La Guerre des vampires

La Guerre des vampires

de Gustave Le Rouge

Partie 1
LES INVISIBLES

 

Chapitre 1 ZAROUK

 

– Vous ne sauriez croire, monsieur Georges Darvel, dit le naturaliste Ralph Pitcher, combien votre arrivée fera plaisir à mes amis, le capitaine Wad et l’ingénieur Bolenski ! Ils vous attendent avec la plus vive impatience. Si vous saviez combien nous avons eu de peine à vous découvrir.

– J’en suis encore à me demander comment vous y êtes parvenus.

– C’est une lettre de vous, déjà ancienne, trouvée dans les papiers de votre frère, après la catastrophe de Chelambrun, qui nous a mis sur la voie.

– C’est la dernière que je lui avais écrite, murmura tristement le jeune homme : depuis, je suis sans nouvelles…

– Ne vous désolez pas ainsi ; rien n’est encore définitif ; tout ce que peuvent la science humaine et la puissance de l’or sera mis en oeuvre pour le sauver,s’il en est encore temps, je vous le jure !

« Mais revenons à notre lettre, reprit Ralph Pitcher, en essayant de dissimuler la profonde émotion dont il était agité ; elle était datée de Paris, mais ne portait pas d’adresse, vous y parliez de vos études, renseignements assez vagues, vous en conviendrez ; mais miss Alberte voulaitabsolument vous connaître, et vous savez que notre jeunemilliardaire est d’une obstination tout anglo-saxonne.

« Ses agents ont exploré tous lescollèges et tous les lycées, multiplié les annonces dans lesjournaux…

– Sans un hasard véritablementprovidentiel, tout cela eût été inutile.

« J’avais passé mes derniers examens, jecherchais un emploi d’ingénieur à l’étranger et, grâce à mondiplôme de l’École Centrale…

– L’emploi est tout trouvé ! Mais ilfaut que je vous mette au courant. Vous ne connaissez encore queles récits des journaux sur l’extraordinaire aventure de votrefrère.

– J’ai lu la traduction des messagesinterastraux. Je sais aussi que miss Alberte s’est retirée dans unesolitude profonde.

– Quand il fut malheureusement constatéque les signaux lumineux étaient définitivement interrompus, missAlberte nous fit appeler, moi, le capitaine Wad et l’ingénieurBolenski : Mes amis, nous dit-elle, je suis désespérée, maisnon découragée. Puisque Robert Darvel a trouvé le moyen d’atteindrela planète Mars, il faut que nous le trouvions aussi, et nous letrouverons, dussé-je y sacrifier ma fortune…

– J’ai compté sur vous pour m’aider.

« Et elle a ajouté, reprit modestement lenaturaliste, qu’elle ne trouverait pas dans le monde entier troissavants d’un esprit plus original, d’une faculté créatriceplus…

Ralph Pitcher rougissait comme un collégien ets’embrouillait dans ces phrases élogieuses qu’il était obligé des’adresser à lui-même.

– Enfin, conclut-il, vous comprenez quenous avons accepté avec enthousiasme. C’était une chanceunique.

« Miss Alberte nous a ouvert un créditillimité ; elle nous a recommandé de ne jamais regarder à ladépense, chaque fois qu’il s’agira d’une chose intéressante ;il y a peu de savants aussi favorisés et, désormais, vous êtes desnôtres ! C’est une chose dite.

Georges Darvel, rouge de plaisir, balbutia unremerciement auquel Pitcher coupa court par un énergique shakehand.

– Il suffit, murmura-t-il.

« En vous associant à nos travaux, nousacquittons une dette sacrée envers le souvenir de notre ami, duglorieux savant que nous retrouverons un jour, j’en suiscertain.

Tous deux demeurèrent comme accablés sous lepoids de leur pensée et continuèrent à marcher en silence sous lesombrages géants des chênes-lièges, des caroubiers et des pinsd’Alep, qui composent en majeure partie la grande forêt deKroumine.

