Le trappeur La Renardière – Au Canada, la tribu des Bois-Brûlés – Voyages, explorations, aventures

Le trappeur La Renardière – Au Canada, la tribu des Bois-Brûlés – Voyages, explorations, aventures

de Louis Noir

Je dédie ce livre à M. François Allain, mon ami.

Son tout dévoué,

Louis Noir

PRÉFACE Une France en Amérique Montréal.

 

Ville normande !

Et en plein Canada !

Plus normande qu’aucune ville de Normandie, de la bonne Normandie.

Deux cent cinquante mille habitants,énergiques, vigoureux.

Un pont métallique tubulaire sur le Saint-Laurent, pont qui est une des merveilles du monde.

Des monuments, des églises, des hôtels splendides, des restaurants, des grandes auberges comme autrefois en Normandie, voilà Montréal.

La race y est bien et à fond française.

Ne s’étant jamais laissé entamer par l’élément anglais.

Langue, coutumes, mœurs, habitudes, tout est normand.

La religion ?

Catholique.

Ce n’est pas une question de croyance, mais de défense nationale.

« Nous ne voulons pas de la religion des Anglais. »

C’est le fond de l’attachement des Canadiens français à leur foi catholique qui, là-bas, se traduit par patriotisme.

C’est tranché.

Qui n’est pas catholique, n’est pasFrançais.

Et si un libre penseur français, pour peuqu’il soit patriote et ennemi des Anglais, va à Montréal, enadmettant qu’il ne pratique pas, il souscrit pour toutes les œuvrescatholiques.

Parce qu’elles sont anti-anglaises.

Parce qu’elles sont œuvres de défensenationale.

Enseignement catholique, enseignementfrançais.

Défense de la langue.

Société de bienfaisance catholique, soutien dupauvre français.

On est pris dans l’engrenage d’un patriotismeadmirable.

Sujets anglais, oui.

Abandonnés par la France dans les joursmalheureux d’un règne infâme, celui de Louis XV.

Mais Anglais, jamais.

Quelle lutte admirable.

Quels ressorts puissants !

Abandonnés à eux-mêmes, ces Français-Canadiensne se sont jamais abandonnés, n’ont jamais désespéré.

Malgré l’émigration, malgré la domination,malgré la force commerciale anglaise, malgré le machiavélismeanglais, ils se sont toujours défendus.

Et victorieusement.

Une natalité puissante, généreuse, superbe,les fait sans cesse progresser et réussir.

D’immenses champs d’exploitation s’ouvrentdevant les Canadiens.

Nos Normands prolifiques en profitent etenvahissent l’ouest.

Cinq millions de Canadiens !

On a calculé que le chiffre s’en élèveraittrès rapidement au double.

Et il y aura les deux tiers de Français pourle moins.

Chose curieuse !

Les États-unis tendent à s’annexer leCanada.

Ils y ont un parti.

Quel ?

Les Anglais.

Oui, les Anglais nés au Canada ont unetendance à se faire Américains.

Qui leur résiste ?

Les Français-Canadiens.

Pourquoi ?

« Parce que, unis aux États-unis, plusd’espoir.

« Ils seraient à jamaisAméricains. » Voilà ce qu’ils vous expliquent.

Tandis qu’avec les Anglais, « c’est toutdifférent. »

Nos Normands de là-bas, très fins, ayant unsens politique, vous expliquent ainsi leurs épreuves :

« Nous avons attendu pendant prés detrois siècles, le moment de redevenir Français ; nous pouvonsencore attendre longtemps sans nous laisser entamer.

» Nous ne sommes pas impatients, parceque nous sommes les plus forts.

» Nous vivons Français, nous sommesFrançais, nous tenons le sol.

» Nous savons, nous sentons mieux quepersonne, que l’Angleterre ne peut vivre que d’un commerce immensequi nécessite son immense extension.

» Elle ne produit agricolement que letiers de ce qu’il faut pour vivre ; il faut qu’elle subsistede son industrie dont les produits sont imposés par son commercequi étreint des espaces démesurés.

» C’est un colosse, mais un colosse auxpieds d’argile.

» Le jour où elle aura perdu les Indes,elle sera très atteinte.

» Ce jour est si proche, qu’elle enfrémit et qu’elle cherche à réparer cette perte inévitable, par uneformidable extension dans l’Afrique orientale.

» Mais elle se fait des ennemisirréconciliables partout.

» Un jour, jour prévu, inéluctable, ellelassera la patience du monde et une coalition se formera contreelle.

» Que la France, par la suite des temps,fasse sa paix avec l’Allemagne, qu’elle consacre à sa marine lemilliard qu’elle consacre à la guerre, et une descente enAngleterre sera possible.

» Alors ce sera la fin de l’empirebritannique.

» Finis britanniae.

» L’Irlande catholique, le Cap africain,l’Australie, la Nouvelle-Zélande républicaines proclameront leurindépendance.

» Et nous serons Français.

» Car nous voyons des ferments deséparatisme se produire aux États-unis.

» Une nouvelle sécession aura lieu etcette grande république, par l’invincible force d’intérêtscontradictoires, se séparera en quatre confédérations. »

Voilà ce que des Canadiens à larges vues m’ontexpliqué.

– Mais, leur ai-je demandé, comment sefait-il que l’émigration ne noie pas l’élément français ?

– Rudesse du climat !

Au Canada, en hiver, il y a une longue périodede froids excessifs.

Quarante degrés.

Lever du soleil à dix heures.

Coucher à deux heures.

Ce n’est pas ainsi au sud du pays, c’est moinsdur.

