Le Maître de Ballantrae

Chapitre 4Persécutions que subit Mr. Henry

On devine sur quelle partie de ses aventures le colonels’étendit principalement. À coup sûr, si nous les avions ouïes aucomplet, il est à croire que le cours des événements eût étémodifié de beaucoup ; l’épisode du bateau pirate fut trèsexpurgé. Et je n’entendis même pas jusqu’à la fin ce que le colonelvoulut bien en révéler, car Mr. Henry, qui depuis un momentparaissait plongé en de sombres réflexions, se leva de son siège et(s’excusant auprès du colonel sur ce que des affaires leréclamaient) m’ordonna de le suivre au bureau.

Une fois là, il ne chercha plus à dissimuler son souci, et semit à marcher de long en large avec un visage bouleversé, et sepassant la main sur le front à diverses reprises.

– Nous avons à faire, commença-t-il enfin.

Mais il s’interrompit, déclara qu’il nous fallait boire un coupde vin et envoya chercher un magnum du meilleur. Ceciétait tout à fait en dehors de ses habitudes et, davantage, quandle vin fut apporté, il avala coup sur coup deux verres, commeinsoucieux de tout décorum. Mais de boire le remonta.

– Vous ne serez pas étonné, Mackellar, dit-il, d’apprendre quemon frère – que nous sommes tous heureux de savoir en sûreté – setrouve dans un certain besoin d’argent.

Je lui répondis que je m’en doutais, mais que le moment étaitmal choisi, car les fonds étaient bas.

– Pas les miens, dit-il. Il y a l’argent pour l’hypothèque.

Je lui rappelai que cette somme appartenait à Mme Henry.

– J’en répondrai auprès de ma femme, répliqua-t-ilviolemment.

– Et, puis, ajoutai-je, il y a l’hypothèque elle-même.

– Je sais, dit-il, et c’est là-dessus que je voulais vousconsulter.

Je lui fis voir que ce n’était pas du tout le moment dedétourner ces fonds de leur destination ; et aussi que, cefaisant, nous perdions le bénéfice de nos économies passées, pourreplonger le domaine dans le bourbier. Je pris même la liberté delui faire des remontrances ; et comme il persistait àm’opposer le même hochement de tête et un sourire d’amèrerésolution, mon zèle m’emporta tout à fait hors de mon rôle.

– Mais c’est de la folie en plein, m’écriai-je ; et quant àmoi, je n’y prendrai aucune part.

– Vous avez l’air de vous figurer que je le fais pour monplaisir, dit-il. Mais j’ai maintenant un enfant ; et, de plus,j’aime l’ordre et pour dire la simple vérité, Mackellar, jecommençais à mettre ma fierté dans le domaine. – Il réfléchit uneminute. – Mais que voulez-vous, poursuivit-il. Rien n’est à moi,rien. Depuis ce que je viens d’apprendre, mon existence a perdutoute valeur. Je suis réduit au nom et à l’ombre des choses, – oui,à l’ombre ; il n’y a pas de réalité dans mes droits.

– Ils se trouveront assez réels devant les tribunaux,répliquai-je.

Il me jeta un regard enflammé, et parut sur le point de direquelque chose ; et je me repentis de ce que je venais de dire,car je voyais que, tout en parlant du domaine, il avait aussi envue son mariage. Et alors, brusquement, il tira de sa poche lalettre toute froissée, la lissa sur la table avec rage, et me lutd’une voix tremblante ces mots : « Mon cher Jacob… voilà comme ildébute, s’écria-t-il. – Mon cher Jacob, je vous ai donné ce nom unefois, vous vous le rappelez sans doute, et vous avez à présentréalisé la chose, et m’avez envoyé par-dessus les moulins… » Quepensez-vous de ceci, Mackellar, venant d’un frère unique ?J’affirme devant Dieu que je l’aimais bien ; je lui fustoujours attaché, et voilà ce qu’il m’écrit ! Mais je ne veuxpas rester sous cette imputation – (marchant de long en large) – jele vaux bien ; je vaux mieux que lui, je le prouverai devantDieu ! je ne saurais lui donner les sommes énormes qu’ilréclame ; il sait que nos biens n’y suffiraient pas, mais jeveux lui donner ce que j’ai, et c’est plus qu’il n’espère. J’aisupporté tout ceci trop longtemps… Voyez ce qu’il écrit encore,lisez vous-même : « Je vous connais pour un chien d’avaricieux… »Un chien d’avaricieux ! Moi, avaricieux ! Est-ce vrai,Mackellar ? le croyez-vous ? – (Je pensai réellementqu’il allait me frapper.) – Oh ! vous le croyez tous ! Ehbien, vous verrez, et il verra, et Dieu verra. Dussé-je ruiner ledomaine et aller nu-pieds, je gorgerai cette sangsue. Qu’il demandetout… tout, et il l’aura ! Tout est à lui, régulièrement…Ah ! s’écria-t-il, et dire que j’avais prévu tout ceci, et pismême, quand il refusa de me laisser partir.

Il se versa encore un verre de vin, et allait le porter à seslèvres, quand je me permis de poser le doigt sur son bras. Ils’arrêta.

– Vous avez raison, dit-il. – Et il jeta dans l’âtre le verreavec son contenu. – Allons compter l’argent.

Je n’osai plus l’empêcher ; d’ailleurs, j’étais fortaffecté de voir tellement bouleversé un homme d’habitude si retenu.Je m’assis à côté de lui, comptai l’argent, et l’empaquetai, pourla plus grande commodité du colonel, qui devait le prendre aveclui. Ceci fait, Mr. Henry s’en retourna dans la salle, où Mylord etlui passèrent la nuit à causer avec leur hôte.

Un peu avant l’aube, on m’appela pour escorter le colonel. Ileût préféré sans doute un autre convoyeur, car il s’estimaitbeaucoup ; mais nous ne pûmes lui en offrir un plus digne, carMr. Henry ne devait pas se faire voir avec les contrebandiers.C’était une matinée de vent très âpre et, comme nous descendionssous la grande charmille, le colonel s’emmitoufla dans sonmanteau.

– Monsieur, dis-je, c’est une grosse somme d’argent que réclamevotre ami. Je suppose qu’il a de très grands besoins.

– Supposons-le, dit-il (un peu sèchement, pensai-je, maisc’était peut-être à cause du manteau sur sa bouche).

– Je ne suis que le serviteur de la famille, repris-je. Vouspouvez causer sans détours avec moi. Je pense que nous n’avons pasgrand-chose de bon à espérer de lui ?

– Mon cher ami, dit le colonel, Ballantrae est un gentilhommedes plus hautes capacités naturelles, et je l’admire et le révèrejusqu’à la semelle de ses bottes.

Et alors, il me parut qu’il rencontrait une difficulté.

– Mais, malgré tout, dis-je, nous n’avons pas grand-chose de bonà espérer de lui ?

– Pour sûr, et vous avez raison de le croire, mon cher ami, ditle colonel.

Nous étions arrivés au bord de la crique où le canotl’attendait.

– Eh bien, dit-il, je reste à coup sûr votre débiteur pour voscivilités, Mr. Quel-est-votre-nom ; et pour dernier mot, etpuisque vous montrez une curiosité si intelligente, je vousconfierai un petit détail qui peut servir à la famille. Car jecrois que mon ami a oublié de mentionner que le Secours-Écossaislui sert une pension plus forte qu’à aucun réfugié de Paris, et leplus honteux, Monsieur, ajouta-t-il en s’échauffant, – c’est qu’ilsn’ont pas un traître sou pour moi !

Il mit son chapeau de côté en me regardant, comme s’il merendait responsable de cette injustice ; puis il revint à sonhabituel excès de politesse, me serra la main, et descendit vers lecanot, son argent sous le bras, et sifflant l’air pathétique deShule Aroon. C’était la première fois que j’entendais cetair ; je devais l’entendre à nouveau, avec les paroles, commeon le verra, mais je me souviens que cette simple mesure me trottadans la tête après que les contrebandiers l’eurent fait taire d’un: « Chut ! au nom du diable ! » Les avirons grincèrent,et je restai à regarder l’aube se répandre sur la mer, où le canots’éloignait, vers le lougre qui l’attendait, sa voile d’avantmasquée.

La brèche faite à notre budget nous embarrassa beaucoup, etentre autres conséquences, il me fallut faire le voyage d’Édimbourget, là, obtenir un nouveau prêt, à des conditions fort onéreusespour maintenir l’autre à flot ; et je fus ainsi, pendant prèsde trois semaines, absent du château de Durrisdeer.

Ce qui se passa dans l’intervalle, je n’eus personne pour me leraconter, mais à mon retour, je trouvai Mme Henry fort changéed’allures. Les entretiens de jadis avec Mylord étaient devenusrares ; elle avait parfois l’air d’adresser comme une prièremuette à son mari, et il me sembla qu’elle lui parlait plussouvent ; enfin, elle était absolument férue de MissKatharine. On croit peut-être que ce changement était agréable àMr. Henry ? En aucune façon. Au contraire, chacune de cesinnovations lui portait un coup ; il croyait y lire l’aveu descoupables désirs de sa femme. Cette fidélité constante au Maître,dont elle était si fière lorsque nous le pensions mort, elle avaità en rougir, depuis qu’elle le savait en vie, et cette vergogneétait la source de sa nouvelle manière d’être. Je ne dois cacheraucune vérité ; et je le dirai ici nettement, ce fut, jecrois, l’époque où Mr. Henry se comporta le plus mal. En public, ilsavait se contenir ; mais on percevait en lui une irritationprofonde et latente. Avec moi, il prenait moins de précautions pourla dissimuler, et se montrait souvent des plus injustes. Même avecsa femme, il lui échappait des réponses acerbes : soit qu’ellel’eût froissé par quelque amabilité intempestive ; oupeut-être sans motif plausible, et par un simple épanchementspontané de l’irritation habituelle chez lui. Quand il s’oubliaitde la sorte (ce qui jurait singulièrement avec les conditions deleur union), un malaise passait sur la société, et le couple seregardait avec une sorte d’étonnement douloureux.

