La Ténébreuse Affaire de Green-Park

La Ténébreuse Affaire de Green-Park

d’ Arnould Galopin
Chapitre 1 Une partie interrompue

Comment je suis arrivé à mener à bien ce que l’on a appelé la Ténébreuse Affaire de Green-Park ?

C’est bien simple.

Je veux dire : bien simple à raconter.

Comme tout Anglais de race, je suis méthodique, car j’estime qu’avec de la méthode on arrive à une précision de mémoire extraordinaire.

Et il faut de la mémoire pour exercer l’art si complexe du détective, – je dis « détective » et non pas policier.

D’abord, je suis gentleman, fils de gentleman.Mon père, Arthur Edgar Dickson, était un des farmers les plus honorablement connus de l’Ouest Australien.

Le policier, lui, n’est jamais un gentleman et c’est presque toujours un mauvais détective, car il manque précisément de ce qui fait notre force à nous : la méthode.

La méthode ne s’apprend pas ; chacun secrée la sienne suivant ses aptitudes ou la disposition de sonesprit.

Le policier subalterne applique servilement,les procédés qu’il tient de son supérieur, celui-ci s’inclinelui-même devant les avis de son chef, lequel, à son tour, s’enrapporte au sien, et ainsi de suite en remontant la hiérarchiejusqu’au « lord-chief » de justice.

De sorte qu’il n’y a dans tout un royaumequ’une façon d’instruire officiellement toutes les affairescriminelles, quand, à chacune d’elles, devrait au contrairecorrespondre un tour de main particulier inspiré de l’analyse del’affaire elle-même.

Aussi les policiers officielsn’aboutissent-ils, en général, à rien et ont-ils recours à nous endésespoir de cause.

C’est ce qui arriva précisément pour le crimede Green-Park.

Je viens au fait.

Par une chaude après-midi de juillet, je metrouvais chez moi, dans ma maison de Broad-West, en compagnie dequelques intimes : Michaël Perkins, un ami de collège, GilbertCrawford le millionnaire, mon voisin de campagne, et la délicieuseMiss Edith.

Je n’ai pas à présenter cettedemoiselle : je ne suis pas romancier.

Ce qu’il y a plus d’intérêt à retenir, c’estque c’était un dimanche et que nous faisions à quatre une partie de« scouring ».

Ce point mérite qu’on s’y arrête parce qu’ilfixe pour moi le début de ce récit. C’est, si l’on veut, le petitcoup de pouce qui fait se déclencher automatiquement dans mamémoire méthodique une suite de tableautins, pareils à des épreuvescinématographiques et composant à eux seuls le drame visuel quej’ai classé dans ma troisième circonvolution frontale sous la fiche« Green-Park. »

Nous jouions donc au scouring etM. Crawford, le millionnaire, venait d’abattre le dix detrèfle quand, à ce moment même, mon vieux Jim frappa trois petitscoups à la porte du salon.

– Fie ! encorel’Alarm-Knock ! s’écria Michaël Perkins en jetantrageusement ses cartes sur la table, et cela juste à la minute oùle jeu devenait intéressant… c’est à croire que le diable a lescouring en aversion !

– Pas le diable, fis-je en me levant… maissans doute pis… Ramassez votre jeu, Perkins, je n’en ai peut-êtrepas pour bien longtemps.

Sur ces mots, je tirai ma montre qui est unbon chronomètre de fabrication anglaise et j’ajoutai :

– Notre ami Crawford vient d’abattre unecarte… cette carte est un trèfle… Retenez bien ceci, je vousprie : il faut dans toutes les actions de la vie se référer àdes procédés mnémotechniques ; or, trèfle signifie espérance…« Espérez-moi » donc, sans y compter trop. Ce trèfle estun dix… Attendez-moi dix minutes et si, ce temps écoulé,c’est-à-dire à trois heures quarante-cinq, je n’ai pas reparu,veuillez reprendre la partie sans votre serviteur.

Et ce disant, je pris congé de mes hôtes. Ilme sembla, lorsque je refermai la porte, entendre à mon endroitcertaine réflexion que d’autres jugeraient désobligeante… mais pasmoi… Une réputation d’originalité, même dans les chosesindifférentes en apparence, n’est point pour me déplaire.

Je passai dans mon cabinet.

Un homme m’y attendait, assis dans unfauteuil, et je reconnus aussitôt un de ces fonctionnaires dont jeparlais tout à l’heure, lesquels font un peu comme ces matrones devillage qui vont chercher le médecin lorsque leur inexpérience atout compromis.

– Ah ! c’est vous, Mac Pherson, fis-je enm’avançant vers le trouble-fête… qu’y a-t-il encore ?… uncrime ?…

– Peut-être, monsieur Dickson.