Ils suivaient en ce moment une des routesforestières qui sillonnent la région sauvage située entre AïnDraham et la Chehahia.

Pour faire admirer à son nouvel ami cettepittoresque contrée, Pitcher avait proposé de faire le chemin àpied ; un mulet de bât, chargé des bagages et tenu par unNègre, suivait à une vingtaine de pas.

Ce coin verdoyant de l’aride Tunisie renfermepeut-être un des plus beaux paysages du monde.

La route forestière, avec ses larges pierresde grès rouge recouvertes d’une mousse veloutée, serpentait àtravers une contrée coupée de vallons et de collines qui, à chaquedétour, offrait la surprise d’une perspective nouvelle.

Tantôt, c’était un oued bordé de cactus et dehauts lauriers-roses dont il fallait franchir, à gué, le lit seméde grosses pierres luisantes. Tantôt des landes – véritable maquisde myrtes sauvages, d’arbousiers et de bruyères hautes comme unhomme – exhalaient, sous l’ardeur dévorante du soleil, une buéed’entêtants parfums.

Ailleurs, une ruine romaine accrochait savoûte croulante au flanc d’une colline et de vieux oliviers,contemporains d’Apulée et de saint Augustin, agrippaient leursracines entre les blocs et secouaient leur grêle feuillage, commeune chevelure, au-dessus du fronton d’un temple. Plus loin, unénorme figuier, au tronc penché par les vents, formait à lui seultout un bosquet fourmillant d’oiseaux, de caméléons et delézards ; et parfois, tout au sommet du vieil arbre dont lesbranches mollement inclinées formaient de commodes sentiers,apparaissaient les cornes et la barbiche d’un chevreau occupé àmanger des figues.

Puis, la forêt reparaissait, avec de profondespercées dont la fuite se perdait dans une brume azurée, des ravinsdélicieusement escarpés, qui semblaient des abîmes defeuillages.

Les pins et les chênes zéens au feuillage d’ungris léger avaient des silhouettes légères et vaporeuses, au milieudesquelles éclatait brusquement la note plus brutale d’un hêtrerouge ou d’un peuplier d’Italie aux feuilles de soie blancheéternellement frissonnantes.

Mais la capitale magie, c’étaient les vignesretournées depuis des siècles à l’état sauvage et lançant, du fondhumide des ravins jusqu’au sommet des plus hauts arbres, un feud’artifice de pampres et de ceps d’une prodigieuses richesse.

C’était une débauche de frondaisonsluxuriantes, à faire croire que la terre entière serait un jourenvahie par cette impétueuse poussée de sève.

Les sarments jetaient à une hauteur souventprodigieuse des ponts élégants, des hamacs festonnés, où sebalançaient par milliers les ramiers bleus et les tourterellesblanches et roses, tout à coup mis en fuite dans un froufrou debattements d’ailes et de piaillements par l’ombre brune d’unvautour, traçant de grands cercles dans l’air bleu.

Dans les endroits marécageux, des troupeaux depetits sangliers fuyaient entre les hautes lances des roseaux et lecri de la hyène, qui ressemble à un rire ironique et qui s’éloigneà mesure que l’on se rapproche, retentissait à de longsintervalles.

Mais, il faudrait dire la grâce de cettenature vierge, la robustesse élastique et fière de ces arbresjamais émondés, les clairières de fleurs et de hautes herbes et cetobsédant parfum de myrte et de laurier-rose, qui est commel’haleine embaumée de la forêt magique.

– Regardez ces vignes ! s’écriaRalph Pitcher avec admiration. Ces ceps ont peut-être quinze oudix-huit cents ans ; à l’automne, ils se chargent encore degrappes excellentes ; on retrouverait sans doute, en lespressurant, les crus perdus dont s’enivraient les Romains de ladécadence, les vins qu’on servait à Trimalcion mélangés à la neigedans des cratères d’or…

Georges Darvel ne répondit pas toutd’abord ; ses préoccupations étaient loin de ces réminiscencesclassiques où se délectait l’érudit Ralph Pitcher.