Mais au nord.

Et là seulement, il y a de la place, mais iln’y a pas de commerce.

Les émigrants, anglais, allemands, italiens,ne peuvent se faire à un pareil climat, à nos longues nuitsd’hiver.

Moins encore peut-être à nos interminablesjournées d’été.

Dix-huit heures de soleil et quatre heures delumière crépusculaire !

Les Canadiens, habitués à ce régime, necraignent pas d’émigrer au nord et à l’ouest, loin des centres.

Les Canadiens-Anglais, commerçants avant toutet ouvriers, vivent dans les villes et répugnent à être défricheursou bûcherons, car nos immenses forêts offrent aux bûcherons, àproximité des fleuves et des lacs, des bénéfices certains.

Pourvu que l’on puisse, sans grands frais,amener les arbres équarris sur l’eau et en former des trains,on est sûr de faire une honnête fortune.

Les vapeurs ravitaillent en été les postes debûcherons.

Ceux-ci se construisent des maisons de boisavec jointures de terre battue et de mousse.

Ils improvisent un mobilier très ingénieux,très commode.

Ils abattent autour de la maison d’abord etsèment dans le défriché.

Récoltes merveilleuses.

L’année suivante, culture sommaire extérieure,sans grand travail, dans un autre défriché.

Et quand il faut aller cogner trop loin,décampement.

Autre installation.

Personne autre que les Canadiens-Français neveut mener cette vie là.

Elle charme nos Normands.

Pleine d’attraits, du reste.

Chasses et pêches.

L’hiver, feux sur le chantier, feux à lamaison.

Ces feux joyeux, pétillants, immenses,remplacent le soleil.

Remarquez que le bûcheron vit toujours engroupe de famille.

On part à cinq ou six ménages de cousins etcousines.

On s’installe à une heure ou deux les uns desautres.

On voisine.

On s’assemble le dimanche.

Plusieurs groupes s’invitent pour célébrer laNoël, Pâques, les grandes fêtes de l’année ensemble.

Des mariages se font.

Les missionnaires sont appelés pour lesconsacrer.

En somme, le vrai maître de la terre, c’est leFranco-Canadien.

Et ce qui fait ce pays admirable, c’est sonété si chaud, court, mais où le soleil reste si longtemps chaquejour sur l’horizon qu’il mûrit Ies récoltes.

Puis il y a des ressources spéciales, desbaies qui produisent des boissons fermentées, sans compterd’excellentes bières de ménage et le fameux vin d’érable.

Je cite au hasard.

Mais je dois une mention au cidre, sipétillant et d’un si bon goût, fabriqué avec les pommessauvages.

Le gibier abonde.

Le poisson se pêche facilement en plein hiver,à foison, dans les trous faits à la glace des rivières.

Mais tout cela ne séduit pas l’Anglais,citadin-né.

Il aime le confortable spécial des grandesvilles.

Ce qui est particulièrement touchant dans lespays canadiens-français, c’est l’alliance des classes dirigeantesavec le peuple.

Ce que l’on fait en haut pour que l’en bassache lire, écrire, compter et s’instruire par la lecture estinimaginable.

Ainsi, les familles de citadins rassemblent,par ordre de date, leurs journaux lus, leurs revues et y ajoutentdes volumes à bon marché édités pour ça.

On en fait des paquets et on les confie auxnavires de ravitaillement, avec grandes recommandations d’endistribuer autant au loin que plus près.

Et c’est fidèlement exécuté.

Mais les flotteurs mariniers, quidescendent les trains de bois sur les rivières, remportent’aussides paquets semblables et répandent ainsi l’instruction.

À la veillée, chacun lit à tour de rôle, àhaute voix.

Le feu ronfle.

L’eau pour le thé mijote.

Les enfants et les femmes écoutent.

Dans les moments pathétiques, elles se mettentà pleurer.

Alors les enfants se mettent à beugler, ce quiémeut les chiens qui se réveillent et glapissent, sans savoirpourquoi, mais par sympathie, pour se mettre à l’unisson.

Braves gens, ces Canadiens !

Les chiens aussi.

D’une probité rigoureuse, hospitaliers,accueillants.

Joyeux, aimant à rire, très bons et très finsen même temps.

C’est plaisir de faire avec eux, au printemps,de bonnes parties de chasse.

Mais, quand le soir, vient l’heure de laprière, si vous êtes libre penseur, ne les scandalisez pas trop parune indifférence affectée.

Levez-vous et découvrez-vous.

C’est le moins que vous puissiez faire pourdes hôtes bienveillants.

Et les femmes vous demanderont trèsdoucement :

– Vous ne priez donc pas ?

Répondez-leur :

– J’ai perdu la foi, à Paris, où l’on necroit guère.

Ajoutez bien vite :

– Mais je ne suis pasprotestant !

Car protestant signifie Anglais.

Comment les deux éléments peuvent-ils vivreensemble ?

Précisément parce qu’aucun mélange n’estpossible.

Pas de point de contact.

Telle ville est anglaise, telle autre estfrançaise.

Où l’élément anglais, l’élément françaislaisse faire et s’abstient ; c’est réciproque.

Pas de luttes brutales, inutiles etstériles.

Pas d’alliances ou alliances bien rares entreAnglaises et Français ; quelques-unes entre Françaises etAnglais.

Mais les enfants se francisent toujours, c’estun fait remarquable.

En somme, nous avons et surtout nous auronslà-bas une grande France qui nous aime.

Elle vaut la peine d’être visitée ;allons-y donc.

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