– Une mort, tout au moins ?

– Oui, monsieur Dickson.

– Mystérieuse ?

– Les uns le prétendent… les autres sont d’unavis tout opposé.

– L’affaire en deux mots ?

– Voici… vous avez sans doute entendu parlerde M. Ugo Chancer… vous savez, ce vieil original qui demeure àGreen-Park ?

– Parfaitement… et ce M. Chancer estmort ?

– Comment ! vous le savez déjà ?

– Mais c’est vous qui venez de me l’apprendre…Voyons, Mac Pherson, vous vous présentez chez moi pour m’entretenird’un décès suspect et vous commencez votre récit en me nommantM. Ugo Chancer… Le moins que je puisse faire est bien d’eninférer que ce M. Chancer est la victime… Continuez, je vousprie…

– En effet, M. Chancer a été trouvé mortce matin dans son cabinet de travail… Nous avions d’abord, lechief-inspector Bailey et moi, conclu à un décès naturel,lorsqu’une femme de chambre est venue faire une déposition qui atout embrouillé… Ketty – c’est le nom de cette fille – prétendavoir entendu vers minuit des cris d’appel partant du bureau de sonmaître… Elle affirme même avoir vu, à la lueur de la lune, un hommequi escaladait le mur du parc… Tout cela est bien étrange et jevous avouerai que, pour ma part, je n’en crois pas un mot…

– Et sur quoi vous fondez-vous, Mac Pherson,pour rejeter a priori les déclarations de cetteKetty ?

– Sur quoi ? Mais by God !sur mon expérience d’abord et ensuite sur mon enquête… Pour arriverjusqu’à M. Chancer, nous avons été obligés, Bailey et moi,d’enfoncer la porte de son cabinet qui était fermée en dedans parun solide verrou d’acier… une autre porte était égalementcadenassée… Quant aux fenêtre », elles étaient touteshermétiquement closes… Pour moi, voyez-vous, M. Chancer quiétait très gros et très rouge est mort d’une congestion. Cependant,comme le mot de crime a été prononcé et que les voisins du défuntréclament votre intervention, je suis venu, sur l’ordre de Bailey,vous demander si vous consentiriez à vous occuper de cetteaffaire.

Je fis un signe de tête affirmatif.

L’aventure m’intéressait.

Le bref exposé que je venais d’entendre avaitsuffi à me faire, une fois de plus, toucher du doigt l’impertinenteincapacité de la police.

J’appuyai sur un bouton électrique et mondomestique entra aussitôt en coup de vent.

– Jim, commandai-je, mon grand pardessusbeige.

– Par cette chaleurMr Dickson ?

– M’avez-vous compris, Jim ? Depuis quandfaut-il vous répéter un ordre ?

Jim s’éclipsa derrière la porte et reparutbientôt avec mon overcoat.

– En route ! dis-je à Mac Pherson.

Nous descendîmes et j’aperçus stationnantdevant la maison un hansom dans lequel se trouvait lechief-inspector Bailey.

Ce fonctionnaire avait craint sans doute decompromettre le bon renom de son administration en venant lui-mêmeimplorer le secours d’un amateur et il m’avait dépêché sonsecrétaire.

– Bonjour, monsieur Dickson, dit-il d’un airfroid.

– Bonjour, Bailey… eh bien ! il paraîtque vous avez besoin de moi ?

Le chief-inspector eut un imperceptiblehaussement d’épaules que l’on pouvait prendre en bonne ou enmauvaise part, mais je me contentai de sourire, habitué que j’étaisaux façons un peu libres de ce policier sans usages.

Au moment où j’allais franchir le seuil de laporte, je fus rejoint par M. Crawford.

Mon richissime voisin avait son chapeau sur latête et semblait un peu confus.

– Excusez-moi, dit-il, mais je viensd’apprendre que vous partez en expédition pour Green-Park.

– Tiens… vous êtes déjà au courant ?

– C’est de votre faute, mon cher Dickson, vousparlez un peu fort… et ma foi, sans le vouloir nous avons entendutoute votre conversation avec l’agent Mac Pherson. Voulez-vous mepermettre de vous accompagner ?

– Avec plaisir.

– J’ai beaucoup lu M. Conan Doyle et jene serais pas fâché de vous voir un peu à l’œuvre, mon cherDickson… une fantaisie, que voulez-vous ? Ainsi, c’estentendu, je suis des vôtres… Laissez-moi alors vous emmener dansmon auto… nous serons, de la sorte, rendus en quelques minutes àGreen-Park… Vous en auriez pour une heure avec ce hansom.

– J’accepte… fis-je en souriant… Miss Edith etPerkins en seront réduits à faire un piquet en tête à tête…

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