Le Marquis de Loc-Ronan

Le Marquis de Loc-Ronan

d’ Ernest Capendu

 

Chapitre 1 LA GUERRE DE L’OUEST

Au confluent de l’Isac et de la Vilaine, à quelques lieues au sud de Redon, et à peu de distance de la mer,s’étend, ou pour mieux dire s’étendait une magnifique forêt dont les arbres, pressés et entrelaçant leurs rameaux, attestaient que la hache dévastatrice de la spéculation n’avait pas encore entamé leurs hautes futaies, véritable bois seigneurial, dont les propriétaires successifs avaient dû se montrer jaloux presque autant de la vétusté de leurs chênes, que de celle de leurs parchemins.

Ceux qui connaissent cette partie de la rive droite de la Loire, ce quadrilatère naturel formé par la Loire, la Vilaine, l’Erdre et l’Isac, seront sans doute prêts à nous accuser d’inexactitude en lisant les lignes précédentes. Aujourd’hui, en effet, que la rage du déboisement s’est par malheur emparée de la population des exploiteurs territoriaux, c’est à peine si, dans la vieille Armorique, on retrouve quelque reste de ces forêts magnifiques plantées par les druides, forêts qui portaient en elles quelque chose de si mystérieux et de si grandement noble, qu’elles ont inspiré les poètes du moyen âge, et qu’ils n’ont pas voulu d’autre séjour pour théâtre des exploits des chevaliers de laTable-Ronde, des amours de la belle Geneviève, etdes enchantements du fameux Merlin.

Avant que la Révolution eût appuyé sur lestêtes son niveau égalitaire, coupant avec le fer de la guillotinecelles qui demeuraient trop droites, la Bretagne et la Vendéeavaient religieusement conservé leur aspect sauvage. Il était rarede pouvoir quitter un chemin creux, bordé d’ajoncs et de genêts,sans donner dans quelque bois épais et touffu, ou dans quelquemarais de longue étendue.

Dans le pays de Vannes surtout, dans la partieseptentrionale du département de la Loire-Inférieure, de Nantes àPont-Château, de Blain même à Guéméné, le sillon deBretagne forme une série de collines dont la pente, presqueinsensible sur le versant opposé à la Loire, est beaucoup plusprononcée du côté du fleuve. Sur toute l’étendue de ce vastecoteau, dont le sommet atteint presque Séverac, et où donne lecours inférieur de la Loire qu’on aperçoit jusqu’à son embouchuredans l’Océan, le sol n’offre, sur plus d’un tiers de son parcours,que des forêts, des landes et des marais.

Avant les premières années de ce siècle, laroute de Nantes à Redon ne traversait pour ainsi dire qu’un seulbois, et, de la Loire à la Vilaine, l’œil ne se reposait que surles hautes futaies, les chênes gigantesques, les champs de bruyèreset les cépées séculaires. Au confluent de l’Isac et de la Vilaine,la forêt prenait des proportions véritablement grandioses etpouvait, à bon droit, passer pour l’une des plus belles parties dupays de Vannes, si riche cependant en sites sauvages etpittoresques.

Aux derniers jours de la terrible année 1793,la guerre de l’Ouest était dans toute sa fureur, et déchirait laBretagne et la Vendée avec un acharnement sans exemple.Républicains et royalistes, chouans ou sans-culottes se livraientaux plus odieuses et aux plus épouvantables représailles. La terrede France était baignée du sang de ses enfants, et fertilisée parleurs cadavres.

– Il n’y a qu’un moyen d’en finir, disaitun officier républicain, c’est de retourner de trois pieds le solvendéen et le sol breton !

C’est que, ainsi que l’avait prédit LaBourdonnaie, la Bretagne et la Vendée étaient tout entières enarmes, et que l’armée royaliste s’était augmentée des trois quartsde la population. Jamais, selon Barrère, depuis les croisades, onn’avait vu tant d’hommes se réunir si spontanément. Les paysanss’étaient levés lentement, ainsi que l’avait fait observerBoishardy ; mais, une fois levés, ils marchèrentaudacieusement en avant.