Tout ce temps aussi, outre qu’il se nuisait par ce défautd’humeur, il compromettait sa position par un silence dont je n’osedécider s’il provenait de la générosité ou de l’orgueil. Lescontrebandiers revinrent à plusieurs reprises, amenant desmessagers du Maître, et aucun ne s’en retourna les mains vides. Jen’osais plus discuter avec Mr. Henry ; il donnait ce qui luiétait demandé, avec une sorte de noble rage. Peut-être parce qu’ilse savait d’un naturel enclin à la parcimonie, il prenait unplaisir pervers à fournir sans trêve aux exigences de son frère.Peut-être la fausseté de sa position aurait aiguillonné un hommemoins fier jusqu’au même excès. Mais le domaine gémissait, pourainsi dire, sous le faix ; nos dépenses quotidiennes serestreignaient chaque jour ; les écuries se vidaient, il n’yresta plus que quatre bidets de fatigue ; les domestiquesfurent congédiés, ce qui fit murmurer hautement dans le pays, etraviva l’ancienne animosité contre Mr. Henry. Finalement, il fallutrenoncer au voyage annuel d’Édimbourg.

Ceci advint en 1756. Il faut se rendre compte que depuis septans cette sangsue pompait le sang et la vie de Durrisdeer, et quedurant tout ce laps de temps, mon maître s’était tu. C’était eneffet de sa diabolique malice que le Maître s’adressait à Mr. Henryseul sur le chapitre des demandes, et qu’il n’en touchait pas unmot à Mylord. La famille avait considéré avec surprise noséconomies. Elle s’était plainte, je n’en ai pas le moindre doute,que mon maître fût devenu d’une telle ladrerie, – défaut toujoursméprisable, mais répugnant chez les personnes jeunes, et Mr. Henryn’avait pas trente ans.

À cette époque, je crois bien que mon maître et sa femme sevoyaient à peine en dehors des repas. Immédiatement après larévélation du colonel Burke, Mme Henry avait fait des avancesvisibles à son mari ; on pourrait presque dire qu’elle lui fitalors une espèce de cour timide, en absolu contraste avec sesmanières d’autrefois, indifférentes et hautaines. Je n’ai jamais eule courage de blâmer Mr. Henry pour avoir décliné ces avances, nonplus que de blâmer sa femme lorsqu’elle se piquait au vif de lesvoir rejeter. Mais ils devinrent de plus en plus étrangers l’un àl’autre, et finirent par ne plus guère se parler (comme je l’aidit) en dehors des repas. Même le sujet du voyage à Édimbourg futd’abord entamé à table, et il se trouva que Mme Henry était cejour-là souffrante et mal disposée. Elle n’eut pas plus tôt comprisoù voulait en venir son mari, que le rouge lui monta au visage.

– C’en est trop, à la fin ! s’écria-t-elle. Je n’ai déjàpas tant de plaisirs dans l’existence, qu’on doive me priver decette unique consolation. Il faut refouler ces honteuxpenchants ; nous sommes déjà la risée de tout le voisinage. Jene souffrirai pas cette nouvelle insanité.

– Je n’y puis rien, répliqua, Mr. Henry.

– Rien ? s’écria-t-elle. Vous n’avez pas honte !Heureusement, j’ai de l’argent à moi.

– Tout est mien, Madame, de par notre mariage, lança-t-il,rageusement. Et aussitôt, il quitta la salle.

Mon vieux lord leva les bras au ciel, et lui et sa fille seretirèrent au coin de la cheminée, ce qui me signifiait mon congé.J’allai retrouver Mr. Henry dans son refuge habituel, le bureau durégisseur. Il était assis au bord de la table, dans laquelle ilenfonçait son canif, d’un air sinistre.

– Mr. Henry, dis-je, vous vous faites trop de tort, et il esttemps que cela cesse.

– Oh ! s’écria-t-il, personne ne s’en aperçoit, ici. Ils sefigurent que c’est tout naturel. J’ai de honteux penchants. Je suisun chien d’avaricieux (et il enfonça le canif jusqu’à la garde).Mais je ferai voir à cet individu, lança-t-il avec un juron, je luiferai voir qui est le plus généreux.

– Ceci n’est pas de la générosité, dis-je, c’est simplement del’orgueil.

– Croyez-vous que j’aie besoin de morale ?répliqua-t-il.

Je crus qu’il avait besoin de secours, et que je lui endonnerais, bon gré mal gré. Mme Henry ne fut pas plus tôt retiréechez elle, que je me présentai à sa porte, et lui demandai uneaudience.

Elle laissa voir un étonnement réel.

– Que désirez-vous de moi, Mr. Mackellar ? dit-elle.

– Dieu sait, Madame, répondis-je, que je ne vous ai jamaisjusqu’ici importunée de mes libertés ; mais cette fois, lachose me pèse trop sur la conscience, et il faut que cela sorte.Peut-on véritablement être aussi aveugle que vous et Mylord ?Peut-on vivre depuis tant d’années avec un noble cœur comme Mr.Henry, sans mieux comprendre son caractère ?

– Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle.

– Ne savez-vous donc pas où va son argent ? le sien… et levôtre… et l’argent même du vin qu’il ne boit pas à table ?… ÀParis !… à cet homme ! Huit mille livres qu’il a eues denous en sept ans, et mon maître assez fou pour n’en riendire !

– Huit mille livres ! répéta-t-elle. C’est impossible : lesrevenus n’y suffiraient pas.

– Dieu sait comment nous avons usé les farthings pour faire lasomme, dis-je. Mais elle est de huit mille soixante, et desshillings. Si vous pouvez croire après cela que mon maître estregardant, je ne me mêle plus de rien.

– N’en dites pas davantage, Mr. Mackellar, répondit-elle. Vousavez parfaitement agi de vous en mêler, comme vous le dites tropmodestement. Je suis fort à blâmer, et vous devez me croireincapable d’observation (et elle me regardait avec un singuliersourire), mais je veux sur-le-champ remettre les choses au point.Le Maître a toujours été d’un naturel fort irréfléchi ; maisil a un cœur d’or, il est la générosité incarnée. Je vais luiécrire moi-même. Vous ne pouvez vous figurer combien votrecommunication m’a fait de peine.

– J’avais espéré plutôt, Madame, vous faire plaisir, dis-je, carj’étais furieux de la voir toujours penser au Maître.

– Et plaisir, dit-elle, plaisir aussi, bien entendu.

Le même jour (je ne puis dire que je ne les guettais pas), j’eusla satisfaction de voir Mr. Henry sortir de la chambre de sa femmeen un état qui lui ressemblait fort peu ; car son visageportait des traces abondantes de pleurs, et néanmoins, il netouchait plus terre. Je compris, à le voir, que sa femme lui avaitfait amende honorable. – « Ah ! me dis-je en moi-même, j’aifait aujourd’hui un beau coup ! »

Le lendemain, j’étais assis devant mes livres, quand Mr. Henryarriva doucement derrière moi, me saisit aux épaules et me secouaen manière de jeu.

– Ah ! ah ! je sais tout ; vous n’êtes donc pourfinir qu’un individu sans foi, dit-il.

Ce fut sa seule illusion[26] ;mais il la fit d’un ton plus éloquent que toute protestation degratitude. Et là ne se borna pas ma réussite ; car lorsqu’unnouveau messager se présenta (et ce ne fut guère longtemps après)de la part du Maître, il n’emporta rien qu’une missive. Depuisquelque temps, c’était moi qui traitais ce genre d’affaires. Mr.Henry ne mettait pas la main à la plume et, moi-même, je n’usaisque des termes les plus secs et les plus formalistes. Mais cetteépître-là, je ne la vis même point. Elle ne devait pas être d’unelecture fort agréable, car Mr. Henry se sentait soutenu par safemme, – et je remarquai, le jour où il l’expédia, qu’il avait uneexpression très satisfaite.

