Le Monastère des frères noirs

CHAPITRE XXXIV.

Laissons pour un peu de temps le marquis Francavilla à la veille de voir l’événement le plus extraordinaire se développer autour de lui, et reportons-nous au château d’Altanéro, après qu’il l’eut quitté pour obéir au message du roi.

La belle Ambrosia, plongée dans un vif désespoir, qui augmentait encore ses souffrances, perdit, après le départ de Lorédan, le courage factice qu’elle avait montré devant lui ; d’abondantes larmes vinrent la secourir, et toute la journée elle se trouva d’une extrême faiblesse. Le duc son père ne la quitta pas ; il chercha par ses tendresses à la consoler, à donner un autre cours à ses idées, à lui montrer l’injustice de sa douleur. « Car enfin, lui disait-il, êtes-vous pour toujours séparée de votre amant ? son absence doit-elle être éternelle ? Huit ou dix jours, voilà, mon enfant, tout l’espace de temps qui s’éloignera de nous ; il reviendra plein d’amour et d’impatience. Avertis l’un et l’autre par ce qui nous est arrivé, nous prendrons mieux nos mesures, nous veillerons de telle sorte, que la malice de ses ennemis en sera déjouée ; et j’ose, mon enfant, pour prix d’une légère attente, vous promettre des années de bonheur. »

Le marquis Mazini, en se présentant, rompit cette conversation. La moindre chose troublait ce bon seigneur ; il trouvait étrange que les officiers du roi et le détachement des troupes royales ne partissent point pour Palerme ; leur retard le tourmentait ; il venait auprès du duc Ferrandino pour le consulter sur ce qu’il y avait à faire dans la circonstance, ajoutant que dans tout cela il voyait un mystère qui ne lui présageait rien de bon.

– « Je ne partage pas vos craintes, répondit celui qu’il interpellait ; il n’est pas si extraordinaire que le héraut et les siens désirent faire dans Altanéro un séjour momentané ; ils sont venus à marches forcées de Messine, leurs montures doivent être fatiguées, peut-être eux-mêmes ont-ils besoin de repos. »

« Cela serait à merveille et me paraîtrait le plus simple du monde, si l’on ne me rapportait qu’ils examinent avec attentions les fortifications du château ; s’ils ne s’informaient pas avec un soin minutieux du nombre de nos gens d’armes, de nos moyens de défense. Toutes ces actions ne me semblent pas naturelles, je soupçonne quelque complot quelque nouvelle trame, et le voyage de mon neveu est loin de me rassurer. Dans tous les cas, comme il m’a confié le soin de ses intérêts, je veillerai à ce que rien ne les compromette ; déjà mes ordres sont donnés, et l’on me trouvera prêt à tout événement. »

– « Il ne m’appartient pas, dit le duc, de vous dicter votre conduite ; mais je ne craindrai point de vous recommander d’agir avec beaucoup de prudence en une rencontre pareille ; il serait peut-être désavantageux pour le marquis Lorédan que les officiers de notre monarque rendissent compte à celui-ci de la méfiance avec laquelle vous les accueillez. »

Ce discours sage ne convainquit pas Mazini ; il ne jugea pas convenable de faire connaître sa crainte principale ; elle provenait moins du roi Frédéric que des Frères-Noirs : ceux-ci étaient les objets premiers de ses inquiétudes, il ne rêvait qu’à eux, à leurs machinations, et chaque regard un peu étrange lui semblait être dirigé sur lui par un habitant du monastère de Santo-Génaro ; aussi rien n’approchait des minutieuses précautions qu’il prenait pour ne pas se laisser surprendre.

Ambrosia avait écouté cette conversation ; et loin de partager la sécurité de son père, elle se rangea, en digne amante, à l’opinion du marquis Mazini, et comme lui, elle connut des terreurs inconsidérées ; aussi fallut-il que le duc cherchât à la rassurer quand l’oncle de Lorédan les eut quittés.

Le reste de la journée se passa tranquillement ; plusieurs convives prirent congé des parents de Francavilla ; ils repartirent pour leurs terres, en promettant de revenir lorsque la nouvelle époque des noces serait fixée ; et à chaque moment le pont-levis était ébranlé sous les pas des chevaux qui le traversaient. Peu de personnes demeurèrent dans le château. Le duc ne voulant pas s’éloigner de sa fille, pour laquelle sa tendresse était extrême, demanda au marquis Mazini la permission de ne point paraître dans la grande salle d’assemblée, et resta constamment dans la chambre d’Ambrosia.

