Le doigt du Destin

Chapitre 19En marche.

Dès le point du jour, les brigands se mirenten marche. Le village où ils avaient passé la nuit, n’était pas unde leurs lieux de refuge. Ils y passaient, à l’occasion, un jour oudeux pour se reposer ou se réjouir ; mais un séjour prolongéaurait pu les exposer à une surprise de la part des troupespontificales, quand celles-ci se trouvaient, par hasard, surl’alerte, ce qui n’avait lieu qu’à la suite de quelque crimeinsolite et exigeant une répression exemplaire.

C’était précisément le cas en ce moment. Lemessager chargé de vider la malle du pauvre artiste en avaitapporté nouvelle. Aussi les bandits s’étaient-ils empressés dedécamper.

Les villageois, en s’éveillant, purent seféliciter mutuellement d’être débarrassés de leurs dangereux hôtes.Quelques-uns cependant se chagrinaient de ce départimpromptu : les débitants de liqueurs, par exemple, qui netrouvaient pas que l’or volé eût une mauvaise odeur.

Les bandits s’enfonçaient dans lamontagne.

Ils n’avaient pas de prisonniers, mais setrouvaient suffisamment chargés de butin, argenterie, vaisselleplate, bijoux, et autres effets personnels enlevés dans la villad’un noble Romain et qu’ils portaient à leur tanière. C’était, parle fait, le bruit de cette razzia qui avait mis sur pied lesdragons du pape.

Le repaire des brigands se trouvait dans unepartie très-retirée du pays, à en juger par les chemins suivis poury parvenir. Tantôt c’était une grossière chaussée traversant lamontagne ; tantôt un simple scorzo, ou sentier tracépar les bestiaux, déployant ses méandres sur les pentes ou le longd’un ruisseau.

Bien avant la fin du voyage, le captif avaitles pieds tout meurtris. Sa chaussure, déjà si usée, avait étédétruite par les cailloux de la route, et l’épuisement résultant desa longue marche de la veille, suivie d’une nuit presque sanssommeil, l’avait mal préparé pour une si dure étape.

Ses mains, attachées derrière son dos, ne luipermettaient pas d’établir fermement son équilibre ; aussi samarche était d’autant plus difficile et plus pénible que sonabattement moral affectait davantage sa vigueur physique.

Cette mélancolie avait bien sa raison d’être.La rigoureuse surveillance à laquelle il était soumis depuis lecommencement du voyage lui prouvait que la liberté ne lui seraitpas facilement octroyée. Déjà les brigands s’étaient renduscoupables d’un manque de foi ; ne possédaient-ils pas la sommefixée par eux-mêmes pour sa rançon ?

Une seule fois, il avait trouvé l’occasiond’interpeller le chef. C’était précisément au moment où la bandeallait quitter le village. Il lui rappela sa promesse.

– Vous m’en avez relevé, répliqua lebandit avec une sauvage imprécation.

– Et comment ? demanda nativement leprisonnier.

– Per Bacco ! que vous êtes simple,signor Inglese ! Vous oubliez le magnifique coup de poingadministré à un de mes hommes.

– Le renégat le méritait bien.

– C’est ce dont je suis seul juge. Noslois vous condamnent. Parmi nous, c’est œil pour œil, dent pourdent.

– Dans ce cas, je dois être absous. Vosgens m’ont rendu vingt pour un ; bonne mesure, comme entémoignent mes côtes meurtries.

– Ah ! répondit le bandit d’un tonméprisant. Estimez-vous heureux d’en avoir été quitte à si bonmarché. Remerciez la madone d’être encore vivant ; peut-êtreferiez-vous mieux encore de remercier cette cicatrice que vousportez au petit doigt.

Cette dernière observation fut appuyée d’unregard dans lequel se lisait clairement une intention secrète,indéchiffrable pour le prisonnier, mais qui lui fournit matière àréflexion. Combiné avec la surveillance étroite dont il étaitl’objet, ce regard ne présageait rien de bon pour l’avenir.

