La Galerie du Palais

La Galerie du Palais

de Pierre Corneille

Adresse

À Madame de Liancour

Madame, Monsieur, Je vous demande pardon si je vous fais un mauvais présent ; non pas que j’aie si mauvaise opinion de cette pièce, que je veuille condamner les applaudissements qu’elle a reçus, mais parce que je ne croirai jamais qu’un ouvrage de cette nature soit digne de vous être présenté. Aussi vous supplierai-je très humblement de ne prendre pas tant garde à la qualité de la chose, qu’au pouvoir de celui dont elle part : c’est tout ce que vous peut offrir un homme de ma sorte ; et Dieu ne m’ayant pas fait naître assez considérable pour être à votre service, je me tiendrai trop récompensé d’ailleurs si je puis contribuer en quelque façon à vos divertissements. De six comédies qui me sont échappées, si celle-ci n’est la meilleure, c’est la plus heureuse, et toutefois la plus malheureuse en ce point, que n’ayant pas eu l’honneur d’être vue de vous, il lui manque votre approbation, sans laquelle sa gloire est encore douteuse, et n’ose s’assurer sur les acclamations publiques.Elle vous la vient demander, Madame, avec cette protection qu’autrefois Mélite a trouvée si favorable. J’espère que votre bonté ne lui refusera pas l’une et l’autre, ou que si vous désapprouvez sa conduite, du moins vous agréez mon zèle, et me permettrez de me dire toute ma vie,

Madame,

Votre très humble, très obéissant, et très obligé serviteur,

Corneille.

Examen

Ce titre serait tout à fait irrégulier,puisqu’il n’est fondé que sur le spectacle du premier acte, où commence l’amour de Dorimant pour Hippolyte, s’il n’était autorisé par l’exemple des anciens, qui étaient sans doute encore bien plus licencieux, quand ils ne donnaient à leurs tragédies que le nom des chœurs, qui n’étaient que témoins de l’action, comme les Trachiniennes et les Phéniciennes. L’Ajax même de Sophocle ne porte pas pour titre la Mort d’Ajax, qui est sa principale action, mais Ajax porte-fouet, qui n’est que l’action du premier acte. Je ne parle point des Nuées, des Guêpes et des Grenouilles d’Aristophane ; ceci doit suffire pour montrer que les Grecs, nos premiers maîtres, ne s’attachaient point à la principale action pour en faire porter le nom à leurs ouvrages, et qu’ils ne gardaient aucune règle sur cet article. J’ai donc pris ce titre de la Galerie du Palais, parce que la promesse de ce spectacle extraordinaire, et agréable pour sa naïveté, devait exciter vraisemblablement la curiosité des auditeurs ; et ç’a été pour leur plaire plus d’une fois, quej’ai fait paraître ce même spectacle à la fin du quatrième acte, oùil est entièrement inutile, et n’est renoué avec celui du premierque par des valets qui viennent prendre dans les boutiques ce queleurs maîtres y avaient acheté, ou voir si les marchands ont reçules nippes qu’ils attendaient. Cette espèce de renouement lui étaitnécessaire, afin qu’il eût quelque liaison qui lui fît trouver saplace, et qu’il ne fût pas tout à fait hors d’œuvre. La rencontreque j’y fais faire d’Aronte et de Florice est ce qui le fixeparticulièrement en ce lieu-là ; et sans cet incident, il eûtété aussi propre à la fin du second et du troisième, qu’en la placequ’il occupe. Sans cet agrément la pièce aurait été très régulièrepour l’unité du lieu et la liaison des scènes, qui n’estinterrompue que par là. Célidée et Hippolyte sont deux voisinesdont les demeures ne sont séparées que par le travers d’une rue, etne sont pas d’une condition trop élevée pour souffrir que leursamants les entretiennent à leur porte. Il est vrai que ce qu’ellesy disent serait mieux dit dans une chambre ou dans une salle, etmême ce n’est que pour se faire voir aux spectateurs qu’ellesquittent cette porte où elles devraient être retranchées, etviennent parler au milieu de la scène ; mais c’est unaccommodement de théâtre qu’il faut souffrir pour trouver cetterigoureuse unité de lieu qu’exigent les grands réguliers. Il sortun peu de l’exacte vraisemblance et de la bienséance même ;mais il est presque impossible d’en user autrement ; et lesspectateurs y sont si accoutumés, qu’ils n’y trouvent rien qui lesblesse. Les anciens, sur les exemples desquels on a formé lesrègles, se donnaient cette liberté ; ils choisissaient pour lelieu de leurs comédies, et même de leurs tragédies, une placepublique ; mais je m’assure qu’à les bien examiner il y a plusde la moitié de ce qu’ils font dire qui serait mieux dit dans lamaison qu’en cette place. Je n’en produirai qu’un exemple, sur quile lecteur en pourra trouver d’autres.

