Le Roi des Étudiants

Le Roi des Étudiants

de Vinceslas Eugene Dick

Chapitre 1 SILHOUETTES D’ÉTUDIANTS

C’était dans une chambre de douze pieds carrés au plus, rue St-Georges, Québec.

Ils étaient là quatre, buvant, fumant,chantant, riant… que c’était plaisir à voir. Le cliquetis des verres, le choc des bouteilles, les éclats de voix, les notes plus ou moins fausses de quelque chanson égrillarde, le bruit des pieds battant le parquet ; tout cela se combinait adorablement pour former le plus délicieux tintamarre du monde.

Comment en eût-il été autrement ?

Ce quatuor bruyant représentait la fine fleur de l’école de médecine : Des prés, le roi des étudiants tapageurs, l’organisateur par excellence de joyeuses équipées, le meilleur buveur de l’Université ; Cardon, passé maître dans l’art d’obtenir de la boisson à crédit ; La fleur, qui faisait dix affreux calembours entre chaque rasade qu’il ingurgitait—et Dieu sait s’il en ingurgitait, des rasades !—enfin, le petit Caboulot, le rat de l’école, intelligent comme un diablotin, mais plus grouillant, plus étourdi, plus léger qu’un papillon.

Rien d’étonnant donc à ce que quatre lurons de cette trempe, arrosés de whisky, fissent un charivari à broyer le tympan d’une escouade d’artilleurs !

Tout à coup, le bruit cessa pendant une dizaine de secondes ; la porte s’ouvrit, et un cinquième personnage entra.

Alors, ce fut une tempête.

— Bonsoir, Champfort !

— Que tu arrives bien,Champfort !

— Viens prendre un coup,Champfort !

— Champfort, pas d’étude ce soir !Au diable la pathologie !

— Mort à la matière médicale !

— Aux gémonies les maladies desyeux !

— Et celles des oreilles, donc !

— Que la fièvre quarte étouffe Virchow,Kasper, Claude Bernard… et même monsieur Koshlakoff, deSt-Pétersbourg !

— Que Satanas torde le cou à feuGalien !

— Et donne le coup de grâce à ce bonmonsieur Hippocrate.

— Lafleur !…

— Cardon !…

Le nouvel arrivant, tiraillé à droite,tiraillé à gauche, assassiné d’apostrophes aussi véhémentes, nepouvait placer un mot et se contentait de sourire.

— Là ! là ! mes amis, fit-ilenfin, ne parlez pas ; tous à la fois : qu’ya-t-il ?

— Il y a que nous bambochons ce soir.

— Ça se voit.

— Et que nous voulons nous administrerune cuite à tout casser…

— Tais-toi, le Caboulot, laisse parler legrand monde.

— Tiens ! faut-il pas avoir sixpieds, par hasard, pour qu’on se permette de parler devantmonsieur !

— Silence ! intervient Després. Jevais t’expliquer la chose, Champfort ; assieds-toi.

— Lorsque Dieu créa le monde…

— Passe au déluge ! interrompitLafleur.

— Monte sur une chaise ! glapit leCaboulot.

— Pas de discours ! grognaCardon.

— Laissez-moi faire : ça ne sera paslong. Champfort s’était assis, attendant patiemment la fin de labourrasque.

— Lorsque Dieu créa le monde, repritimperturbablement Després, il travailla, comme tu le sais, pendantsix jours…

— C’est connu, ça ! fit la voixflûtée du Caboulot.

— Pas assez ! répliqua gravementl’orateur.

Puis il poursuivit :

— Mais le septième, il l’employa à sereposer, laissant ainsi à l’homme, qu’il venait de former à sonimage, un enseignement plein de sagesse. Or…

— Ergo !

— Or, nous avons travaillé toute lasemaine comme des nègres. N’est-il pas juste que nous prenionscette soirée, cette nuit même, s’il le faut, pour laisser un peu sedétendre l’arc de nos centres nerveux ?

— Bien parlé !

— Puissamment raisonné !

— D’une logique irréfutable !

— Mais, sans doute, mes très chers,répondit en riant Champfort. Et je songeais si peu à me mettre endésaccord avec cette sage règle, que je venais vous prier d’étudiersans moi, ce soir Je ne suis pas dans mon assiette et n’ai aucunedisposition pour le travail.

— Bravo !

— Hourra pour toi, Champfort !

— Vive le whisky, le tabac et leschansons !

Et Després, de cette voix lente et mesurée quilui était habituelle, se mit à chanter, tout en saisissant unebouteille de la main droite et un verre de la maingauche :

Étudiants, étudiants

Chantons, rions sans cesse :

Que l’étude et l’allégresse

Se partagent nos instants.

De son côté, le Caboulot hurlait :

Pourquoi boirions-nous de l’eau,

Somm’nous des grenouilles ?

Cardon, lui, proclamait moins haut la chose,mais la mettait consciencieusement en pratique.

Quant à Lafleur, il n’est pas nécessaire dechercher ce qu’il turlutait de sa voix enrouée ; c’étaittoujours la même rengaine :

C’est notre grand-père Noé,

Patriarche digne,

Que l’bon Dieu nous a conservé

Pour planter la vigne.

Il ne fallait pas lui demander autre chose quecela : c’eût été peine perdue. Mais, en revanche, toutes lescinq minutes, l’éternel couplet lui revenait dans le gosier, avecle nom du respectable grand-père Noé, auteur de la premièrebamboche dont parle l’histoire.

Laissons Lafleur redire, en quinze couplets,les mérites et les exploits du grand-père Noé, et esquissons à lahâte le portrait du nouvel arrivant.

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