Le doigt du Destin

Chapitre 33Changement de régime.

Une semaine s’était écoulée depuis le jour oùles brigands étaient rentrés dans leur repaire des montagnes.

Le butin conquis avait été accaparé par troisou quatre d’entre eux, plus particulièrement favorisés par lehasard. Ceux-là étaient déjà les plus riches individus de labande ; car dans les montagnes d’Italie, comme à Hombourg et àBade, le banquier ramasse, en fin de compte, le gain de tous lesjoueurs. Dame Fortune accorde à ses poursuivants des faveurspassagères ; mais celui qui est assez hardi ou assez habilepour résister à ses rigueurs finit toujours par la maîtriser.

Parmi les gagnants se trouvait naturellementle capitaine. Aussi vit-on Cara Popetta surcharger ses doigts debagues, ses chaussures d’ornements et son cou de colliers.

Puis on commença à parler d’une nouvelleexpédition, destinée à fournir de nouveaux éléments au beau jeu dePile ou Face.

Cette expédition ne devait pas être de longuedurée. On comptait simplement descendre dans une des vallées duvoisinage et enlever, si la chance le permettait, quelque petitpropriétaire qui se serait hasardé à quitter la grande ville pourvenir visiter ses domaines, ou mettre à sac un village.

Il fallait bien passer le temps jusqu’auretour du messager expédié en Angleterre et dont on attendait avecimpatience l’arrivée. Le confrère anglais des brigands n’avait pasmanqué de parler de la grande fortune du père de leur prisonnier àses camarades, qui fondaient les plus brillantes espérances sur larançon demandée par leur capitaine. Avec cinq mille livressterling, près de trente mille pezzos, ils pouvaient jouer un moisdurant et dormir le mois suivant sans s’inquiéter des soldatsenvoyés à leur poursuite.

La petite expédition, résolue comme intermède,fut rapidement organisée ; les trois quarts de la bandeseulement devaient y prendre part. Les femmes, y compris CaraPopetta, restaient au camp.

Le prisonnier ne connut le départ des banditsque par le calme relatif qui régna autour de lui. On se querellaitbien encore ; mais les discussions avaient évidemment lieuentre femmes. Leurs voix, moins retentissantes, étaient tout aussiénergiques et leurs expressions non moins grossières.

Comme leurs cheveux coupés court, leurvocabulaire semblait avoir été dépouillé de toute son élégance. SiHenry Harding avait eu l’esprit plus tranquille, peut-être seserait-il distrait en écoutant les disputes qui s’élevaient souventjuste au-dessus de sa fenêtre.

En ce moment, il ne songeait qu’à une chose, àl’état de dégradation où peut tomber la femme lorsqu’une fois ellea déserté le sentier de la vertu.

Beaucoup de ces femmes étaient belles oul’avaient été, avant de tomber dans la fange. Quelques-unes, sansdoute, espoir et joie de leurs familles, pour s’être un jour tropéloignées de leur village, y étaient rentrées flétries, ou n’yavaient jamais reparu.

En réfléchissant au sort de ces infortunées,Henry sentait son cœur défaillir. Ce sentiment se transformait endésespoir quand il pensait que Lucetta Torreani, la pure etinnocente jeune fille, pourrait faire un jour partie de cettelégion de démons féminins.

Depuis le départ de l’expédition, un rayond’espoir avait illuminé sa cellule, aussi faible, à la vérité, quela lumière qu’y laissait pénétrer l’étroite fenêtre ; maisl’esprit du prisonnier, aiguisé par la captivité, saisirait l’ombremême, comme se rattache à une paille l’homme qui se noie. Une deces pailles semblait s’offrir au jeune Anglais.

En premier lieu, il crut s’apercevoir qu’illui serait possible de corrompre son geôlier. Ce n’était plusl’individu morose et taciturne qui l’avait servi jusque-là, mais unautre brigand, sinon beaucoup plus aimable, au moins plus causeur.En entendant sa voix, le prisonnier la reconnut pour celle de l’undes bandits qui étaient venus s’entretenir sous sa fenêtre. C’étaitcelui des deux dont la nature semblait la moins perverse et quel’autre avait appelé Tomasso. Henry s’imagina, à tort ou à raison,qu’il pourrait faire quelque chose de cet homme. D’après saconversation, Tomasso ne paraissait pas mort à tout sentimenthumain.

À la vérité, il avouait avoir passé quelquetemps dans une prison pontificale. Mais il en était arrivé autant àplus d’un martyr, politique ou autre. Son plus grand crime étaitcertainement l’honorable métier qu’il exerçait aujourd’hui ;mais ceci aussi pouvait provenir d’une semblable cause.

Ainsi pensait Henry et ses présomptions seconfirmèrent quand il eut causé avec son nouveau geôlier.

Il avait un autre sujet de réflexions toutaussi consolantes. Le premier repas que lui apporta Tomasso, aprèsle départ de la bande, ne ressemblait en rien à ceux des joursprécédents. Au lieu d’un macaroni, souvent mal préparé et insipide,on plaça devant lui du mouton, des saucissons, desconfetti et une bouteille de Rosolio.

– Qui peut m’envoyer toutes ces bonneschoses ? pensa le jeune homme, surpris de ce changement derégime.

Henry garda pour lui ses réflexionsjusqu’après le dîner qui fut aussi délicat que le déjeuner.

Il posa alors la question à son nouveauserviteur.

– La signora ! répondit Tomasso d’unton si poli que, n’eussent été la physionomie de la cellule etl’absence de meubles, le prisonnier aurait pu se croire dans unhôtel de Rome et servi dans sa chambre par un des garçons.

Cette sollicitude se poursuivit pendant toutela journée et, à la nuit, la signora apporta en personne le souper,sans l’intervention ou l’assistance de Tomasso.

Peu après le coucher du soleil, une femmeentra dans la cellule. Henry tressaillit à cette apparition aussiétrange qu’inattendue.

La petite chambre qui lui servait de prisondépendait d’un plus grand appartement, sorte de magasin où lesbrigands déposaient les articles les plus encombrants de leur butinet leurs provisions.

Cet appartement était percé d’une hautefenêtre à travers laquelle brillait la lune ; et ce futseulement quand la porte s’ouvrit et à la pâle lumière quiéclairait la chambre voisine, que le jeune Anglais s’aperçut del’entrée de la nocturne visiteuse.

Qui était-elle ?

Le doute ne dura qu’un instant. À la hautetaille qui se profila sur le seuil, à la nature et à la coupe desvêtements, Henry reconnut l’épouse du chef. Il avait remarquéqu’elle seule, parmi toutes les femmes de la bande, affectait deconserver les habits de son sexe.

Henry se demandait avec d’autant plusd’anxiété ce qu’elle pouvait lui vouloir, qu’elle s’était glisséedans la cellule avec précaution et comme si elle craignait d’êtreobservée ou suivie.

Elle était entrée sans bruit dans la premièrechambre et ce fut tout aussi doucement qu’elle ouvrit et refermaderrière elle la porte de communication.

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