Quatre chefs principaux, quatre noms quiresteront éternellement soudés à l’histoire de cette malheureuseguerre, commandaient les royalistes. Selon un historiencontemporain, Bonchamp était la tête de cette armée, dont Stoffletet La Rochejacquelein étaient les bras, dont Cathelineau était lecœur.

On connaît les premiers efforts tentés dès1791 par les gentilshommes de Bretagne pour opposer une digue àl’influence révolutionnaire. L’avortement de la conspiration de LaRouairie et la mort de ce chef arrêtèrent momentanément l’explosiondu vaste complot mûri dans l’ombre. Mais si les bras manquaientencore, les têtes étaient prêtes, et attendaient avec impatience unacte du gouvernement qui excitât les esprits à la révolte. Ledécret relatif à la levée des trois cent mille hommes futl’étincelle qui mit le feu aux poudres.

Le 10 mars 1793, jour fixé pour le tirage, laguerre commença sur tous les points. Un coup de canon, tiréimprudemment dans la ville de Saint-Florent-le-Vieux sur desconscrits réfractaires, porta la rage dans tous les cœurs. Le soirmême, six jeunes gens qui rentraient dans leur famille, traversantle bourg de Pin-en-Mauge, furent accostés par un homme qui leurdemanda des nouvelles. Cet homme qui, les bras nus, les manchesretroussées, pétrissait le pain de son ménage, était un colporteurmarchand de laine, père de cinq enfants, et qui se nommaitCathelineau. Faisant passer son indignation dans l’esprit de sesauditeurs, il se met à leur tête, fait un appel aux gars du pays,recrute des forces de métairie en métairie, et arrive le 14 à laPoitevinière. Bientôt le tocsin sonne de clocher en clocher. À cesignal, tout paysan valide fait sa prière, prend son chapelet etson fusil, ou, s’il n’a pas de fusil, sa faux retournée, embrassesa mère ou sa femme, et court rejoindre ses frères à travers leshaies.

Le château de Jallais, défendu par undétachement du 84e de ligne et par la garde nationale deChalonnes, est attaqué. Le médecin Rousseau, qui commande, faitbraquer sur les assiégeants une pièce de six ; mais les jeunesgens, improvisant la tactique qui leur vaudra tant de victoires, sejettent tous à la fois ventre à terre, laissent passer la mitraillesur leurs têtes, se relèvent, s’élancent, et enlèvent la pièce avecses artilleurs.

Ces premiers progrès donnent à la révolted’énormes et rapides développements qui viennent porterl’inquiétude jusqu’au sein de la capitale. Le 19 mars, laConvention rend un décret dont l’article 6 condamne à mort lesprêtres, les ci-devant nobles, les ci-devant seigneurs, leursagents ou domestiques, ceux qui ont eu des emplois ou qui ontexercé des fonctions publiques sous l’ancien gouvernement ou depuisla Révolution, pour le fait seul de leur présence en pays insurgé.Cette sommation, si elle ne parvenait pas à étouffer la guerre,devait lui donner un caractère ouvertement politique. C’est ce quiarriva.

Charette, La Rochejacquelein, La Bourdonnaie,de Lescure, d’Elbée, Bonchamp, Dommaigné, Boishardy, Cormatin,Chantereau, se mirent rapidement à la tête des révoltés, les unshabitant la Vendée, les autres arrivant à la hâte de Bretagne. Lesordres de rassemblement, distribués de tous côtés,portaient :

« Au saint nom de Dieu, de par le roi, laparoisse de *** se rendra tel jour, à tel endroit, avec ses armeset du pain. »

Là, on s’organisait par compagnie et parclocher. Chaque compagnie choisissait son capitaine paracclamation : c’était d’ordinaire le paysan connu pour être leplus fort et le plus brave. Tous lui juraient l’obéissance jusqu’àla mort. Ceux qui avaient des chevaux formaient la cavalerie.L’aspect de ces troupes était des plus étranges : c’étaientdes hommes et des chevaux de toutes tailles et de toutescouleurs ; des selles entremêlées de bâts ; des chapeaux,des bonnets et des mouchoirs de tête ; des reliques attachéesà des cocardes blanches, des cordes et des ficelles pour baudrierset pour étriers. Une précaution qu’aucun n’oubliait, c’étaitd’attacher à sa boutonnière, à côté du chapelet et du sacré cœur,sa cuiller de bois ou d’étain. Les chefs n’avaient guère plus decoquetterie : les capitaines de paroisse n’ajoutaient à leurcostume villageois qu’une longue plume blanche fixée à laHenri IV sur le bord relevé de leur chapeau.

La masse des combattants vendéens se divisaiten trois classes. La première se composait de gardes-chasse, debraconniers, de contrebandiers, tous ayant une grande habitude desarmes, pour la plupart tireurs excellents, et en grande partiearmés de fusils à deux coups et de pistolets. C’était là le corpsdes éclaireurs, l’infanterie légère, les tirailleurs. Sansofficiers pour les commander, ils faisaient la guerre comme ilsavaient fait la chasse au gibier ou aux douaniers. Leur tactiqueétait simple : se porter rapidement le long des haies et desravins sur les ailes de l’ennemi et les dépasser. Alors, se cachantderrière les plus légers obstacles, ne tirant qu’à petite portée,et, grâce à leur adresse, abattant un homme à chaque coup, ilsdevenaient pour les troupes républicaines des assaillants aussidangereux qu’invisibles. Souvent une colonne se voyait décimée sansqu’il lui fût permis de combattre l’ennemi qui l’accablait.

Quinze ans plus tard, les soldats de l’empireretrouvaient dans la Catalogne un pendant à cette guerred’extermination. Les guérilleros avaient plus d’un point deressemblance avec les Vendéens.

La seconde classe de l’armée royaliste étaitcelle formée par les paysans les plus déterminés et les plusexercés, militairement parlant, au maniement du fusil. C’était lacohorte des braves, le bataillon sacré toujours en avant, toujoursle premier dans l’attaque et le dernier dans la retraite. Tandisque la majorité d’entre eux se dressait en muraille inébranlable enface de l’armée républicaine, une partie soutenait les tirailleurs,et tous attaquaient sur la ligne l’ennemi ; mais seulementlorsque les ailes commençaient à plier.

Une compagnie de ce bataillon portait le nomterrible et symbolique de « le Vengeur ». Renduspromptement illustres par leurs exploits, les héros du bataillonsacré ne marchaient que précédés de l’effroi qui mettait les bleusen fuite sur leur sanglant passage. Le Vengeur devaittomber anéanti, semblable au vaisseau son homonyme, sans laisserdebout un seul de ses hommes. C’était à Cholet que devait s’éleverson tombeau.

La troisième classe, composée du reste despaysans, la plupart mal armés, s’établissait en une masse confuseautour des canons et des caissons. La cavalerie, formée des hommesles plus intelligents et les plus audacieux, servait à ladécouverte de l’ennemi, à l’ouverture de la bataille, à lapoursuite des vaincus et des fuyards, et surtout à la garde du paysaprès la dispersion des soldats.

Quand les combattants se trouvaient réunispour une expédition au lieu qui leur avait été désigné, avantd’attaquer les bleus ou d’essuyer leur charge, la troupe entières’agenouillait dévotement, chantait un cantique, et recevaitl’absolution du prêtre qui, après avoir béni les armes, se mêlaitsouvent dans les rangs pour assister les blessés ou exciter lestimides en leur montrant le crucifix.

La manière de combattre des Vendéens nevariait jamais. Pendant que l’avant-garde se portait intrépidementsur le front de l’ennemi, tout le corps d’armée enveloppait lesrépublicains, et se dispersait à droite et à gauche au commandementde : « Égaillez-vous, les gars ! » Ce cercleinvisible se resserrait alors en tiraillant à travers les haies,et, si les bleus ne parvenaient point à se dégager, ils périssaienttous dans quelque carrefour ou dans quelque chemin creux.

Arrivés en face des canons dirigés contre eux,les plus intrépides Vendéens s’élançaient en faisant le plongeon àchaque décharge. « Ventre à terre, les gars ! »criaient les chefs. Et se relevant avec la rapidité de la foudre,ils bondissaient sur les pièces dont ils s’emparaient enexterminant les canonniers.

Au premier pas des républicains en arrière, uncri sauvage des paysans annonçait leur déroute. Ce cri trouvait àl’instant, de proche en proche, mille échos effroyables, et tous,sortant comme une véritable fourmilière des broussailles, desgenêts, des coteaux et des ravins, de la forêt et de la plaine, desmarais et des champs de bruyère, se ruaient avec acharnement à lapoursuite et au carnage.

On comprend quel était l’avantage desindigènes dans ce labyrinthe fourré du Bocage, dont eux seulsconnaissaient les mille détours. Vaincus, ils évitaient de même lapoursuite des vainqueurs ; aussi en pareil cas, les chefsavaient-ils toutes les peines du monde à rallier leurs soldats. Aureste, il ne fallait pas que la durée des expéditions dépassât unesemaine. Ce terme expiré, quel que fût le dénouement, le paysanretournait à son champ, embrasser sa femme et prendre unechemise blanche, quitte à revenir quelques jours après, avecune religieuse exactitude, au premier appel de ses chefs. Lerespect de ces habitudes était une des conditions du succès :on en eut la preuve, lorsque, le cercle des opérationss’élargissant, on voulut assujettir ces vainqueurs indisciplinés àdes excursions plus éloignées et à une plus longue présence sousles armes.

Tout Vendéen fit d’abord la guerre à sesfrais, payant ses dépenses de sa bourse, et vivant du pain de sonménage. Plus tard, quand les châteaux et les chaumières furentbrûlés, on émit des bons au nom du roi ; les paroisses secotisèrent pour les fournitures des grains, des bœufs et desmoutons. Les femmes apprêtaient le pain, et, à genoux sur lesroutes où les blancs devaient passer, elles récitaient leurchapelet en attendant les royalistes, auxquels elles offraientl’aumône de la foi.

Les paroisses armées communiquaient entreelles au moyen de courriers établis dans toutes les communes, ettoujours prêts à partir. C’étaient souvent des enfants et desfemmes qui portaient dans leurs sabots les dépêches de la plusterrible gravité, et qui, connaissant à merveille les moindresdétours du pays, se glissaient invisibles à travers les lignes desbleus.

En outre, les Vendéens avaient organisé unecorrespondance télégraphique au sommet de toutes les hauteurs, detous les moulins et de tous les grands arbres. Ils appliquaient àces arbres des échelles portatives, observaient des plus hautesbranches la marche des bleus, et tiraient un son convenu de leurcorne de pasteur. Une sorte de gamme arrêtée d’avance possédaitdifférentes significations, suivant la note émise par le veilleur.Le son, répété de distance en distance, portait la bonne oumauvaise nouvelle à tous ceux qu’elle intéressait. La dispositiondes ailes des moulins avait aussi son langage. Ceux de la montagnedes Alouettes, près les Herbiers, étaient consultés à toute heurepar les divisions du centre.

Les premiers jours de mars avaient vu éclaterla guerre. En moins de deux mois l’insurrection prit desproportions gigantesques, menaçant d’envahir l’ouest entier de laFrance. Des cruautés inouïes se commettaient au nom des deuxpartis, et plus le temps s’écoulait, plus la guerre avançait, plusla haine et la sauvagerie prenaient des deux côtés de force etd’ardeur. Pour répondre aux atrocités accomplies par le généralrépublicain Westerman, auquel Bonchamp ne donnait que l’épithète de« tigre », quatre cents soldats bleusprisonniers furent égorgés à Machecoul. Sauveur, receveur à LaRoche-Bernard, ayant refusé de livrer sa caisse aux insurgés quis’étaient emparés de la ville aux cris de « Vive leroi ! » fut attaché à un arbre et fusillé.

À partir du mois d’avril 1793, la Vendée,théâtre de la guerre, ne devint plus qu’un vaste champ de carnage.La proscription des Girondins, le 31 mai suivant, vint redonnerencore de la vigueur au soulèvement des populations et faireatteindre à la guerre civile toute l’apogée de sa rage.

Il y avait loin de la guerre qui se faisaitalors à celle commencée sous les auspices de La Rouairie, et quin’était, pour ainsi dire, qu’une intrigue de gentilshommes bretons.Le 7 juin, une proclamation au nom de Louis XVIII fut faite etlue à l’armée vendéenne, qui s’empara le jour même de Doué. Le 9,elle arriva devant Saumur, emporta la ville et força le lendemainle château à se rendre. Maîtres du cours de la Loire, lesroyalistes pouvaient alors marcher sur Nantes ou sur La Flèche,même sur Paris.

La France républicaine était dans une positiondésespérante. Au nord et à l’est, l’étranger envahissait son sol. Àl’ouest, ses propres enfants déchiraient son sein.

La Convention, pour résister aux révoltes deNormandie, de Bretagne et de Vendée, était obligée de disséminerses forces, par conséquent de les amoindrir.

Cathelineau, nommé généralissime des Vendéens,résolut de s’emparer de Nantes, défendue par le marquis deCanclaux. Une balle, qui tua le chef royaliste, sauva la ville enmettant le découragement parmi les assiégeants. Pendant plusieursjours, l’armée des blancs, désolée, demanda des nouvelles de celuiqu’elle appelait son père. Un vieux paysan annonça ainsi la mort dugénéral :

– Le bon général a rendu l’âme à qui lalui avait donnée pour venger sa gloire.

Cathelineau laissa un nom respecté :aucun chef plus que lui n’a représenté le caractère vendéen. On lesurnommait le « saint d’Anjou ».

Le 5 juillet, Westerman fut défait àChâtillon. Les 17 et 18, Labarollière fut battu à Vihiers. À la findu mois, l’insurrection, plus menaçante que jamais en dépit de sonéchec devant Nantes, dominait toute l’étendue de sonterritoire.

Biron, Westerman, Berthier, Menou, dénoncéspar Ronsin et ses agents, furent mandés à Paris. Beaucoup de gensne se faisaient point d’illusion : les dangers de laRépublique existaient en Vendée ; cette guerre réagissait surl’extérieur.

– Détruisez la Vendée, s’écriait Barrère,Valenciennes et Condé ne seront plus au pouvoir del’Autrichien ! Détruisez la Vendée, l’Anglais ne s’occuperaplus de Dunkerque ! Détruisez la Vendée, le Rhin sera délivrédes Prussiens. Enfin, chaque coup que vous frapperez sur la Vendéeretentira dans les villes rebelles, dans les départementsfédéralistes, sur les frontières envahies.

La Convention, dans une séance solennelle,crut ne pouvoir faire mieux que de fixer au 20 octobre suivant(1793) la fin de la guerre vendéenne, et elle accompagna son décretde cette énergique proclamation :

« Soldats de la liberté, il faut que lesbrigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du moisd’octobre ; le salut de la patrie l’exige, l’impatience dupeuple français le commande, son courage doit l’accomplir ! Lareconnaissance nationale attend à cette époque tous ceux dont lavaleur et le patriotisme auront affermi sans retour la liberté etla République ! »

Ainsi la Convention décrétait, par avance, lavictoire ; mais autre chose est de vaincre sur le papier, dansles conseils, ou de vaincre sur le champ de bataille. Legouvernement envoya d’autre généraux en Vendée, où Canclaux seproposait d’opérer un grand mouvement offensif et battaiteffectivement Bonchamp, dans le moment même où un décret ledestituait, ainsi qu’Aubert du Brayer et Grouchy.

