Le doigt du Destin

Chapitre 55La République romaine.

Vive la République romaine !

Tel était le cri qui retentissait dans lesrues de Rome, en l’année 1849. Parmi les voix qui les poussaientavec le plus d’enthousiasme se trouvaient celles de Luigi Torreaniet de son ami Henry Harding.

Mais tandis que le jeune Anglais se dévouait,à l’étranger, à la cause de la liberté, dans sa patrie, des Anglaisplus vieux en complotaient la destruction.

À cette même époque siégeait, à Londres, uncongrès secret, composé des représentants de toutes les têtescouronnées du continent, et dont le but était de trouver les voieset moyens propres à éteindre, partout où elle brillerait,l’étincelle de liberté qui menaçait de se propager en Europe commeune traînée lumineuse.

En Hongrie où elle avait pris les proportionsd’une éclatante flamme, elle avait été étouffée par la diplomatieanglaise et les baïonnettes russes.

Le résultat fut partout le même à l’aide demoyens peu sensiblement différents : partout s’exerçal’influence de la diplomatie anglaise, appuyée par l’or anglais,secrètement mais abondamment répandu.

En Prusse, le jeu fut aisé ; mais dans cepays la liberté succomba sous la plus vile des trahisons, le plusinfante des parjures dont l’histoire ait gardé le souvenir.

Dans le grand-duché de Bade et en Bavière, cefut plus facile encore, bien que là le congrès secret eût décidé detrancher la question par le sabre. L’arme liberticide fut mise auxmains du roi de Prusse, dont les mercenaires légions eurent bientôtraison des patriotes du Schwarzwold.

Maintenant, à la onzième heure, une nouvelleétincelle, se détachant de l’éternel flambeau de la liberté,jaillissait sur un point inattendu… véritable serre chaude dudespotisme politique et religieux… la vieille ville de Rome.

Aussitôt le congrès secret de se réunir denouveau sous la présidence d’un noble lord, le plus influent de sesmembres, parce que, de tous, c’était celui qui avait le mieuxréussi toujours à cajoler les peuples, – celui dont la longuecarrière n’a été qu’une suite non interrompue de trahisons et quiest mort sans en pouvoir constater le développement et lesrésultats. L’histoire les a enregistrées et l’avenir sesouviendra.

La convention, donc, s’assembla de nouveau, etune fois encore il en émane l’ordre d’étouffer le spasme de libertéqui soulevait le sein de l’Italie agonisante.

La ruse était inutile ; la plus mincestratégie devait suffire contre un ennemi aussi insignifiant.

La restauration du pape ne fut qu’un prétexte,une concession gracieuse à la catholicité. Le Souverain Pontifeeût-il disparu de ce monde, la République n’en aurait pas moins étécombattue.

On fit au sabre un nouvel appel. Mais quidevait le brandir, cette fois ? Il ne pouvait être question desoldats anglais ; l’Angleterre étant un pays protestant, lefait eût semblé étrange. Mais la France n’avait pas les mêmesscrupules ; l’or anglais se convertit aisément en soldatsfrançais et ceux-ci reçurent la mission de relever le trône desaint Pierre[14].

La restauration du Souverain Pontife futostensiblement leur œuvre ; mais l’acte appartient encommun à toutes les têtes couronnées et la direction spéciale aureprésentant de la Grande-Bretagne. L’histoire en fournitd’indiscutables preuves.

Mazzini, Laffi, Armelli ! Pauvres grandscitoyens ! Aveugle triumvirat ! Vous n’auriez putriompher, quand bien même aucune voix ne se fût élevée contre vousdans Rome, dans toute l’Italie !

Votre destruction avait été décrétée dans leconseil des Rois. L’arrêt, préparé d’avance, fut rendu à l’heureprécise de votre victoire, au moment même où, dans les rues deRome, débarrassées des vestiges pourris du despotisme, retentissaitle cri régénérateur : Vive la République !

Pendant trois mois ce cri résonna dans toutesles stradas de la cité classique, de la ville des Césarset des Colonnas.

Il se fit entendre sur les bastions et sur lesremparts, derrière les batteries et les barricades, au milieu despéripéties d’une lutte héroïque rappelant les jours des Horaces,dans les éloquents discours de Mazzini et dans les vigoureusesproclamations de Garibaldi !

Ce fut en vain. Au bout de ces trois mois sicourts et cependant si remplis, on ne l’entendit plus. LaRépublique avait été renversée moins par la force que par latrahison ; mais le régime de la baïonnette lui succéda et,depuis ce jour néfaste, il fait bonne garde sur les ruines de laliberté romaine.

Pendant cette époque agitée, Luigi Torreaniavait combattu pour la République ; son ami, le jeune Anglais,avait fait de même, de même aussi son père. Car peu après l’affairedes brigands, le syndic avait transporté ses pénates dans la Villeéternelle, qui alors, lui offrait le plus sûr abri contre desdangers semblables à ceux auxquels il se trouvait jadis exposé.

Mais après la chute de la République et letriomphe du despotisme, Rome elle-même ne pouvait servir d’asilequ’aux ennemis de la liberté et Francisco Torreani n’était pas dunombre.

Il dut s’éloigner de nouveau. Mais de quelcôté diriger ses pas ?

Aucune partie de l’Italie ne le tentait. LesAutrichiens possédaient encore Venise. Charles-Albert avait étéécrasé dans le Nord et le tyran napolitain tenait ses sujetscourbés sous une verge de fer. De quelque côté qu’il se tournât,Francisco Torrent n’apercevait pas un point du sol italien où ilvoulut fixer sa résidence.

Comme tous les patriotes placés dans unesituation semblable, ses pensées se portèrent vers le nouveaumonde. Et, peu de temps après, un navire cinglant vers le détroitde Gibraltar emportait la famille Torreani vers les lointainsrivages du continent occidental.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer