détourner ta pensée de ce qui doit êtrele but unique de ta vie. Je m’étais trompée, et je t’en demandepardon.

Raymond baissait la tête.

La honte le prenait, de voir sa mère siaisément dupe, et de s’entendre prodiguer des éloges dont jamais,certes, il n’avait été moins digne.

– Te voilà libre, poursuivait la noblefemme, eh bien ! tant mieux. C’est au bon moment qu’on te rendla liberté de tes actes. Tu verras Me Roberjotaujourd’hui, et par lui mieux que par moi tu apprendras que l’heureva sonner bientôt de la revanche que nous attendons depuis tantd’années…

Elle s’interrompit.

La porte du salon venait de s’ouvrir, etM. Ducoudray apparaissait sur le seuil, venant partager avecMme Delorge les huîtres qu’il lui avait envoyées laveille.

Le digne bourgeois n’était pas bien éloignédes quatre-vingts ans, mais à le voir droit comme un I, ingambe,l’œil vif et la bouche bien meublée encore, jamais on ne lui eûtdonné son âge.

Moralement, il restait ce qu’il était en 1852,le bourgeois de Paris par excellence, goguenard et frondeur,sceptique superlativement et crédule encore plus, aventureux etpoltron, toujours prêt à dégainer pour une révolution, quitte à secacher dans sa cave une fois la révolution venue.

– Par ma foi !… voici notreingénieur, s’écria-t-il gaiement en apercevant Raymond.

Et après lui avoir serré et secoué la mainvigoureusement, de toutes ses forces, pour montrer qu’il avaitencore du nerf, bien vite il se mit à raconter toutes les coursesqu’il avait faites, depuis sept heures qu’il était levé.

Krauss vint annoncer que le déjeuner étaitservi. On se mit à table. Mais rien n’était capable d’arrêter lebonhomme, lorsqu’il était parti.

Tel qu’on le voyait, il arrivait desChamps-Élysées, et en passant, il était entré chezMme Cornevin, où il avait admiré un trousseauvéritablement royal, qu’elle achevait pour la fille d’un de cesgrands seigneurs russes, dont les fabuleuses richesses font pâlirles trésors des Mille et une nuits.

Selon le digne bourgeois,Mme Cornevin gagnerait au moins une douzaine demille francs sur ce seul trousseau.

Et il partait de là pour célébrer cette femmesi laborieuse et si méritante, et pour chiffrer sa fortune, qu’ilconnaissait mieux que personne, déclarait-il, puisqu’il en étaitcomme l’administrateur général.

Ayant prospéré, elle n’en était du reste pasplus fière. Riche, elle restait toujours l’économe ménagère de larue Marcadet, ne se permettant d’autre distraction qu’une promenadele dimanche, avec Mme Delorge, et le modeste dînerde famille qui suivait cette promenade.

Dans le fait, Mme Cornevin nes’était jamais consolée de la perte de son mari. Elle en parlaitsans cesse.

M. Ducoudray lui avait entendu direplusieurs fois que, bien que tout lui prouvât que Laurent étaitmort depuis des années, elle ne pouvait cesser d’espérer ni s’ôterde l’idée qu’elle le reverrait un jour.

Ainsi Raymond reconnaissait que le secret deslettres de Jean avait été bien gardé parMe Roberjot.

Ni Mme Cornevin, niMme Delorge, ni M. Ducoudray ne soupçonnaientl’existence de Laurent, ni à plus forte raison sa présence plus queprobable à Paris…

Mais le digne bourgeois n’était pas d’uncaractère à s’appesantir longtemps sur une idée, et, gazette fidèlecomme autrefois, il passait en revue tout ce qui occupait labadauderie parisienne en ces derniers jours de 1869.

C’était d’abord une grande fête que devaitdonner la duchesse d’Eljonsen dans son bel hôtel desChamps-Élysées, et dont tous les journaux disaient merveille.

On annonçait encore la vente d’une partie deschevaux de courses du duc de Maumussy, non qu’il fût ruiné, maisparce qu’il finissait par en avoir une trop grande quantité, et qued’ailleurs, à son goût pour les chevaux, avait succédé une passionfolle pour les tableaux, les bibelots et les curiosités.

