Le doigt du Destin

Chapitre 26Brusque congé.

Pendant cette conversation, l’étranger étaitdemeuré debout et immobile. Se retournant brusquement vers lui, legénéral s’écria d’une voix tonnante :

– Vous êtes un imposteur,monsieur !

– Molte grazie, signor, répliquale procureur en s’inclinant ironiquement. C’est une injure assezintempestive à adresser à un homme qui est venu du fond de l’Italiepour rendre service, à vous ou à votre fils, c’est tout un. Est-cela seule réponse que je doive remporter ?

– Prenez garde, monsieur, dit Nigel d’unton menaçant. Vous avez agi avec imprudence en vous plaçant sous lecoup des lois de notre pays. Vous pourriez fort bien être arrêté etjeté en prison pour avoir essayé d’extorquer de l’argent sous defaux prétextes.

– Son Excellence le général ne me ferapas arrêter, pour deux bonnes raisons. D’abord, je n’ai usé d’aucunfaux prétexte ; ensuite, en obéissant à un mouvement decolère, il scellerait irrévocablement la destinée de son fils. Dumoment où ceux qui le tiennent entre leurs mains apprendront quej’ai été arrêté ou autrement inquiété en Angleterre, ils letraiteront bien plus cruellement que vous ne pourriez me traitermoi-même. Souvenez-vous que je ne suis qu’un émissaire et que jen’ai d’autre mission que de vous remettre cette lettre. Je ne saisrien de ceux qui l’ont expédiée, sauf en ce qui concerne maprofession ; j’ai agi dans un simple but d’humanité, et jesuis aussi bien le messager de votre fils que le leur. Mais je puisvous affirmer, général, que l’affaire est des plus sérieuses et quela vie de votre fils dépend non seulement de ma propre sûreté, maisencore de la réponse dont vous voudrez bien me charger.

– Allons donc ! s’écria le général.Vous ne ferez jamais prendre à un Anglais des vessies pour deslanternes. Si je croyais un mot de votre histoire, je ne serais pasembarrassé pour délivrer mon fils. Le gouvernement s’interposeraitcertainement en ma faveur ; et alors, au lieu de cinq millelivres sterling, vos excellents bandits auraient ce qu’ilsméritent, ce qu’ils devraient avoir obtenu depuis longtemps déjà –six pieds de corde autour du cou.

– Je crains, signor général, que vous nevous laissiez entraîner à une étrange erreur. Permettez-moi deplacer la question dans son véritable jour. Votre gouvernement nepeut vous être d’aucun service dans cette affaire ; il enserait de même de tous les gouvernements de l’Europe réunis. Cen’est pas la première fois que des menaces semblables ont étélancées contre ces flibustiers. Ni le roi de Naples, dont ils sontsujets, puisqu’ils habitent sur son territoire, ni le Pape, dansles États duquel ils font de fréquentes incursions, ne pourraientles réduire à l’impuissance, quand même tous deux s’y sentiraientdisposés. Vous n’avez qu’un seul moyen d’obtenir la délivrance devotre fils, c’est de payer la rançon qu’on vous demande.

– Sortez, misérable ! hurla legénéral dont la patience avait été mise à une rude épreuve pendantcette plaidoirie du procureur. – Sortez de chez moi immédiatement,ou j’ordonne à mes domestiques de vous jeter dans l’abreuvoir auxchevaux.

– Vous en éprouveriez trop de regret,répondit le petit Italien avec un méchant sourire et en sedirigeant vers la porte. Buona notte, signorgénéral ! Peut-être la nuit portera-t-elle conseil etrefroidira-t-elle assez votre colère pour vous permettre d’examinerplus sérieusement ma proposition. Si vous avez quelque message àtransmettre à votre fils… que vous ne verrez plus, selon touteprobabilité… je m’en chargerai volontiers, malgré un accueil dont,comme gentleman, j’ai le droit de me plaindre. Je resterai toute lanuit dans l’auberge voisine et ne partirai pas demain avant midi.Réfléchissez ? Buona notte ! Buonanotte !

En disant ces mots, l’étranger sortit et futreconduit assez brutalement par le sommelier jusqu’à la porte duchâteau.

Le général était resté debout, les yeuxenflammés, les lèvres frémissantes, la barbe hérissée. Pendant untemps, il sembla hésiter à faire retenir l’étranger afin de lepunir de son impudence. La crainte du scandale seule le détourna duchâtiment sommaire qu’il méditait.

– N’écrirez-vous pas à Henry ?demanda Nigel d’un ton qui sollicitait clairement une négation.

– Pas un mot ! Il s’est mis dans lanasse par suite de sa prodigalité ; qu’il s’en tire du mieuxqu’il pourra ! Quant à cette histoire de brigands…

– Oh ! c’est par trop absurde,interrompit Nigel ; les bandits entre les mains desquels ilest tombé sont les escrocs et les harpies de Rome. Ils ont, sansdoute, mis en réquisition cet homme de loi, si c’en est un, pourréaliser un plan, très-artificieusement ourdi, du reste, quel qu’ensoit l’auteur.

– Ô mon fils ! malheureuxenfant ! s’écria le généra !. S’associer à de semblablescréatures ! Prêter les mains à un tel complot, et contre sonpropre père ! Ô mon Dieu !

Et le vétéran s’affaissa sur le sofa enpoussant un sanglot déchirant.

– Si je lui écrivais, père ? demandaNigel. Seulement quelques mots pour lui faire comprendre combien saconduite vous torture. Un bon conseil pourrait le ramener à demeilleurs sentiments.

– Comme tu voudras, bien que je croisqu’il n’y ait plus d’espoir. Ah ! Lucy ! Lucy ! Dieua bien fait de te rappeler à lui ! Pauvre femme ! Cecit’aurait tuée !

Cette exclamation fut prononcée d’une voix àpeine perceptible et avant que Nigel eût quitté la salle à mangerdans l’intention d’écrire la lettre qui devait ramener àrésipiscence son coupable frère.

Cette lettre fut rédigée la même nuit etimmédiatement portée au procureur à qui elle fut confiée. Fidèle àsa promesse, l’Italien resta à l’auberge jusqu’à midi, heure àlaquelle il se rendit à la station voisine pour, de là, se dirigersans désemparer vers la ville aux sept collines.

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