La Muse du département

La Muse du département

d’ Honoré de Balzac

Mon cher Ferdinand, si les hasards (habent sua fata libelli) du monde littéraire font de ces lignes un long souvenir, ce sera certainement peu de chose en comparaison des peines que vous vous êtes données, vous le d’Hozier, le Chérin, le Roi d’armes des ETUDES DE MOEURS; vous à qui les Navarreins, les Cadignan, les Langeais, les Blamont-Chauvry, les Chaulieu, les d’Arthez, les d’Esgrignon, les Mortsauf, les Valois, les cent maisons nobles quiconstituent l’aristocratie de LA COMEDIE HUMAINE doivent leurs belles devises et leurs armoiries si spirituelles. Aussi L’ARMORIAL DES ETUDES DE MOEURS INVENTE PAR FERDINAND DE GRAMONT, GENTILHOMME,est-il une histoire complète du blason français, où vous n’avez rien oublié, pas même les armes de l’Empire, et que je conserverai comme un monument de patience bénédictine et d’amitié. Quelle connaissance du vieux langage féodal dans le: Pulchre sedens,meliùs agens! des Beauséant? dans le: Des partem leonis! des d’Espard? dans le: Ne se vend! des Vandenesse? Enfin, quelle coquetterie dans les mille détails de celle savante iconographie qui montrera jusqu’où la fidélité sera poussée dans mon entreprise,à laquelle vous, poète, vous aurez aidé

Votre vieil ami,

DE BALZAC.

Partie 1
L’avant-scène des grandes résolutions

Chapitre 1 Sancerre

Sur la lisière du Berry se trouve au bord de la Loire une ville qui par sa situation attire infailliblement l’oeil du voyageur.Sancerre occupe le point culminant d’une chaîne de petites montagnes, dernière ondulation des mouvements de terrain du Nivernais. La Loire inonde les terres au bas de ces collines, en y laissant un limon jaune qui les fertilise, quand il ne les ensable pas à jamais par une de ces terribles crues également familières à la Vistule, cette Loire du Nord. La montagne au sommet de laquelle sont groupées les maisons de Sancerre, s’élève à une assez grande distance du fleuve pour que le petit port de Saint-Thibault puisse vivre de la vie de Sancerre. Là s’embarquent les vins, là se débarque le merrain, enfin toutes les provenances de la haute et de la basse-Loire.

A l’époque où cette histoire eut lieu, le pont de Cosne et celuide Saint-Thibault, deux ponts suspendus, étaient construits. Lesvoyageurs venant de Paris à Sancerre par la route d’Italie netraversaient plus la Loire de Cosne à Saint-Thibault dans un bac,n’est-ce pas assez vous dire que le chassez-croisez de 1830 avaiteu lieu; car la maison d’Orléans a partout choyé les intérêtsmatériels, mais à peu près comme ces maris qui font des cadeaux àleurs femmes avec l’argent de la dot. Excepté la partie de Sancerrequi occupe le plateau, les rues sont plus ou moins en pente, et laville est enveloppée de rampes, dites les Grands Remparts, nom quivous indique assez les grands chemins de la ville. Au delà de cesremparts, s’étend une ceinture de vignobles. Le vin forme laprincipale industrie et le plus considérable commerce du pays quipossède plusieurs crus de vins généreux, pleins de bouquet, assezsemblables aux produits de la Bourgogne pour qu’à Paris les palaisvulgaires s’y trompent. Sancerre trouve donc dans les cabaretsparisiens une rapide consommation, assez nécessaire d’ailleurs àdes vins qui ne peuvent pas se garder plus de sept à huit ans.Au-dessous de la ville, sont assis quelques villages, Fontenay,Saint-Satur qui ressemblent à des faubourgs, et dont la situationrappelle les gais vignobles de Neufchâtel en Suisse. La ville aconservé quelques traits de son ancienne physionomie, ses rues sontétroites et pavées en cailloux pris au lit de la Loire. On y voitencore de vieilles maisons. La tour, ce reste de la force militaireet de l’époque féodale, rappelle l’un des sièges les plus terriblesde nos guerres de religion et pendant lequel nos calvinistes ontbien surpassé les farouches caméroniens de Walter Scott. La villede Sancerre, riche d’un illustre passé, veuve de sa puissancemilitaire, est en quelque sorte vouée à un avenir infertile, car lemouvement commercial appartient à la rive droite de la Loire. Larapide description que vous venez de lire prouve que l’isolement deSancerre ira croissant, malgré les deux ponts qui la rattachent àCosne, Sancerre, l’orgueil de la rive gauche, a tout au plus troismille cinq cents âmes, tandis qu’on en compte aujourd’hui plus desix mille à Cosne. Depuis un demi-siècle, le rôle de ces deuxvilles assises en face l’une de l’autre a complètement changé.Cependant l’avantage de la situation appartient à la villehistorique, où de toutes parts l’on jouit d’un spectacleenchanteur, où l’air est d’une admirable pureté, la végétationmagnifique, et où les habitants en harmonie avec cette riantenature sont affables, bons compagnons et sans puritanisme, quoiqueles deux tiers de la population soient restés calvinistes.

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