– Comment donc, demanda tout à coup lejeune homme, vous trouvez-vous en Tunisie ? J’aurais eu plutôtl’idée de vous chercher dans les Indes ou en Angleterre.

– C’est précisément pour dépister lescurieux et aussi à cause de la beauté du climat et du site que missAlberte a choisi ce pays ignoré, rarement visité par lestouristes.

« Ici, nous sommes sûrs que personne neviendra, sous de futiles prétextes, nous déranger dans nostravaux : nous sommes à l’abri des reporters, desphotographes, des gens du monde, de tous ceux que j’appelleénergiquement des « voleurs de temps ».

« C’est la paix profonde d’un laboratoired’alchimiste, dans quelque abbaye du Moyen Age, mais une abbayepourvue de l’outillage scientifique le plus complet, le pluspuissant dont jamais savant ait disposé.

« Autrefois, au cours d’une croisière deson yacht, le Conqueror, miss Alberte avait eu l’occasionde visiter la Kroumirie et elle en avait conservé un merveilleuxsouvenir.

« Il y a quelques mois, parl’intermédiaire de son correspondant de Malte, elle acheta, enpleine forêt, la villa des Lentisques, un merveilleux palais arabe,une folie, qu’un banquier sicilien, incarcéré depuis comme recéleurde la Maffia, avait eu la fantaisie de faire construire dans cedésert.

« D’ailleurs, vous allez pouvoir en jugerpar vous-même.

« Nous sommes presque arrivés. Regardezun peu sur votre gauche ; cette grande masse blanche, c’est lavilla des Lentisques…

– Je verrai miss Alberte ! s’écriaGeorges Darvel. Je pourrai lui dire toute ma gratitude pour seshéroïques efforts en faveur de mon frère !

– Vous la verrez sans doute, mais pasaujourd’hui, ni demain ; vous ne m’avez même pas laissé letemps de vous dire qu’elle ne rentrera que dans le courant de lasemaine.

« Elle nous a quittés depuis unequinzaine, les intérêts de son exploitation minière réclamaientimpérieusement sa présence à Londres.

– Tant pis, murmura le jeune homme, unpeu décontenancé.

– À ce propos, vous savez que le champd’or découvert par votre frère n’a cessé de fournir le rendement leplus prodigieux.

« C’est le Pactole lui-même qui sedéverse dans les caisses de miss Alberte ! Les dépenses denotre laboratoire ne sont qu’une goutte d’eau puisée à ce torrentde richesse débordante.

Un cri étouffé interrompit brusquement RalphPitcher, en même temps qu’une troupe d’oiseaux, effarés, quittaientles branches pour s’envoler tumultueusement.

– C’est Zarouk, mon Noir, qui a eu peur,murmura le naturaliste, je vais voir. Il faut dire qu’il s’effraiesouvent de peu de chose.

Droit au milieu du sentier, Zarouk demeuraitimmobile, comme pétrifié par la peur ; son visage avait passédu noir profond au gris livide, ses traits révulsés, son torsecabré reflétaient une épouvante immense.

Georges remarqua alors que le Noir étaitaveugle, ses prunelles protubérantes étaient voilées d’une taieblanche ; mais cette infirmité ne donnait rien de hideux ni derépulsif à son visage ; son front était haut et bombé, sonvisage régulier, son nez mince et droit, enfin ses lèvresn’offraient pas cette épaisseur qui imprime à la physionomie uneexpression bestiale.

Cependant, Ralph s’était approché.

– Qu’y a-t-il donc, mon pauvreZarouk ? demanda-t-il affectueusement. Je ne te croyais pas sipoltron ! Y aurait-il une panthère dans levoisinage ?

