La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

de Pierre Ponson du Terrail

Partie 1
Rédemption

Chapitre 1

Il était près de minuit, et l’on causait depuis neuf heures autour d’une table de thé dans le salon de la comtesse Artoff. La comtesse Artoff n’était autre que cette belle et malheureuse Baccarat que l’amour avait poussée au repentir, et qui longtemps,sous le nom de madame Charmet, avait été la providence des pauvres.Un jour, Dieu avait eu pitié de ce cœur brisé, et un dernier rayon d’amour avait réchauffé toutes ces ruines. Le comte Artoff, jeune,beau, intelligent, riche à millions, avait aimé Louise Charmet,déjà purifiée par le repentir ; et il lui avait offert sa main. Il y avait onze ans de cela. Mais le bonheur a le privilège de refaire une seconde jeunesse à ceux dont la jeunesse première s’est passée au milieu des orages de la vie. Baccarat avait quarante ans ; on lui en donnait vingt-huit à peine, tant elle était belle. En vain ouvrait-elle les portes de son salon à toutes les plus belles femmes de Paris. Elle demeurait reine par la beauté, au milieu d’elles. Ce soir-là, une blonde et blanche créature, assise auprès d’elle sur un sofa, rivalisait cependant de beauté, de charme et d’éclat avec madame la comtesse Artoff.C’était la blonde Vasilika Wasserenoff, la femme aux mystérieuses vengeances, l’implacable ennemie de son jeune cousin Yvan Potenieff. La réunion était nombreuse. Il y avait là le comte Kouroff, à qui Vasilika avait promis sa main. Puis trois ou quatre vieux amis de Baccarat, entre autres le vicomte Fabien d’Asmolles,le mari de cette Blanche de Chamery, dont Rocambole avait été un moment le frère. On avait parlé d’abord de ce pauvre Yvan Potenieff.

– Il est fou ! avait dit Vasilika.

– En êtes-vous bien sûre, madame ? avait répondu la comtesse Artoff.

– Certainement, j’en suis sûre. Il est fou à lier. LaMadeleine dont il parle n’a jamais existé.

Baccarat avait regardé la comtesse d’un air de doute.

– N’êtes-vous pas abusée vous-même ? avait-elledit.

Puis elle s’était hâtée d’ajouter :

– Votre M. de Morlux, cet homme qui s’est faitl’inséparable de votre cousin et l’a amené en France, ne me revientnullement.

– Ah ! fit Vasilika.

Et, à la dérobée, elle jeta un regard de haine soupçonneux surBaccarat. Elle pressentait que la comtesse Artoff l’avait devinée.Mais, tout à coup, il ne fut plus question du pauvre YvanPotenieff, à qui le docteur Lambert administrait douches surdouches de la meilleure foi du monde. Pourquoi ? C’est qu’unnouveau personnage venait d’entrer et avait prononcé un nom quiavait retenti comme un coup de tonnerre dans la mémoire de laplupart des gens qui se trouvaient là. Ce personnage était un jeunehomme de vingt-sept à vingt-huit ans, avocat, commençant à plaider,et qui fréquentait assidûment le Palais, était au courant de toutesles nouvelles judiciaires, et se faisait une occupation et unplaisir de rédiger de vive voix, dans une demi-douzaine de salons,une chronique des tribunaux. Ce jeune homme s’appelait PaulMichelin. Il avait trente mille francs de rente, était joli garçonet plaidait ses causes pour rien. Or, M. Paul Michelin étaitentré, ce soir-là, chez la comtesse Artoff en disant :

– Vous ne savez rien ?

– Quoi donc ? lui avait-on demandé en voyant sa minequelque peu effarée.

– Rocambole a été arrêté.

À ce nom, Baccarat et Fabien d’Asmolles se regardèrentdouloureusement.

– Qu’est-ce que Rocambole ? demanda la blonde comtesseVasilika.

– Madame, répondit maître Paul Michelin, Rocambole est unêtre mystérieux dont on a beaucoup parlé il y a dix ou quinze ans.Il a été le chef d’une bande de malfaiteurs fameux connus sous lenom de Valets de cœur.

– Joli nom ! dit la comtesse.

– Il paraît que Rocambole, qui avait passé forttranquillement six années au bagne de Toulon, a éprouvé, un matin,le besoin d’en sortir.