Le bruit courait aussi du mariage deM. de Combelaine et de Mme Flora Misri.C’était bien la vingtième fois qu’on le faisait courir, mais cettefois, d’après M. Ducoudray, la nouvelle était positive.

Et à la suite de tous ces cancans, venaientdes détails sur Tropmann, l’assassin sinistre, la bête fauve à facehumaine, dont le procès avait commencé la veille…

Pour Raymond, tombant comme des nues à Parisaprès une longue absence, après s’être si complètement désintéresséde tout ce qui n’était pas son amour que depuis deux mois iln’avait pas ouvert un journal, il n’était pas une phrase deM. Ducoudray qui ne présentât un intérêt immédiat etpositif.

Ce n’était, il est vrai, qu’un écho descancans du boulevard, mais ces cancans résumaient la situation,devant l’opinion, de la princesse d’Eljonsen, du duc de Maumussy etdu comte de Combelaine, c’est-à-dire des gens auxquels il brûlaitde s’attaquer…

Mais son désarroi était bien trop grand pourqu’il fût frappé de ces considérations.

Non seulement il n’écoutait pas, mais il luifallait un effort de volonté pour paraître prêter attention.

Il était assis entre sa mère et sa sœur, etc’était miracle que Mme Delorge ne remarquât pasqu’il ne mangeait rien et que ce n’était que par contenance qu’ilremuait sa fourchette et son couteau.

Tout ce qu’elle observa ce fut que son frontétait fort pâle.

– Tu es souffrant, Raymond ?demanda-t-elle.

Il protesta que de sa vie il ne s’était sibien porté, et comme enfin le déjeuner était achevé, il se leva endisant qu’il allait s’habiller pour se rendre chezMe Roberjot.

Mais si Mme Delorge niM. Ducoudray n’avaient rien vu, Raymond avait près de lui desyeux auxquels pas un des mouvements de sa physionomie n’avaitéchappé.

Il venait à peine de passer dans sa chambre,son ancienne chambre de lycéen, lorsqueMlle Pauline y entra. D’un geste amical elle posala main sur l’épaule de son frère, et doucement :

– Qu’as-tu ? lui demanda-t-elle.

Il tressaillit.

– Que veux-tu que j’aie ?répondit-il, en se forçant à sourire, je suis un peu fatigué, voilàtout.

Elle hochait la tête.

– C’est ce que tu as dit à maman,reprit-elle, et maman t’a cru…, mais moi ! Je t’ai bienobservé pendant le déjeuner. Ton corps était avec nous, c’est vrai,mais ta pensée était bien loin.

Vivement, à deux ou trois reprises, Raymondembrassa sa sœur.

– Ah ! cher petit espion !…disait-il avec une sorte de gaieté contrainte.

– Ce n’est pas répondre, fit-elletristement.

– Cependant… que veux-tu que je tedise ?

– Je voudrais savoir quel est l’amerchagrin qui t’a vieilli de dix ans.

– Je n’ai d’autre chagrin que celuid’avoir été forcé de donner ma démission.

Elle attachait sur lui un regard si persistantqu’il se sentit rougir.

– Je voudrais pouvoir te croire,fit-elle… Sans doute, à tes yeux je ne suis encore qu’une petitefille… Plus tard, quand tu auras vécu avec nous, tu reconnaîtrasque cette petite fille est de celles qui savent porter unsecret…

Et elle sortit.

– Pauvre chère Pauline, pensait Raymond,Simone et elle s’aimeraient comme deux sœurs…

Mais, de bonne foi, pouvait-il se confier àelle ?… Il ne savait même pas encore s’il se confierait àMe Roberjot chez lequel il se rendait, et quidemeurait toujours rue Jacob.

Le petit avocat de 1851 était devenu unpersonnage, député, orateur influent ; il n’en avait pas moinsconservé son modeste logis, gouverné par le même domestique.

Ce domestique, dès que Raymond se présenta, lereconnut et lui ouvrit immédiatement la porte du cabinet de sonmaître.

Rien n’y était changé : les mêmestableaux pendaient aux murs, les mêmes presse-papiers retenaientsur le même bureau les notes et les dossiers. Le temps, seulement,avait noirci le bois des meubles et flétri les tentures.

Mais plus encore que son logis, l’homme avaitvieilli. Des masses de cheveux blancs argentaient sa chevelure,jadis d’un noir d’ébène. Les soucis de l’ambition et les agitationsde la politique avaient creusé sur son front des ridesprofondes.