Le soir survint dans ces entrefaites, et amena avec lui un nouvel événement : l’appartement où l’on avait conduit la jeune duchesse, lorsque la veille elle parut incommodée, était le même, le lecteur doit se le rappeler, dont autrefois les princes de Montaltière avaient fait leur habitation, et qui était demeuré comme abandonné par la délicatesse de Lorédan. C’était cet appartement que celui-ci et Amédéo avaient traversé à diverses reprises pour descendre dans les souterrains du château ; et non loin de la chambre où se trouvait le lit d’Ambrosia, était ce cabinet dans lequel on rencontrait la porte qui conduisait aux voûtes inconnues à la plus grande partie des commensaux d’Altanéro. Nous avons cru devoir rappeler ces détails, afin de faire mieux comprendre le récit que nous allons rapporter.

Les gens du duc, les femmes d’Ambrosia étaient sortis pour aller prendre leur part du repas du soir ; Ferrandino se promenait dans la chambre ; et Ambrosia, encore lasse, se reposait sur un fauteuil, lorsqu’on entendit frapper deux fois à la porte intérieure, celle qui donnait passage pour se rendre dans le cabinet.

Le duc fut surpris de ce bruit ; il s’arrêta sans rien dire ; on le répéta une seconde fois. « Entrez, dit-il, qui peut nous demander ?… »

Mais il n’acheva pas sa phrase ; car la porte venant à s’ouvrir, il se présenta a ses regards, comme à ceux d’Ambrosia, une femme qui pouvait avoir à-peu-près une vingtaine d’années, et de qui la merveilleuse beauté était encore rehaussée par tout l’éclat d’une somptueuse parure. Le père et la fille poussèrent l’un et l’autre une exclamation rapide, arrachée par leur étonnement, et Ambrosia se leva du siège sur lequel elle était assise.

Leur premier regard leur apprit que cette dame n’avait point paru au nombre de celles attirées à Altanéro par les cérémonies du mariage, et dès-lors, leur curiosité fut grande de savoir qui elle pouvait être, et comment, surtout, elle s’était introduite dans l’intérieur de l’appartement. Elle ne les laissa pas longtemps dans le doute, et commença la conversation en ces termes.

– « Ne me trompé-je point, signor ; est-ce bien au duc de Ferrandino et à sa noble fille que je parle ? »

– « Oui, madame, répliqua le duc ; vous n’êtes point dans l’erreur. »

– « Eh bien, signor, reprit la dame inconnue, ne pourrai-je vous entretenir un moment sans craindre d’être aperçue d’un œil indiscret. »

– « La chose est facile, répondit Ferrandino, et je suis disposé à vous satisfaire. Il dit, court à la porte principale de l’appartement, et la ferme avec soin.

Tandis qu’il faisait ce mouvement, Ambrosia continuait de regarder avec avidité cette inconnue ; rien ne lui échappait, ni ses beaux traits, ni l’oppression de son sein, ni une certaine expression mélancolique répandue sur toute sa personne ; et sans pouvoir définir quelle cause excitait en elle un sentiment de répulsion qui la portait à haïr cette étrangère ; celle-ci, à son tour, la regardait attentivement, et parfois elle cherchait à contenir une peine secrète qui, à la vue de la belle Ambrosia, paraissait vouloir lui échapper.

Cependant le duc revint. « Me voilà prêt à vous entendre, signora, lui dit-il, et à l’avance je ne vous dissimulerai pas que ma curiosité a besoin d’être satisfaite, et que je brûle de connaître le motif qui vous a conduite devant nous aussi inopinément. »

– « Il est grave, il est important sans doute ; répliqua l’étrangère, car il doit décider du bonheur de votre fille ou du mien. » Ces paroles mystérieuses, prononcées d’un ton concentré, firent tressaillir Ambrosia et agitèrent le duc lui-même. « Signora, dit-il, ce discours est étrange, et je vous prie de ne pas tarder à l’expliquer. »

– « Je suis venue ici pour le faire, dit la dame inconnue ; j’ai trop besoin de faire luire la vérité, pour songer à la déguiser. » En achevant ces paroles elle se plaça dans un fauteuil qu’on ne lui offrait pas ; car le duc et sa fille étaient demeurés debout, et s’adressant à l’un et à l’autre : « Duc Ferrandino, reprit-elle, duchesse Ambrosia, vous voyez en moi la nièce de Lusignan, roi de Chypre, la princesse Palmina. »

Ces mots dits d’une voix imposante, les deux auditeurs se lèvent en témoignage de respect ; mais un seul signe de la princesse les engage à reprendre leurs places et à garder un profond silence, que le duc avait grande envie de rompre.