Les choses allaient mieux dans la famille, – sans toutefoisprétendre qu’elles allaient bien. Du moins n’y avait-il plusdésormais de malentendu : on était aimable des deux parts ; etje crois qu’un retour d’intimité n’était pas impossible entre monmaître et sa femme, s’ils eussent pu seulement, lui, mettre sonorgueil dans sa poche, et elle oublier (ce qui était l’origine dumal) ses rêvasseries sur un autre homme. C’est merveille comme unepensée cachée transpire au-dehors ; c’est merveille à présentpour moi de me rappeler à quel point nous suivions le cours de sessentiments. Elle avait beau être d’allures paisibles, et dedispositions égales, nous savions toujours quand son imaginationl’emportait vers Paris. Et qui ne se serait figuré voir l’idoleabattue par ma révélation ? C’est à croire que les femmes sontpossédées du diable. Toutes ces années écoulées sans jamais revoirl’homme, bien peu de tendresse à se rappeler (d’un commun accord)même du temps où il était auprès d’elle, la nouvelle de sa mort et,depuis, sa rapacité sans cœur étalée à nu devant elle ; quetout cela ne pût suffire, et qu’elle gardât toujours la meilleureplace en son cœur à ce maudit individu, il y a de quoi exaspérer unhonnête homme. Je n’eus jamais beaucoup de sympathie naturelle pourla passion amoureuse, mais cette démence chez la femme de monmaître me dégoûta entièrement de la chose. Je me souviens d’avoirrepris une servante parce qu’elle chantait une bêtise sentimentaletandis que j’étais dans ces dispositions ; et ma sévérité mevalut la rancune de tous les cotillons du château. Je m’en souciaisfort peu, mais cela amusait Mr. Henry, qui me raillait souvent surnotre impopularité jumelle. La chose est singulière (car ma mèreétait assurément la perle des femmes, et ma tante Dickson, qui payames études à l’Université, une femme remarquable), mais je n’aijamais eu grande indulgence pour le sexe féminin, ni même peut-êtrebeaucoup de compréhension ; et comme je suis loin d’être unhomme hardi, j’ai toujours esquivé leur société. Non seulement jene vois aucun motif de regretter ma défiance, mais j’ai remarquéinvariablement que les pires catastrophes frappent ceux qui ont étémoins sages. C’est par crainte de m’être montré injuste envers MmeHenry que j’ai jugé utile de consigner cette mienne tournured’esprit. Et d’ailleurs la remarque m’est venue tout naturellement,à relire la lettre qui provoqua de nouveaux événements, et qui mefut, à mon grand étonnement, remise en particulier, une semaineenviron après le départ du précédent messager.

LETTRE DU COLONEL BURKE (PAR LA SUITE CHEVALIER) À MR.MACKELLAR

Troyes-en-Champagne, le 12 juillet 1756.

Mon cher Monsieur,

Vous serez sans doute surpris de recevoir une communicationd’une personne si peu connue de vous ; mais cette fois oùj’eus l’heureuse chance de vous rencontrer à Durrisdeer, j’aidistingué en vous un jeune homme du caractère le plussérieux ; et j’admire cette qualité et l’estime à peine moinsque le génie spontané ou la hardiesse chevaleresque du soldat. Jem’intéresse en outre à la famille que vous avez l’honneur deservir, ou plutôt, dont vous êtes l’humble et respectableami ; et une conversation que j’eus le plaisir d’avoir avecvous, un matin de très bonne heure, ne m’est pas sortie de lamémoire.

Me trouvant ces jours-ci à Paris, où je m’étais rendu, decette cité fameuse où je suis en garnison, je m’informai de votrenom (que j’avais oublié, je l’avoue) à mon ami le Maître deBallantrae, et je saisis une occasion favorable pour vous écrire etvous mander les nouvelles.

Le Maître de Ballantrae (la dernière fois que nous enparlâmes, vous et moi) était titulaire, je crois vous l’avoir dit,d’une pension très avantageuse du Secours-Écossais. On lui donnaensuite une compagnie, puis bientôt un régiment. Mon cher Monsieur,je ne tenterai pas d’expliquer la chose ; et non plus pourquoimoi-même, qui ai chevauché à la droite des princes, on me bernesous divers prétextes, et on m’envoie pourrir dans un trou perdu deprovince. Accoutumé comme je le suis aux cours, je ne puis ne pasm’apercevoir que l’atmosphère ici n’est point faite pour un vraisoldat ; et je n’ai aucun espoir d’avancement analogue,dussé-je même m’abaisser à le solliciter. Mais notre ami a uneaptitude spéciale pour réussir par les dames ; et si tout ceque l’on raconte est vrai, il jouissait d’une protectionexceptionnelle. Vraisemblablement, la chose s’est retournée contrelui, car lorsque j’eus l’honneur de lui serrer la main, il sortaitde la Bastille, où il s’était vu enfermer sur une lettre decachet ; et, malgré sa mise en liberté, il a perdu sonrégiment et sa pension. Mon cher Monsieur, la simple franchiseirlandaise me tiendra lieu ici de savoir-faire, et je suis certainqu’un gentleman de votre honnêteté sera d’accord avec moi.

Maintenant, Monsieur, le Maître est un homme dont j’admirele génie au-delà de toute expression et, de plus, il est monami ; mais j’ai pensé qu’un petit mot de la révolutionsurvenue dans l’état de ses affaires ne serait pas de trop, car, àmon avis, il est désespéré. Il parlait, la dernière fois que jel’ai vu, d’aller aux Indes (où j’ai moi-même quelque espoird’accompagner mon illustre concitoyen Mr. Lally[27] ,mais pour cela, il aurait besoin, à ce que j’ai compris, de plusd’argent qu’il n’en avait à sa disposition. Vous connaissezpeut-être ce proverbe militaire : « Il vaut mieux faire un pontd’or à l’ennemi qui fuit. » Vous me comprenez, j’en suis persuadé,et je me dis, avec mes respects à Mylord Durie, à son fils, et à lacharmante Mme Durie.

Mon cher Monsieur,

Votre humble et obéissant serviteur.

Francis Burke.

Je portai sur-le-champ cette missive à Mr. Henry. Nous eûmestous deux la même pensée : elle arrivait une semaine trop tard. Jeme hâtai de répondre au colonel Burke, et le priai, au cas où ilverrait le Maître, de lui garantir que son prochain messagerrecevrait satisfaction. Mais j’eus beau me hâter, j’arrivai troptard et je ne pus détourner le coup qui nous menaçait : la flècheétait décochée, elle devait atteindre son but. Ce serait à sedemander si la Providence a le pouvoir (ou plutôt la volonté) deprédéterminer le résultat des événements ; car il est étrangede songer combien chacun de nous a accumulé, pendant longtemps etavec une aveugle ignorance, tous les éléments d’unecatastrophe.

Depuis la réception de la lettre du colonel, j’avais unelongue-vue dans ma chambre, et posais des questions aux tenanciers.Comme les contrebandiers ne se souciaient guère du secret, etqu’ils exerçaient leur métier par force autant que par ruse (dumoins dans nos environs) j’eus tôt fait de connaître les signaux enusage, et je sus à une heure près quand il fallait attendre unmessager. Je questionnai, dis-je, les tenanciers ; car, avecles fraudeurs eux-mêmes, affreux gredins qui allaient toujoursarmés, j’aurais difficilement pris sur moi de me frotter à eux. Enfait (et la circonstance, par la suite, fut heureuse), j’étais unobjet de risée pour quelques-uns de ces bravaches. Non seulementils m’avaient gratifié d’un sobriquet, mais ils m’attrapèrent unsoir dans un chemin de traverse, et comme ils étaient tous (selonleur expression) un peu gais, ils me contraignirent à danser pourleur amusement. La méthode employée consistait à taillader lesbouts de mes chaussures avec leurs coutelas nus, en criant : «Bouts-carrés ! » Je n’en subis aucun mal physique, mais n’enfus pas moins déplorablement affecté, et dus garder le litplusieurs jours : – scandaleux échantillon de l’état de l’Écosse,sur lequel il est inutile d’insister.

Dans l’après-midi du 7 novembre de cette malheureuse année, ilm’arriva, tout en me promenant, de remarquer un feu sur leMuckleross. L’heure de mon retour approchait ; mais j’avaisl’esprit si inquiet ce jour-là que, m’élançant à travers lesbuissons, j’escaladai la pointe nommée Craig Head. Le soleil étaitdéjà couché, mais il subsistait à l’occident une vaste luminositéqui me laissa voir sur le Ross quelques contrebandiers occupés àentretenir leur signal et, dans la baie, le lougre immobile sous savoilure carguée. Celui-ci venait évidemment de jeter l’ancre, maisla yole était déjà mise à l’eau, et faisait force de rames vers ledébarcadère à l’extrémité de la grande charmille. Et cela, je lesavais, ne pouvait signifier qu’une chose : la venue d’un messagerà Durrisdeer.

Oubliant mes autres craintes, je dévalai la pente abrupte – oùje ne m’étais jamais aventuré – et parvins à me cacher parmi lesbuissons du rivage assez tôt pour voir aborder la yole.Contrairement à son habitude, le capitaine Crail lui-même tenait labarre ; auprès de lui était assis un passager ; et leshommes manœuvraient avec difficulté, encombrés qu’ils étaient parune douzaine de valises, grandes et petites. Mais l’affaire de lesdébarquer fut menée rondement, et bientôt le bagage fut empilé surla rive, la yole s’en retourna vers le lougre, et le passager restaseul sur la pointe du roc. C’était un grand et svelte gentlemanvêtu de noir, l’épée au côté et la canne de promenade au poignet.Il agita sa canne dans la direction du capitaine Crail, en guised’adieu, et avec un mélange de grâce et de raillerie qui gravaprofondément le geste dans ma mémoire.

La yole ne se fut pas plus tôt éloignée avec mes ennemis jurés,que je retrouvai une partie de mon assurance, m’avançai sur lalisière des buissons, et fis halte de nouveau, partagé entre madéfiance naturelle et un sinistre pressentiment de la vérité.J’aurais pu rester là toute la nuit à balancer, mais l’étranger seretourna, m’aperçut dans la brume qui commençait à se lever, et mefit signe en me criant d’approcher. Je lui obéis, mais mon cœurétait de plomb.

– Voici, mon brave, dit-il avec l’accent anglais, voici quelquesobjets pour Durrisdeer.

