Le Roman d’un spahi

Le Roman d’un spahi

de Pierre Loti

INTRODUCTION

I

En descendant la côte d’Afrique, quand on a dépassé l’extrémité sud du Maroc, on suit pendant des jours et des nuits un interminable pays désolé.

C’est le Sahara, la « grande mer sans eau » que les Maures appellent aussi« Bled-el-Ateuch », le pays de la soif.

Ces plages du désert ont cinq cents lieues de long, sans un point de repère pour le navire qui passe, sans une plante, sans un vestige de vie.

Les solitudes défilent, avec une monotonie triste, les dunes mouvantes, les horizons indéfinis, – et la chaleur augmente d’intensité chaque jour.

Et puis enfin apparaît au-dessus des sables une vieille cité blanche, plantée de rares palmiers jaunes ;c’est Saint-Louis du Sénégal, la capitale de la Sénégambie.

Une église, une mosquée, une tour, des maisons à la mauresque. Tout cela semble dormir sous l’ardent soleil, comme ces villes portugaises qui fleurissaient jadis sur la côte du Congo, Saint-Paul et Saint-Philippe de Benguéla.

On s’approche, et on s’étonne de voir que cette ville n’est pas bâtie sur la plage, qu’elle n’a même pas de port, pas de communication avec l’extérieur ; la côte, basse et toujours droite, est inhospitalière comme celle du Sahara, et une éternelle ligne de brisants en défend l’abord aux navires.

On aperçoit aussi ce que l’on n’avait pas vu du large : d’immenses fourmilières humaines sur le rivage, des milliers et des milliers de cases de chaume, des huttes lilliputiennes aux toits pointus, où grouille une bizarre population nègre. Ce sont deux grandes villes yolofes, Guet-n’daret N’dartoute, qui séparent Saint-Louis de la mer.

Si on s’arrête devant ce pays, on voit bientôt arriver de longues pirogues à éperon, à museau de poisson, à tournure de requin, montées par des hommes noirs qui rament debout.Ces piroguiers sont de grands hercules maigres, admirables de formes et de muscles, avec des faces de gorilles. En passant les brisants, ils ont chaviré dix fois pour le moins. Avec une persévérance nègre, une agilité et une force de clowns, dix fois de suite ils ont relevé leur pirogue et recommencé le passage ;la sueur et l’eau de mer ruissellent sur leur peau nue, pareille àde l’ébène verni.

Ils sont arrivés, cependant, et sourient d’unair de triomphe, en montrant de magnifiques râteliers blancs.

Leur costume se compose d’une amulette et d’uncollier de verre ; leur chargement, d’une boîte de plombsoigneusement fermée : la boîte aux lettres.

C’est là que se trouvent les ordres dugouverneur pour le navire qui arrive ; c’est là que se mettentles papiers à l’adresse des gens de la colonie.

Lorsqu’on est pressé, on peut sans crainte seconfier aux mains de ces hommes, certain d’être repêché toujoursavec le plus grand soin, et finalement déposé sur la grève.

Mais il est plus confortable de poursuivre saroute vers le sud, jusqu’à l’embouchure du Sénégal, où des bateauxplats viennent vous prendre, et vous mènent tranquillement àSaint-Louis par le fleuve.

Cet isolement de la mer est pour ce pays unegrande cause de stagnation et de tristesse ; Saint-Louis nepeut servir de point de relâche aux paquebots ni aux naviresmarchands qui descendent dans l’autre hémisphère. On y vient quandon est forcé d’y venir ; mais jamais personne n’y passe, et ilsemble qu’on s’y sente prisonnier, et absolument séparé du reste dumonde.

II

Dans le quartier nord de Saint-Louis, près dela mosquée, était une vieille petite maison isolée, appartenant àun certain Samba-Hamet, trafiquant du haut fleuve. Elle était touteblanche de chaux ; ses murs de brique lézardés, ses planchesracornies par la sécheresse, servaient de gîte à des légions determites, de fourmis blanches et de lézards bleus. Deux maraboutshantaient son toit, claquant du bec au soleil, allongeant gravementleur cou chauve au-dessus de la rue droite et déserte, quand parhasard quelqu’un passait. Ô tristesse de cette terred’Afrique !

Un frêle palmier à épines promenait lentementchaque jour son ombre mince tout le long de la muraillechaude ; c’était le seul arbre de ce quartier, où aucuneverdure ne reposait la vue. Sur ses palmes jaunies venaient souventse poser des vols de ces tout petits oiseaux bleus ou roses qu’onappelle en France des bengalis. Autour, c’était du sable, toujoursdu sable. Jamais une mousse, jamais un frais brin d’herbe sur cesol, desséché par tous les souffles brûlants du Sahara.

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