Le doigt du Destin

Chapitre 42Correspondance anonyme.

Après l’atroce cruauté qui l’avait privé d’undoigt, Henry passa, dans sa cellule, deux jours encore de tristeemprisonnement. La grossière nourriture qui lui était servie, lesdures broussailles qui lui servait de couche, la douleur même de samain mutilée, n’étaient rien auprès de ses angoisses morales. Lerefus du général de payer sa rançon le navrait d’autant plus que,son frère, dans sa lettre, avait pris soin de lui présenter cerefus sous les plus sombres couleurs. Il se sentait désormais sansami… sans père.

Une pensée moins égoïste, mais plus effrayanteencore, torturait son esprit… une crainte trop fondée pour le sortde la sœur de son ami. Il ne pouvait se tromper sur le sens desparoles glissées dans son oreille par Corvino, pendant la scèneterrible où il avait ôté, tour à tour, spectateur et acteur ;il pressentait que ce drame sauvage n’était que le prologue defaits plus sauvages encore.

Il ne bougeait pas, pour ainsi dire, de lafenêtre de sa cellule, écoutant fiévreusement et redoutant quequelque bruit insolite vînt lui annoncer la présence de LucettaTorreani.

Prisonnier lui-même, il était incapable, nonseulement de la protéger, mais de lui adresser un simple motd’avertissement. Il aurait volontiers sacrifié un autre doigt, samain tout entière même, pour lui écrire une seule ligne et laprévenir du danger qui la menaçait.

Il se blâmait amèrement de n’avoir pas songé àécrire au syndic en même temps qu’à Luigi et d’avoir ainsi laissééchapper une occasion qui ne pouvait plus se rencontrer, il ne luirestait que l’espoir, bien faible, sans doute, que sa lettre àLuigi arriverait à temps. S’il avait pu s’échapper de sa prison…tout aurait marché au mieux. Il n’avait cessé de penser à uneévasion depuis la première heure de sa captivité, mais sansrésultat ; et s’il n’avait fait aucune tentative, c’étaituniquement parce qu’il en comprenait l’inutilité.

Il avait attentivement examiné la constructionde sa cellule. Les murs étaient épais, faits de pierre et destuc ; le sol était composé de dalles grossières ; lafenêtre était une simple crevasse et la porte assez solide pourrésister aux assauts d’un marteau de forge. En outre, pendant lanuit, un brigand couchait en travers de la porte, et un autremontait la garde au dehors. Un oiseau d’une valeur de trente milleécus était une capture trop précieuse pour qu’on lui laissât lamoindre chance de s’échapper de sa cage.

Ses regards s’étaient souvent portés auplafond, la seule direction par laquelle il lui parût possibled’effectuer sa délivrance, s’il avait été en possession de deuxchoses indispensables, un couteau et un tabouret. De fortespoutres, traversant horizontalement le plafond, supportaient unrevêtement de planches mal équarries, ce qui laissait supposer unétage supérieur. C’était évidemment un grenier, car le bois étaithumide, presque pourri, par suite des infiltrations du toit ;un simple couteau l’aurait très-facilement entamé. Si une évasiondevait s’accomplir, elle n’était praticable que de ce côté.

La deuxième nuit qui suivit la perte de sonpetit doigt, Henry avait cessé complètement d’y songer. Sa mainmutilée enveloppée dans un mauvais chiffon, seul pansement qui luieût été fait, il s’était étendu sur son lit de feuilles sèches,cherchant dans le sommeil l’oubli de ses misères. Il commençaitdéjà à en perdre la conscience, lorsqu’un corps dur vint frapperson front. La douleur, assez vive pour le réveiller subitement, nele fut pas assez pour lui arracher un cri. Il se contenta de sedresser sur son coude, attendant la répétition du choc ou, tout aumoins, son explication. Presque aussitôt, le bruit d’un corps légerintroduit par la fenêtre et tombant sur les dalles vint frapper sonoreille anxieusement tendue.

La cellule, éclairée seulement par la pâlelumière d’une nuit étoilée filtrant à travers l’étroite ouverture,restait dans une complète obscurité, un peu moins dense, toutefois,au-dessous de la fenêtre. Le prisonnier put distinguer un objet deforme oblongue qui, grâce à sa blancheur, se profilait nettementsur le pavé noir. C’était une feuille de papier pliée en forme debillet.