« Avant d’aller plus loin, dit la princesse, il m’importe que vous soyez bien convaincus de la réalité de la révélation que j’ai faite, et j’ose en croire évidentes les preuves contenues dans ces papiers. » En même temps, elle sort de dessous sa robe une liasse de parchemins, tous revêtus des sceaux les plus authentiques, et que Ferrandino connaissait parfaitement. Il voulut refuser de les visiter, mais la princesse l’ayant exigé, il se vit contraint de le faire ; elle y avait joint plusieurs riches bijoux d’un très-grand prix, devant également servir à constater la supériorité de sa naissance.

Lorsque le duc eut acquis la conviction intime de la haute extraction de l’étrangère, il recommença à vouloir lui parler de ses respects. « Je ne vous les demande pas, reprit la princesse, je ne réclame de vous que de l’indulgence et de l’équité ; maintenant, écoutez-moi ; vous allez entendre le plus surprenant de tous les récits.

« Élevée au sein de la cour du roi, mon oncle ; environnée de toutes les séductions de la grandeur, je vivais tranquille, attendant sans impatience que ma main fût demandée par quelque prince chrétien. Mes jours se passaient dans de continuelles fêtes ; on vantait mes faibles attraits ; les malheureux ne se plaignaient pas d’une fierté qui n’allait pas jusqu’à les priver de mes largesses ; je pouvais me croire heureuse, car je ne désirais rien, et mon avenir ne me présentait aucune apparence d’infortune.

» Aveugle que j’étais ! je me confiais en ma fortune, et ma fortune était près de m’abandonner, et l’audace d’un téméraire allait flétrir ma gloire et me dévouer à d’éternels malheurs.

» Sur ces entrefaites, il parut à la cour du roi, mon oncle, un noble Sicilien qui, à la fleur de son âge avait, disait-il, formé le projet d’aller en pélerinage à la Terre-Sainte, où il voulait visiter ces lieux devenus sacrés par les mystères qui s’y étaient accomplis. Le baron Ferdinand Valvano, ainsi s’appelait-il, ne tarda pas à se montrer avec distinction parmi les seigneurs cypriens. Le roi Lusignan l’accueillit avec amitié, l’engagea à toutes les fêtes qu’il donnait, et bientôt le baron Valvano fut introduit dans l’intimité de la famille royale.

« Je vis avec indifférence ce seigneur, dont néanmoins on vantait partout le mérite ; je le jugeais mieux que tous les autres, car sa gaîté me paraissait peu naturelle ; sa loyauté feinte et sa générosité n’étaient, selon mes faibles lumières, que le résultat d’une envie immodérée de briller au premier rang.

« Ainsi donc, loin de l’accueillir avec cette familiarité peu convenable qu’avait pour lui le reste de mes proches, je m’éloignais de lui sans affectation, comme si j’eusse pressenti que ce misérable ne devait pas tarder par son audace, à me précipiter dans un abyme de maux.

« Par un effet contraire à ma conduite, Valvano, en peu de temps, parut plus empressé auprès de moi ; vainement je cherchais à le fuir, il trouvait toujours le moyen de se rapprocher de ma personne ; alors il faisait parler ses regards, ses soupirs, et j’eusse du être aveugle, si je ne me fusse pas aperçue du sentiment qui éclatait dans ses yeux.

« D’après ce que je vous ai dit, vous devez croire combien peu je dus être flattée de voir mon triomphe augmenté d’un pareil courtisan. Je ne voulus pas qu’il pût conserver une lueur d’espérance ; je redoublai de sévérité à son égard ; je le fuyais sans cesse lorsque lui me recherchait toujours.

« Malgré mon désir ardent de l’éviter, je ne pouvais constamment le faire avec avantage ; parfois il s’arrangeait de manière à me contraindre à rester avec lui. Un jour se voyant dans les jardins du palais, à quelque distance de ma suite, il poussa à bout sa présomption ; et me fit l’aveu de sa flamme insolente. Oh ! pour cette fois, je ne gardai pas le silence ; ma colère l’emporta, et ce fut elle seule qui s’exprima dans ma réponse. Je parlai au baron Valvano avec tant de dureté, je lui dis des choses si fortes sur son audace, que, malgré son effronterie, il en parut décontenancé. »