Zarouk secoua la tête en signe de négation,trop ému encore pour répondre ; sous le burnous de laineblanche dont il était enveloppé, ses membres étaient agités d’untremblement et il serrait d’une main convulsive la bride du muletqui, chose étrange, semblait partager la frayeur du Noir ; ilregimbait et était agité d’un violent frisson.

– Voilà qui est extraordinaire, ditGeorges à l’oreille de son ami.

« Et cette envolée subite des oiseaux, ily a un instant ?

– Je ne sais que penser, répondit lenaturaliste en regardant tout autour de lui avec inquiétude. Zarouka évidemment deviné un péril ; mais lequel ?

« À part quelques scorpions tapis sousles terres, quelques chats sauvages, la forêt d’Aïn-Draham nerenferme pas d’animaux nuisibles.

– Mais les hyènes ?…

– Ce sont les bêtes les plus lâches etles plus peureuses ; elles ne s’attaquent jamais à l’homme.Zarouk n’est pas capable de s’effrayer pour si peu de chose.

– Vous avez tout à l’heure parlé depanthères ?

– Elles sont extrêmement rares enTunisie, même dans le Sud ; il se passe quelquefois cinq ousix ans sans qu’on en capture une seule.

« D’ailleurs, Zarouk, qui est né dans leSoudan, d’où les caravanes Chambaa l’ont apporté tout enfant àGabès, n’aurait pas plus peur des panthères que des hyènes. Il fautqu’il y ait autre chose.

– Nous allons le savoir ; Zaroukcommence à se remettre.

– Eh bien, reprit Pitcher en se tournantvers le Noir, parleras-tu maintenant ? Tu sais bien qu’à noscôtés tu n’as rien à craindre.

« Vraiment, je te croyais plus brave.

– Maître, repartit le Noir d’une voixétranglée, Zarouk est brave, mais tu ne peux pas savoir… C’estterrible ! Zarouk n’a pas peur des bêtes de la terre et desoiseaux du ciel ; mais il a peur des mauvaisesprits !

– Que veux-tu dire ?

– Maître, je te le jure, au nom du Dieuvivant et miséricordieux, par la barbe vénérable de Mahomet,prophète des prophètes, tout à l’heure, j’ai été effleuré parl’aile d’un des djinns, ou peut-être d’Iblis lui-même !…

« Tout mon sang a reflué vers mon cœur…Je n’ai eu que le temps de prononcer trois fois le nom sacréd’Allah qui met en fuite les djinns, les goules et les afrites… Uneseconde, une face effroyable s’est dessinée, comme en traits defeu, au milieu des ténèbres éternelles qui m’enveloppent, et s’estenfuie rapidement, emportée sur ses ailes… Oui, maître, je tel’atteste, une seconde, j’ai vu !

– Comment as-tu pu voir ?interrompit Ralph d’un ton plein d’incrédulité. Nous qui voyons,nous n’avons rien aperçu. Tu as été l’objet de quelquehallucination, comme ceux qui sont ivres de dawamesk oud’opium.

« Tiens, bois une gorgée debouka[1] pour te remettre et oublie cette sottefrayeur.

Le Noir prit avec une joie évidente la gourdeque lui tendait Ralph Pitcher et but à longs traits ; puis,après, un moment de silence :

– Je suis sûr que je n’ai pas rêvé,dit-il lentement ; toi et ton ami le Français, vous avez vules oiseaux s’envoler, le mulet demeurer moite et frissonnant commeà l’approche du lion, car eux aussi ont eu peur.

« N’est-il pas possible que par lavolonté toute-puissante d’Allah, le mauvais esprit soit devenu pourquelques instants visible à mes prunelles mortes, afin de m’avertirde quelque danger ?

