Les Amants de Venise

Les Amants de Venise

de Michel Zévaco

Chapitre 1 LES SOUTERRAINS DE SAINT-MARC

En ce temps-là, le chef de la police vénitienne était un certain Gennaro – Guido de son prénom – homme d’une quarantaine d’années,brun de poil, énergique de tempérament, et, comme tous les fonctionnaires de cette république tourmentée par les révolutions d’antichambre et les batailles autour du pouvoir, doué d’un solide appétit d’ambitieux.

Guido Gennaro convoitait la place de Dandolo, comme Altieri convoitait la place de Foscari, comme Foscari convoitait de transformer la couronne ducale en couronne royale.

Il était, disons-nous, chef de la police visible et occulte de Venise, et n’avait au-dessus de lui comme supérieur direct que le grand inquisiteur. C’est assez dire que le personnage était redoutable.

Du reste, il exerçait son métier avec une sorte de conscience et n’avait d’autre passion que de flairer une bonne conspiration, de l’inventer au besoin de toutes pièces, pour avoir la joie et l’honneur de la déjouer. Il ne jouait pas, comme cela arrivait à maint seigneur qui se ruinait aux dés. Il ne faisait pas grandechère, et pourtant, recevait magnifiquement deux fois l’an, àPâques et à Noël. On ne lui connaissait ni femme ni maîtresse. Songrand plaisir était de se promener seul, le soir, dans Venise,déguisé tantôt en bourgeois, tantôt en marinier ; il frôlaitalors les groupes de promeneurs, entrait dans les cabarets, donttous les patrons étaient ses créatures. Maître Bartolo le Borgne,patron de l’Ancre-d’Or, était de ses amis. Le résultat de cespromenades était généralement que deux ou trois pauvres diablesétaient saisis dans leur lit au moment où ils s’y attendaient lemoins et se voyaient condamnés, les uns à deux ans de plombs, lesautres aux galères, les autres à cinq ou six ans de puits : lasinistre manne du tribunal était inépuisable. Alors le seigneurGuido Gennaro se frottait les mains. Il avait coutume de dire que,dans une ville policée, le principal monument, le seul vraimentutile, c’était la prison. Il était l’âme visible de la prison. Ilrêvait d’une prison gigantesque où il eut enfermé toute la ville,et d’une organisation sociale qui n’eût admis que deux catégoriesde citoyens : les prisonniers et les geôliers.

Le lendemain du jour où nous avons vu Bembo évoluer de l’Arétinà Sandrigo et de Sandrigo à Imperia, vers la nuit tombante, le chefde la police, Guido Gennaro, achevait de se grimer devant un grandmiroir.

Ayant achevé de travailler sa tête, il passa dans un cabinet oùétaient accrochés d’innombrables costumes, et choisit unhabillement complet de barcarol aisé dont il se revêtit, soigneuxdes détails et attentif au moindre accessoire.

« Hum ! grommelait-il tout en s’habillant, voicil’occasion ou jamais. Dandolo était fait pour être grandinquisiteur comme je suis fait, moi, pour être roi d’Espagne. Etencore !… Le voici sur les dents. Il me laisse tout le soin dela surveillance et ne veut même plus écouter mes rapports. Bienmieux, il disparaît, sous prétexte de soigner le mari de sa fille,blessé, dit-on… blessé par qui ? comment… Je donnerais bien unmois de mes appointements pour le savoir… Mais le palais Altieriest devenu une tombe où nul ne pénètre… Le diable n’y verraitgoutte… Toujours est-il que Dandolo n’est plus grand inquisiteurque de nom… et encore, d’après ce que j’ai cru comprendre, il netardera pas à résigner. Qui sera grand inquisiteur ?… Oui,Gennaro, mon ami, qui va s’emparer de ces magnifiques etredoutables fonctions ? »

En posant cette question, il se regardait dans le miroir etarrangeait un pli de son bonnet de marin.

« Pourquoi ne serait-ce pas moi ? fit-il tout à coup.Je ne suis point patricien ? La belle affaire ! Je suisen somme convenablement apparenté ! Je fais bonne figure. Etpuis, tous les grands inquisiteurs ont-ils été des patriciens desouche ? Et les doges ? Et les évêques ? Bembo estun rien du tout… Oui, oui, Gennaro, voici l’occasion oujamais ! »

Il s’assit dans un fauteuil, se replaça devant le miroir etdit :