J’étais alors assez près de lui pour distinguer ses traits finset son visage brun, mince et allongé, son regard vif, alerte etsombre, qui décelait l’homme de guerre et l’habitude ducommandement. Il avait sur la joue une envie, qui ne lui seyait pasmal ; un gros diamant étincelait à son doigt ; seshabits, quoique de couleur uniforme, étaient d’une coupe et d’uneélégance françaises ; ses manchettes, plus longues qu’il n’estd’usage, de dentelle très fine ; et je m’étonnais d’autantplus de le voir en si bel appareil, qu’il venait de débarquer d’unsale lougre de contrebandiers. Après m’avoir mieux examiné, il metoisa une seconde avec sévérité, et puis sourit :

– Je gage, mon garçon, dit-il, que je connais à la fois votrenom et votre surnom. J’avais deviné à votre écriture cette façon devous vêtir, Mr. Mackellar.

À ces mots, je me mis à trembler.

– Oh ! dit-il, vous n’avez pas à avoir peur de moi. Je nevous en veux pas pour vos ennuyeuses épîtres ; et j’ail’intention de me servir beaucoup de vous. Vous m’appellerez Mr.Bally : c’est le nom que j’ai choisi, ou plutôt (car je parle à ungrand formaliste) c’est ainsi que j’ai abrégé le mien. Allons,attrapez ceci, et cela – (et il m’indiquait deux des valises). –C’est tout ce que vous êtes capable de porter, et le reste peutfort bien attendre. Allons, ne perdons pas de temps, s’il vousplaît.

Son ton était si tranchant que je lui obéis comme par une sorted’instinct, bien que mon esprit demeurât entièrement éperdu. Dèsque j’eus empoigné les valises, il me tourna le dos et se mit enroute sous la grande charmille, où déjà il commençait à faire noir,car le bois est épais et toujours vert. Je suivais, pliant sous macharge, bien que je n’eusse pas conscience du fardeau : j’étaisabsorbé dans la stupéfaction de ce retour, et mon esprit oscillaitcomme une navette de tisserand.

Soudain, je déposai les valises sur le sol, et m’arrêtai. Il seretourna pour me regarder.

– Hé bien ? dit-il.

– Vous êtes le Maître de Ballantrae ?

– Vous me rendrez cette justice, dit-il, que je ne me suis pascaché de l’astucieux Mackellar.

– Et au nom de Dieu, m’écriai-je, que venez-vous faireici ? Retournez, il en est encore temps.

– Non, merci, dit-il. Votre maître a choisi ce moyen, pasmoi ; mais ayant fait ce choix, il doit (et vous aussi) ensubir les conséquences. Et maintenant, ramassez mes affaires quevous avez déposées dans un endroit fort humide, et occupez-vous dela besogne dont je vous ai chargé.

Mais je n’avais plus aucune intention d’obéir ; jem’avançai jusqu’à lui.

– Si rien ne peut vous faire retourner, dis-je ; quoique, àtout point de vue, un chrétien ou un simple gentleman se feraitscrupule d’avancer…

– Voilà des expressions flatteuses, interrompit-il.

– Si rien ne peut vous décider à repartir, continuai-je, il y anéanmoins des convenances à respecter. Attendez ici avec votrebagage, et j’irai en avant préparer votre famille. Votre père estvieux, et… (j’hésitai)… il y a des convenances à respecter.

– En vérité, dit-il, ce Mackellar gagne à être connu. Maisécoutez un peu, mon garçon, et comprenez-le une fois pour toutes :vous perdez votre salive avec moi, et je vais droit mon chemin,d’une force inéluctable.

– Ah ! dis-je. C’est ainsi ? Eh bien, nous allonsvoir !

Et, faisant volte-face, je courus à toutes jambes versDurrisdeer. Il tâcha de me retenir, avec un cri de colère, et puisje crois que je l’entendis ricaner, et je suis certain qu’il mepoursuivit deux ou trois pas et, sans doute, y renonça. Mais lefait est que j’arrivai quelques minutes plus tard à la porte duchâteau, hors d’haleine, et seul. Je montai l’escalier quatre àquatre, fis irruption dans la salle, et m’arrêtai en présence de lafamille, incapable de parler. Mais on devait lire dans mes yeuxtoute l’histoire, car ils se levèrent de leurs sièges, et meregardèrent, médusés.

– Il est venu, haletai-je enfin.

– Lui ? demanda Mr. Henry.

– Lui-même, dis-je.

– Mon fils ? s’écria Mylord. Imprudent ! imprudentgarçon ! Oh ! que ne restait-il où il se trouvait ensûreté !

Mme Henry ne prononça pas une parole ; et je ne la regardaipas, je ne sais pourquoi.

– Eh bien, dit Mr. Henry, après avoir longuement pris sarespiration, où est-il ?

– Je l’ai laissé sous la grande charmille, dis-je.

– Menez-moi auprès de lui, dit-il.

Nous partîmes tous les deux, lui et moi, sans échanger un mot deplus ; et au milieu de l’allée nous rencontrâmes le Maître,qui arpentait le gravier en sifflant et battant l’air avec sacanne. Il y avait encore assez de lumière pour reconnaître unvisage, mais non son expression.

– Ah ! Jacob ! dit le Maître. Voici donc Esaü deretour.

– James, dit Mr. Henry, pour l’amour de Dieu, appelez-moi parmon nom. Je ne dirai pas que je suis bien aise de vousrecevoir ; mais je vous accueillerai le mieux possible dans lamaison de nos pères.

– Ou dans ma maison ? ou la vôtre ?dit le Maître. Lequel des deux alliez-vous dire ? Mais c’estune vieille plaie qu’il ne faut pas raviver. Si vous n’avez pasvoulu partager avec moi lorsque j’étais à Paris, j’espère que vousne refuserez pas à votre frère aîné une place au coin du feu deDurrisdeer.

– Voilà qui est mal parler, dit Mr. Henry. Et vous sentezadmirablement la force de votre situation.

– Ma foi, je le pense, dit l’autre, avec un petit rire.

Et ce fut là, bien qu’ils ne se fussent pas donné la main, toutela bienvenue des deux frères ; car le Maître se tourna ensuitevers moi et m’ordonna de prendre son bagage.

Moi, de mon côté, je me tournai vers Mr. Henry pour avoirconfirmation ; et non sans quelque défi, peut-être.

– Aussi longtemps que le Maître sera ici, Mr. Mackellar, vousm’obligerez beaucoup en regardant ses désirs comme vous feriez desmiens, dit Mr. Henry. Nous ne cessons de vous importuner :voulez-vous avoir l’obligeance d’envoyer un des domestiques ?– et il appuya sur le mot.

Si cette phrase signifiait quelque chose, elle était à coup sûrun blâme bien mérité par l’étranger ; et cependant, sadiabolique imprudence était telle, qu’il la prit au rebours.

– Et aurons-nous la vulgarité d’ajouter : Baissez le nez ?interrogea-t-il doucement, en me regardant de côté ?

Quand bien même un royaume en eût dépendu, je n’aurais suprononcer une parole : même appeler un domestique était hors de monpouvoir ; je préférai servir moi-même cet homme ; je medétournai en silence et descendis la grande charmille, le cœurplein de rage et de désespoir.

Il faisait obscur sous les arbres, et je marchai devant moi sansplus savoir ce que j’étais venu faire là, jusqu’au moment où jefaillis me rompre le cou sur les valises. Ce fut alors que je fisune curieuse remarque : tout à l’heure, j’en portais deux sanspresque m’en apercevoir ; à présent, une me suffisait, etau-delà. Il me fallut donc faire deux voyages, ce qui me retint unbon moment éloigné de la salle.

Lorsque j’y entrai, les effusions de l’accueil avaient pris findepuis longtemps : on venait de se mettre à table ; mais,inadvertance qui me piqua au vif, ma place avait été oubliée. Jevenais de voir le retour du Maître sous une face ; j’allaisapercevoir l’autre. Il fut le premier à remarquer mon arrivée, eteut un léger mouvement de recul analogue au mien. Puis, il se levaavec vivacité.

– Voilà que j’ai pris la place du bon Mackellar !s’écria-t-il. John, mettez un autre couvert pour Mr. Bally ;j’affirme qu’il n’est venu déranger personne ; et votre tableest assez grande pour nous tous.

J’en crus à peine mes oreilles, et mes sens, lorsqu’il me saisitaux épaules et, tout riant, m’assit à ma place ordinaire, – tant savoix était affectueuse et gaie. Et tandis que John mettait lenouveau couvert (il y insista encore : pour lui), il allas’accouder au fauteuil de son père, en considérant le vieillard quise détourna pour lever les yeux vers son fils, avec une si doucetendresse mutuelle que je faillis, de stupéfaction, me prendre latête à deux mains.

Et tout fut à l’avenant. Ses lèvres n’eurent pas un mot rude, nile moindre ricanement. Renonçant même à son roide accent anglais,il parlait la chère langue écossaise, qui donne plus de valeur auxparoles tendres ; et bien qu’il conservât une gracieuseélégance fort étrangère à nos façons de Durrisdeer, ses airs decour se faisaient néanmoins familiers, et nous flattaient, loin denous humilier. Il ne s’en départit point de tout le repas, buvant àma santé avec un égard sensible, se tournant pour adresser à Johnun mot aimable, caressant la main de son père, contant avec gaietédes bribes de ses aventures, rappelant avec bonheur les souvenirsde passé ; – tout ce qui émanait de lui était si plein degrâce et d’accord avec sa distinction personnelle, que je nem’étonnais pas de voir Mylord et Mme Henry avec des visagesrayonnants, et derrière eux John faire son service avec des yeuxpleins de larmes.

