L’Arme invisible – Les Habits Noirs – Tome IV

L’Arme invisible – Les Habits Noirs – Tome IV

de Paul Féval (père)

Le cycle des Habits Noirs comprend huit volumes :

* Les Habits Noirs

* Cœur d’Acier

* La rue de Jérusalem

* L’arme invisible

* Maman Léo

* L’avaleur de sabres

* Les compagnons du trésor

* La bande Cadet

Avant-propos

Le présent récit est tout à fait indépendant des quatre séries qui ont été précédemment publiées : Les Habits Noirs, Cœur d’Acier, L’Avaleur de sabres, La Rue de Jérusalem, et il n’est aucunement nécessaire de connaître l’un ou l’autre de ces ouvrages pour suivre l’action de notre drame.Néanmoins, nous jugeons utile de présenter ici en quelques mots la physionomie vraie de la redoutable association, défigurée aux yeux du public par le hasard d’une de ces rencontres judiciaires qu’on appelle des causes célèbres.

La contrefaçon se glisse partout, même dans le sombre commerce qui brave le bagne et l’échafaud. Quelques vulgaires coquins vinrent un jour s’asseoir sur les bancs de la cour d’assises, où ils avouèrent, non sans un naïf orgueil, qu’ils étaient les Habits Noirs. C’était là une vanterie : s’ils eussent été les Habits Noirs, la cour d’assises ne les aurait pas jugés.

En effet, la base même de l’association Fera-t-il jour demain était la sécurité presque merveilleuse dont jouissaient tous ses membres, au moyen du mécanisme savant qui, pour eux, « payait la loi ».Pendant les trois quarts d’un siècle, la justice et la police firent le siège de cette étrange forteresse sans jamais pouvoir y entrer ; une muraille magique semblait la ceindre, etn’eussent été les quelques filous à la tête desquels unvaudevilliste sans ouvrage vint jouer au Palais la dernière scènede sa piteuse comédie, on pourrait affirmer qu’aucune trace decette raison sociale, si tristement légendaire : les HabitsNoirs, n’existe dans les différents greffes de l’Europe.

Et pourtant, il est bien avéré que laconfrérie promenait son quartier général tantôt à Paris, tantôt àLondres. Sous la monarchie de Juillet, les capitales allemandes,Vienne, Berlin, Dresde, Munich, lui fournirent d’abondantesrécoltes. Du temps de la Restauration, Naples, qui était sonberceau, l’avait vu refleurir avec le fameux Beldemonio, maître descompagnons du Silence. Vingt ans auparavant, en Angleterre, unmultiple et mystérieux personnage, Thomas Brown (Jean Diable),avait ressuscité la Great Family des voleurs de Londres endonnant aux gentilshommes de la Nuit le nom nouveau de BlackCoats (Habits Noirs).

Pourquoi tous ces bandits, commandant à denombreuses armées, étaient-ils restés invisibles etinsaisissables ? Pourquoi l’égide qui semblait les protéger enface de la loi couvrait-elle aussi leurs lieutenants et jusqu’àleurs soldats ? c’est que, retournant la loi contre elle-même,un coquin de génie avait inventé pour eux l’assurance en cas decrime.

Lorsque je révélai pour la première fois cetrès curieux mystère, on m’accusa de jouer avec le feu, mais jerépondis la vérité même : le procédé était connu de tous lesmalfaiteurs, il ne restait déjà plus que les honnêtes gens àinstruire.

Nos temps modernes n’édictent plus de loisfondamentales. Ce sont les Romains qui ont bâti ces largesmonuments dont les pierres, solidement cimentées, ont résisté àl’injure des siècles. Sauf de rares exceptions, nos législateurs selogent dans des maisons toutes bâties.

Les vieux Romains, courts et carrés commeleurs glaives, parlaient par axiomes, coulant dans le même bronzel’erreur avec la vérité. Ce sont eux qui ont inventé le prodigieuxapophtegme : « L’exception confirme la règle », àl’aide duquel Tartufe dialecticien pourrait mettre la logiqueuniverselle dans sa poche. Ils pensaient ne tuer que l’exception,mais c’est la règle même qu’ils assassinaient par ce hardimensonge. Dans leurs lois ils partent souvent ainsi de tel faitcontestable érigé par eux en solennelle évidence.

