Le doigt du Destin

Chapitre 43Évasion.

Dès qu’il fut seul, le prisonnier réfléchit auplan d’évasion qui lui avait été si inopinément proposé.

Il chercha, tout d’abord, quel pouvait être lecorrespondant anonyme. C’était évidemment une personneintelligente ; l’écriture le prouvait et, plus encore, larédaction. Les instructions données étaient si subtilement conçues,si clairement déduites, qu’elles devaient être parfaitementcomprises par celui à qui elles s’adressaient.

La pensée lui vint que ce pouvait être uncomplot de Corvino, une ruse destinée à fournir au chef l’occasionde capturer de nouveau son prisonnier ou de le surprendre dans unetentative d’évasion, Mais à quoi bon ? Le capitaine avait-ilbesoin d’une excuse pour l’assassiner ? N’avait-il pas, aucontraire, de bonnes raisons pour lui conserver la vie, au moinsjusqu’à ce qu’il eût reçu une réponse définitive relativement à larançon ? Un second refus était une condamnation à mort. Lecaptif le savait ; la pauvre Popetta lui avait, d’ailleurs,donné l’assurance que la menace de son mari serait infailliblementexécutée.

Ce n’était donc pas Corvino qui lui avaitprocuré les moyens de fuir. Qui donc alors ? soncompatriote ? Certainement non. Le renégat s’était montré sonplus cruel ennemi, le plus ardent à l’injurier et à le persécuter.De tous les brigands qui composaient la bande, la pensée de Henryne pouvait s’arrêter que sur Tomasso, le seul qui lui eût témoignéun semblant de sympathie. Mais pendant les deux jours qu’il l’avaitservi, il agissait d’après l’ordre ou les sollicitations de lasignora.

Popetta était morte, son influence sur lebandit n’existait plus ; et quel intérêt personnel Tomassopouvait-il porter au prisonnier ?

Cet homme se distinguait, il est vrai, de sesassociés. Moins brutal, il semblait avoir vu de meilleurs jours etn’être pas tombé si bas au-dessous du niveau normal de l’humanité.Henry en avait pu juger d’après les rapports qu’il avait eus aveclui, et la conversation qu’il avait entendue sous sa fenêtre ausujet de Lucetta Torreani. Mais pourquoi Tomasso serait-il venu àson aide, au risque de sa vie ? Le bandit, quel qu’il fût, quiaurait favorisé son évasion, eût été certain d’être mis à mort, etavec un raffinement de cruauté. Quel intérêt Tomasso avait-il às’exposer ainsi ? Comment, lui, Henry Harding, s’était-ilattiré la sympathie de ce brigand ?

Les derniers mots de la lettre lui revinrenten mémoire : « Sauvez Lucetta Torreani ! »

Devait-il y chercher l’explication de laconduite de Tomasso et de la lettre qui lui avait été écrite ?Dans tous les cas, l’allusion était de nature à stimuler leprisonnier. La pensée du danger qui menaçait Lucetta n’était jamaissortie de son esprit ; et dès que l’association des idées eûtamené Henry à s’en souvenir, il abandonna le domaine de l’hypothèsepour ne s’occuper que du moyen de mettre à exécution le plan quilui avait été communiqué d’une façon aussi mystérieuse.

Il ne pouvait agir avant la nuit, toutetentative de sa part devant être immédiatement découverte par songeôlier, au moment où il lui apporterait son repas du soir. Ilemploya la journée à faire de sa cellule une revue scrupuleuse. Ilexamina surtout le plafond dont le bois lui parut dans unecondition de vétusté favorable au jeu du couteau. Mais ce plafond,il ne pouvait l’atteindre. Il étendit son bras dans toute salongueur. Un intervalle d’au moins un pied l’en séparaitencore !…

Il parcourut sa cellule d’un regard désespéré…Rien pour se hausser… ni tabouret, ni pierre !…

Les instructions qu’on lui avait donnéesétaient donc inutiles !… L’auteur de la lettre n’avait passongé au point le plus essentiel !… L’exécution du plandevenait impossible et le captif songea un moment àl’abandonner.

La nécessité est mère de l’industrie. C’étaitle cas ou jamais, pour le prisonnier, de mettre ce proverbe enaction. En examinant de nouveau sa cellule, ses regards tombèrentsur la litière de feuilles de bruyère qui lui servait de couche. Ilpensa qu’en les réunissant en tas il obtiendrait le point d’appuiqui lui manquait. Il calcula mentalement la quantité des feuilleset la hauteur probable de l’amoncellement. Il n’en fit pasimmédiatement l’expérience, de peur d’éveiller l’attention de sesgardiens. Le travail, d’ailleurs, était des plus faciles et pouvaitse remettre au dernier moment. Il attendit donc jusque-là.

Aussitôt que son morose gardien l’eût quittésans même lui adresser le banal buona notte, il réunit lesfeuilles de bruyère et les empila les unes sur les autres sur leplancher, en les tassant le plus possible, de façon à en former unmonticule solide d’une certaine élévation. Il avait également prisla précaution de placer cette espèce de tabouret au-dessous de lapartie du plafond qui lui parut la plus facilement attaquable.