Il s’était alourdi, surtout. Son embonpointtournait à l’obésité. La graisse qui avait triplé son menton avaitempâté ses traits si fins et si spirituels autrefois, et déformé sabouche sensuelle et narquoise.

De l’homme de 1851 il ne restait d’intact quel’œil, toujours pétillant d’esprit, de malice, la voix ironique etmordante, et le geste provocant et effronté parfois comme la niquedu gamin de Paris.

– Vous voilà donc ! s’écria-t-il dèsque parut Raymond. Parbleu ! je savais bien que les événementsme vaudraient votre visite.

– Les événements !

Un ébahissement comique en son intensité sepeignit sur les traits de l’avocat.

– D’où donc arrivez-vous ?s’écria-t-il.

– Des Rosiers.

– Eh bien ! mais on y reçoit desjournaux, ce me semble.

– J’avoue ne pas en avoir lu un depuisdeux mois.

Me Roberjot levait les bras auciel comme s’il eût entendu un blasphème.

– C’est donc cela ! fit-il. Alors,écoutez…

Et tout de suite il se mit à expliquer lesditsévénements.

Ils étaient de la plus haute gravité.

La veille même avait paru au Journalofficiel, une note ainsi conçue :

« Les ministres ont remis leursdémissions à l’empereur, qui les a acceptées. Ils restent chargésde l’expédition des affaires de leurs départements respectifsjusqu’à la nomination de leurs successeurs. »

À la suite de cette note, venait une lettre del’empereur qui « s’adressant avec confiance aupatriotisme » de M. Émile Ollivier, le chargeait deformer un cabinet.

Me Roberjot était radieux,riant d’un rire sonore qui soulevait par saccades sa largebedaine.

– Et voilà, concluait-il, voilà ÉmileOllivier chargé de sauver la dynastie menacée. Croit-ilréussir ? n’en doutez pas, il le garantirait sur sa tête.Seulement il faudrait d’autres épaules que les siennes pour étayerun édifice qui craque de toutes parts… Il va promettre monts etmerveilles, on lui fera crédit d’un mois, de deux, de six, si vousvoulez, mais après ?… Rappelez-vous ce que je vous disaujourd’hui 29 décembre 1869 : le cabinet Ollivier est ledernier cabinet du second empire…

C’est avec une émotion aisée à comprendre, queRaymond écoutait. Sa destinée n’était-elle pas en quelque sorteliée aux événements politiques ?

– Et ensuite ?… interrogea-t-il.

Gaiement, Me Roberjot fitclaquer ses doigts.

– Ensuite, dit-il, ce sera l’heure de lajustice, pour ceux qui comme vous l’attendent depuis dix-huit ans.Ensuite, ce ne sera plus un niais solennel tel queM. Barban-d’Avranchel, qui interrogera le sieur de Combelaineet le sire de Maumussy, et il faudra bien que le jardin de l’Élyséelivre son secret…

C’étaient là de trop brillantes perspectivespour que Raymond ne s’en défiât pas.

– Seul Laurent Cornevin peut dire lavérité, prononça-t-il.

– Et il la dira, soyez tranquille.

– Tranquille !… Alors véritablementvous croyez à sa présence à Paris ?

La plus vive surprise se peignit sur lestraits mobiles de l’avocat.

– Vous n’avez donc pas lu la lettre deJean !… s’écria-t-il.

– Pardonnez-moi.

– Eh bien !… n’est-elle pasformelle !

Frappé de la certitude deMe Roberjot, l’esprit de Raymond devançait déjà lesprobabilités de l’avenir.

La présence de Laurent admise, il songeait auprécieux concours que lui prêterait cet homme qui avait assezsouffert pour tout comprendre, dont rien n’avait brisél’indomptable énergie, et qui disposait de ce pouvoir presqueabsolu : l’or.

– Ne serait-il pas possible,hasarda-t-il, de le rechercher ? En y mettant beaucoup decirconspection…

L’avocat avait bondi.