Cependant l’armée de Mayence, ayant Kléber àsa tête, avançait à marches forcées. Le 18 septembre, ellerencontra à Torfou les royalistes. Le combat fut sanglant, et lesrépublicains battus après une lutte épouvantable.

Les Vendéens les appelaient, par dérision, les« Faïençais » ; mais les républicains ne devaientpas tarder à prendre leur revanche : la bataille de Cholet, laseule qui eut le caractère des batailles militaires, vint porter unrude coup aux royalistes. Elle eut lieu le 14 octobre. Tout y futcarnage, acharnement, héroïsme de part et d’autre. Les Vendéenss’élancèrent en courant en colonnes serrées sur une landedécouverte, et enfoncèrent d’abord les bataillons ennemis.

Un tourbillon de fuyards entraîna Carrier àcheval, et le représentant Merlin, brave et payant de sa personne,fit le service du canon ; mais les Mayençais accouraient labaïonnette en avant. Kléber, Marceau, Beaupuy, Haxo, semultipliaient et donnaient l’exemple. Tout était encore incertainsur le sort de la journée cependant, lorsque d’Elbée et Bonchamptombèrent grièvement blessés.

Alors la fortune se décida pour les Mayençais.Les Vendéens se dispersèrent, emmenant néanmoins avec eux lesprisonniers qu’ils avaient faits au commencement de l’action.

Quatre jours après, le 18 du même mois, lesbleus, marchant sur Beaupréau, entendirent tout à coup les crisde :

– Vive la République ! viveBonchamp.

C’étaient quatre mille prisonniers quirevenaient vers leurs camarades. Ils racontèrent que Bonchamp lesavait délivrés avant de rendre le dernier soupir : Bonchamp,en effet, étendu sur un matelas et expirant, avait dit auxVendéens, qui voulaient fusiller ces hommes :

– Grâce aux prisonniers ! Bonchampl’ordonne.

Puis il mourut. Bonchamp était l’homme le plusaimé, le plus vénéré de l’armée royaliste depuis la mort deCathelineau. Plus tard, Napoléon dit qu’il en avait été le meilleurgénéral.

Les Vendéens passèrent alors sur la rivedroite de la Loire, et les représentants écrivirent à laConvention : « La Vendée n’est plus ! » Ledécret qui ordonnait de terminer la guerre avant la fin d’octobreétait donc exécuté dès le 18 du mois. Les Parisiens se livrèrent àun enthousiasme sans pareil. Joie prématurée cependant. L’opinionde Kléber, qui prétendait que tout n’était pas fini, devaitl’emporter avec le temps.

Moins de quinze jours après, on apprit que lesVendéens existaient encore. Léchelle fut battu, Beaupuy mourutd’une balle en pleine poitrine. Le commandement des« bleus » fut donné à Chalbos, et les royalistes, prenantpour chef suprême La Rochejacquelein, avec Stofflet sous sesordres, attaquèrent Granville le 14 novembre. Ne réussissant pas àprendre la place, ils furent vengés par leurs succès à Pontorson, àDol et à Anhain, qui rallumèrent leur ardeur prête à s’éteindre.Les armées républicaines perdaient chaque jour du terrain sous lesordres d’Antoine Rossignol, célèbre par ses continuels revers, bienque le comité de Salut public l’appelât son « filsaîné ». Ce fut alors que, sur la proposition de Kléber,Marceau, à vingt-deux ans, devint général en chef de l’arméerépublicaine.

Les luttes opiniâtres allaient recommencerplus terribles que jamais, car la Bretagne vint à ce moment ausecours de sa sœur la Vendée. Jean Chouan, ou plutôt JeanCottereau, puisqu’il est plus connu sous ce nom, avait rejoint,avec ses bandes, l’armée de La Rochejacquelein à Laval, et leprince de Talmont était arrivé avec un renfort de cinq milleManceaux. Cette fois, la guerre allait changer de nom, et se nommerdéfinitivement la « chouannerie ».

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