Lady Roxana

Lady Roxana

de Daniel Defoe
Notice sur Daniel Defoe

 

Il n’est pas rare, en littérature, qu’un livre immortalise un homme et tue l’œuvre entier de l’écrivain. L’abbé Prévôt est l’auteur de Manon Lescaut, Bernardin de Saint-Pierre l’auteur de Paul et Virginie, Goldsmith l’auteur du Vicaire de Wakefield, et Daniel Defoe l’auteur de Robinson Crusoe. On ne s’inquiète pas de savoir si ces chefs-d’œuvre populaires sont, comme la fleur de l’aloès, une éclosion magnifique, mais solitaire, ou s’ils sont préparés,amenés, soutenus et comme expliqués par une série d’autres ouvrages de moindre mérite, sans doute, mais d’un intérêt encore bien vif,puisqu’ils marquent les phases de l’évolution d’un grand esprit.Nul plus que Defoe n’a souffert de ce dédain superbe de la postérité. Nul plus que lui n’a des titres à entrer dans cette galerie des auteurs de chefs-d’œuvre et de curiosités littéraires qu’on ignore ou dont on ne se souvient pas.

Daniel Defoe naquit à Londres en 1663. Il eut pour père un boucher. Il reçut une solide instruction. Son père était un dissenter ou dissident ; c’est-à-dire un ennemi de l’Église anglicane officielle. L’instruction est souvent tenue en plus haute estime dans les sectes que dans l’Église dominante. Les raisons en seraient faciles à donner ; mais elles sont aussi faciles à comprendre, et les exposer nous entraînerait trop loin. Il serait également trop long de raconter comment Daniel Defoe, destiné d’abord au commerce de la bonneterie,jeta, si l’on veut me permettre cette application particulière d’une phrase leste et banale, ses bonnets par dessus les moulins,et, dès l’âge de 21 ans, s’annonça comme publiciste par un pamphletoù il prend parti pour la civilisation contre la barbarie, etmontre à ses contemporains que la haine du catholicisme ne doit pasleur faire souhaiter de voir l’Autriche engloutie sous l’inondationdes Turcs.

Il est dès lors lancé dans la politiquemilitante, à ses risques et périls ; et il ne s’y ménage pas.Complice du duc de Monmouth, et agent actif de la révolution de1688, auteur d’un poème où il prouve que le devoir d’unvéritable anglais est de reconnaître Guillaume d’Orange,conseiller du nouveau roi, agitateur parlementaire (Pétition dela Légion, 1701), il acquiert, sous la reine Anne, unenotoriété, qu’il paya cher, par la publication de son pamphlet,The shortest way with the Dissenters (« Le plus courtchemin pour en finir avec les Dissidents »), ironie sanglanteoù il propose la pendaison comme unique remède, et dont lesconformistes conçurent une rage d’autant plus grande qu’ils avaientpris d’abord Defoe pour un des leurs, et sa cruauté dérisoire pourun zèle de bon aloi. Leur déconvenue se traduisit par le pilori etla prison dont leur tolérance gratifia l’auteur.

Dans sa cellule de Newgate, celui-ci parvint,non seulement à écrire, mais à faire publier un journal politiqueet satirique, que toute la presse militante du monde entier peutfièrement revendiquer pour aïeul ; car, s’il y avait déjàquelques feuilles de nouvelles ou d’adresses, rien de pareiln’existait encore. Ce journal, The Review (« LaRevue »), dont le premier numéro parut le 19 février 1704, futd’abord bi-hebdomadaire. À partir de l’année suivante, il se publiatrois fois par semaine, et dura neuf ans. Il n’a jamais étéréimprimé. Ce serait pourtant une grande curiosité, car on n’enconnaît, paraît-il, qu’un exemplaire complet, jalousement gardédans une bibliothèque particulière.

Le reste de sa vie politique, quels qu’ensoient les revirements et les péripéties, ne doit pas nous arrêterici où nous avons à donner quelques notes bibliographiques et nonpas à faire une biographie. Nous n’avons pas davantage à prendreparti dans la controverse qui vient de s’élever sur la question desavoir si Defoe fut un héros ou un coquin. Tout en croyant, cettefois encore, que la vérité se tient entre les opinions extrêmes, ilnous suffira de rappeler qu’après avoir été de nouveau condamné àla prison et à l’amende (20,000 francs, il passa les quinzedernières années de sa vie occupé de travaux littéraires dont lenombre et la valeur ne l’empêchèrent pas de mourir dans la misère,à l’âge de soixante-dix ans (1731).

