La Faneuse d’amour

La Faneuse d’amour

de Georges Eekhoud

Chapitre 1

 

Lorsque, devenue comtesse d’Adembrode, Clara Mortsel s’éprit de la nature campinoise, parfois le décor oublié desa première enfance, écoulée dans une autre région rurale, revenait à sa pensée.

La famille de Clara était originaire du canton de Boom, de ces polders gras et argileux qu’alluvionnent le Rupel et l’Escaut. Sa mère, orpheline élevée par charité, sortit de l’ouvroir vers les dix-huit ans, avec quelques connaissances manuelles, outre la lecture, l’écriture et les quatre règles, et se mit, sur la recommandation des religieuses, au service d’une dame de qualité retirée à la campagne près d’Hemixem, après que, ravies de l’intelligence et de la gentillesse de la petite, les sœurs eussent vainement essayé de la coiffer du béguin. Une piquante brunette, la camériste de la douairière de Dhose ! On vantait surtout ses yeux qu’elle avait très noirs et régulièrement fendus et sa chevelure indisciplinée. Elle savait ses avantages, aimait à se les entendre énumérer. Aucun ne les lui détaillait aussi complaisamment que Nikkel Mortsel, le briquetier, un courtaud membru, âgé de vingt ans. Il avait la joue plutôt cotonneuse que barbue, la parole facile et l’œil polisson. Nikkel Mortsel, s’était bientôt accointé de cette éventée de Rikka, toujours à la rue, du côté des briqueteries, le panier au bras par contenance. Ses tabliers et ses bonnets très blancs alléchaient, dès qu’elle semontrait, le manœuvre le plus absorbé. La coquette résista auxcajoleries de Nikkel, crut le maintenir parmi ses soupirantsordinaires ; le luron ne l’entendait pas ainsi. Il commençapar l’amuser, il finit par l’émouvoir. Ce falot mal nippé, à ladégaine de casseur, trouva pour la séduire d’irrésistiblessuppliques de gestes et de regards. Un soir de kermesse qu’ill’avait énervée et pétrie à point aux spirales érotiques de lavalse, il l’entraîna dans les fours à briques, en partie éteints etdéserts les dimanches, et posséda goulûment cette femme déjà rendueet pâmée.

Cinq mois après, Mme de Dhose, prudeet rigoriste, pas mal prévenue contre les airs évaporés et lestoilettes claires de la pupille des bonnes sœurs, constatait sonembonpoint anormal et la chassait ignominieusement. La maladroitene songea pas un instant à retourner chez ses premièresprotectrices. Par bonheur Nikkel Mortsel restait absolument féru desa conquête. Le coureur de guilledou se doublait chez lui d’unesprit pratique, il devinait en Rikka des qualités de ménagère quile déterminèrent à l’épouser. La pauvresse ne s’estima que tropheureuse de s’unir chrétiennement à ce gaillard dégourdi qu’elleavait cru leurrer sans jamais faire la culbute.

Elle le suivit à Niel où naquît la petiteClara.

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