L’ami du village – Maître Guillaume

L’ami du village – Maître Guillaume

de Charles Deslys

Chapitre 1 COMMENT IL ARRIVA

Un voyageur, que le train venait de laisser à la station voisine, gravissait à pied la côte du sommet de laquelle on découvre tout à coup la vallée, le village.

Il n’avait guère plus de vingt ans. Il n’était ni grand ni petit, ni beau ni laid. Rien d’un héros de roman.

Mais sa physionomie plaisait par une expression de droiture, de franchise, de bonne humeur et de vraie jeunesse. Sur son front, largement découvert on devinait l’intelligence ; dans ses yeux vifs et doux, la tendresse et la volonté.

Bien que son costume fût des plus modestes, et toute sa personne à l’avenant, il semblait heureux de vivre et de cheminer ainsi, d’un pas leste et fier, au printemps de l’année, au printemps de la vie. Le grand air qui fouettait ses cheveux bruns,les parfums de la campagne, l’aspect de la libre nature, tout l’enchantait, l’enivrait.

Arrivé sur le plateau, il fit halte, et contempla l’immense horizon qui se déroulait devant lui.

Au fond de la vallée serpente une large rivière. Des peupliers, des saules s’alignent ou se groupent harmonieusement sur les îlots, sur les rives. Le village éparpille au bord de l’eau ses jardins et ses chaumières. À droite, ce sont de vastes prairies ; avril les avait émaillées de pâquerettes.À gauche, sur les coteaux, des cultures, des vignobles, des bouquets de bois. Vers les hauteurs, la lisière d’une grande forêt se perd dans les nues.

Toute cette perspective, verdoyante, fleurie,resplendissait et souriait, humide encore de rosée, sous lespremiers rayons du soleil.

« Un beau pays ! murmura l’arrivant,j’ai de la chance ! »

Et, plus lestement encore, il se remit enmarche.

Il traversa le pont, s’engagea dans la granderue du village.

Quelques femmes jacassaient autour dulavoir ; elles relevèrent la tête au bruit des pas du jeunevoyageur et le regardèrent avec une curiosité engageante. Un peuplus loin, le maréchal-ferrant arrêta le soufflet de sa forge ets’avança quelque peu comme pour lui souhaiter la bienvenue. Plusloin encore, un jeune garçon qui conduisait quelques vaches lesalua d’un grand coup de bonnet. L’étranger rendit le salut commeil avait rendu les sourires, mais cette fois encore il passa outre.Il était de ceux qui, bien qu’en pays inconnu, aiment à chercher età reconnaître par eux-mêmes le but où tend leur voyage.

Vers l’autre extrémité de la commune, unegrande masure enfoncée en terre parut fixer enfin sonattention.

À travers la fenêtre plus large que les autreset béante au ras du sol, on apercevait, dans l’intérieur, destables, des bancs, une chaire et, contre les murailles,quelques-uns de ces grands tableaux, cartes de géographie,d’alphabet, de calcul, comme on en rencontre dans les écolesprimaires.

« C’est ici ! » murmura lejeune homme avec une certaine émotion.

Dans la salle d’étude, pas un écolier…personne.

Devant la porte voisine, une voiture à brasétait arrêtée.

Deux hommes sortaient de la maison, portantune commode de bois blanc, qu’ils posèrent sur la petitecharrette.

Puis l’un d’eux, s’essuyant le front du reversde la main :

« Pauvre femme ! dit-il, je n’auraispas cru que ça la désolerait ainsi…

– Dame ! répondit l’autre, huit joursaprès la mort de son mari, quitter la maison que l’on habitaitdepuis trente ans…

– Avec ça qu’elle n’est pas riche, reprit soncompagnon. Cinquante écus de retraite, à ce qu’on dit… Et pas defamille !… pas d’enfants !… Elle reste toute seule… c’estbien triste ! »

Le jeune homme avait tout entendu. Il s’étaitapproché, il demanda :

« De quoi parlez-vous donc, mesamis ?

– Eh ! de la Simonne… de la veuve àdéfunt maître Simon, l’ancien instituteur. Le nouveau arriveaujourd’hui… Pour lui céder la place, il faut bien que la pauvrefemme déguerpisse.

– Attendez ! » fit le jeunehomme.

Et, sans s’expliquer davantage, il entra dansla maison.

La salle basse était encombrée par ledéménagement. Déjà les ustensiles de ménage, décrochés de lamuraille, remplissaient une grande manne d’osier. Sur le bahut,dont l’armoire était vide, on voyait les faïences descendues del’étagère. À terre, de la paille.

Du côté opposé à l’école, au-dessus dequelques marches, une porte était ouverte, celle de la chambre àcoucher, ou plutôt, comme on dit simplement, la chambre. Il s’enéchappait un bruit de sanglots.