Il y monta ensuite, le couteau en main. Ilatteignit le plafond tout juste, mais cela lui parut suffisant etil commença son œuvre.

Selon ses prévisions, le bois, à moitié pourripar l’humidité, se laissa très-facilement entamer par la lame,heureusement très-effilée.

Mais au bout d’un temps assez court, il sentitson piédestal s’affaisser graduellement sous lui, et avant qu’ileût accompli la dixième partie de sa tâche, il ne se trouvait plusà la hauteur nécessaire.

Il descendit, rétablit le monticule etrecommença à tailler, en s’efforçant de faire le moins de bruitpossible, car il savait qu’il se trouvait une sentinelle, à l’ouiefine, dans l’antichambre, et une autre postée près de la fenêtre desa cellule.

Pour la seconde fois, le monticule s’affaissa.Le prisonnier eut alors l’idée, pour le consolider, de le couronnerde son habit fortement roulé. Il obtint ainsi un appui solide quilui permit de terminer la section d’une trappe assez large pour luilivrer passage.

Jusque-là, les clameurs des brigands, quifestinaient encore au-dehors, avaient favorisé son travail etdistrait l’attention des sentinelles.

Mais vers minuit tout bruit cessa. Il étaittemps de poursuivre sa tentative si heureusement commencée. Aprèsavoir remis son habit, il saisit une des solives, s’enleva à laforce des poignets et parvint, non sans peine, à se hisser parl’ouverture qu’il avait pratiquée.

Comme il s’y attendait, il se trouva dans unesorte de grenier et se mit aussitôt à la recherche d’une sortie.D’abord il n’en trouva aucune. Sa tête ayant par hasard touché letoit, il reconnut que c’était un chaume de paille ou de jonc, et ils’ingéniait à découvrir un moyen de passer au travers, lorsqu’ilaperçut sur le plancher un pâle rayon de lumière.

Cette lueur pénétrait par une sorte de lucarnesans vitre, mais que pouvait clore du dehors un mauvais volet alorsrabattu. Il y passa la tête avec circonspection et reconnut que lafenêtre s’ouvrait sur le derrière de la maison. En face, le vide.Aucune lucarne indiquant une habitation ; rien, en un mot,annonçant la présence d’êtres humains.

Il voyait, à une petite distance, quelquesarbres groupés en massif, et d’autres échelonnés sur les flancs dela montagne. S’il pouvait parvenir à gagner ce couvert sans donnerl’éveil aux doux brigands qui gardaient sa cellule, son évasionserait en bonne voie d’exécution, au moins en ce qui concernait laligne principale des sentinelles. Quant à celles postées dans lapasse, c’était une entreprise d’un ordre différent et dont ils’occuperait en temps et lieu. Il fallait, avant tout, songer auprésent. Se glisser par la lucarne et se laisser choir au dehors,telles furent les idées qui se présentaient tout naturellement àson esprit.

La nuit était noire, bien que le ciel parutétoilé. Une obscurité profonde remplissait le cratère éteint. Henryn’apercevait pas le sol ; mais, à en juger par la hauteur desa cellule, il ne devait pas en être bien éloigné, à moins,toutefois, que la maison ne fût construite sur l’arête d’unescarpement. À cette pensée, il hésita et, repassant sa tête àtravers la lucarne, il essaya de percer les ténèbres. Le solrestait toujours invisible ; une plus longue attente nepouvait que compromettre le succès de son évasion. Il rentra satête, se glissa à reculons par la petite fenêtre et laissa coulerses jambes le long du mur. Une barre de bois était placée entravers de la lucarne ; il la saisit des deux mains et sebalança dans le vide. Mais la barre traîtresse se rompit sous sonpoids et il tomba rudement sur le côté.

Étourdi par sa chute, il resta un instantcouché au fond de ce qui lui parut être une sorte de fossé ou detranchée. Cette immobilité momentanée le sauva. Le bruit produitpar le bris de la barre avait frappé l’oreille des sentinelles,qui, tournant rapidement la maison, vinrent reconnaître la cause dece craquement.

– Je suis certain d’avoir entendu quelquechose, dit l’un des brigands.

– Bah ! tu t’es trompé, réponditl’autre.

– J’en jurerais, pourtant… un bruit commeun coup de bâton ou la chute d’une brassée de fagots.

– Oh ! n’est-ce que cela ?… Ehbien ! en voilà la cause… le volet que le vent agite et poussecontre le mur.

– Ah ! c’est vrai !… Au diablecette planche pourrie !… À quoi sert-elle ?

Et le brigand convaincu retourna à son poste,sur le devant, suivi de son moins soupçonneux camarade.

Avant que les brigands eussent repris leursfactions respectives, le prisonnier était sorti de son excavationet rampait silencieusement vers le couvert qu’il atteignit sansencombre.

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