« C’en est assez madame, répliqua-t-il avec un bégaiement occasioné par la rage, je vois trop que je me suis mépris en croyant pouvoir toucher quelque jour votre indifférence. Je me rends justice, un baron Sicilien ne peut prétendre à la nièce d’un monarque. Vous me l’avez trop bien appris, il ne me reste plus qu’à fuir les lieux où naquit un amour qui me rendra malheureux durant le reste de ma vie. »

» Il dit, me lance un farouche regard, dont j’ai depuis connu toute la perfidie, et s’éloigne précipitamment. Cinq jours après, me trouvant chez mon oncle, Valvano vint à moi, et, en présence de toute la cour, me remercia de mes bontés, me parla de sa reconnaissance, et m’apprit que le lendemain il partait pour Jérusalem, ne pouvant, disait-il, retarder davantage l’accomplissement de son pieux voyage. Valvano, en causant avec moi, conserva toujours un calme imperturbable ; ni sa voix ni ses yeux n’exprimèrent jamais son émotion ; il mit tant d’adresse à se dissimuler, que déjà je le crus guéri, et j’en fus bien aise.

» Le roi l’aimait ; il le voyait partir avec inquiétude ; il fit tous ses efforts pour le retenir ; ce fut en vain. Valvano se montra inébranlable, et le lendemain en effet, nous apprîmes qu’il avait mis à la voile.

» Charmée de son absence, je respirai plus librement ; il me tardait de voir s’éloigner ce soupirant incommode, d’autant que je redoutais l’ascendant qu’il avait pris sur le roi, mon oncle, et je crois qu’il eût pu facilement m’obtenir de lui, si j’avais répondu à sa tendresse.

» Je logeais dans le palais, mais j’occupais un pavillon assez étendu, placé dans un coin des jardins, et donnant sur la mer ; il me fallait traverser plusieurs galeries et passages voûtés sous les remparts, pour me retrouver dans les grands appartemens du roi. Cet éloignement me rendait plus libre ; je ne paraissais à la cour que lorsqu’il me plaisait ; et presque toujours solitaire dans ma demeure écartée, je me livrais sans contrainte à mon amour pour la retraite et les beaux arts.

» Quelquefois, accompagnée d’une seule femme, en laquelle j’avais placé à tort ma confiance, et cachée sous un voile épais qui me couvrait entièrement, j’allais parcourir les environs délicieux de Famagouste ; j’entrais dans les cabanes des villageois ; je portais des secours aux pauvres femmes ; je cherchais à faire des heureux, et j’en avais le pouvoir. Ces innocentes occupations me charmaient davantage ; mais durant le séjour du baron Valvano à Famagouste, je les avais interrompues ; car plus d’une fois le seigneur avait essayé de venir me rejoindre dans mes promenades ordinaires.

» Dès son départ, je m’empressai de les reprendre. Ma confidente me parlait depuis deux jours d’une malheureuse famille qui souffrait tous les maux de l’infortune dans une chaumière placée à quelque distance de Famagouste ; elle me suppliait de venir à son secours. Je ne me refusai pas de le faire ; mais je lui dis que je voulais y aller moi-même la première fois que je sortirais.

» Le moment arrêté, je me dépouille de mes riches parures, je revêts le simple costume des femmes du peuple durant les jours du travail ; et enveloppée de mon long voile, je pris le bras d’Elphyre, et nous nous acheminâmes vers le lieu qu’elle m’avait indiqué.

» Elle me fit prendre une route peu fréquentée, et qui suivait, le long de la mer, les sinuosités du rivage. Je ne fis pas d’abord attention à la longueur du chemin ; mais la fatigue commençant à me gagner, je demandai à ma conductrice si nous approchions de la cabane de ces bonnes gens. « Encore un peu, me répliqua-t-elle, et nous allons y être ; elle est derrière cette masse de rochers que vous voyez tout proche de nous. »

» Son propos me rendit du courage, et je recommençai à cheminer. Nous nous trouvâmes bientôt au pied d’une falaise escarpée, qui, nous environnant de tout côté, ne permettait pas qu’on pût nous voir à moins d’être à deux pas de nous. Famagouste avait disparu depuis long-temps ; Elphyre et moi étions seules en ce lieu solitaire, nous avancions ; tout-à-coup plusieurs hommes armés s’élancent de derrière les anfractuosités des rochers, ils courent sur nous, ils nous saisissent ; vainement je fais retentir l’air de mes cris, vainement je cherche à me débattre, la force l’emporte, on m’entraîne vers une chaloupe voisine, et l’un me contraint à y entrer.

