Le Cottage Landor

Le Cottage Landor

d’ Edgar Allan Poe

Pendant un voyage à pied que je fis l’été dernier, à travers un ou deux des comtés riverains de New-York, je me trouvai, à la tombée du jour, passablement intrigué relativement à la route que je suivais. Le sol était singulièrement ondulé ; et, depuis une heure, le chemin, comme s’il voulait se maintenir à l’intérieur des vallées, décrivait des sinuosités si compliquées, qu’il m’était actuellement impossible de deviner dans quelle direction était situé le joli village de B…, où j’avais décidé de passer la nuit.Le soleil avait à peine brillé, strictement parlant, pendant la journée, qui pourtant avait été cruellement chaude. Un brouillard fumeux, ressemblant à celui de l’été indien, enveloppait toutes choses et ajoutait naturellement à mon incertitude. À vrai dire, je ne m’inquiétais pas beaucoup de la question. Si je ne tombais pas sur le village avant le coucher du soleil, ou même avant la nuit,il était plus que possible qu’une petite ferme hollandaise, ou quelque bâtiment du même genre, se montrerait bientôt à mes yeux,quoique, dans toute la contrée avoisinante, en raison peut-être de son caractère plus pittoresque que fertile, les habitations fussent, en somme, très clairsemées. À tout hasard, la nécessité de bivouaquer en plein air, avec mon sac pour oreiller et mon chien pour sentinelle, était un accident qui ne pouvait que m’amuser.Ayant confié mon fusil à Ponto, je continuai donc à errer tout à mon aise, jusqu’à ce que, enfin, comme je commençais à examiner si les nombreuses petites percées qui s’ouvraient çà et là étaient réellement des chemins, je fusse conduit par la plus invitante de toutes dans une incontestable route carrossable. Il n’y avait pas à s’y méprendre. Des traces de roues légères étaient évidentes ;et, quoique les hauts arbustes et les broussailles excessivement accrues se rejoignissent par le haut, il n’y avait en bas aucune espèce d’obstacle, même pour le passage d’un chariot des montagnesde la Virginie, le véhicule le plus orgueilleux de son espèce queje connaisse. Cependant, la route, sauf par ce fait qu’elletraversait le bois (si le mot bois n’est pas trop important pourpeindre un tel assemblage d’arbustes), et qu’elle gardait destraces évidentes de roues, ne ressemblait à aucune route quej’eusse connue jusqu’alors. Les traces dont je parle n’étaient quefaiblement visibles, ayant été imprimées sur une surface solide,mais doucement humectée et qui ressemblait particulièrement à duvelours vert de Gênes. C’était évidemment du gazon, mais du gazoncomme nous n’en voyons guère qu’en Angleterre, aussi court, aussiépais, aussi uni et aussi brillant de couleur. Pas un seulempêchement ne se laissait voir dans le sillon de la roue ;pas un fragment de bois, pas un brin de branche morte. Les pierresqui autrefois obstruaient la voie avaient été soigneusementplacées, non pas jetées, le long des deux côtés du chemin, demanière à en marquer le lit avec une sorte de précision négligéetout à fait pittoresque. Des bouquets de fleurs sauvagess’élançaient partout, dans les intervalles, avec exubérance.

Que conclure de tout cela, je n’en savais naturellement rien.Indubitablement, il y avait là de l’art ; ce n’était pas cequi me surprenait ; toutes les routes, dans le sens ordinaire,sont des ouvrages d’art ; et je ne peux pas dire non plusqu’il y eût beaucoup lieu de s’étonner de l’excès d’artmanifesté ; tout ce qui semblait avoir été fait ici pouvaitavoir été fait avec les ressources naturelles (comme disent leslivres qui traitent du jardin-paysage), avec très-peu de peine etde dépense. Non ; ce n’était pas la quantité, mais lecaractère de cet art, qui m’arrêta et me poussa à m’asseoir sur unede ces pierres fleuries, pour contempler en tous sens cette avenueféerique, pendant une demi-heure au moins, avec ravissement. Il yavait une chose qui, à mesure que je regardais, devenait de plus enplus évidente, c’est qu’un artiste, doué de l’œil le plus délicat àl’endroit de la forme, avait présidé à tous ces arrangements. Onavait pris le plus grand soin pour conserver un juste milieu entrel’élégance et la grâce, d’un côté, et, de l’autre, le pittoresque,entendu dans le vrai sens italien. On n’y voyait que peu de lignesdroites, et encore étaient-elles fréquemment interrompues. Engénéral, un même effet quelconque, de ligne ou de couleur, àquelque point de vue qu’on se plaçât, n’apparaissait pas plus dedeux fois de suite. Partout la variété dans l’uniformité. C’étaitune œuvre composée, dans laquelle le goût du critique le plusrigoureux aurait difficilement trouvé quelque chose àreprendre.