Peu d’écrivains furent aussi féconds. L’œuvrede Dumas, à laquelle tant de collaborateurs mirent la main, est àpeine comparable comme quantité à celle de Daniel Defoe, lequeln’eut jamais, que je sache, ni rédacteurs, ni préparateurs. Oncompte qu’il écrivit deux cent cinquante volumes et brochures,parmi lesquels, sans parler de Robinson Crusoe, plusieursromans de longue haleine, tels que : La vie, les aventureset les pirateries du capitaine Singleton ; la Vie du colonelJack ; les Mémoires d’un cavalier ; la Vie de MollFlanders ; la Vie et les aventures de Duncan Campbell,etc. Citons encore, dans des genres divers : l’Histoire duDiable, l’Histoire de la Grande Peste de Londres,morceau resté classique, le Nouveau voyage autour duMonde, etc., etc.

Les œuvres de Defoe n’ont jamais été réuniesen une collection complète. L’édition en 4 vol. in-8°, de Londres,1810, est bien insuffisante ; il en est de même de celle quel’on trouve à la Bohn’s Standard Library, en 7 volumes, laseule que le public puisse aujourd’hui facilement se procurer. Onen annonce heureusement une édition complète, moins les écritspériodiques, en vingt-deux volumes, chez MM. Bickers etfils.

Le roman dont nous offrons pour la premièrefois une traduction, exacte et complète, au public français, est,avec Moll Flanders, l’œuvre la plus remarquable de Defoe,romancier. Encore une fois, je laisse à part RobinsonCrusoe, livre unique, que tout le monde connaît, sans doute,mais qu’il me faudrait bien plus de pages que je n’en ai à madisposition pour faire connaître ici. On trouvera dans LadyRoxana toutes les qualités et les défauts de l’auteur :une négligence voulue, des longueurs, des répétitions d’idéesautant que d’expressions, une absence d’art, enfin, qui pourraitbien être, chez Defoe, le comble de l’art, car elle donne à sesrécits une intensité de vie et une vraisemblance tout à faitextraordinaires. Il est inutile de dire que notre traductionn’esquive rien, qu’elle est un calque aussi fidèle et aussi purqu’on a pu le faire, mais nullement un arrangement ni uneinterprétation.

« Les romans de Defoe, dit M. LéonBoucher, professeur de la Faculté des lettres de Besançon, toujourssous la forme autobiographique, ont un accent de sincérité qui leurdonne l’air de confessions, et la fiction chez lui n’est que letrompe-l’œil de la réalité. » Cette dernière métaphore, qu’ilfaut être professeur pour avoir le droit de se permettre, n’endonne pas moins l’impression assez exacte de la manière de l’auteurde Lady Roxana. En notre temps de réalisme et denaturalisme, le trait n’est pas fait pour déplaire. Et cependantpeut-être sera-t-on choqué en France, plus qu’on ne l’est dans lapatrie du shocking, de la liberté de langage, souventgrossière et touchant parfois à la brutalité, dont l’auteur usesans le moindre embarras. Mais la langue a pris, depuis leXVIIe siècle, en Angleterre comme en France, desdélicatesses outrées qui n’ont rien à voir avec la véritablemorale. C’est le privilège de nos auteurs classiques de se fairelire de tous, et, qui plus est, de se faire étudier dans lesclasses, avec leurs nudités ou leurs rudesses d’expressions, sansqu’ils éveillent de pensées déshonnêtes dans les esprits les plusraffinés comme les plus innocents. Sans parler des autres où lesexemples seraient trop faciles à prendre, qui reproche à Racined’avoir, dans une pièce religieuse destinée à être jouée par desjeunes filles rigidement élevées, introduit ce vers où il est ditde l’altière Vasthi qu’Assuérus

La chassa de son trône ainsi que de son lit ?

Qu’on ne s’effarouche donc pas trop si le litest souvent et naïvement mis en scène dans le livre de Defoe, dontje demande à donner ici le titre entier, avec sa prolixité amusanteet caractéristique de l’époque à laquelle il fut écrit :

« L’Heureuse Maîtresse ou Histoire de lavie et de la grande Diversité de Fortunes deMlle de Beleau, plus tard appelée comtesse deWintselsheim, en Allemagne ; qui est la personne connue sousle nom de Lady Roxana, au temps du Roi Charles II. » (Londres,1724.)

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