– Je persiste à croire, moi que tu as euune hallucination ; dans ta peur, tu as donné, sans t’enapercevoir, une brusque secousse à la bride, ce qui a effrayé lemulet lui-même, et il suffit qu’au même moment un vautour aitpassé…

Zarouk secoua la tête sans répondre, faisantainsi entendre que l’explication rationaliste de Ralph Pitchern’était pas de son goût et qu’il s’entêtait dans sa croyance audjinn.

L’on se remit en marche ; seulement, leNoir s’était rapproché de ses deux compagnons, comme s’il eûtcraint un retour offensif de la terrible apparition.

Ralph Pitcher était, lui, complètementrassuré.

– Zarouk, expliqua-t-il à Georges dont lacuriosité était singulièrement excitée, est le plus précieux et leplus fidèle des serviteurs. Sa cécité ne l’empêche pas de nousrendre de grands services. Comme beaucoup de ses pareils, il estdonc d’une exquise sensibilité de l’ouïe, de l’odorat et dutact.

« Dans notre laboratoire, il connaîtexactement la place de chaque objet et sait le trouver rapidementsans jamais commettre d’erreur ou de maladresse. Il arrive même àconnaître certains états du monde extérieur dont les autres hommesne doivent d’ordinaire la notion qu’à leurs yeux. Je n’ai pasencore pu m’expliquer à l’aide de quelle fugitive notation desensations, de quelles subtiles associations d’idées il yparvient.

« Ainsi, il dira parfaitement qu’un nuagevient de passer sur le soleil et, s’il y a plusieurs nuages, ilarrivera à les compter ; nous l’avons emmené à la chasse, nouslui avons mis un fusil en main et il nous a émerveillés par sonadresse. En entrant quelque part, il reconnaît sans la moindrehésitation les personnes avec lesquelles il s’est rencontréseulement une fois.

– Tout cela est merveilleux, fit Georges,mais ce n’est pas absolument inexplicable ; on cite dans lemême ordre de faits un grand nombre d’exemples.

– Vous aurez le loisir de l’étudier parvous-même. Zarouk est certainement beaucoup plus prodigieux quevous ne pensez.

« Il y a des moments où je suis tenté decroire que, derrière la taie qui les recouvre, ses prunelles sontsensibles aux rayons obscurs du spectre, invisible pour nous, auxrayons X et peut-être à d’autres radiances plus faibles et plusténues.

« Pourquoi, après tout, une telle chosene serait elle pas possible ?

Georges réfléchit un instant, puissammentintéressé par cette aventureuse hypothèse.

– Pourquoi alors, demanda-t-il à sontour, n’avez-vous pas eu l’idée de le faire opérer de lacataracte ?

– Le capitaine Wad y avait pensé lepremier, Zarouk s’y est toujours refusé avec opiniâtreté.

Les deux amis cheminèrent quelque temps ensilence ; derrière eux, Zarouk avait entamé une de cesmélopées interminables et tristes, qui sont les chansons de routedes chameliers du grand désert ; malgré lui, Georges étaitimpressionné par cet air monotone, où les mêmes notes revenaientindéfiniment et qui semblait imiter la plainte déchirante du ventdans les plaines mortes du Sahara.

– Savez-vous, dit-il en riant à Pitcher,que ce que vous venez de me dire n’est pas rassurant ; sivraiment Zarouk – comme ces chauves-souris qui, les yeux crevés,volent en ligne droite et savent se garer des obstacles – possèdeune puissance de tactilité si étonnante, il doit y avoir quelquechose de vrai dans l’apparition, invisible pour nous, qui l’aeffrayé.

– Qui sait ? murmura le naturaliste,devenu songeur. Ne faut-il pas toujours en revenir à la parole denotre Shakespeare, qu’il y a dans le ciel et sur la terre plus dechoses que notre faible imagination ne peut en concevoir ?

« Peut-être Zarouk est-il un desprécurseurs d’une évolution de l’oeil humain qui, dans descentaines de siècles et bien avant peut-être, percevra desradiances qui n’existaient pas aux premiers âges du monde.