L’Andrienne de Térence commence parle vieillard Simon, qui revient du marché avec des valets chargésde ce qu’il vient d’acheter pour les noces de son fils ; illeur commande d’entrer dans sa maison avec leur charge, et retientavec lui Sosie, pour lui apprendre que ces noces ne sont que desnoces feintes, à dessein de voir ce qu’en dira son fils, qu’ilcroit engagé dans une autre affection dont il lui conte l’histoire.Je ne pense pas qu’aucun me dénie qu’il serait mieux dans sa salleà lui faire confidence de ce secret que dans une rue. Dans laseconde scène, il menace Davus de le maltraiter, s’il fait aucunefourbe pour troubler ses noces : il le menacerait plus àpropos dans sa maison qu’en public ; et la seule raison qui lefait parler devant son logis, c’est afin que ce Davus, demeuréseul, puisse voir Mysis sortir de chez Glycère, et qu’il se fasseune liaison d’œil entre ces deux scènes ; ce qui ne regardepas l’action présente de cette première, qui se passerait mieuxdans la maison, mais une action future qu’ils ne prévoient point,et qui est plutôt du dessein du poète, qui force un peu lavraisemblance pour observer les règles de son art, que du choix desacteurs qui ont à parler, qui ne seraient pas où les met le poète,s’il n’était question que de dire ce qu’il leur fait dire. Jelaisse aux curieux à examiner le reste de cette comédie deTérence ; et je veux croire qu’à moins que d’avoir l’espritfort préoccupé d’un sentiment contraire, ils demeureront d’accordde ce que je dis.

Quant à la durée de cette pièce, elle est dansle même ordre que la précédente, c’est-à-dire dans cinq joursconsécutifs. Le style en est plus fort et plus dégagé des pointesdont j’ai parlé, qui s’y trouveront assez rares. Le personnage denourrice, qui est de la vieille comédie, et que le manqued’actrices sur nos théâtres y avait conservé jusqu’alors, afinqu’un homme le pût représenter sous le masque, se trouve icimétamorphosé en celui de suivante, qu’une femme représente sur sonvisage. Le caractère des deux amantes a quelque chose de choquant,en ce qu’elles sont toutes deux amoureuses d’hommes qui ne le sontpoint d’elles, et Célidée particulièrement s’emporte jusqu’às’offrir elle-même. On la pourrait excuser sur le violent dépitqu’elle a de s’être vue méprisée par son amant, qui, en sa présencemême a conté des fleurettes à une autre ; et j’aurais de plusà dire que nous ne mettons pas sur la scène des personnages siparfaits, qu’ils ne soient sujets à des défauts et aux faiblessesqu’impriment les passions ; mais je veux bien avouer que celava trop avant, et passe trop la bienséance et la modestie du sexe,bien qu’absolument il ne soit pas condamnable. En récompense, lecinquième acte est moins traînant que celui des précédentes, etconclut deux mariages sans laisser aucun mécontent ; ce quin’arrive pas dans celles-là.

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