En entrant dans cette route, j’avais tourné à droite ;quand je me relevai, je continuai dans la même direction. Le cheminétait tellement sinueux, qu’en aucun moment je n’en pouvais devinerle parcours pour plus de deux ou trois pas en avant. Quant aucaractère, il ne subissait aucun changement matériel.

En ce moment, un murmure d’eau frappa doucement mon oreille, et,quelques secondes après, comme je tournais avec la route, un peuplus brusquement qu’auparavant, j’aperçus une espèce de bâtimentsitué au pied d’une pente très-douce, juste devant moi. Je nepouvais rien voir distinctement à cause du brouillard quiremplissait toute la petite vallée inférieure. Une légère brises’éleva cependant, comme le soleil allait descendre ; et,pendant que je restais debout sur le sommet de la pente, lebrouillard se fondit en ondulations et se mit à flotter au-dessusdu paysage.

Pendant que la scène se révélait à ma vue, graduellement, commeje la décris, – morceau par morceau, ici un arbre, là unmiroitement d’eau, et puis là un bout de cheminée, – je ne pouvaism’empêcher d’imaginer que le tout n’était qu’une de ces ingénieusesillusions exhibées quelquefois chez nous sous le nom de tableauxfondants.

Toutefois, pendant le temps que le brouillard avait mis àdisparaître, le soleil était descendu derrière les coteaux, et, delà, comme s’il avait fait un léger chassé vers le sud, il étaitrevenu se montrer en plein, brillant d’un éclat de pourpre, àtravers une brèche qui s’ouvrait dans la vallée de l’ouest. Ainsi,comme par une puissance magique, la vallée, avec tout ce qu’ellecontenait, se trouva brillamment illuminée.

Le premier coup d’œil, quand le soleil glissa dans la positionque j’ai indiquée, me causa une impression presque semblable àcelle que j’éprouvais quand, étant enfant, j’assistais à la scènefinale de quelque mélodrame ou de quelque spectacle théâtral biencombiné. Rien n’y manquait, pas même la monstruosité de lacouleur ; car la lumière du soleil jaillissait de l’ouverture,toute teintée de pourpre et d’orangé ; et le vert éclatant dugazon de la vallée était réfléchi, plus ou moins, sur tous lesobjets par ce rideau de vapeur, qui restait toujours suspendu dansles airs, comme s’il lui répugnait de s’éloigner d’un spectacle simiraculeusement beau.