Sitôt le souper terminé, Mme Henry se leva pour se retirer.

– Tiens, ce n’était pas votre habitude, Alison, dit leMaître.

– Ce l’est, à présent, répondit-elle ; – ce qui étaitnotoirement faux ; – et je vous donne le bonsoir, James, et jesalue votre retour… d’entre les morts, – acheva-t-elle après unehésitation, et d’une voix défaillante.

Le pauvre Mr. Henry, qui avait fait durant le repas une assezpiètre figure, s’assombrit encore : il aima de voir sa femme seretirer, malgré le déplaisir de songer aux motifs qui lapoussaient ; et l’instant d’après, il fut confondu par lachaleur de son discours.

De mon côté, je sentis que j’étais de trop ; et j’allaissuivre l’exemple de Mme Henry, mais le Maître s’en aperçut.

– Ceci, Mr. Mackellar, dit-il, n’est guère aimable. Je ne vouslaisse par sortir : vous faites du fils prodigue un étranger ;et cela, laissez-moi vous le rappeler, sous le toit de sespères ! Allons, rasseyez-vous, et buvez à la santé de Mr.Bally !

– Certes oui, Mr. Mackellar, dit Mylord, nous ne ferons unétranger pas plus de lui que de vous. Je disais justement à monfils, ajouta-t-il, – en soulignant le mot avec sa complaisanceordinaire, – combien nous apprécions tous vos services amicaux.

Je me rassis donc, et demeurai en silence, jusqu’à mon heurehabituelle ; et je me serais peut-être laissé abuser sur lecaractère de cet homme, n’eût été un incident où sa perfidieapparut en plein. Voici le fait ; et le lecteur en jugera parlui-même, d’après ce qu’il sait de la rencontre des deux frères.Mr. Henry était assis, un peu morne, en dépit de tous ses effortspour garder les apparences, vis-à-vis de Mylord. Soudain, le Maîtrese lève, fait le tour de la table, et va frapper sur l’épaule deson frère.

– Allons, allons, Hairry mon garçon, dit-il, – avec lefort accent qu’ils devaient avoir entre eux dans leur enfance – ilne faut pas vous laisser abattre par l’arrivée de votre frère. Toutest à vous, c’est certain, et je ne vous chicanerai pas surgrand-chose. Vous ne devez pas non plus me chicaner ma place aufoyer paternel.

– C’est trop juste, Henry, dit mon vieux lord, en fronçant unpeu le sourcil, chose rare chez lui. Vous avez été le frère aîné dela parabole dans le bon sens ; ne le soyez pas dansl’autre.

– Je me laisse facilement induire en erreur, dit Mr. Henry.

– Qui vous induit en erreur ? s’écria Mylord, un peurudement, me sembla-t-il, pour un homme si doux. Vous avez méritéma reconnaissance et celle de votre frère, mille et millefois ; vous pouvez compter sur sa durée ; et c’estassez.

– Sans nul doute, Harry, vous pouvez y compter, dit leMaître ; et je crus voir une lueur féroce dans le regard quelui lança Mr. Henry.

Concernant les malheureux épisodes qui vont suivre, il y aquatre questions que je me suis souvent posées à cette époque, etque je me pose toujours. – L’homme était-il mû par un ressentimentparticulier envers Mr. Henry ? ou par ce qu’il croyait êtreson intérêt ? ou par ce simple goût de la cruauté quemanifestent les chats et que les théologiens attribuent audiable ? ou par ce qu’il eût appelé de l’amour ?… Je m’entiens le plus fréquemment aux trois premières hypothèses ; –mais il est possible que sa conduite participât de toutes quatre.En effet, l’animosité contre Mr. Henry expliquerait la façonhaineuse dont il le traitait lorsqu’ils étaient seuls ; sesintérêts expliqueraient son attitude très différente devantMylord ; ses intérêts encore, plus une pointe de galanterie,son désir de bonne entente avec Mme Henry ; et le plaisir dumal pour lui-même, les peines qu’il prenait sans cesse à entremêleret opposer ces diverses lignes de conduite.

En partie parce que j’étais si ouvertement l’ami de mon maître,en partie parce que, dans mes épîtres adressées à Paris, j’avaissouvent pris la liberté de lui faire des remontrances, je fusenglobé dans son diabolique amusement. Lorsque j’étais seul aveclui, il me harcelait de sarcasmes ; devant les autres, ilétait tout à fait aimable et familier. Ce contraste était d’abordpénible en soi ; puis il m’induisait sans cesse enerreur ; mais surtout, il comportait un élément d’injuresinexprimable. Qu’il voulût ainsi me tenir en dehors de sadissimulation, comme si mon témoignage même était trop vil pourcompter, me blessait jusqu’à l’âme… Mais ce que j’en pensais n’apas d’importance. Je le note simplement pour mémoire, et surtoutparce que cette persécution me fit deviner plus tôt le martyre deMr. Henry.

Ce fut sur lui que tomba le plus lourd. Comment répondre enpublic aux avances de celui qui ne perdait jamais une occasion dele mortifier en particulier ? Comment sourire à qui letrompait et l’insultait ? Il était condamné à paraîtremalgracieux. Il était condamné au silence. S’il eût été moins fier,s’il eût parlé, qui aurait cru la vérité ? La calomnie enaction avait donc réussi. Mylord et Mme Henry étaient les témoinsjournaliers de ce qui se passait : ils auraient pu affirmer sousserment que le Maître était un modèle de douceur et de longanimité,et Mr. Henry la jalousie et l’ingratitude incarnées. Et cesdéfauts, si vilains en quiconque, semblaient dix fois plus laidschez Mr. Henry ; car personne ne pouvait oublier que la vie duMaître était en danger, et qu’il avait déjà perdu sa fiancée, sontitre et sa fortune.

– Henry, sortez-vous à cheval avec moi ? demanda un jour leMaître.

Et Mr. Henry, qui avait été mortifié par l’homme toute lamatinée, de répondre sèchement :

– Non.

– Je souhaiterais parfois vous voir plus aimable, Henry, ditl’autre d’un air peiné.

Je cite cet exemple ; mais des scènes analogues avaientlieu sans cesse. Rien d’étonnant si Mr. Henry était blâmé ;rien d’étonnant si je me tourmentais, presque à en avoir lajaunisse ; et le simple souvenir de cette période me faitbouillir le sang dans les veines.

À coup sûr, jamais en ce monde il n’y eut plus diaboliquemachination : si perfide, si simple, si impossible à combattre. Etpourtant, je crois, et croirai encore et toujours, que Mme Henryétait à même de lire entre les lignes ; elle aurait dû mieuxconnaître le caractère de son mari ; après tant d’années demariage, elle aurait dû posséder ou capter sa confiance. Et monvieux lord aussi, – ce gentleman si avisé, où était sa facultéd’observation ? Mais il est vrai, la ruse était pratiquée demain de maître, et aurait déçu un ange. D’autre part (en ce quiconcerne Mme Henry) j’ai remarqué que deux individus ne sont jamaisplus étrangers l’un à l’autre qu’en étant à la fois mariés etbrouillés : on les croirait alors sourds ou parlant une autrelangue. En troisième lieu (dans le cas de nos deux spectateurs) ilsétaient aveuglés par une prédilection invétérée. Et quatrièmement,le risque supposé du Maître (supposé, dis-je, – on saura bientôtpourquoi) rendait toute critique des moins généreuses ; et, enleur inspirant une continuelle et tendre sollicitude au sujet de savie, les aveuglait encore plus sur ses défauts.

Ce fut à cette époque que je commençai à mieux comprendre leprestige des bonnes manières, et à déplorer profondément lavulgarité des miennes. Mr. Henry avait l’essentiel du gentleman :une fois ému, ou si la circonstance l’exigeait, il jouait son rôleavec esprit et dignité ; mais dans le commerce de tous lesjours (il serait vain de le nier) il manquait d’élégance. LeMaître, au contraire, ne faisait pas un geste qui ne fût réfléchiet voulu. Et, par conséquent, lorsque l’un se montrait aimable etl’autre malgracieux, le moindre trait de leurs personnes venaitconfirmer leur attitude. Il y avait pis : car plus Mr. Henrys’empêtrait dans les pièges de son frère, plus gauche ildevenait ; et plus le Maître jouissait de son odieux plaisir,plus il apparaissait aimable et souriant. De sorte que la trame, ens’allongeant et progressant, se développait et se renforçaitd’elle-même.

Entre autres astuces, cet homme mettait à profit le danger(comme je l’ai dit) qu’il était censé courir. Il en parlait à ceuxqui l’aimaient, sous forme d’agréable badinage, ce qui le rendaitplus intéressant. Il en faisait contre Mr. Henry une arme offensivecruelle. Je le vois encore poser son doigt sur le losange incolorede la verrière, un jour que nous étions seuls à trois dans lasalle.

– C’est par là qu’a passé votre bienheureuse guinée, Jacob,dit-il. – Et, comme Mr. Henry le regardait sombrement :

– Oh, ajouta-t-il, ne prenez donc pas inutilement cet airféroce, ma bonne mouche. Vous serez débarrassé de votre araignéedès qu’il vous plaira. Jusques à quand, ô Seigneur ? Quandserez-vous mûr pour me dénoncer, frère scrupuleux ? C’est unede mes distractions dans ce trou lugubre. J’ai toujours aimé lesexpériences.