L’inconnu, de plus en plus ému, s’avança sansbruit.

Une femme d’une cinquantaine d’années, vêtuede deuil, très-pâle et tout en pleurs, se tenait auprès de lafenêtre, sur l’appui de laquelle, dans une cassette, elle rangeaitquelques menus objets, ses plus chères reliques.

Il était facile de reconnaître en elle laveuve de l’instituteur.

Sous ses mains tremblantes, une photographieencadrée se rencontra, sans doute le portrait du défunt.

Elle y colla ses lèvres. Puis, s’adressant àl’image de celui qui n’était plus, elle lui dit :

« Nous aurions dû partir ensemble, monpauvre ami !… mon bon Simon !… La mort n’est cruelle queparce qu’elle sépare… Ah ! si c’était pour aller te rejoindreau cimetière, va, je ne me plaindrais pas de quitter cette maison…Notre maison où nous avons vécu si heureux… où je voudrais à montour mourir ! »

Et, serrant le portrait dans la cassette,avant de la refermer, elle se laissa tomber à genoux, la tête dansses deux mains, sanglotant et priant.

Elle ne voyait pas encore l’étranger.

Il l’avait examinée, lui. Sur le visage decette pauvre femme, dans toute sa personne, dans sa douleur même,on devinait l’honnêteté, la bonté.

Le jeune homme fit quelques pas, un peu debruit, et comme elle remarquait enfin sa présence :

« Madame, dit-il, excusez-moi… mais ilfaut suspendre tous ces préparatifs… Vous ne partirez pas.

– Comment ! fit-elle toute surprise, maisqui donc êtes-vous, Monsieur ?

– Je me nomme Guillaume, et je suis le nouveaumaître d’école. »

Elle se releva toute confuse, et tandisqu’elle essuyait avec précipitation ses larmes :

« Le successeur de mon mari !dit-elle, c’est moi qui vous demande pardon, Monsieur… Déjà lamaison devrait être libre… elle le sera dans un instant…

– Ne m’avez-vous donc pas entendu ?…reprit-il avec douceur. Je sais que ce départ vous afflige comme unexil, et que vous n’avez plus de parents, pas d’amis… Moi aussi, jesuis sans famille. Il me faut quelqu’un qui tienne ma maison… Sinous y restions tous les deux ?

– Ici !… balbutia-t-elle comme croyantrêver, mais c’est impossible…

– Oh ! fit-il, vous garderiez cettechambre… votre chambre. Il y a bien là-haut quelque mansarde…

– Oui… celle du fils que nous avons perdu… Ilaurait maintenant votre âge…

– Eh bien !… puisque je remplace le pèreauprès des enfants du village, auprès de vous je remplacerai lefils… Je n’ai plus de mère, madame Simon… Soyez mamère ! »

Il lui tendait les bras.

Et cela si simplement, avec une générosité sitouchante, si irrésistible, qu’elle se laissa tomber sur sapoitrine en murmurant :

« Ah !… Monsieur !… mon enfant…comment jamais reconnaître…

– En m’appelant votre enfant, répondit-il,ainsi que vous venez de le faire déjà. Songez donc, j’étais seul aumonde… Mais c’est moi, bonne mère, qui vous devrai de lareconnaissance et du dévouement !… »

Puis, essuyant ses yeux, car il pleuraitaussi, Guillaume reprit le ton d’enjouement qui lui étaitnaturel :

« Allons ! c’est convenu, c’estarrangé. Je vais envoyer les déménageurs quérir ma malle au cheminde fer. »

Effectivement, il repassa dans la salle, etleur dit :

« Madame Simon reste avec moi ;c’est moi qui suis le nouvel instituteur. Remettez ici tout enplace et partez avec votre charrette pour la gare ; voici monbulletin de bagages. »

Les deux paysans ne se le firent pas répéterdeux fois. Après avoir félicité le jeune maître d’école et lapauvre veuve de leur bienheureuse entente, ils prirent le chemin dela station, mais non sans colporter au passage cette grandenouvelle par toute la commune.

Déjà la Simonne s’inquiétait de ce que pouvaitsouhaiter Guillaume.

« Pour le moment, dit-il, une brosse, uneserviette et de l’eau fraîche afin de me mettre en état de rendremes visites officielles… à M. le curé, à M. lemaire. »

Et, d’un pas joyeux, il grimpa dans samansarde.

C’était une petite pièce très-proprette, d’oùl’on découvrait les prés, un coude de la rivière, et, plus loin,les bois : tout un charmant paysage.

« Vivat ! se dit Guillaume, je seraiici comme un roi ! »

Quelques minutes plus tard, il redescendit,alerte, frais et souriant.

« À ce soir, ma mère, dit-il à laSimonne.

Elle lui répondit :

« Dieu soit avec toi, mon enfant… tondébut dans ce pays doit te porter bonheur ! »

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