« Déjà, certains sujets, en étatd’hypnotisme, voient ce qui se passe au loin ou de l’autre côtéd’un grand mur et pourtant, au moment où s’exerce cette facultésuraiguë de vision, leurs yeux sont fermés.

« Le jour où la science arrivera àéchafauder là-dessus une thèse solide…

Ralph Pitcher n’acheva pas sa pensée ; ily eut un nouveau silence.

– Qu’est-ce que les djinns ? demandaGeorges brusquement. Je vous avoue que je suis là-dessus d’uneignorance profonde. L’étude des sciences m’a fait considérablementnégliger la mythologie mahométane.

– Je pourrais vous en dire autant ;mais Zarouk va nous renseigner.

« Il a sur ces questions une inépuisablefaconde. Comme tous les gens du désert, il a l’imagination farciede ces contes merveilleux qu’on se répète autour des feux ducampement, dans toutes les caravanes.

« Zarouk !

– Maître, dit le Noir en s’avançant avecun empressement qui n’avait rien de servile, j’ai entendu laquestion de ton ami. Mais est-il prudent de parler de ces êtresterribles, alors qu’ils rôdent peut-être encore autour denous ?

– Sois sans crainte, ne m’as-tu pas dittoi-même que la puissance de leurs ailes peut les porter enquelques heures à des centaines de lieues ?

Cette réflexion parut faire beaucoup deplaisir au Noir.

– Sans doute, répondit-il, en poussant unsoupir de soulagement ; cela est vrai et je n’ai pasmenti ; puis, ne suis-je pas sous la protection du Dieuinvincible et miséricordieux ?

Et il continua d’une voix nasillarde etchantante :

– Les djinns sont les esprits invisiblesqui habitent l’espace qui s’étend entre le ciel et la terre, leurnombre est mille fois plus considérable que celui des hommes et desanimaux.

« Il y en a de bons et de mauvais, maisceux-ci l’emportent de beaucoup. Ils obéissent à Iblis, auquel Dieua accordé une complète indépendance jusqu’au jour du jugementdernier.

« Le sage sultan Suleyman (Salomon) quiest révéré même des juifs et des infidèles avait reçu de Dieu unepierre verte d’un éclat éblouissant, qui lui donnait le pouvoir decommander à tous les mauvais esprits ; jusqu’à sa mort, ilslui montrèrent une parfaite soumission et il les employa à laconstruction du temple de Jérusalem ; mais depuis sa mort ilsse sont dispersés par le monde, où ils commettent toutes sortes decrimes…

C’était là un sujet sur lequel Zarouk, commetous les Arabes du désert, était intarissable.

Georges Darvel et son ami Pitcher se gardaientbien de l’interrompre et le laisser énumérer complaisamment lesdiverses variétés de djinns, d’afrites, de toghuls ou ogres, degoules et d’autres êtres fantastiques, tous doués d’un pouvoiraussi redoutable que merveilleux.

Ils éprouvaient à l’entendre le même plaisirque, tout enfants, ils avaient ressenti à la lecture des Milleet Une Nuits.

Vraiment, ils étaient loin des hauteshypothèses scientifiques qu’ils discutaient un instantauparavant ; ils ne pouvaient s’empêcher de sourire de lagravité avec laquelle Zarouk leur débitait ces étonnantes fablesauxquelles il ajoutait certainement la foi la plus entière.

Le Noir, d’ailleurs, avec une facilité quepossèdent tous les Orientaux pour les langues, s’exprimait en dépitde ses barbarismes en un français très clair ; comme presquetous les Arabes, il était né conteur.

Ralph et Georges Darvel étaient sous le charmede sa parole, lorsque, au détour d’un massif d’amandiers et decaroubiers, ils se trouvèrent tout à coup en face de la villa desLentisques.

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