Le petit vallon, dans lequel mon œil plongeait alors, de dessousce pavillon de brume, n’avait pas plus de quatre cents yards delong ; sa largeur variait de cinquante à cent cinquante,peut-être à deux cents. Il était plus étroit à son extrémité nordet s’élargissait en s’avançant vers le sud, mais sans beaucoup deprécision ni de régularité. La partie la plus large était à peuprès de quatre-vingts yards à l’extrémité sud. Les pentes quidélimitaient la vallée n’auraient pas pu être gratifiées du nom decollines, excepté du côté du nord. Là, un rebord escarpé de granits’élevait à une hauteur d’environ quatre-vingt-dix pieds ; et,comme je l’ai déjà fait observer, la vallée, en cet endroit,n’avait pas plus de cinquante pieds de large ; mais, à mesureque le visiteur descendait de ces rochers vers le sud, il trouvait,à sa droite et à sa gauche, des déclivités moins hautes, moinsabruptes, moins rocheuses. Tout, en un mot, allait s’abaissant ets’adoucissant vers le sud ; et cependant, tout le vallon étaitentouré d’une ceinture d’éminences plus ou moins hautes, exceptésur deux points. J’ai déjà mentionné l’un de ces points. Il setrouvait placé vers le nord-ouest, là où le soleil couchant, commeje l’ai expliqué, se frayait une voie dans l’amphithéâtre, par unebrusque tranchée ouverte dans le rempart de granit ; cettefissure pouvait avoir dix yards de large dans sa plus grandelargeur, aussi loin du moins que l’œil pouvait pénétrer. Ellesemblait monter comme une avenue naturelle vers les retraites desmontagnes et des forêts inexplorées. L’autre ouverture était situéedirectement à l’extrémité sud de la vallée. Là, les collinesn’étaient plus en général que de molles inclinaisons, s’étendant del’est à l’ouest sur un espace de cent cinquante yards environ. À lamoitié de cette étendue, il y avait une dépression qui descendaitjusqu’au niveau du sol de la vallée. En ce qui concernait lavégétation, aussi bien que dans tout le reste, le paysage allaits’abaissant et s’adoucissant vers le sud. Au nord, au-dessus duprécipice rocheux, à quelques pas du bord, s’élançaient lesmagnifiques troncs des nombreux hickories, des noyers, deschâtaigniers, entremêlés de quelques chênes ; et les grossesbranches latérales, projetées principalement par les noyers, sedéployaient par-dessus l’arête du rocher. En s’avançant vers lesud, l’explorateur rencontrait d’abord la même classed’arbres ; mais ceux-ci étaient de moins en moins élevés ets’éloignaient de plus en plus des types favoris de Salvator ;puis il apercevait l’orme, plus aimable, auquel succédaient lesassafras et le caroubier ; ensuite se montraient des espècesd’un caractère plus doux, le tilleul, le redbud, le catalpa et lesycomore, suivis à leur tour de variétés de plus en plus gracieuseset modestes. Toute la surface de la pente sud était simplementrecouverte d’arbustes sauvages, à l’exception, par-ci par-là, d’unsaule gris ou d’un peuplier blanc. Au fond de la vallée (car ondoit se rappeler que la végétation dont il a été question jusqu’àprésent ne recouvrait que les rochers ou les collines), onn’apercevait que trois arbres isolés. L’un était un orme de belletaille et d’une forme admirable ; il faisait sentinelle à laporte sud de la vallée. Le second était un hickory, beaucoup plusgros que l’orme, en somme un beaucoup plus bel arbre, quoique tousles deux fussent excessivement beaux. Il semblait avoir charge desurveiller l’entrée du nord-ouest. Il s’élançait d’un groupe deroches dans l’intérieur même de la ravine et projetait au loin soncorps gracieux dans la lumière de l’amphithéâtre, suivant un anglede quarante-cinq degrés environ. Mais, à trente yards, à peu près,à l’est de cet arbre, se dressait la gloire de la vallée, l’arbrele plus magnifique, sans aucun doute, que j’aie vu de ma vie,excepté peut-être parmi les cyprès de l’Itchiatuckanee. C’était untulipier à triple tronc, liriodendron tulipiferum, de l’ordre desmagnolias. Ses trois tiges se séparaient de la tige mère à troispieds environ du sol, et, divergeant lentement et graduellement,n’étaient pas espacées de plus de quatre pieds au point où la plusgrosse s’épanouissait en feuillage, c’est-à-dire à une élévationd’environ quatre-vingts pieds. La hauteur totale de la tigeprincipale était de cent vingt pieds. Il n’est rien qui puissedépasser en beauté la forme et la couleur verte, éclatante,luisante, des feuilles du tulipier. Dans le cas en question, cesfeuilles avaient bien huit bons pouces de large ; mais leurgloire elle-même était éclipsée par la splendeur fastueuse d’uneextravagante floraison. Figurez-vous, étroitement condensé, unmillion de tulipes, des plus vastes et des plusresplendissantes ! C’est, pour le lecteur, le seul moyen de sefaire une idée du tableau que je voudrais lui peindre. Ajouter lagrâce imposante des tiges, en forme de colonnes, nettes, pures,finement granulées, la plus grosse ayant quatre pieds de diamètre àvingt pieds du sol. Les innombrables fleurs, s’unissant à cellesd’autres arbres à peine moins beaux, quoique infiniment moinsmajestueux, remplissaient la vallée de parfums plus exquis que lesparfums d’Arabie.

Le sol général de l’amphithéâtre était revêtu d’un gazonsemblable à celui que j’avais trouvé sur la route ; plusdélicieusement doux peut-être, plus épais, plus velouté et plusmiraculeusement vert. Il était difficile de comprendre comment onavait pu atteindre un tel degré de beauté.

J’ai déjà parlé des deux ouvertures dans la vallée. De celleplacée au nord-ouest jaillissait un petit ruisseau qui descendaitle long de la ravine, avec un doux murmure et une légère écume,jusqu’à ce qu’il se brisât contre le groupe de roches d’oùs’élançait l’hickory isolé. Là, après avoir contourné l’arbre, ilinclinait un peu vers le nord-est, laissant le tulipier à vingt pasenviron vers le sud, et ne faisant plus de déviation sensible dansson cours, jusqu’à ce qu’il arrivât au point intermédiaire entreles frontières est et ouest de la vallée. À partir de ce point,après une série de courbes, il tournait court à angle droit, ettendait généralement vers le sud, serpentant à l’occasion, ettombant enfin dans un petit lac de forme irrégulière, quoiquegrossièrement ovale, qui miroitait à l’extrémité inférieure duvallon. Ce petit lac avait peut-être cent yards de diamètre dans saplus grande largeur. Aucun cristal n’aurait pu rivaliser en clartéavec ses eaux. Le fond, qu’on apercevait distinctement, consistaituniquement en cailloux d’une blancheur éclatante. Les bords,revêtus de ce gazon d’émeraude déjà décrit, arrondis en courbe,plutôt que coupés en talus, s’enfonçaient dans le ciel clair placéau-dessous ; et ce ciel était si clair et réfléchissaitparfois si nettement tous les objets qui le dominaient, qu’il étaitvraiment difficile de déterminer le point où la vraie rivefinissait et où commençait la rive réfléchie. Les truites etquelques autres variétés de poissons, dont cet étang semblait, pourainsi dire, foisonner, avaient l’aspect exact de véritablespoissons volants. Il était presque impossible de se figurer qu’ilsne fussent pas suspendus dans les airs. Une légère pirogue debouleau, qui reposait tranquillement sur l’eau, y réfléchissait sesplus petites fibres avec une fidélité que n’aurait pas surpassée lemiroir le plus parfaitement poli. Une petite île, aimable etsouriante, avec ses fleurs en plein épanouissement, – tout justeassez grande pour contenir une petite construction pittoresque,ressemblant à une cabane destinée aux oiseaux, – s’élevaitau-dessus du lac, non loin de la rive nord, à laquelle elles’unissait par un pont qui, bien que d’une nature très-primitive,avait l’air incroyablement léger. Il était formé d’une seuleplanche de tulipier, large et épaisse. Celle-ci avait quarantepieds de long, et enjambait tout l’espace d’une rive à l’autre,appuyée sur une seule arche, très-mince mais très-visible, destinéeà prévenir toute oscillation. De l’extrémité sud du lac s’épanchaitune continuation du ruisseau, qui, après avoir serpenté pendanttrente yards à peu près, passait décidément à travers cettedépression, déjà décrite, placée au milieu des collines du sud, et,tombant brusquement au bas d’un précipice d’une centaine de pieds,se frayait un cours vagabond et inaperçu vers l’Hudson.

Le lac avait, en quelques points, une profondeur de trentepieds ; mais la profondeur du ruisseau dépassait rarementtrois pieds, et sa plus grande largeur était de huit environ. Lefond et les bords étaient semblables à ceux de l’étang ; s’ily avait quelque défaut à leur reprocher au point de vue dupittoresque, c’était leur excessive propreté.

L’étendue du gazon était relevée, çà et là, de quelque brillantarbuste, tel que l’hortensia, la boule-de-neige commune, ou leseringat aromatique ; ou, plus fréquemment encore, d’un groupede géraniums, d’espèces variées, magnifiquement fleuris. Cesderniers croissaient dans des pots soigneusement enfouis dans lesol, de manière à leur donner l’apparence de plantes indigènes. Enoutre, le velours de la pelouse était délicieusement tacheté d’unefoule de moutons qui erraient dans la vallée, en compagnie de troisdaims apprivoisés et d’un grand nombre de canards d’un plumagebrillant. Un très-gros dogue semblait avoir commission de veillerattentivement sur tous ces animaux, sans exception.

Le long des collines de l’est et de l’ouest, vers la partiesupérieure de l’amphithéâtre, là où les limites de la valléeétaient plus ou moins escarpées, le lierre croissait à profusion,de sorte que l’œil pouvait à peine entrevoir çà et là un morceau dela roche nue. De même, le précipice du nord était presqueentièrement revêtu de vignes d’une remarquable richesse,quelques-uns des plants jaillissant du sol ou de la base du rocher,et d’autres suspendus aux saillies de la paroi.

La légère élévation, qui formait la frontière inférieure de cepetit domaine, était couronnée par un mur de pierre uni, d’unehauteur suffisante pour empêcher les daims de s’évader. Aucuneespèce de barrière ne se faisait voir ailleurs ; car nullepart, excepté là, il n’était besoin d’une clôtureartificielle ; si quelque mouton, par exemple, s’écartant,avait tenté de sortir de la vallée par la ravine, il aurait trouvé,au bout de quelques yards, sa marche arrêtée par la saillieescarpée du roc, d’où tombait la cascade qui avait attiré toutd’abord mon attention quand je m’étais approché du domaine. Bref,il n’y avait d’autre entrée ni d’autre issue qu’une grille,occupant une passe rocheuse sur la route, à quelques pas au-dessousdu point où je m’étais arrêté pour reconnaître le paysage.

