Le doigt du Destin

Chapitre 51Sur la piste.

Est-il nécessaire de dire que l’appel fait parle frère et le père de la jeune fille enlevée trouva un écho dansle cœur de ceux auxquels il s’adressait. Les volontaires de laRépublique avaient deux motifs pour y répondrechaleureusement : d’abord, la question d’humanité ; puis,la conviction, assez fondée d’ailleurs, que le brigandage était undes rouages du gouvernement despotique qu’ils venaient derenverser.

Le syndic, aussi, avait sur eux quelquesdroits ; leurs chefs savaient à n’en pas douter qu’ilsympathisait depuis longtemps avec leur cause, secrètement, il estvrai, son serment de magistrat lui interdisant toute manifestationextérieure.

De plus, son fils, rencontré par un hasardfortuit, à l’une des portes de Rome, s’était immédiatement déclaréen leur faveur et faisait actuellement partie de leur bande ;aussi, loin de refuser de venir en aide à leur nouveau camarade, cefut avec enthousiasme et à l’unanimité qu’ils résolurent des’employer de tout leur pouvoir à sauver sa sœur.

Aussitôt donc que Guardioli et ses soldatseurent été désarmés et placés sous bonne garde, on s’occupa deCorvino et de ses bandits.

En proie aux plus terribles appréhensions,Luigi Torreani et le jeune Anglais auraient désiré que la poursuitecommençât immédiatement. Le chef du bataillon républicain, nomméRossi, obéissant à des considérations plus prudentes, comprit qu’unempressement intempestif serait fatal à l’expédition proposée.

Jadis officier lui-même dans l’arméenapolitaine, il avait acquis une expérience profonde de la chasseaux bandits siciliens et calabrais et savait qu’une attaque ouvertecontre ces déclassés, toujours sur leurs gardes, ne pouvait que seterminer par un échec ridicule ; les brigands eux-mêmesassistant à ce résultat du haut de quelque roc inaccessible et lesaluant de leurs sarcasmes et de ricanements ironiques.

Dans l’espèce, il est vrai, on avait unechance favorable et assez rare d’ordinaire. Le repaire des brigandsétait connu ; leur ancien captif pouvait y conduirel’expédition.

Aux yeux de la majorité, tout était donc pourle mieux ; mais le chasseur émérite des bandits napolitainspensait différemment.

Cet avantage, arguait Rossi, seraitcomplètement perdu si l’on tentait d’aborder de jour les quartiersdes brigands, les vedettes ne pouvant manquer d’apercevoir lesassaillants et d’avertir leurs camarades assez à temps pour leurpermettre de décamper. Il fallait marcher à la nuit, et, le cheminétant connu, on avait quelque chance de réussite.

Quelque chance ! Ces mots sonnèrentlugubrement aux oreilles de Luigi Torreani, de son père et de sonami. Ils frémissaient à la pensée d’attendre jusqu’à la nuit,lorsque vingt milles au moins de montagnes les séparaient du pluscher objet de leurs affections auquel, en ce moment peut-être, leurassistance était plus que jamais nécessaire.

Pour ces trois cœurs, si directementintéressés au succès de l’expédition, tout délai étaitdéchirant ; et, pour dire vrai, ce sentiment était partagé parun grand nombre d’assistants, citoyens et volontaires. Nepouvait-on prendre immédiatement quelques mesures ? Chacuncomprenait qu’il serait tout à fait inutile d’entreprendre lapoursuite des cinq brigands qui avaient enlevé la fille dusyndic ; des heures s’étaient écoulées et, grâce à leurconnaissance des diverses passes de la montagne, les ravisseursdevaient depuis longtemps déjà s’être mis en sûreté.

On n’avait qu’un seul espoir ; lesretrouver au repaire signalé par le prisonnier fugitif.

N’existait-il pas un moyen d’approcher de cerepaire pendant le jour ? La nuit serait venue avant que lesbrigands l’eussent atteint, car l’après-midi était avancée et onavait à parcourir une vingtaine de milles.

Les ténèbres devaient favoriserl’attaque ; mais il fallait avancer à couvert pendant cettemarche de vingt milles ; autrement toute surprise seraitimpossible ; des vedettes veillaient certainement le long dela route, sinon des brigands mêmes, au moins leursManutengoli, paysans, bergers ou vetturini.

Ainsi parlait le commandant Rossi, et il avaitraison.

Qui pouvait fournir le moyen de résoudre ceproblème… proposer un plan au moyen duquel les brigands seraientcapturés cette nuit-là même, et avant la perpétration d’un crimedont la pensée remplissait d’horreur l’esprit des volontaires, nonmoins que celui des parents et amis de l’infortunéeLucetta ?

– Moi, répondit un homme en s’avançant aumilieu du Conseil qui délibérait sur la piazza. Si vousvoulez suivre mes indications et m’accepter pour guide, je vousmettrai en mesure, non seulement de délivrer la fille de notredigne syndic, mais encore, de prendre d’un coup de filet toute labande de Corvino, à laquelle, depuis trois ans, j’ai été moi-mêmecontraint de m’affilier.

– Tomasso ! s’écria le syndic.C’était, en effet, son ancien fermier.

– Tomasso ! répéta le chef desrévolutionnaires, en reconnaissant un homme que l’on savait être unmartyr de la bonne cause, une victime du Vatican ayant préférés’enrôler parmi les brigands que de pourrir dans une prisonromaine. Signor Tomasso, est-ce vous ?

– Oui, signor Rossi, c’est moi-même… bienheureux de ne plus être obligé de me cacher dans la montagne, defuir la présence de mes amis, de rester mêlé à la plus impure écumede l’humanité. Merci à Dieu et à Giuseppe Mazzini ! Vive laRépublique !

Suivirent une série de cordiales accoladesentre Tomasso et les volontaires, les vieilles connaissances desproscrits, comme lui, habitués des rues de Rome.

L’accueil ne fut pas moins amical de la partdu jeune Anglais qui avait alors la certitude que son mystérieuxcorrespondant n’était autre que Tomasso.

Mais le nuage qui assombrissait tous lesesprits rendait le moment peu propice aux épanchements de cettenature. Le temps se passait et Tomasso, d’ailleurs, n’était pashomme à le gaspiller en oiseuses congratulations.

Suivez-moi ! dit-il, s’adressant à Rossi,au syndic et à Luigi. Je sais un chemin par lequel nous pourronsatteindre la tanière sans être vus… même avant le coucher dusoleil, si cela était nécessaire. Mais Corvino n’arrivera pas avantminuit et, à cette heure, nous les aurons pris, sa troupe et lui,comme dans une souricière. Partons cependant sans retard, car lechemin que je vais vous indiquer est long, tortueux etdifficile.

Cette proposition fut acceptée sur-le-champ etsans que personne demandât des explications plus précises. Dixminutes après, les volontaires républicains, laissant derrière euxun détachement suffisant pour garder leurs prisonniers pontificaux,sortaient de Val-d’Orno et se dirigeaient vers la frontièrenapolitaine sous la conduite d’un guide revêtu du costume completde bandit calabrais.

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