Le doigt du Destin

Chapitre 16La Rançon.

Si l’homme qui avait interrompu le travail dupeintre n’offrait pas le type classique du bandit de théâtre, il enétait un autre qui le représentait avec une parfaite exactitude. Ilse tenait un peu en avant de ses compagnons ; sa physionomie,ses allures, ses gestes, tout en lui indiquait une autorité noncontestée. Il n’y avait pas à s’y méprendre, c’était le chef.

Ses vêtements, à peu près semblables, pour lacoupe et la façon, à ceux de ses séides, en différaient par labeauté de l’étoffe ; la peluche était remplacée par le plusbeau velours de soie. Ses armes étincelaient de pierres précieuseset une boucle en diamants retenait la plume de son chapeaucalabrais. Véritablement Romain par le galbe de son visage, ilavait le nez hardiment aquilin, le menton carré et proéminent, etcette large mâchoire ovale, signe infaillible de détermination.

Il aurait paru beau, sans l’expression deférocité presque bestiale qui brillait dans ses yeux noirs comme ducharbon, et qui déparait l’ensemble de sa physionomie.

Il y eut quelques instants de silence. Lepremier brigand s’était perdu dans les rangs de ses compagnons quiattendaient, immobiles, que le chef prit la parole ou entamâtl’action.

Ce dernier tenait ses yeux fixés sur le jeunepeintre et le parcourait insolemment des pieds à la tête. Cetexamen ne sembla le satisfaire que médiocrement. Il ne pouvait, eneffet, exister un bien riche butin dans les poches de ces vêtementsusés jusqu’à la corde, et ce fut avec une assez laide grimace etd’un ton méprisant qu’il laissa tomber de ses lèvres lemot :

– Artista ?

– Si signore, répondit allègrement lepeintre. À votre service. Désirez-vous votre portrait ?

– Mon portrait ! Diavolo ! Jeme moque de vos crayons et de vos couleurs, signor peintre. J’eussemieux aimé mettre la main sur un colporteur muni d’une malle biengarnie. Voilà ce qu’il nous faut, à nous autres, et non desbarbouillages. Vous êtes de la ville ? Comment êtes-vous venujusqu’ici ?

– Sur mes jambes, répliqua le jeuneAnglais, pensant que dans sa situation il ne risquait rien, aucontraire, à exagérer son intrépidité naturelle.

– Cospetto ! Je le crois sans peine,à voir vos chaussures écalées. Mais assez de bavardages !Qu’avez-vous dans vos poches ? Un ou deux écus, je suppose.Vous n’êtes pas assez pauvre pour ne pas même posséder cettemisérable somme. Combien, signor ?

– Trois écus.

– Donnez-les.

– Volontiers. – Les voici.

Le brigand prit les pièces d’argent avecautant de nonchalance que s’il les avait reçues en payement d’unservice rendu.

– Est-ce tout ? demanda-t-il enlançant à l’artiste un autre coup d’œil scrutateur.

– Tout ce que j’ai sur moi.

– Mais à la ville ?

– Un peu plus.

– Combien ?

– Environ quatre-vingts écus.

– Corpo di Bacco ! C’est une sommeronde ! Où est-elle déposée ?

– À mon logis.

– Votre hôte peut la prendre ?

Oui, en brisant ma valise.

– Bien. Écrivez-lui pour lui ordonner deforcer votre malle et de vous envoyer l’argent. Du papier,Giovanni ! Ton encrier, Giacomo. Allons, signor artista,écrivez.

Comprenant linutilité de touterésistance, le peintre obéit.

– Attendez ! s’écria le brigand enlui posant la main sur le bras. Vous devez avoir autre chose que del’argent. Vous autres, Ingleses,vous trimbalez sur lesroutes toutes sortes de choses. Comprenez-les dans la lettre.

– Tout cela ne vous enrichira guère. Unautre habillement complet à peine meilleur que celui que vous mevoyez sur le dos. Une quarantaine d’études non terminées, quin’auraient aucun prix pour vous, quand même elles auraient reçu ledernier coup de pinceau.

– Ha ! Ha ! Ha ! dit lebrigand en se laissant aller à un accès d’hilarité que partagèrentses compagnons. De quelle pénétration vous êtes doué ! Quevous comprenez bien nos goûts ! Gardez vos tableaux, signorartista, et aussi vos vieux habits. Nous n’en saurions que faire.Mentionnez seulement les écus.

Le peintre reprit la plume.

– Attendez encore ! s’écria le chef.Vous avez des amis à la ville. Quelle faute de n’y passonger ! Ils seront charmés de contribuer au payement de votrerançon.

– Je ne possède pas un ami à Rome ;au moins pas un qui consentit à payer cinq écus pour me tirer devos griffes. – Bah ! vous plaisantez, signor.

– Je vous dis l’exacte vérité.

– S’il en est ainsi ! dit lebrigand… Nous le verrons bien ! ajouta-t-il après une secondede réflexion. – Écoutez, signor peintre, si ce que vous dites estvrai, vous pourrez coucher ce soir chez vous. Sinon, vous passerezla nuit dans la montagne, et peut-être sans vos oreilles. Vouscomprenez ?

– Trop bien, malheureusement.

– Buono ! Buono ! Encore un motd’avertissement. Faites bien attention à ce que vous allez écrire.Le messager qui portera votre lettre s’informera de tout ce quivous concerne, même de la qualité de vos vêtements et de vosesquisses. Si vous avez des amis, il les trouvera, sinon, il lesaura. Et, par la Vierge ! si j’apprends que vous vous êtesjoué de nous, gare à vos oreilles, signor !

– Ainsi soit-il. J’accepte vosconditions.

– C’est bien ! Écrivez !

La lettre, écrite, pliée, cachetée avec unmorceau de poix et adressée au patron de l’hôtel où le jeuneAnglais avait établi son atelier, fut confiée à un membre del’estimable corporation. Ce dernier, qui portait le costume depaysan de la Campagna, s’empressa de prendre le chemin de la Villeéternelle.

Après avoir abattu le chevalet temporairedressé par notre artiste et lancé dans le torrent l’étude qu’ilavait commencé à esquisser, les brigands commencèrent à escaladerla montagne, accompagnés de leur prisonnier. Les idées de Henryn’étaient rien moins que riantes et il envisageait avec unecertaine mélancolie l’hospitalité qui pouvait lui êtreréservée.

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