– Êtes-vous fou ! interrompit-il.Voulez-vous mettre la police sur sa piste ? Voulez-vous ledénoncer et le faire prendre, s’il se trouve mêlé à quelqu’un deces mille mouvements qui s’organisent ? Non, non, laissons-lefaire et comptons qu’il apparaîtra au moment opportun. Ce qui jadisétait une question d’années, n’est plus aujourd’hui qu’une questionde mois, de semaines peut-être…

Eh !… que parlait-on à Raymond de mois,de semaines, de jours même lorsque chacune des minutes quis’écoulaient décidait peut-être du sort deMlle Simone, c’est-à-dire de son bonheur et de savie ?

Il n’insista pas, mais sa physionomies’assombrit à ce point que Me Roberjot finit parêtre frappé, et d’un ton d’amicale inquiétude :

– Mais vous avez quelque chose, fit-il…Quoi ?… Je suis votre ami, vous le savez. Que vousarrive-t-il ?…

– Je n’appartiens plus aux ponts etchaussées, j’ai donné ma démission…

Il était dit que seuleMlle Pauline, servie par son instinct de jeunefille, pénètrerait quelque chose de la vérité. Ni plus ni moins queMme Delorge, Me Roberjot prit lechange.

– On vous taquinait ?interrogea-t-il.

– On prétendait me changer de résidencemalgré moi…

L’avocat éclata de rire.

– Connu ! interrompit-il, le fils dequelque gros personnage avait envie de votre poste… c’est simplecomme bonjour. Mais consolez-vous. C’est un vrai quine à laloterie, que votre mésaventure. Tombe l’Empire, et vous avez desdroits imprescriptibles au plus magnifique avancement. C’estd’ailleurs au bon moment qu’on vous fait des loisirs : lapartie est engagée, il nous faut des hommes…

Il fut interrompu par son domestique quientrait discrètement.

– C’est moi, monsieur, dit ce bravegarçon, qui crois devoir prévenir ces messieurs que je viensd’introduire quelqu’un dans la salle d’attente.

– Qui ?

– M. Verdale…

Brusquement la physionomie deMe Roberjot changea.

– Quoi ! s’écria-t-il, en haussantla voix, comme s’il eût tenu à être entendu de la pièce voisine,mon excellent ami, le baron de Verdale, est là !

– Ce n’est pas l’ami de monsieur.Celui-ci est un jeune homme.

– Son fils, peut-être ?

– Je ne sais pas.

Si accoutumé que dût êtreMe Roberjot à garder le secret de ses impressions,sa curiosité était manifeste.

– Eh bien ! dit-il à son domestique,et sans paraître se rappeler la présence de Raymond, priez-led’entrer.

Ce fut l’affaire d’un instant.

La seconde porte du cabinet, celle qui donnaitdans la salle d’attente, s’ouvrit, et un jeune homme de l’âge deRaymond parut sur le seuil.

– Vous êtes le fils du baron Verdale,monsieur ? lui demanda brusquementMe Roberjot.

S’il ne l’eût dit, on ne s’en serait pasdouté, tant sa personne et ses façons rappelaient peu l’architectemillionnaire.

Grand, mince, très blond, il était élégamment,mais fort simplement vêtu de vêtements de couleur foncée.

– C’est sans doute de la part du baronque vous venez, monsieur, reprit Me Roberjot.

Le jeune homme secoua la tête.

– Mieux que personne, monsieur, dit-il,vous savez que mon père n’a pas le moindre droit à ce titre debaron, qu’il imprime sur ses cartes de visite… C’est unefaiblesse…

Il n’acheva pas, mais son geste signifiaitclairement : Donc, épargnez-moi l’ironie de ce titre.

– Ensuite, monsieur, reprit-il, ce n’estpas, je vous l’affirme, mon père qui m’envoie. C’est de mon propremouvement que je viens…

Il s’arrêta court.

Il venait d’apercevoir Raymond qui, pardiscrétion, se tenait un peu à l’écart…

– Mais vous n’êtes pas seul, monsieur,dit-il vivement… Veuillez donc m’excuser. Ce que j’ai à vous direest assez long…

Si préoccupé que fût Raymond, il ne pouvaitpas ne pas voir que sa présence embarrassait singulièrementl’avocat.

– J’allais me retirer, dit-il àM. Verdale, je me retire…

Et, s’adressant àMe Roberjot :

– Maintenant que me voici à Paris, moncher maître, ajouta-t-il, je viendrai vous importuner souvent…Permettez-moi donc, pour aujourd’hui, de vous laisser à vospréoccupations.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer