Le doigt du Destin

Chapitre 60Hospitalité de l’autre Monde.

J’étais enthousiasmé de ma belle hôtesse et jebénissais maintenant l’accident qui m’avait jeté dans un semblablemilieu.

Qui était-elle ? Qui pouvait-elleêtre ? Une Italienne, m’avait-elle dit, tout d’abord, et nousnous entretenions dans la langue de Dante et de Pétrarque.

Mais elle parlait l’anglais aussi bien aumoins que moi l’italien, et j’appris bientôt de sa bouche que sonmari était un Inglese.

– Il sera bien heureux de vous voir,dit-elle, car il lui arrive rarement de rencontrer uncompatriote : les colons Ingleses, pour la plupart,ne s’avancent pas aussi loin dans l’intérieur. Il ne peut tarder àrentrer ; il s’est seulement rendu à l’autreestancia, j’entends celle de papa… et je pense que lui etmon cher frère Luigi auront organisé une partie de chasse àl’autruche. Mais la chasse doit être terminée à l’heure qu’il est,car ils ne poursuivent jamais l’oiseau après midi. Je suis certainequ’il va bientôt revenir. En attendant, comment passerez-vous votretemps ? Voulez-vous examiner ces tableaux. C’est toutes vuesde ce pays. Quelques-uns sont de mon mari, d’autres de mon frèreLuigi. Parcourez notre petite galerie, tandis que je vais vousfaire préparer une collation.

– Veuillez vous en dispenser, madame. Jen’ai besoin de rien.

– Cela peut être, signor… Mais leschasseurs d’autruche ?… Luigi viendra probablement avec monmari… N’auront-ils pas faim, eux ?… Je vais m’occuper de leurdîner.

En disant ces mots, ma belle hôtesse sortit,m’abandonnant à une impatience qui n’avait aucun rapport avec leretour du mari ou du cher frère Luigi.

Pour « tuer le temps, » comme on mel’avait recommandé, je me mis à passer les tableaux en revue. Il yen avait environ une douzaine suspendus aux murs de la chambre dontils formaient le principal mobilier. Les meubles brillaientgénéralement par leur absence ; on devait s’y attendre dans laprovince excentrique de Santa-Fé. Comme me l’avait dit la jeunefemme, c’était, pour la plupart, des scènes du pays et, par celamême, fort intéressantes. Tous les genres de sport indigènes yétaient représentés : chasses à l’autruche, au jaguar ou auflamant, poursuites des chevaux et bestiaux sauvages et leurcapture au moyen des bolas ou du lazo.

Ce qui me frappa tout d’abord, ce futl’étonnante fidélité des détails : chardons gigantesques,arbres-ombas, immenses pampas, autruches, bestiaux et autresanimaux sauvages, gauchos au pittoresque costume, toutvivait. Mais je n’étais pas préparé à ce que je découvris après unplus minutieux examen… Ces tableaux, le plus grand nombre au moins,constituaient des œuvres d’art susceptibles de prendre place dansn’importe quel musée du monde civilisé.

J’aurais éprouvé déjà une assez grandesurprise de rencontrer une semblable galerie dans les plaineslointaines du Pavana ; mais ce qui me frappa le plus, c’est lapensée qu’ils avaient été peints sur les lieux mêmes.

Mon étonnement n’avait pas cessé encore,lorsqu’un bruit de voix venant du dehors interrompit mon examen etme ramena vers la fenêtre.

J’aperçus une scène exactement semblable àcelles que je venais de voir reproduites sur la toile.

Sous l’ombre d’un gigantesque omba,planté devant la maison, quelques cavaliers mettaient pied àterre.

Je compris tout de suite quels étaient cesnouveaux venus ; une magnifique autruche mâle était couchée entravers d’une des selles et une femelle sur une autre. Unetroisième dépouille cynégétique, une peau de jaguar, était rouléederrière un des chasseurs resté à cheval.

Deux des survenants étaient des gauchos oubergers ; les deux autres ne pouvaient être que le mari et le« cher frère Luigi. »

Luigi… je le reconnus à sa physionomiefranchement italienne… semblait indécis s’il descendrait de chevalou poursuivrait sa route ; tandis que le jeune Anglais, quiparlait aussi italien, insistait pour le faire rester.

À ce moment, ma belle hôtesse parut sous laverandah et, s’avançant jusqu’à la porte de l’enclos, joignit sessollicitations à celles de son mari, ajoutant, selon touteprobabilité, qu’il y avait un étranger à la maison. Luigi serendit, mit pied à terre et remit la bride à Tomasso qui étaitsorti des écuries et qui, avec l’aide des gauchos, se miten devoir d’y conduire les chevaux.

Les deux jeunes gens entrèrent.

– Mon mari Henry et mon frère Luigi, medit la charmante maîtresse des cérémonies.

Elle ne prononça aucun autre nom et, avant quej’eusse pu décliner le mien, commença à expliquer le motif de maprésence, ainsi que la requête que je lui avais adressée.

– Oh ! certainement, s’écria lejeune Anglais, nous vous prêterons un cheval et de grand cœur. Maispourquoi ne pas rester avec nous un jour ou deux ? Peut-êtrece délai suffira-t-il pour mettre votre monture à même de vousconduire chez votre ami.

– Mille grâces ! répondis-je.

J’avais le plus vif désir d’accéder à cetteaimable invitation. En y réfléchissant, pourtant, je m’imaginai quel’hospitalité offerte était de cette nature particulière aux payssud-américains… mea casa a su disposicion, señor… unesimple formule de politesse. J’allais donc refuser sous quelqueprétexte plausible ; mais de nouvelles et pressantessollicitations de la part de mon hôte, auquel sa charmante femme etLuigi s’adjoignirent, ne me permirent pas de douter de leursincérité.

Je m’inclinai donc avec reconnaissance etm’engageai à rester, comme on m’y engageait, un jour ou deux àl’estancia.

J’y restai trois jours, les plus agréables dema vie. Je ne les passai pas tous sous le toit de « mon mariHenry » car « frère Luigi » possédait uneestancia considérable dont celle de sa sœur et de sonbeau-frère n’était qu’une annexe. On m’y conduisit et j’yrencontrai une autre belle hôtesse, une jeune Sud-américaine qui enétait devenue, depuis peu, la maîtresse, et le père de Luigi, unvénérable Italien qui, en réalité, était le chef reconnu de lapetite colonie.

Une distance d’un demi-mille seulementséparait les deux établissements, et, en passant de l’un à l’autre,y dînant alternativement, chassant entre temps l’autruche, lestrois jours passèrent si rapidement que je m’imaginais avoir àpeine vécu vingt-quatre heures.

Tomasso avait soigné mon cheval avec uneadresse vraiment incroyable. La physionomie de cet homme avait pourmoi un singulier caractère. Si je l’avais rencontré dans lesmontagnes de la Romagne et non sur les rives du Parana, je l’auraiscertainement pris pour un brigand, bien que la ressemblances’arrêtât à l’extérieur, à cette apparence pittoresque que noussommes habitués à attribuer au bandit italien. Au fond, Tomassoétait un honnête garçon, d’un caractère ouvert, adorant, c’est lemot, le signor et la signora au service desquels il s’étaitattaché.

Ce fut avec un chagrin que je ne cherchai pasà dissimuler qu’à l’expiration du troisième jour, j’appris, de labouche de Tomasso, le complet rétablissement de mon cheval. Malgréles instances de mes hôtes, je me disposai à continuer mon voyage.On ne consentit à me laisser partir qu’après m’avoir fait promettrede m’arrêter à l’estancia, lors de mon retour àRosario.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que l’espoir derenouer d’aussi agréables relations me rendit mon éloignement moinspénible.

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