Incapable, pour le moment, de s’assurer sic’était vraiment une lettre, Henry garda le papier dans sa main,attendant, les yeux obstinément fixés sur la fenêtre, un nouveaumessage, une substance ou signe quelconque.

Il resta ainsi immobile et attentif près d’unedemi-heure. Voyant que rien ne venait, il tourna son attention versl’objet qui l’avait réveillé et qui avait dû être lancé par lafenêtre de la même façon que le papier. Ses mains promenéessoigneusement sur le sol y rencontrèrent un couteau, dont la lameétait renfermée dans une gaine de peau de chèvre. Il avait vu desarmes semblables à la ceinture des brigands.

Quel pouvait être l’objet de ce doubleenvoi ? Diverses conjectures se présentèrent à l’esprit duprisonnier, sans qu’aucune le satisfît complètement. Le don d’unpoignard pouvait s’interpréter par un conseil de suicide. Un momentde réflexion prouva au prisonnier que telle ne pouvait êtrel’intention de son correspondant anonyme ; Henry ne setrouvait pas encore réduit à une extrémité telle qu’il dûtnécessairement avoir recours à ce remède héroïque. La lettre, s’ilavait pu la lire, aurait certainement dissipé toutes lesincertitudes ; mais les ténèbres étaient épaisses et le jeuneAnglais attendit le jour avec une impatience bien facile àcomprendre.

Dès que l’aube blanchit le pavé de sa cellule,il se précipita vers la fenêtre et ouvrit le billet. Il était écriten italien ; les caractères en étaient, heureusement, tracésd’une main ferme et magistrale, bien qu’évidemment à la hâte.

« Vous devez effectuer votre évasionpar en haut, disait la lettre, du côté du zénith ; vous n’avezde chance en aucun autre point de l’horizon. Le couteau vousservira à percer le plafond. Faites attention à vous glisser par lederrière de la maison, la sentinelle se trouvant sur le devant. Unefois dehors, dirigez-vous vers la gorge par laquelle vous êtesvenu ; vous devez vous en souvenir… elle se trouve en pleinnord. Si vous craignez de vous égarer, regardez l’étoile polaire. Àl’entrée de la gorge est établi un poste. Vous l’éviterez aisément.Sinon, vous avez votre couteau ; mais avec un peu deprécaution vous pourrez vous dispenser d’en faire usage. Lasurveillance du poste n’a pas à s’exercer très-soigneusement lanuit ; son seul devoir est de veiller aux signaux qui peuventêtre faits d’en bas. Il n’est pas, d’ailleurs, placé dans la gorgemême, mais sur le faîte de l’une des parois. Il vous serafacile de traverser la gorge en rampant sans éveiller l’attention.Au pied de la montagne, c’est différent. On n’y place unesentinelle que pendant la nuit ; le jour, elle serait inutile,les abords de la passe étant visibles d’en haut, de sorte que toutce qui en approche peut être immédiatement signalé. L’homme serasur ses gardes ; il sait que si on le trouvait endormi ilserait puni de mort. Vous le trouverez caché sous la verge duravin. Vous ne pourriez passer sans qu’il vous voit et vous seriezobligé de jouer du couteau. Faites mieux. Cachez-vous dans le ravinet restez-y jusqu’au matin. Dès le point du jour, la sentinellecessera une faction qui n’est plus désormais nécessaire et rentreraau camp. Attendez qu’elle vous ait dépassé, qu’elle soit sortie dela gorge, plus longtemps même, si vous voulez, et alors partez devotre pied le plus léger, car vous serez certainement poursuivi.Dirigez-vous vers la maison où vous vous êtes arrêté en arrivantici. Sauvez votre tête ! Sauvez LucettaTorreani ! »

L’étonnement causé au jeune homme par cetteétrange épître l’empêcha, tout d’abord, d’en remarquer lepost-scriptum, qui était conçu en ces termes :

« Si vous voulez aussi sauverl’écrivain, avalez ce billet aussitôt que vous l’aurezlu. »

Après avoir parcouru une seconde fois lalettre, afin de bien graver dans sa mémoire les instructionsqu’elle contenait, Henry obéit littéralement au post-scriptum.Aussi le geôlier, en lui apportant son déjeuner habituel demacaroni bouilli, n’aperçut-il aucun morceau de papier susceptibled’éveiller ses soupçons.

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