– Mais contez-nous donc cette histoire, qui paraît être desplus amusantes, dit la comtesse Vasilika.

– Volontiers, madame, répondit Paul Michelin.

Il ne se doutait pas qu’il allait parler de Rocambole devant desgens qui, pour la plupart, l’avaient beaucoup connu. Quant à labelle Russe, elle n’était pas fâchée de voir la conversationdétournée, et la comtesse Artoff complètement déroutée à l’endroitd’Yvan Potenieff. M. Paul Michelin ne se fit pas prier. Ilraconta, dans son meilleur style, l’histoire connue de Rocambole,c’est-à-dire la légende débitée à la cour d’assises. Mais ce qu’ilne put dire, et ce que les tribunaux n’avaient jamais su, c’est quel’ancien chef des Valets de cœur avait été connu de Paris entiersous le nom de marquis de Chamery. Baccarat et Fabien d’Asmolles,qui avaient éprouvé d’abord une vive inquiétude en voyant le jeuneavocat se lancer à corps perdu dans le récit, avaient fini par serassurer mutuellement d’un regard.

– Vraiment, dit la belle Russe, cet homme s’est évadé dubagne ?

– Oh ! d’une façon merveilleuse.

Et l’avocat débita tout d’une haleine le récit de cette évasionqu’il avait lue, sept ou huit mois auparavant, dans la Gazettedes tribunaux. Puis il ajouta :

– À cette époque, deux versions ont couru.

– Voyons, dit la comtesse Artoff avec une indifférenceaffectée.

– Il paraît que Rocambole ne s’est pas évadé seul du bagnede Toulon.

– Ah !

– Il avait trois compagnons ; au lieu de s’évader à lamanière ordinaire, par terre, ils s’étaient évadés par mer ens’emparant d’une chaloupe. La mer était si mauvaise cette nuit-là,que le bruit courut le lendemain que les quatre forçats évadés laveille s’étaient noyés. Cette assertion prévalut longtemps ;mais six mois après…

– On eut des nouvelles de Rocambole ? demanda vivementla comtesse Vasilika.

– Oui, madame.

– Comment cela ?

– Il y a six semaines environ, un vol de cent mille francsfut commis au préjudice d’un homme que vous connaissezcertainement.

– Qui donc ?

– Le vicomte Karle de Morlux.

– Certainement, nous le connaissons, dit la blondeVasilika, c’est lui qui a ramené de Russie mon malheureux cousin.Eh bien ! on lui a volé cent mille francs ?

– Oui, madame.

Un sourire dédaigneux glissa alors sur les lèvres de Baccarat,muette et indifférente jusque-là.

– Et on a accusé Rocambole, dit-elle.

– Naturellement.

– Alors, il ne s’était pas noyé ?

– Apparemment.

– Comment donc avait eu lieu le vol ?

M. Paul Michelin, qui puisait ses renseignements à bonnesource, c’est-à-dire dans la Gazette des Tribunaux,raconta ce qu’on avait écrit et imprimé alors sur les portesfracturées, le secrétaire forcé, la trace des pas dans le jardin etl’échelle appliquée contre le mur. Mais alors Baccaratl’interrompit.

– Vraiment, mon cher Paul, dit-elle, pouvez-vous desang-froid nous conter de pareilles sornettes ?

– Plaît-il ? fit l’avocat d’un ton piqué.

– C’est un vol de grand chemin que vous nous racontez là,mon ami.

– Eh bien ?

– Et vous l’attribuez à Rocambole…

– Son nom a été prononcé alors… Baccarat haussa lesépaules.

– Mon pauvre ami, dit-elle, Rocambole était un plus habilehomme que ça, et il ne se dérangeait pas pour voler honteusementcent mille francs dans un secrétaire.

– L’avez-vous donc connu, vous, madame ? demanda PaulMichelin.

– Peut-être… répondit Baccarat d’un air mystérieux quipétrifia d’étonnement le jeune avocat. Et, ajouta-t-elle, jepourrais vous raconter bien des choses… Mais, continuez, mon ami,nous vous écoutons… acheva-t-elle d’un ton qui laissa comprendrequ’elle ne dirait pas un mot de plus.

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