De nouveau, Mr. Henry se contenta de fixer sur lui un regardsombre, et il changea de couleur. Mais le Maître, avec un éclat derire, lui frappa sur l’épaule, en l’appelant balourd. Sur quoi monmaître fit un bond en arrière avec un geste qui me sembla fortmenaçant ; et je suppose que l’autre pensa de même, car ilparut un rien décontenancé, et jamais plus, à ma connaissance, ilne porta la main sur Mr. Henry.

Mais bien qu’il eût sans cesse à la bouche son danger, sous uneforme ou l’autre, je trouvais sa conduite singulièrementimprudente, et commençais à me dire que le Gouvernement, – lequelavait mis sa tête à prix, – avait le sommeil bien dur. Je ne nieraipas quelle tentation m’effleura de le dénoncer ; mais deuxconsidérations me retinrent. D’abord, s’il finissait honorablementsur l’échafaud, le personnage serait canonisé pour de bon dans lesesprits de son père et de sa belle-sœur ; d’autre part, sij’étais le moins du monde mêlé à l’affaire, Mr. Henry n’échapperaitpas aux soupçons. Et cependant, notre ennemi allait et venaitau-dehors plus que je ne l’aurais cru possible, la nouvelle de sonretour s’était répandue sur toute la côte, et jamais il ne futinquiété. Parmi toutes les personnes au courant de sa présence, pasune qui fût cupide, – comme je songeais avec tristesse, – niattachée au gouvernement ; et l’homme courait le pays àcheval, – beaucoup mieux reçu, en dépit d’un reste del’impopularité passée, que Mr. Henry, – et, au regard descontrebandiers, bien plus en sûreté que moi.

Il n’était pas néanmoins sans avoir sa tablature ; et,comme il en résulta les plus graves conséquences, je dois relaterl’affaire. Le lecteur n’a sans doute pas oublié Jessie Broun. Safaçon de vivre la mettait en contact fréquent avec lescontrebandiers ; le capitaine Crail lui-même était de sesintimes ; et elle fut des premières à savoir la présence deMr. Bally au château. À mon idée, elle n’avait cure depuislongtemps de la personne du Maître ; mais elle avait prisl’habitude de s’associer perpétuellement au nom du Maître : c’étaitle fond de toute sa comédie ; en conséquence, puisqu’il étaitrevenu elle crut de son devoir à elle de hanter le voisinage deDurrisdeer. Le Maître ne pouvait sortir qu’il ne trouvât àl’attendre cette femme de scandale, presque toujours ivre. Ellehélait à grands cris « son bon petit gas », lui débitait des versde mirliton, et même, paraît-il, fit semblant de pleurer sur sonépaule. Je l’avoue, je me frottai les mains de cettepersécution ; mais le Maître, si rude à autrui, était, poursoi-même, le moins patient des hommes. Il se passa d’étrangesscènes en leur particulier. Certains disent qu’il leva sa canne surelle, et que Jessie recourut à ses armes de jadis, – les pierres.Il est certain que pour finir il demanda au capitaine Craild’attirer la femme dans un guet-apens, et que le capitaine repoussala proposition, avec une chaleur inusitée. À la fin du compte,Jessie l’emporta. On réunit de l’argent, il y eut une entrevue, aucours de laquelle mon fier gentilhomme dut consentir à recevoir desbaisers et des larmes ; et la femme fut installée dans uncabaret à elle, situé quelque part sur le Solway (mais où, je l’aioublié) et, d’après le peu que j’en sais, des plus malfréquentés.

Mais nous anticipons. Il y avait quelque temps que Jessies’attachait à ses pas, lorsque le Maître vint un jour me trouverdans le bureau du régisseur, et me dit, avec plus de politesse qu’àl’ordinaire :

– Mackellar, il y a une maudite folle de traînée qui rôde auxalentours. Il ne m’est guère possible de m’en occuper moi-même,aussi j’ai recours à vous. Ayez l’obligeance de voir à ce que nosgens aient l’ordre strict de chasser cette traînée.

– Monsieur, dis-je, en tremblant un peu, vous pouvez fairevous-même vos sales commissions.

Sans dire un mot, il quitta la chambre.

Peu après arriva Mr. Henry.

– Voici du nouveau ! s’écria-t-il. Il paraît que tout nesuffit pas encore, et que vous voulez ajouter à mes maux. Il paraîtque vous avez offensé Mr. Bally.

– Avec votre permission, Mr. Henry, répliquai-je, c’est lui quim’a offensé ; et, à mon avis, grossièrement. Mais je n’aipeut-être pas assez considéré votre situation, en parlant ; etsi vous le croyez aussi, lorsque vous saurez tout, mon cher maître,vous n’avez qu’un mot à dire. Pour vous, j’obéirai sur n’importequoi, même jusqu’au péché, Dieu me pardonne !

Et je lui racontai ce qui venait de se passer.

Mr. Henry eut un sourire, – je n’ai jamais vu plus affreuxsourire.

– Vous avez parfaitement agi, dit-il. Il boira jusqu’à la lie saJessie Broun.

Puis, apercevant le Maître au-dehors, il ouvrit la fenêtre, etlui cria, en l’appelant Mr. Bally, de monter un instant.

– James, dit-il, – quand notre persécuteur fut entré et qu’ileut refermé la porte derrière lui, en me regardant avec un sourire,comme s’il se figurait que j’allais être tancé, – vous êtes venuvous plaindre à moi de Mr. Mackellar. J’ai pris mes renseignements.Je n’ai pas besoin de vous dire que je le croirai toujours depréférence à vous ; car nous sommes seuls, et je vais user unpeu de votre liberté. Mr. Mackellar est un gentleman quej’estime ; et vous devez tâcher, aussi longtemps que vousserez sous ce toit, de ne plus entrer en collision avec unepersonne que je soutiendrai quoi qu’il doive en coûter à moi ou auxmiens. Quant à la commission que vous lui proposiez, vous pouvezaller vous-même vous dépêtrer des conséquences de votre méchanceté,et nul de mes serviteurs ne sera employé en pareil cas.

– Les serviteurs de mon père, je crois, dit le Maître.

– Allez donc lui raconter cette histoire, dit Mr. Henry.

Le Maître devint très pâle. Il me désigna du doigt.

– Je veux que vous renvoyiez cet homme, dit-il.

– Je ne le renverrai pas, dit Mr. Henry.

– Vous me le paierez joliment cher, dit le Maître.

– J’ai payé si cher déjà pour un mauvais frère, dit Mr. Henry,que j’ai fait banqueroute, même de craintes. Il ne reste plusd’endroit où vous puissiez me frapper.

– C’est ce que nous verrons, dit le Maître.

Et il se retira lentement.

– Que va-t-il faire, Mackellar ? demanda Mr. Henry.

– Laissez-moi partir, dis-je. Mon cher maître, laissez-moipartir : je vais vous attirer de nouveaux ennuis.

– Voudriez-vous me laisser tout seul ? demanda-t-il.

Notre incertitude sur le nouveau genre d’attaque ne fut paslongue. Jusqu’à cette heure, le Maître avait joué très serré avecMme Henry. Il évitait délibérément de rester seul avec elle, ce queje pris d’abord pour un respect des convenances, mais ce quej’attribue aujourd’hui à une habileté plus insidieuse ; il nela voyait pour ainsi dire qu’au moment des repas, et se comportaitalors en frère affectionné. Jusqu’à cette heure, on peut dire,qu’il ne s’était pas directement interposé entre Mr. Henry et safemme ; il s’était contenté de soustraire à l’un les bonnesgrâces de l’autre. Or, tout ceci allait changer ; mais fut-cepar vengeance réelle, ou parce qu’il était las de Durrisdeer, etcherchait une distraction, le diable seul peut le dire.

Dès cette heure, en tout cas, il entreprit le siège de MmeHenry. Les opérations furent menées si habilement qu’elle-même s’enaperçut à peine, et que son mari dut y assister en silence. Lapremière tranchée fut ouverte (semble-t-il) par accident. Laconversation tomba, une fois de plus, sur les exilés deFrance ; puis elle dévia sur ce qu’ils chantaient.

– Voici une de leurs chansons, dit le Maître, si cela vousintéresse, qui m’a toujours paru très émouvante. Les vers en sontmauvais ; et cependant, peut-être à cause de ma situation, ilsme sont toujours allés au cœur. Celle qui chante, je dois vous ledire, est supposée être la fiancée d’un exilé ; et les parolesexpriment moins ses vraies pensées à elle que ce que lui espèred’elle, en ces terres lointaines – (et ici le Maître soupira). – Jevous assure que c’est un spectacle poignant, de voir une vingtainede grossiers Irlandais, tous simples soldats, entonner cettechanson ; et l’on peut se rendre compte, à voir couler leurslarmes, à quel point elle les émeut. Elle commence ainsi, père –(dit-il, en prenant fort habilement Mylord pour auditeur), – et sije ne puis aller jusqu’au bout, vous songerez que c’est un casordinaire chez nous autres exilés.

Et alors il chanta cet air que j’avais entendu siffler par lecolonel ; mais cette fois avec les paroles, frustes en effet,mais exprimant avec d’autant plus de force les désirs d’une pauvrefille envers son amant exilé. Je m’en rappelle ces quelques vers(si l’on peut dire) :

Oh ! je veux teindre en rouge mon jupon,

Avec mon cher garçon, j’irai mendier mon pain,

Dussent toutes mes amies souhaiter me voir morte

Pour Willie dans les roseaux ! Ô !