Le second jour, après avoir quitté le village,on atteignit une contrée montagneuse, couverte d’épaisses futaies.La marche devenait de plus en plus pénible et difficile ;tantôt il fallait gravir des pentes presque perpendiculaires,tantôt se glisser à travers des gorges si étroites qu’à peinepouvaient-elles livrer passage à un seul individu à la fois.

Les voyageurs souffraient depuis longtempsd’une soif ardente qu’ils étanchèrent enfin avec de la neigedéposée dans les anfractuosités les plus abritées de lamontagne.

Un peu avant le coucher du soleil, on fithalte et un des bandits fut dépêché en éclaireur vers une montagnedont la cime, en forme de cône tronqué, s’apercevait seule àquelque distance.

Vingt minutes environ s’étaientécoulées ; lorsque le hurlement du loup se fit entendre datela direction prise par l’éclaireur. Ce hurlement fut suivi d’un crisemblable, parti d’un peu plus loin que le premier, puis d’unbêlement de chèvre. À ce dernier signal, la bande se remit enmarche.

Au détour d’un angle de rocher, la montagneconique se dessina tout entière, du pied au sommet ; elleétait fendue par un ravin profond.

On escalada cette montagne. Quand on futarrivé à la cime, un spectacle étrange frappa les yeux duprisonnier. À ses pieds, un amphithéâtre de forme presquecirculaire dont les parois ou talus disparaissaient sous unevigoureuse végétation. Au fond, un étang ; non loin du bord,au milieu des arbres, quelques pans de murs grisâtres d’oùs’élevait une fumée qui témoignait de la présence de l’homme.

Cette excavation était le rendez-vous généraldes bandits. La troupe y arriva juste au moment où le soleildisparaissait à l’horizon.

L’habitation des brigands n’était donc ni unegrotte, ni un repaire, mais quelque chose se rapprochant d’unhameau. Deux ou trois des maisons étaient construites enpierres ; le reste se composait tout simplement depagliatti, ou huttes de paille, si communs dans lesdistricts montagnes de la péninsule italique.

Le hameau était ombragé par une forêt dehêtres ; d’épais massifs de houx et de pins couronnaient lesmontagnes tout à l’entour.

Au centre de ce cirque naturel brillait unétang, probablement un cratère depuis longtemps éteint, servantactuellement de réservoir à la pluie et aux neiges fonduesdescendant des montagnes.

Les huttes de paille avaient certainement étéélevées par les bandits ; quant aux maisons de pierre, ellesrappelaient l’époque depuis longtemps écoulée où l’énervanteinfluence d’un gouvernement despotique n’avait pas encore inauguré,pour l’Italie, l’ère de la décadence. Quelque mineur, peut-être,exploitant les filons des montagnes voisines, avait trouvé cetemplacement convenable pour la fusion du métal.

Les contreforts des montagnes, s’abaissant encollines, formaient un amphithéâtre possédant, en apparence, douxissues, l’une au nord, l’autre au sud, indiquées toutes deux par unpic dont la tête chenue dominait le dôme de verdure du ravin. Surla pointe de chacun de ces pics se profilait une forme humainevisible seulement de la vallée.

C’était les sentinelles des bandits. Chaquefois qu’elles changeaient d’attitude, les broderies de leurscostumes et les canons de leurs carabines étincelaient aux derniersrayons du soleil.

Le jeune Anglais, debout sur la petitepiazza du quartier général des voleurs, promenait sesregards sur cette scène de la vie italienne. Elle lui rappelait lacélèbre ballade de Fra-Diavolo et une certaine soirée passée authéâtre de Sa Majesté, dans la loge de Belle Mainwaring.

Il ne lui fut pas permis de remonter longtempsle courant de ses souvenirs – au moins en plein air.

Obéissant aux ordres du chef, deux bandits leconduisirent à une chambre obscure, dans l’une des maisons depierre, l’y introduisirent avec la brutalité qui appartient à leurdigne corporation et poussèrent la porte derrière lui.

Henry entendit le sinistre bruit d’un verrouet tout retomba dans le silence. Pour la première fois de sa vie,il se trouvait enfermé dans un cachot.

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