L’AVEUGLEMENT de José Saramago
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
TITRE ORIGINAL Ensaio sobre a Cegueira
Si tu peux regarder, vois.
Si tu peux voir, observe.
Livre des conseils
1
Le disque jaune s’illumina. Deux voitures devant accélérèrent avant que le feu rouge ne s’éclaire. La silhouette de l’homme vert apparut au passage clouté. Les passants qui attendaient commencèrent à traverser la rue en marchant sur les bandes blanches peintes sur la couche noire d’asphalte, il n’y a rien qui ressemble moins à un zèbre, pourtant on l’appelle passage zébré. Les automobilistes, impatients, le pied sur la pédale d’embrayage, maintenaient leur véhicule en état de tension, avançant, reculant, tels des chevaux nerveux qui sentent la cravache venir dans l’air. Les piétons étaient passés, mais le feu annonçant la voie libre pour les voitures se fera encore attendre pendant quelques secondes et d’aucuns affirment que ce retard, en apparence insignifiant, si on le multiplie par les milliers de feux de circulation qui existent dans la ville et, pour chacun, par les changements successifs des trois couleurs, est une des causes majeures d’engorgement de la circulation automobile ou, pour utiliser le terme courant, d’embouteillage.