Il la chanta bien, mais la mima encore mieux. J’ai entendu desacteurs fameux, alors qu’il n’y avait pas un œil sec dans tout lethéâtre d’Édimbourg, spectacle bien étonnant ; mais pas plusétonnant que de voir le Maître jouer de cette petite ballade, et deceux qui l’écoutaient, comme d’un instrument. Parfois, on lecroyait prêt à défaillir, puis il domptait sa faiblesse, tant queles paroles et la musique semblaient sortir de son cœur et de sonpassé propres, et viser directement Mme Henry. Et son art alla plusloin : car le tout fut si subtilement nuancé qu’il était impossiblede le soupçonner de la moindre intention, et loin de faire étalagede son trouble, on eût juré qu’il s’efforçait de rester calme.Quand il eut fini, nous demeurâmes tous silencieux un moment. Ilavait choisi l’heure du crépuscule, et personne ne distinguait lestraits de son voisin ; mais il sembla que nous avions cessé derespirer ; seul, Mylord s’éclaircit la gorge. Le premier àfaire un mouvement fut le chanteur, qui soudain se leva sans bruit,et se mit à marcher lentement et de long en large au bas bout de lasalle, où Mme Henry se tenait d’habitude. Nous devions supposerqu’il luttait avec un reste d’émotion ; mais il revint bientôts’asseoir, et s’embarqua dans un examen du caractère irlandais(toujours si mal interprété, et qu’il défendit) de sa voixnormale ; et, par suite, les lumières n’étaient pas encoreapportées, que nous causions tous comme à l’ordinaire. Même alors,toutefois, je crus remarquer une certaine pâleur sur le visage deMme Henry ; en outre, elle se retira presque tout desuite.

Un nouvel indice fut l’amitié que cet insidieux démon sutinspirer à l’innocente Miss Katharine. Ils étaient toujoursensemble, la main dans la main, ou bien elle grimpait sur son genou: – on eût dit une paire d’enfants. Comme toutes ses actionsdiaboliques, celle-ci atteignit plusieurs buts. Ce fut pour Mr.Henry le dernier coup, de voir sa propre fille détournée delui ; il en devint dur à l’égard de la pauvre innocente, cequi le mit encore un cran plus bas dans l’estime de sa femme ;et (pour conclure) ce fut un trait d’union entre Mylady et leMaître. Sous cette influence, leur réserve ancienne se fonditchaque jour davantage. Bientôt, ce furent des promenades sous lagrande charmille, des causeries dans le belvédère, et je ne saisquelle tendre familiarité. Je suis sûr que Mme Henry était commebeaucoup d’honnêtes femmes : elle avait la conscience en repos,mais peut-être s’aveuglait-elle un peu. Car même à un observateuraussi obtus que moi, son affection apparaissait plus tendre qu’ilne convient à une sœur. Sa voix s’enrichit de notes plusmélodieuses ; son regard s’illumina de douceur ; elledevint plus aimable avec nous tous, même avec Mr. Henry, même avecmoi ; il émanait d’elle une sorte de bonheur discret etmélancolique.

Quel tourment pour Mr. Henry, d’assister à ceschangements ! Et toutefois, notre délivrance finale en fut lerésultat, comme je vais bientôt l’exposer.

Le but du Maître en restant au château était tout bassement(quelque dorure qu’on y mît) de soutirer de l’argent. Il avaitprojeté de faire fortune aux Indes françaises, comme l’écrivit lechevalier ; et c’était la somme nécessaire qu’il était venuchercher. Pour le reste de la famille, cela signifiait laruine ; mais Mylord, dans son incroyable partialité, nouspoussait continuellement à céder. La famille était à présent siréduite (elle comprenait juste le père et les deux frères) qu’ildevenait possible d’entamer le patrimoine et d’aliéner une pièce deterre. À quoi Mr. Henry, d’abord par des allusions, puis par unepression directe, fut amené à consentir. Il n’y aurait jamaisconsenti, j’en suis persuadé, sans le faix du malheur sous lequelil succombait. N’eût été son désir passionné de voir son frèreparti, il n’aurait jamais enfreint de la sorte ses propressentiments et les traditions de sa race. Même ainsi, il leur venditcher son acceptation. Il parla pour une fois sans détours, et fitvoir la honteuse affaire sous son véritable jour.

– Vous remarquerez, dit-il, que c’est une injustice envers monfils, si j’en ai jamais un.

– Mais il est peu probable que vous en ayez un, dit Mylord.

– Dieu le sait ! dit Mr. Henry. Et considérant la positioncruellement fausse dans laquelle je me trouve vis-à-vis de monfrère, et aussi que vous, Mylord, êtes mon père, et avez le droitde me condamner, je signerai ce papier. Mais je dirai d’abord unechose : on m’y contraint d’une manière peu généreuse ; etensuite, Mylord, quand vous serez tenté de comparer vos deux fils,je vous prie de vous rappeler ce que j’ai fait et ce que lui afait. Les actes sont la vraie pierre de touche.

Mylord était l’homme le plus mal à l’aise que j’aie vu. Savieille face trouva moyen de s’empourprer.

– Le moment, je crois, n’est pas très bien choisi pour vousplaindre, Henry, dit-il. Cela diminue le mérite de votregénérosité.

– Ne vous y trompez pas, Mylord, dit Mr. Henry. Ce n’est pointpar générosité envers lui que je commets cette injustice, c’estpour vous obéir.

– Devant des étrangers… commença Mylord, encore plus malinspiré.

– Il n’y a ici que Mackellar, dit Mr. Henry, et il est mon ami.D’ailleurs, Mylord, comme Mackellar est le témoin fréquent de vosblâmes, il ne serait pas juste que je l’empêche d’ouïr une choseaussi rare que ma défense.

Pour un peu, Mylord serait revenu sur sa décision ; mais leMaître veillait.

– Ah ! Henry, Henry ! dit-il, c’est encore vous quiêtes le meilleur de nous tous. Rude, mais franc ! Ah !mon ami, je voudrais avoir votre bonté.

À cette nouvelle preuve de la générosité de son favori,l’hésitation de Mylord cessa, et l’acte fut signé.

Dans le plus bref délai possible, la terre d’Ochterhall futvendue bien au-dessous de sa valeur, et l’argent remis à notresangsue, qui l’expédia en France par ses moyens privés. Ou dumoins, il nous le fit croire, et j’ai soupçonné depuis qu’il n’allapas aussi loin. Les manigances de l’homme avaient donc aboutiheureusement, et ses poches, une fois de plus, regorgeaient denotre or ; mais nous attendions toujours la récompense de nossacrifices, et le visiteur s’attardait à Durrisdeer. Était-ce parmalignité, ou parce que le temps n’était pas encore venu pour luide gagner les Indes, ou parce qu’il avait un espoir de réussiteauprès de Mme Henry, ou bien par ordre du gouvernement, qui peut ledire ? Mais bref, il s’attarda, et durant des semaines.

J’ai dit, vous l’avez remarqué : par ordre dugouvernement ; car ce fut vers cette époque que le déshonorantsecret de cet homme transpira au-dehors.

Ce qui me donna l’éveil fut le propos d’un tenancier, commentantle séjour du Maître, et surtout ma sécurité ; car ce tenancierétait de sympathies jacobites, et avait perdu un fils à Culloden,ce qui aiguisait sa critique.

– Il y a un détail que je ne puis m’empêcher de trouver bizarre,me dit-il ; c’est le fait de son arrivée à Cockermouth.

– À Cockermouth ? dis-je, me rappelant alors ma surprise devoir l’homme débarquer en un tel point de vue[28] , après un si long voyage.

– Eh bien oui, dit le tenancier, c’est là qu’il fut recueillipar le capitaine Crail. Vous vous figuriez qu’il était venu deFrance par mer ? Nous aussi.

Je retournai dans ma tête cette nouvelle, que j’allaicommuniquer à Mr. Henry.

– Voici un détail curieux, dis-je. Et je lui contai lachose.

– Qu’importe la façon dont il est venu, Mackellar, aussilongtemps qu’il est ici ? répliqua tristement Mr. Henry.

– Non, non, dis-je, pensez-y mieux. Cela ne sent-il pas laconnivence gouvernementale ? Vous savez combien de fois déjàla sécurité de l’homme nous a étonnés.

– Attendez, dit Mr. Henry. Laissez-moi réfléchir.

Et peu à peu je vis naître sur son visage ce sourire féroce quiressemblait un peu à celui du Maître.

– Donnez-moi du papier, dit-il.

Et, sans un mot de plus, il s’assit pour écrire à un gentlemande ses connaissances, – le nom est inutile, mais c’était quelqu’unde haut placé. Je fis porter cette lettre par le seul messagerauquel je pusse me fier en l’occurrence, – Macconochie. Le vieilhomme dut galoper, car il était revenu avec la réponse avant mêmeque mon impatience osât commencer à espérer. En la lisant, Mr.Henry eut le même sourire féroce. « Voici le meilleur tour que vousnous ayez fait encore, Mackellar, dit-il. Avec ce document, je vaislui donner une fière secousse. Observez-nous au dîner. »

Au dîner donc, Mr. Henry proposa une visite où le Maître seraitfort en vue ; et, comme il s’y attendait, Mylord objecta ledanger.

– Oh ! dit Mr. Henry d’un air détaché, ce n’est plus lapeine de m’en faire un secret. Je suis dans la confidence toutcomme vous.

