Le Monastère des frères noirs

CHAPITRE XVII.

Si quelqu’un parut étonné, ce fut sans doute le marquis Magini, lorsque les deux battans de la porte principale du grand salon venant à s’ouvrir, donnèrent passage à une dame magnifiquement vêtue, et accompagnée de deux pélerins, ceux-ci s’étaient débarbouillés le visage ; aussi leur oncle n’eut-il pas de peine à les reconnaître ; il poussa un cri, courut dans leurs bras, commandé par son premier mouvement ; puis la réflexion lui rendant sa colère, il jugea convenable de paraître fâché.

Mais ses neveux, par leurs tendresses respectueuses, le calmèrent facilement. Ils exagérèrent eux-mêmes leur tort, afin de le rendre moins considérable, et pour achever d’apaiser Magini, ils lui promirent de lui faire d’étonnantes révélations ; cependant avant tout, Francavilla jugea convenable de mener l’inconnue dans un appartement où elle put se reposer.

– « Signor, lui dit-elle, pour satisfaire en tout aux désirs de celui qui m’a confiée à vous, je dois vous demander la faveur de me renfermer dans une solitude absolue ; il redoute avec raison les entreprises de notre ennemi commun ; il veut qu’on perde entièrement ma trace ; j’ai moi-même les plus fortes raisons pour ne pas être aperçue. Le soin de ma sûreté, l’honneur, la vie même de votre protecteur seraient violemment compromis, si on pouvait parvenir à me connaître. Je pense que ces seigneurs méritent toute votre confiance, aussi je ne crains pas de m’expliquer devant eux, mais je ne vous en supplierai pas moins de souffrir momentanément, que je me condamne à une prison volontaire. »

Le discours de la dame surprit les trois assistans. Le vieux marquis se mourait d’envie de lui demander la cause de sa conduite ; mais il n’osa pas, et Lorédan s’empressa de témoigner à la belle inconnue, qu’elle serait obéie en tous ses désirs ; il la conduisit provisoirement dans une pièce voisine, et envoya en même-temps chercher le sénéchal du château ; celui-ci, instruit que son baron, sur le compte duquel on avait eu de si vives craintes, venait de reparaître dans Altanéro, vint avec joie lui faire la révérence, lui rendre compte de ce qui s’était passé durant son absence, et lui demander ses ordres pour l’avenir.

Lorédan commença par lui commander un redoublement général de surveillance ; il ne lui dissimula pas la rencontre effrayante qu’il avait faite quatre jours auparavant dans les murs du château, quand on avait cherché à l’épouvanter par quelque prestige. – « Je dois croire, poursuivit-il, que mes ennemis ont de secrètes intelligences dans Altanéro ; il m’est impossible de soupçonner le concierge ; mon ami le prince Luiggi m’a trop assuré de sa fidélité, et je me fais une religion de suivre toutes les volontés de cet ami incomparable ; mais il est possible que parmi les subalternes, il s’en soit trouvé un plus accessible à la séduction ; veillez donc, sénéchal, sur toutes les menées qui pourraient compromettre ma sûreté ; qu’on ferme soigneusement les passages extérieurs, et redoutons de nous laisser surprendre. »

Le sénéchal assura Lorédan de son zèle et du soin qu’il emploierait à découvrir les trames qui pourraient s’ourdir en silence ; il ne lui laissa pas ignorer que grâce au fracas mis par le marquis Mazini à les chercher la veille dans les environs de la forêt, tous les vassaux et les gens d’armes avaient appris l’inimitié élevée entre des Frères Noirs et le marquis Francavilla ; que cette nouvelle en leur causant une réelle terreur leur avait donné la plus ferme envie de se prémunir contre les embûches que pourraient dresser des adversaires aussi dangereux.

« Maintenant, reprit le marquis, j’ai à vous entretenir sur un sujet aussi important, et qui dérive de tout ce que nous venons de dire. Je viens de ramener avec moi une noble dame qui a le plus grand intérêt à se soustraire aux regards des Frères Noirs, ou de ceux qu’ils pourraient envoyer ; il serait même bon que son existence ne fût pas connue des habitans de ce château ; et je vous ai fait appeler particulièrement pour conférer avec vous sur cet article. »

Le sénéchal ayant réfléchi un moment, se rappela qu’il devait exister dans une petite cour à un étage très-élevé un appartement retiré dont les fenêtres donnaient sur la mer, et par conséquent qu’on ne pouvait apercevoir ni de l’intérieur du château ni de la campagne. Cette demeure entièrement oubliée communiquait par une galerie cachée entre deux épaisses murailles, dans l’appartement du sénéchal, où était pareillement son épouse. Il offrit de conduire l’inconnue dans cette retraite où elle serait éloignée de tout péril ; la sénéchale aurait soin de lui procurer sa nourriture, et pourrait en même temps être pour elle une compagne agréable.

Ce discours du sénéchal plut fort à Lorédan ; il trouva que sa protégée ne pouvait avoir une demeure plus convenable, puisqu’elle était décidée à ne point se montrer ; et en conséquence, il s’empressa d’aller la rejoindre, et il lui fit part de ce que venait de lui dire le sénéchal. L’inconnue le remercia et à son tour se montra impatiente d’aller se retirer dans le lieu qu’on lui destinait ; et pour la satisfaire le sénéchal l’y conduisit sur le champ ; Francavilla voulut aussi lui servir d’escorte.

Ils montèrent tous les trois par des escaliers dérobés jusqu’aux chambres habitées par le premier officier du château. Là, ils furent reçus par la sénéchale, dame grave, et autrefois la meilleure amie de la mère de Lorédan. Celui-ci qui avait eu en cent occasions le moyen d’apprécier sa retenue, n’hésita pas de la mettre au fait de la meilleure partie des événemens qui venaient de se passer, et la sénéchale, nommée signora Orsoni, comprit parfaitement combien il était important de bien cacher la détenue volontaire.

Elle la mena elle-même dans son appartement composé de trois pièces ; la vue en était délicieuse ; elle embrassait l’étendue de la mer ; et comme en ce moment l’étrangère ne demandait que le repos, on la laissa seule après que Lorédan eut obtenu la permission de venir lui présenter l’hommage de ses respects.

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