J’ai dit que le ruisseau serpentait très-irrégulièrement danstout son parcours. Ses deux directions principales, comme je l’aifait observer, étaient, d’abord de l’ouest à l’est et ensuite dunord au sud. À l’endroit du coude, il fuyait en arrière etdécrivait une sorte de bride, presque circulaire, de manière àformer une presqu’île, imitant une île autant qu’il est possible,et enfermant environ le seizième d’une acre de terre. C’était surcette presqu’île que s’élevait la maison d’habitation – et, endisant que cette maison, comme la terrasse infernale aperçue parVathek[1], était d’une architecture inconnue dansles annales de la terre, je veux faire entendre simplement que sonensemble me frappa par le sentiment le plus fin de poésie combinéavec celui d’appropriation, – en un seul mot, de poésie, – (car ilme serait difficile d’employer d’autres termes pour donner unedéfinition abstraite, plus rigoureuse, de la poésie), et je ne veuxpas dire qu’en aucun point cette construction se distinguât par unpur caractère d’outrance. En réalité, rien de plus simple, rien demoins prétentieux que ce cottage. Son merveilleux effet consistaituniquement dans son arrangement artistique, analogue à celui d’untableau. J’aurais pu m’imaginer, pendant que je l’examinais, quequelque paysagiste de premier ordre l’avait bâti avec sa brosse. Lepoint de vue d’où j’avais d’abord contemplé la vallée n’était pasabsolument, quoiqu’il s’en rapprochât beaucoup, le meilleur pointde vue pour juger la maison. Je la décrirai donc telle que je lavis plus tard, en prenant position sur le mur de pierre àl’extrémité méridionale de l’amphithéâtre. Le bâtiment principalavait environ vingt-quatre pieds de long et seize de large, – pasdavantage à coup sûr. Sa hauteur totale, depuis le sol jusqu’ausommet du toit, n’excédait pas dix-huit pieds. À l’extrémité ouestde cette construction une autre se rattachait, plus petite d’untiers environ, dans toutes ses proportions ; – sa façadefaisant un retrait de deux yards à peu près en arrière de la façadedu corps principal, et le toit se trouvant naturellement placébeaucoup plus bas que le toit voisin. Faisant angle droit avec cesbâtiments, et, en arrière du principal, mais non exactement aumilieu, s’élevait un troisième compartiment, très-petit, et, engénéral, d’un tiers moins grand que l’aile de l’ouest. Les toitsdes deux plus grands étaient très-escarpés, décrivant à partir dela ligne de faîtage, une longue courbe concave, et dépassant dequatre pieds au moins les murs de la façade, de manière à fairetoiture pour deux portiques. Ces derniers toits, naturellement,n’avaient aucun besoin de supports ; mais, comme ils avaientl’air d’en avoir besoin, des piliers fort légers et parfaitementpolis y avaient été adaptés, seulement dans les coins. La toiturede l’aile du nord était simplement la prolongation d’une partie dela toiture principale. Entre le plus grand bâtiment et l’aile del’ouest s’élevait une très-haute et très-svelte cheminée carrée,faite de briques hollandaises durcies, alternativement noires etrouges, et couronnée d’une légère corniche de brique faisantsaillie. Au-dessus des pignons, les toits se projetaient aussitrès-en dehors ; dans le bâtiment principal, cette saillieétait environ de quatre pieds vers l’est et de deux pieds versl’ouest. La porte principale n’était pas symétriquement placée dansle corps principal de logis, car elle était un peu à l’est, et lesdeux fenêtres à l’ouest. Ces dernières ne descendaient pas jusqu’ausol, mais étaient plus longues et plus étroites que decoutume ; elles avaient un volet simple, semblable à uneporte, et des carreaux en forme de losanges très-allongés ; laporte était vitrée dans sa partie supérieure, faite aussi decarreaux losangés, avec un volet mobile qui la protégeait pendantla nuit. L’aile de l’ouest avait sa porte placée sous le pignon, etune unique fenêtre regardant le sud. L’aile du nord n’avait pas deporte extérieure, et une fenêtre unique, là aussi, s’ouvrait surl’est. Le mur soutenant le pignon oriental était flanqué d’unescalier qui le traversait en diagonale, la montée regardant lesud. Sous l’abri formé par le rebord très-avancé du toit, cesdegrés aboutissaient à une porte qui conduisait aux mansardes, ouplutôt au grenier ; car cette partie n’était éclairée que parune seule fenêtre donnant sur le nord, et semblait avoir étédestinée à servir de magasin. Les piazzas du corps principal et del’aile de l’ouest n’étaient pas planchéiées selon l’usage, mais,devant les portes et les fenêtres, de larges dalles de granit,plates et irrégulières de forme, étaient enchâssées dans lemerveilleux gazon, et fournissaient en toute saison un confortablechemin pour les pieds. De commodes trottoirs, faits de mêmematière, non pas rigoureusement ajustés, mais laissant entre lespierres de fréquents intervalles par où jaillissait le velours dutapis naturel, conduisaient, soit de la maison vers une source decristal, à cinq pas environ plus loin, soit vers la route, soitvers un ou deux pavillons situés au nord, au delà du ruisseau, etcomplètement cachés par quelques caroubiers et catalpas. À six pastout au plus de la porte principale se dressait le tronc mort d’unfantastique poirier, si bien habillé, de la tête aux pieds, demagnifiques fleurs de bignonia, qu’il était difficile de devinerquel singulier et charmant objet ce pouvait être. Aux divers brasde cet arbre étaient suspendues des cages pour des oiseaux divers.Dans l’une, vaste cylindre d’osier avec un anneau au sommet,s’ébattait un oiseau moqueur ; dans une autre, unloriot ; dans une troisième, l’impudent passereau desrizières ; et trois ou quatre prisons plus élégantesretentissaient du chant des canaris. Les piliers de la piazzaétaient enguirlandés de jasmin et de chèvrefeuille, et de l’angleformé par le corps principal de logis et l’aile de l’ouests’élançait une vigne d’une richesse sans exemple. Défiant toutecontrainte, elle avait d’abord grimpé jusqu’au toit inférieur, puiss’était élancée sur le supérieur, et, là, rampant et secontorsionnant le long du faîtage, elle jetait ses vrilles à droiteet à gauche, jusqu’à ce qu’elle atteignît le pignon de l’est, d’oùelle se laissait retomber et traînait sur l’escalier. Toute lamaison, ainsi que les ailes, était construite en bardeaux, à lavieille mode hollandaise, larges et non arrondis par les coins. Cemode a cela de particulier qu’il fait paraître les maisons ainsibâties plus larges de la base que du sommet, à la manière desarchitectures égyptiennes ; et, dans le cas actuel, cet effetexcessivement pittoresque était augmenté par de nombreux pots defleurs magnifiques qui circonscrivaient presque entièrement la basedes bâtiments. Les bardeaux étaient peints en gris sombre ; ettout artiste comprendra toute de suite combien cette teinte neutrese fondait heureusement dans le vert éclatant des feuilles detulipier qui ombrageaient en partie le cottage. C’était en seplaçant près du mur de pierre dont j’ai déjà parlé qu’on trouvaitla position la plus favorable pour examiner les bâtiments ; –car, l’angle du sud-est se projetant en avant, l’œil pouvait à lafois embrasser la totalité des deux façades, avec le pittoresquepignon de l’est, et prendre un aperçu suffisant de l’aile du nord,ainsi que d’une partie de la jolie toiture de la serre, et presquede la moitié d’un léger pont qui enjambait le ruisseau tout prèsdes bâtiments principaux. Je ne restai pas très-longtemps sur lesommet de la colline, mais assez toutefois pour étudiercomplètement le paysage placé sous mes pieds. Il était évident queje m’étais écarté de la route du village, et j’avais ainsi uneexcellente excuse de voyageur pour ouvrir la porte et pour demandermon chemin, à tout hasard ; ainsi, sans plus de cérémonies,j’avançai. La porte passée, la route semblait se continuer sur unrebord naturel qui descendait en pente douce le long de la paroides rochers du nord-est. Elle me conduisit au pied du précipice dunord, de là sur le pont, et, en contournant le pignon de l’est, àla porte de la façade. Chemin faisant, j’observai qu’il étaitimpossible d’apercevoir les pavillons. Comme je tournais au coin dupignon, le dogue bondit vers moi menaçant et silencieux, avec l’œilet la physionomie d’un tigre. Je lui tendis cependant la main, entémoignage d’amitié, et je n’ai jamais connu de chien qui fût àl’épreuve de cet appel fait à sa courtoisie. Celui-ci,non-seulement ferma sa gueule et remua sa queue, mais m’offritpositivement sa patte, et même étendit ses civilités jusqu’à Ponto.Comme je n’apercevais pas de cloche, je frappai avec ma cannecontre la porte, qui était à moitié ouverte. Immédiatement, unepersonne s’avança vers le seuil ; – une jeune femme devingt-huit ans environ, – élancée ou plutôt légère, et d’une tailleun peu au-dessous de la moyenne. Comme elle s’approchait, avec unedémarche à la fois modeste et décidée, absolument indescriptible,je me dis en moi-même : « J’ai sûrement trouvé ici la perfection dela grâce naturelle, en antithèse avec l’artificielle. » La secondeimpression qu’elle produisit sur moi, et qui fut de beaucoup laplus vive des deux, fut une impression