» Ma première pensée accusa de cette action hardie celui qui en était le véritable auteur ; je ne me trompais pas ; et sur le vaisseau où je fus conduite, je trouvai le criminel Valvano, qui, me parlant de sa passion détestable, essaya, par ses respects prétendus, à calmer mon désespoir. La chose lui fut impossible, je lui jurai une haine éternelle ; je me renfermai dans la chambre qu’on me donna, et non seulement je ne voulus pas voir mon ravisseur, mais je défendis ma présence à la perfide suivante qui m’avait trahie.

» Ferdinand parut alarmé de mon désespoir ; il employa cent moyens pour apaiser ma colère ; tous lui furent infructueux, et nous arrivâmes en Sicile sans qu’il eût pu se flatter de me rendre moins indocile ; ma haine pour lui éclatait dans toutes les occasions.

» Son premier soin, en débarquant sur une côte solitaire, fut de me conduire, non dans ses domaines, où le juste courroux du roi mon oncle eût pu l’atteindre, si je parvenais à lui faire connaître mon malheur, mais dans le château de Romerane, appartenant à un de ses amis que je ne puis vous nommer encore.

» Ce Seigneur nous reçut à merveille. Ferdinand eut avec lui une longue conversation, à la suite de laquelle on me fit habiter un appartement solitaire, et placé de telle manière, que je ne pouvais espérer du secours. Il se passa du temps, pendant lequel tout entière à ma douleur, je m’obstinai à ne pas vouloir que Valvano parût en ma présence ; mes cris, mon désespoir, lorsqu’il se montrait, le contraignirent à remettre au temps le soin de me rendre moins farouche ; et contraint d’ailleurs par quelques affaires imprévues de se rendre dans l’Italie, il me laissa sous la garde de son ami.

» Cet ami de Valvano paraît digne par son mérite, par ses brillantes qualités du rang qu’il occupe, et mes yeux ne s’en aperçurent que trop. Il venait à toute heure me rendre ses hommages, il cherchait d’abord à me parler en faveur de l’indigne Ferdinand ; mais je le suppliai si fort de changer de langage, qu’il ne tarda pas à m’obéir, et il le fit trop pour mon malheur.

» Si mes yeux le voyaient plus favorablement que Valvano ; les siens aussi ne se refusèrent pas à m’apprendre la victoire remportée par mes faibles attraits, bientôt ce seigneur parut me chérir avec violence, et, oserai-je vous l’avouer, je ne me montrai pas aussi sévère que la vertu me l’ordonnait. Constamment occupé à me plaire, il en cherchait les moyens, il me jurait un dévouement sans borne.

« Pour vous faire croire, lui dis-je un jour qu’il était venu avec consternation me donner la fâcheuse nouvelle du prochain retour de Valvano vous n’avez à tenir qu’une seule conduite, celle qui puisse me séparer sans retour de votre odieux ami. »

« Hélas ! princesse, me dit-il, mais en vous séparant de lui, je renonce au bonheur de ma vie ; car en retournant, dans l’île de Chypre, ne vous éloigneriez-vous pas pour toujours de moi. »

« J’avoue que cette réflexion me frappa ; je voulus à mon tour le convaincre que tout m’était préférable, hors de laisser quelque espérance à Valvano ; je me levai, et avec fierté je lui dis : « Il faut enfin vous avouer ma faiblesse ; oui, peut-être il m’en coûterait mon bonheur, s’il fallait me séparer de vous ; mais ne pouvons-nous punir autrement un perfide, et l’offre de cette main vous paraît-elle à dédaigner. »

» À ces mots, transporté par l’excès de la joie, il se précipita à mes genoux, m’exprima sa tendresse avec une éloquence persuasive dont mon cœur fut charmé ; il me quitta peu après, hâta les préparatifs de notre union, mit tous ses soins à ce qu’elle fût consolidée par la réunion des cérémonies de l’Église et des coutumes du pays. Un notaire dressa le contrat qui me liait avec votre compatriote ; et si je ne pris pas pour époux un prince, du moins je fus à celui que je préférais, et je punis un méchant dont j’avais tant à me plaindre.

« Ferdinand apprit par son frère, le prince Montaltière, ce qui s’était passé, sa rage, comme vous le pensez, dut être excessive. Il jura de prendre une vengeance éclatante de l’affront qu’il recevait, et pour mieux y parvenir, se lia avec les brigands de la forêt sombre et les Frères-noirs du couvent de Santo-Génaro. »

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