– La confidence ? dit Mylord. Un secret ? Quevoulez-vous dire, Henry ? Je vous donne ma parole que je n’aipas de secret dont vous soyez exclu.

Le Maître avait changé de contenance, et je vis qu’il étaittouché au défaut de la cuirasse.

– Comment ? lui dit Mr. Henry, d’un air fort étonné. Jesais que vous servez vos maîtres avec fidélité ; mais je mefigurais que vous aviez eu pitié de notre père, et l’avieztranquillisé.

– De quoi parlez-vous ? Je ne veux pas que l’on discute mesaffaires en public. J’ordonne que cela cesse, s’écria le Maître,avec une folle impétuosité, plus digne d’un enfant que d’unhomme.

– On n’attendait pas de vous semblable discrétion, je vousaffirme, continua Mr. Henry. Car voici ce que m’écrit moncorrespondant – (il déploya le papier, et lut 🙂 – « Il est eneffet de l’intérêt du gouvernement comme du gentleman qu’il vautmieux continuer d’appeler Mr. Bally, que cet accord demeuresecret ; mais on n’eut jamais l’intention de laisseraujourd’hui encore sa famille dans les transes que vous dépeignezsi chaudement ; et je suis heureux de venir le premier apaiserses craintes. Mr. Bally est aussi bien que vous en sécurité dans laGrande-Bretagne. »

– Est-il possible ? s’écria Mylord, regardant son fils avecbeaucoup d’étonnement, et plus encore de soupçon.

– Mon cher père, dit le Maître, qui s’était déjà ressaisi, jesuis enchanté de pouvoir enfin parler. Mes instructions, à moi,étaient tout autres, et m’obligeaient de garder le secret à tout lemonde, sans vous excepter, et même à vous expressément désigné, –comme je puis vous le faire voir par écrit, si je n’ai supprimé lalettre. Ils ont dû changer d’avis très promptement, car la choseest encore toute récente ; ou plutôt, Henry, votrecorrespondant aura mal interprété ce point, comme il a malinterprété les autres. À vous dire vrai, Monsieur, continua-t-il,avec toujours plus d’assurance, j’avais supposé que cette faveurinattendue accordée à un rebelle était un effet de votreintervention ; et l’ordre de garder le secret même de mafamille, le résultat d’un désir à vous de cacher votre bonté. C’estpourquoi j’obéissais aussi strictement aux ordres. Il nous restemaintenant à deviner par quelle entremise cette faveur s’est poséesur un coupable aussi notoire que moi. Car je ne crois pas quevotre fils ait besoin de se justifier de cette imputation querenferme la lettre d’Henry. On n’a pas encore ouï-dire qu’un Duriefût jamais un traître ou un espion, ajouta-t-il avec superbe.

Il semblait donc sortir indemne de ce mauvais pas ; mais ilcomptait sans une bévue qu’il avait commise, et sans la pénétrationde Mr. Henry, qui allait manifester quelque chose de l’esprit deson frère.

– Vous dites que l’affaire est toute récente ? dit Mr.Henry.

– Elle est récente, dit le Maître, d’un ton très assuré, maisnon sans une légère hésitation.

– Si récente que cela ? demanda Mr. Henry d’un airintrigué, et déployant de nouveau sa lettre.

Elle ne contenait pas un mot touchant la date ; maiscomment le Maître l’aurait-il su ?

– En tout cas, la faveur est venue bien tard pour moi, dit-il,avec un rire.

Au son de ce rire, faux comme une cloche fêlée, Mylord leregarda encore une fois par-dessus la table, et je vis ses vieilleslèvres se pincer.

– Non, dit Mr. Henry, toujours examinant sa lettre, mais je merappelle votre expression. Vous disiez que c’était tout récent.

Et alors, nous eûmes la preuve de notre victoire, et le plusfort exemple de l’incroyable faiblesse de Mylord, car ce fut luiqui intervint pour épargner la honte à son favori.

– Je crois, Henry, dit-il, avec une sorte d’empressement piteux,je crois superflu de disputer davantage. Nous nous réjouissonstous, pour finir, que votre frère soit sauf : nous sommes tousd’accord là-dessus ; et, en sujets reconnaissants, nous nepouvons mieux faire que de boire à la santé du roi et à saclémence !

Le Maître était donc hors d’affaire ; mais il avait étéréduit à se défendre, il s’en était tiré sans gloire, et leprestige de son danger personnel lui était publiquement retiré.Mylord, dans son for intérieur, connaissait désormais son favoripour un espion du gouvernement ; et Mme Henry (quel que fûtson avis) se montra visiblement plus froide envers le héros deroman déchu. C’est ainsi que le meilleur édifice de duplicitépossède quelque point faible, et il suffit de l’atteindre, pour quetout croule ; et si, par cet heureux coup, nous n’avions pasébranlé l’idole, qui peut dire ce qui en aurait résulté pour nouslors du dénouement ?

Toutefois, à l’époque, c’était comme si nous n’avions rien fait.Au bout d’un jour ou deux, il avait effacé les traces de sadéfaite, et, selon toute apparence, restait aussi fort que jamais.Quant à Mylord Durrisdeer, il était plongé dans sa prédilectionpaternelle ; il s’agissait moins d’amour, qualité active, qued’une apathie torpide de ses autres facultés ; et le pardon(pour employer aussi mal ce terme noble) s’échappait de lui parpure faiblesse, comme des larmes séniles. Le cas de Mme Henry étaittrès différent ; et Dieu sait ce qu’il trouva à lui dire, oucomment il parvint à esquiver son mépris. C’est l’un des piresprivilèges du sentiment, que le ton de voix prenne plusd’importance que les mots, et celui qui parle, plus que ce qu’ildit. Mais le Maître dut trouver une excuse, ou peut-être même ildécouvrit le moyen de tourner ce scandale à son avantage ;car, après un temps de froideur, les relations se firent plusétroites que jamais entre lui et Mme Henry. Ils étaientperpétuellement ensemble. Je ne veux pas avoir l’air de jeter uneombre de blâme, en dehors de ce qui est dû à un aveuglementsemi-volontaire, sur cette malheureuse lady ; mais je croisque, durant ces derniers jours, elle joua de très près avec lefeu ; et que je me trompe ou non là-dessus, une chose du moinsest claire et suffisante : Mr. Henry le croyait. Ce pauvregentilhomme restait assis des journées entières dans ma chambre,avec un air si malheureux que je n’osais m’aventurer à luiparler ; cependant, il faut croire qu’il trouvait quelqueréconfort dans ma simple présence et dans la conscience de masympathie. À d’autres fois, nous causions, et c’était unesingulière causerie : personne n’était nommé, l’on ne citait aucundétail personnel ; mais nous avions le même sujet dansl’esprit, et nous le savions l’un et l’autre. C’est là un curieuxexercice auquel on peut se livrer : parler d’une chose pendant desheures, sans la désigner, ni même y faire allusion. Et je medemandai si ce n’était pas à l’aide d’un artifice analogue que leMaître courtisait Mme Henry tout le long du jour (comme il étaitmanifeste), sans jamais alarmer sa pudeur.

Pour montrer à quel point en étaient venues les choses, jerapporterai quelques mots de Mr. Henry, prononcés (j’ai des raisonspour ne pas l’oublier) le 26 février 1757. C’était par un tempshors de saison, un retour à l’hiver : pas de vent, un froidglacial, un monde tout blanc de givre, un ciel bas et gris, une mernoire et silencieuse comme l’ouverture d’un puits de mine. Mr.Henry était assis devant le feu, et se demandait (ce qui étaitdevenu fréquent chez lui) si « un homme » doit « agir », si « uneintervention serait opportune », et autre propositions générales,dont chacun de nous faisait l’application. J’étais à la fenêtre,regardant au-dehors, quand passèrent au-dessous de moi le Maître,Mme Henry et Miss Katharine, ce trio devenu sempiternel. L’enfantcourait çà et là, enchantée de la gelée ; le Maître parlait àl’oreille de Madame avec une grâce qui semblait (même de si loin)insinuante et diabolique ; et elle, de son côté, regardait àterre comme absorbée dans son attention. Je sortis de maréserve.

– Si j’étais de vous, Mr. Henry, dis-je, je m’ouvriraisfranchement à Mylord.

– Mackellar, Mackellar, dit-il, vous ne voyez pas la fausseté dema position. Je ne puis révéler d’aussi basses pensées à personne –à mon père encore moins ; ce serait me vouer à son plusprofond mépris. La fausseté de ma situation, reprit-il, elle est enmoi : ma personne n’attire pas la sympathie. Je possède leurreconnaissance, chacun me dit cela ; et je n’en suis pas plusriche ! Mais je ne figure pas dans leurs esprits ; ils nesont tentés ni de penser comme moi, ni de penser à moi. C’est là cequi me perd ! – (il se mit debout, et donna un coup de piedsur une bûche). – Mais il faut trouver un moyen, Mackellar, dit-il,me regardant tout à coup par-dessus son épaule ; – nous devonstrouver un moyen. J’ai beaucoup de patience… beaucoup trop. Je meméprise, à la fin. Et cependant, il est sûr que personne jamais nefut enveloppé dans une pareille trame !

Et il retomba dans sa méditation.

– Courage ! lui dis-je. Elle se rompra d’elle-même.

– J’ai depuis longtemps dépassé la colère, à cette heure,dit-il.

Et sa réponse avait si peu de rapport avec ma remarque, que jen’insistai pas.

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