Le doigt du Destin

Chapitre 48Seul contre quatre.

Presque fou de douleur et de rage, à la vue del’enlèvement de la jeune fille, Henry aurait voulu s’élancerimmédiatement à la poursuite du ravisseur. Mais les brigandsl’entouraient et il dut songer tout d’abord à lui-même. Ce ne futque grâce à une activité simiesque, acquise dans les jeuxathlétiques d’Eton et d’Oxford, qu’il parvint à faire face à sesquatre assaillants à la fois.

Heureusement, leurs pistolets étaient vides etces pistolets n’étaient pas des revolvers, le chef seul possédantune arme semblable. Ils n’avaient que des poignards, et n’eût étéleur nombre, Henry en aurait eu promptement raison. Ce nombre, iltenta bien de le réduire ; mais les bandits, aussi agiles quelui, esquivaient adroitement ses coups d’estoc et de taille.

Ce combat désespéré durait depuis cinqminutes ; le jeune homme haletait et sentait s’épuiser sesforces, lorsque ses regards tombèrent sur la grotte de l’ermite,auprès de laquelle l’avaient conduit les péripéties de lalutte.

Perçant d’un dernier effort le cercle de sesassaillants, il se plaça, l’épée au poing, au seuil de lavoûte.

Les brigands poussèrent simultanément un cride désappointement en voyant la position avantageuse prise par leuradversaire. Grâce à la longueur de sa lame, il pouvait actuellementse défendre contre une vingtaine de stylets.

D’un mouvement instinctif, tous quatrerengainèrent leurs poignards et commencèrent à charger leurspistolets. La situation devenait critique, le jeune Anglais sentitque son dernier moment approchait.

Les quatre bandits lui faisaient face,interceptant sa seule ligne de retraite.

C’était une gorge étroite, aboutissant àl’entrée de la grotte, et qu’il ne pouvait aborder sans rencontrerquatre stylets prêts à être dégainés. D’un autre côté, lespistolets une fois chargés, son sort était fixé ; la grotteayant à peine la profondeur et la largeur d’une alcôve, il s’ytrouvait encadré comme une statue dans sa niche de pierre.

Il se croyait bien décidément perdu. Mais nese souciant aucunement de servir de cible fixe aux bandits, ilallait fondre sur eux, afin de leur payer sa vie le plus cherpossible, lorsque des coups de feu retentirent et des ballesvinrent s’aplatir sur les rochers qui l’entouraient.

À cette volée inattendue, les quatre brigands,saisis de frayeur, tournèrent le dos et s’enfuirent à toutesjambes.

Le jeune Anglais n’avait plus à craindre leursballes, mais celles des soldais qu’il apercevait maintenant sur leflanc de la montagne. Sans s’en inquiéter, il se mit à la poursuitedes fuyards qui étaient déjà engagés dans le ravin. Bienloin, escaladant le versant opposé, il vit Corvino tenant Lucettarenversée sur son bras gauche.

La jeune fille semblait évanouie ou morte.Elle ne criait plus, ne faisait plus aucun effort pour échapper àl’étreinte du chef, et les plis de sa robe blanche balayaient lesentier caillouteux de la montagne.

Les soldats arrivèrent, Guardioli en tête. Ilsfirent halte à l’entrée du ravin, rechargeant et déchargeant leursarmes, bien que les brigands en retraite fussent bien loin de laportée de leurs antiques carabines. Corvino et son précieux fardeauétaient déjà hors de vue. Ses acolytes disparurent à leur tourderrière les rochers.

Cependant la troupe continuait tranquillement,sans bouger de place, son feu dérisoire.

Henry, stupéfait de ce mode, nouveau pour lui,de faire la chasse aux brigands, demanda à ces énergiques soldatss’ils ne comptaient pas poursuivre les bandits et tenter de leurarracher leur captive.

Ne recevant aucune réponse, il renouvela saquestion, en termes plus vifs et s’adressant cette fois àGuardioli.

– Vous êtes fou, signor Inglese,répliqua le capitaine-comte avec un calme qui ne prenait sa sourceque dans sa poltronnerie. Mais je comprends votre folie. En votrequalité d’étranger, vous ne pouvez connaître les façons de cesbandits napolitains. Tout ce qui vient de se passer peut être uneruse ayant pour but de nous attirer dans une embuscade. Peut-être,dans ce bas-fond – il désignait la passe à travers laquelle lesbandits avaient disparu – y a-t-il deux cents de ces mauvais drôlesprêts à nous bien recevoir. Et je ne suis pas assez fou, moi, pourexposer mes hommes à une lutte aussi inégale. Nous attendrons desrenforts.

À ce moment, le syndic arrivait, trop tardpour apercevoir sa fille disparaître, dans les bras de Corvino,derrière la crête de l’autre montagne heureux, cependant, qu’un sitriste spectacle lui eût été épargné.

Il n’en fut que plus impatient de commencer lapoursuite sur l’heure et joignit ses instances à celles du jeuneAnglais.

Supplications, reproches, tout fut inutile. Lelâche commissaire du pape pensait plus à sa sûreté personnelle qu’àcelle de la jeune fille qu’il accablait naguère de protestations detendresse et de dévouement.

Cette pusillanime conduite du capitainenavrait le syndic ; il semblait sourd aux consolations de ceuxde ses amis qui cavalent accompagné sur la montagne. Quant au jeuneAnglais, tout en cherchant à relever les esprits de Torreani, ils’adressait aux assistants en termes qui sonnaient étrangement àleurs oreilles.

– Le village est populeux, leurdisait-il, ne renferme-t-il donc pas des hommes assez courageuxpour suivre les brigands et leur arracher la fille dusyndic ?

Ces paroles, toutes nouvelles pour ces pauvresgens accoutumés à plier devant la force brutale, firent l’effetd’une étincelle électrique. Ils y répondirent par forcelovivas ! comprenant pour la première fois de leurvie qu’ils pouvaient résister aux bandits.

– Consultons les autorités !s’écrièrent-ils ; qu’elles parlent à leursconcitoyens !

Sur ces mots, tous descendirent vers levillage, précédés par le syndic, laissant le capitaine Guardioli etses soldats surveiller les rochers et les arbres qui pouvaientcacher un ennemi… redouté toujours, même quand il fuyait.

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