Ces considérations, abstraites en apparence,ne nous éloignent pas de notre sujet. L’association des HabitsNoirs était fondée sur un des plus célèbres parmi les dictons de lajurisprudence romaine, Non bis in idem, qu’il fautparaphraser ainsi pour le rendre intelligible : « Nepunissez pas deux hommes pour un seul crime. »

Ce fut peut-être dans le principe une barrièreopposée à la gourmandise proverbiale de dame Thémis, mais on peutdire que jamais règle ne se confirma par de plus lamentablesexceptions.

Elle a deux torts : elle suppose enpremier lieu l’infaillibilité du juge (encore une règle que desexceptions terribles, les erreurs judiciaires, viennent tropsouvent confirmer) ; ensuite elle compte sur la naïveté desbandits, ce qui dépasse les bornes de l’enfantillage. Le crime estprudent et instruit ; il va à l’école. Depuis que cettelégende écrite sur la porte qui mène au supplice a, pour lapremière fois, crié aux docteurs es scélératesse : « Faispasser un autre à ta place et tout sera dit », combiend’innocents, poussés par la force ou entraînés par la ruse, ont-ilsfranchi le seuil fatal !

Une fois le seuil franchi, la loi payée biffele crime au droit et à l’avoir de son grand livre. Alors, Thémis,sereine, ayant balancé ses écritures, dort appuyée sur le glaivequi jamais ne peut se tromper.

Jamais ! la loi l’a dit, et les têtescoupées ne parlent pas. Il y a telles exceptions plus connues quele loup blanc, ainsi Lesurques, par exemple, qui dorment ainsi côteà côte avec la loi et qui semblent destinées à confirmer la règlejusqu’à la consommation des siècles !

L’Italie fut toujours la terre classique dubrigandage. Vers la fin du siècle dernier, le fameux Fra Diavoloréunit sous sa carabine les Camorredeuxième et troisième,composées des bandes calabraises et siciliennes, auxquels sejoignirent les proscrits, réfugiés sur le versant de l’Apennin quidescend vers la Capitanate. La terreur publique leur fit bientôtune renommée à cause de leur costume. Les gouvernements de Napleset de Rome mirent à prix la tête de leur chef, ce qui n’empêchapoint le cardinal Ruffo de les enrôler militairement et de leslancer contre nos soldats en 1799.

Les Veste Nere combattirent etpillèrent autour de Naples de 1799 à 1806, époque où Michel Pozza(d’autres disent Pozzo ou Bozzo), surnommé Fra Diavolo, périt surl’échafaud.

Les livres disent cela, mais dans l’Italie duSud, on écrit autrement l’histoire. Dès le lendemain del’exécution, Fra Diavolo traversait les Abruzzes et gravissait lessentiers de la montagne.

Il semble certain que plusieurs chefs, soitimposture, soit simple droit de succession, portèrent ce nom de FraDiavolo. Le dernier quitta le pays de Naples avant la chute du roiMurât et acquit dans l’île de Corse, à beaux deniers comptants, undomaine considérable, possédé jadis par les moines de la Merci. Lesmille gorges qui sillonnent la montagne, d’Ascoli jusqu’à Cozenza,n’en devinrent pas beaucoup plus sûres, car les bandits, adonnés autromblon et à la guitare, croissent là-bas en pleine terre avec uneeffrayante abondance, mais les Veste Nere avaientdisparu.

En revanche, on commença à parler des HabitsNoirs en France et des Black Coats en Angleterre. Habit Noir commeBlack Coat est la traduction littérale de VestaNera.

Cédant arma togœ ! L’associationmettait un terme à ses folies de jeunesse. Après Romulus, qui neconnaît que l’épée, vient toujours un pacifique Numa, dont le rôleest de remplacer la violence stérile par d’intelligents etprofitables efforts. Parvenue à cette période de maturité, laconfrérie des Habits Noirs garda son but en changeant ses moyens.Le crime était toujours l’objet unique de son commerce, mais nonplus le crime brutal, accompli aux risques et périls du malfaiteur.Le Maître, ou, pour parler la langue technique des VesteNere, le Père-à-tous (il Padre di ogni), hommeimpassible et rusé, noble de naissance, ruiné dès longtemps par lejeu, mais ayant toujours gardé de grands dehors, avait précisémentce qu’il fallait pour organiser la terrible cité du brigandageinternational.