d’enthousiasme. Jamaisexpression d’un romanesque aussi intense, oserai-je dire, ou d’uneétrangeté si extra-mondaine, telle que celle qui s’échappait de sesyeux profondément enchâssés, n’avait jusqu’alors pénétré le fond demon cœur. Je ne sais comment cela se fait, mais cette expressionparticulière de l’œil, qui quelquefois même s’inscrit jusque dansles lèvres, est le charme le plus puissant, sinon l’unique, quienchaîne mon attention à une femme. Romanesque ! pourvu quemes lecteurs comprennent pleinement tout ce que je voudraisenfermer dans ce mot ! romanesque et féminin me paraissentdeux termes réciproquement convertibles ; et, après tout, ceque l’homme aime vraiment dans la femme, c’est sa féminéité. Lesyeux d’Annie (j’entendis quelqu’un qui, de l’intérieur, appelait sa« chère Annie ») étaient d’un gris céleste ; sa chevelure,d’un blond châtain ; ce fut tout ce que j’eus le tempsd’observer en elle. Sur sa très-courtoise invitation, j’entrai, etje passai d’abord dans un vestibule suffisamment spacieux. Étantvenu surtout pour observer, je notai qu’à ma droite, en entrant, ily avait une fenêtre, semblable à celles de la façade ; à magauche, une porte conduisant dans la pièce principale ;pendant qu’en face de moi une porte ouverte me permit de voir unepetite chambre, de la même dimension que le vestibule, arrangée enmanière de cabinet de travail, et ayant une large fenêtre cintréeregardant le nord. Je passai dans le parloir, et je m’y trouvaiavec M. Landor, – car tel était le nom du maître du lieu, comme jel’appris plus tard. Il avait des manières polies et mêmecordiales ; mais, en ce moment, mon attention était beaucoupplus occupée des arrangements de la maison qui m’avait tantintéressé que de la physionomie personnelle du propriétaire. L’ailedu nord, je le vis alors, était une chambre à coucher, dont laporte ouvrait sur le parloir. À l’ouest de cette porte était unefenêtre simple, regardant le ruisseau. À l’extrémité ouest duparloir, il y avait une cheminée, puis une porte conduisant dansl’aile de l’ouest, – qui probablement servait de cuisine. Il estimpossible d’imaginer quelque chose de plus rigoureusement simpleque l’ameublement du parloir. Le parquet était recouvert d’un tapisde laine teinte d’un excellent tissu, à fond blanc avec un semis depetits dessins verts circulaires. Les rideaux des fenêtres étaienten mousseline de jaconas d’une blancheur de neige, passablementamples, et descendant en plis fins, parallèles, d’une symétrierigoureuse, juste au ras du tapis. Les murs étaient revêtus d’unpapier français d’une grande finesse, à fond argenté, avec unecordelette d’un vert pâle courant en zigzag. Toute la tenture étaitsimplement relevée par trois exquises lithographies de Julien, auxtrois crayons, suspendues aux murs, mais sans cadres. L’un de cesdessins représentait un tableau de richesse ou plutôt de voluptéorientale ; un autre, une scène de carnaval, d’une verveincomparable ; le troisième était une tête de femmegrecque ; jamais visage si divinement beau, jamais expressiond’un vague si provocant n’avaient jusqu’alors arrêté mon attention.La partie solide de l’ameublement consistait en une table ronde,quelques sièges (parmi lesquels un fauteuil à bascule) et un sofaou plutôt un canapé, dont le bois était de l’érable uni, peint enblanc crémeux, avec de légers filets verts et le fond en cannetressée. Sièges et tables étaient assortis pour allerensemble ; mais les formes avaient été évidemment inventéespar le même esprit qui avait tracé le plan des jardins ; ilétait impossible de concevoir quelque chose de plus gracieux. Surla table traînaient quelques livres ; un flacon de cristal,vaste et carré, contenant quelque parfum nouveau ; une simplelampe astrale, de verre poli (non pas une lampe solaire), avec unabat-jour à l’italienne, et un large vase plein de fleurssplendidement épanouies. En somme, les fleurs, de couleursmagnifiques et d’un parfum délicat, formaient la seule vraiedécoration de la chambre. Le foyer de la cheminée était presqueentièrement rempli par un pot de brillants géraniums. Sur une tabletriangulaire, placée dans chaque coin de la pièce, était posé unvase semblable, ne se distinguant des autres que par son gracieuxcontenu. Un ou deux bouquets semblables ornaient le manteau de lacheminée, et des violettes récemment cueillies étaient groupées surle rebord des fenêtres ouvertes. Je m’arrête, ce travail n’ayantpas d’autre but que de donner une peinture détaillée de larésidence de M. Landor, telle que je l’ai trouvée.

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