Les circonstances le favorisèrent ; larestauration des Bourbons mit l’Europe en trouble juste au début deson entreprise, et fit de Paris une foire cosmopolite où les romansles plus audacieux pouvaient se nouer impunément.

Ce fut pendant cet âge d’or de la fraude où lecomte Pontis de Sainte-Hélène, forçat évadé, commandait une légionde la garde nationale parisienne et passait la revue du roi dans lacour des Tuileries, que s’organisa aisément, au milieu du tohu-bohupolitique, ce qu’on pourrait appeler la commandite générale dumeurtre et du vol.

L’histoire de cet étrange comptoir n’a pointde pièces justificatives, parce que le principe même de saformation élevait une barrière entre lui et les tribunaux. C’estpresque toujours l’instruction criminelle qui rassemble ou qui créeles matériaux écrits dont l’ensemble donne un cachet historique auxprouesses des malfaiteurs, mais ici, néant. Les Habits Noirsn’eurent jamais de procès, grâce à cette ingénieuse et redoutablecombinaison qui, pour chacun de leurs méfaits, jetait un coupableen pâture à la loi.

Ils tuaient deux fois : ils tuaientPierre, par exemple, pour avoir sa bourse, et jetaient Paul entreles jambes de la justice qui courait après le voleur de la boursede Pierre. Cela faisait un coup de hache qui raturait un coup decouteau.

Cependant, si les documents officiels fontdéfaut, les preuves légendaires abondent, et toute personne assezmalheureuse pour avoir passé la cinquantaine se souvient despaniques qui firent trembler Paris sous les règnes de Charles X etde Louis-Philippe.

Paris traduit à sa façon toute parole dont ilignore la véritable étymologie. Ces deux mots réunis, les HabitsNoirs, après avoir tenté sa curiosité, prirent pour lui unesignification menaçante. L’habit noir est l’uniforme des gens dumonde ; Paris supposa que la bande fashionables’était tirée ainsi pour bien établir la différence qui la séparaitdu commun des coquins, dont la toilette est généralement peusoignée. Son imagination s’échauffa et il fabriqua lui-même le typed’une société mystérieuse recrutant ses affiliés dans les classesles plus élevées de l’ordre social.

Paris ne se trompait pas tout à fait. Il yavait dans le conseils des Habits Noirs plusieurs gentilshommesdéclassés, une vraie comtesse et un prétendant (Louis XVII) quiopérait des pêches miraculeuses dans le faubourg Saint-Germain.

En outre, le Maître était un hommeconsidérable dont l’influence allait haut et loin. Il dépensaitnoblement de larges revenus et le respect public entourait savieillesse.

Le siège de la société n’était à proprementparler nulle part, et suivait le scapulaire, signe de maîtrisechoisi par le Père-à-tous en souvenir des moines de la Merci.L’ancien couvent de ces derniers, situé dans l’île de Corse, aupays de Sartène, servait de place forte à l’association. Le Maîtrey avait fondé un hospice, et c’était là que les soldats blessés oucompromis de la ténébreuse armée trouvaient un asile.

Cette page préliminaire résume lesexplications contenues dans les quatre romans qui ont pour sujetcommun les Habits Noirs ; le reste appartient à notredrame.

Un mot encore : mon ami et confrère EmileGaboriau a rendu célèbre le nom d’un de nos personnages, M.Lecoq.

Je ne prétends pas du tout qu’il m’ait pris cenom, mais comme je ne veux point être accusé de le lui avoiremprunté moi-même, je constate ici que L’Affaire Lerouge,où Gaboriau parle pour la première fois de son M. Lecoq, a paruplus de deux ans après Les Habits Noirs, où monM. Lecoq remplissait déjà un rôle principal.

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