« Si l’homme que je vois là dans ce miroir était le doge,voici ce que je lui dirais : « Monseigneur le doge, vousêtes dans une triste situation, et l’État court avec vous un grandpéril. Que suis-je, moi ? Simplement le premier sbire de larépublique. C’est quelque chose, certes. Un sbire, monseigneur,c’est une oreille ouverte sur le silence, un œil ouvert sur lanuit, une main qui tâte le néant, une ombre qui glisse dansl’ombre. Silence, nuit, néant et ombre lui révèlent leurs secrets.Il n’y a pas de secrets pour moi, monseigneur. Veuillez m’entendre.Vous avez culbuté la famille des Candiano. Le vieux doge, vousl’avez aveuglé, c’est parfait. Le diable sait ce qu’il est devenu.Malheureusement pour vous et pour l’État, le vieux loup a laissé unlouveteau qui a grandi. Gare au louveteau, monseigneur. Il amaintenant les crocs fort aigus. La grande erreur de votre règne,je vais vous la dire : il fallait laisser vivre le vieuxCandiano et aveugler Roland. Le vieux serait mort de douleur, etRoland serait impuissant. Mais on ne peut tout prévoir. Il eûtfallu prévoir que Roland Candiano percerait des murs épais de dixpieds et que le pont des Soupirs serait pour lui une simplepromenade comme peut l’être le Rialto pour tel jeune seigneurcourant parader devant sa belle. Passons. Venez avec moi,monseigneur. Entrons dans ces cabarets : vous y entendrezexalter la mémoire de Candiano. Parcourons le port, le Lido, lesquais ; partout, c’est la légende de force, de courage etd’intrépidité. Monseigneur, si vous voulez étouffer la légende deRoland le Fort, coffrez tout le peuple de Venise. C’est impossible,dites-vous ? Alors, emparez-vous de Roland !… Ah !ah ! c’est là que je vous attends !… Peste !s’emparer de Roland Candiano ? Diable ! Oh !oh ! voilà le chef-d’œuvre. Roland est à Venise. Il y estseul. Il brave archers et sbires. Il est où il veut. On croit letenir ? Il n’y est plus ! On cerne l’île d’Olivolo ?Il s’évanouit ! On envahit la maison du port ? Ils’envole en fumée. Diable d’homme… Eh bien, monseigneur, ceterrible Roland, qui s’est créé roi de la Montagne et duc de laPlaine, qui a derrière lui deux mille fanatiques, ce Roland que lesbarcarols chantent à voix basse, dont les femmes rêvent, et en quiespèrent les hommes, ce Roland, qui va vous pulvériser, le voici,je le tiens, je vous l’apporte, prenez-le !… Monseigneur, pourun tel service, faites-moi grand inquisiteur. »

Et Guido Gennaro s’inclina positivement devant le miroir.

En se redressant, il regarda autour de lui, comme si, en vérité,il eût été surpris de ne pas entendre la réponse du doge.

Il éclata de rire et se frotta les mains.

« Voilà, dit-il, voilà le discours que je tiendrai bientôtà maître Foscari, doge de Venise par la grâce du diable.Bientôt !… Qui sait ? Demain, peut-être !…Allons ! allons ! à l’œuvre !… Ce Roland estcertainement un être plein de ruse. Il eût été un chef de policepresque aussi fort que moi. Mais moi, je suis encore plus fort quelui. En effet, lui ne me devine pas, et moi, je le devine. Luis’imagine qu’il n’aime plus Léonore, et moi, dans tous ses actes,je vois éclater son amour. Lui est convaincu qu’il ne doit plusaller à l’île d’Olivolo, et moi je sais que c’est là qu’ilreviendra tôt ou tard ! Ah ! ah ! la belle Léonorequi était là et qui nous ordonnait de nous retirer ?Pourquoi ? Oui, pourquoi ?… Roland, mon bel oiseau bleu,tu reviendras au nid, c’est moi qui te le prédis… au nid, à lacage ! Allons visiter la cage !… »

Comme on peut s’en rendre compte, Guido Gennaro, pour un chef depolice, raisonnait raisonnablement.

Il se frotta encore les mains, c’était peut-être une manie chezlui, puis s’étant assuré par un dernier coup d’œil au miroir qu’ilétait méconnaissable, il sortit et se mit en route vers l’îled’Olivolo. Il n’y alla pas directement. Selon son habitude, ils’arrêta en deux ou trois cabarets et parvint ainsi àl’Ancre-d’Or.

Maître Bartolo le Borgne le reconnut aussitôt, malgré sondéguisement, et vint à lui avec un sourire qui montrait ses dentsaiguës. On eût dit un chacal rencontrant tout à coup un tigre ets’apprêtant à lui faire compliment.

« As-tu du nouveau ? demanda le chef de police.

– Le terrible Scalabrino, le bras droit de Roland Candiano,celui qui a démantelé le pont des Soupirs d’un seul coup de poing,dit-on…

– Eh bien, achève…

– Mort ! »

Le chef de police eut un éclair de joie dans les yeux.

« Si tu dis vrai, Bartolo, tu as gagné dix ducats pour lanouvelle. Mais la chose est-elle sûre ?

– C’est moi qui l’ai tué, seigneur.

– Toi !

– Moi-même. Il est venu ici, je l’ai grisé, il s’estendormi… pour ne plus se réveiller.

– Bartolo, passe chez moi demain matin ; desserviteurs comme toi doivent être récompensés.

– Ce n’est pas tout, seigneur ; Sandrigo…

– Ne me parle pas de celui-là ; c’est inutile.

– Il est donc pris ?

– Mieux : il a pris du service. »

Et laissant le Borgne stupide d’effarement, Guido Gennaros’élança au-dehors ; plus que jamais l’épiderme de ses mainseut à subir les rudes manifestations de sa joie.

« Scalabrino tué ! grommelait-il, cela est un coup demaître ! Roland, Roland, je te tiens !… »

Il était près de dix heures lorsque le chef de la police arrivaprès de l’île d’Olivolo. Il modéra alors sa course, s’éclipsa,rampa dans les zones d’ombre, pareil à une larve nocturne.

Il atteignit ainsi le mur d’enceinte du jardin Dandolo.

Quelques instants plus tard, il était dans l’intérieur. Entombant du haut du mur, il n’avait pas fait plus de bruit que n’enpeut faire une feuille sèche tombant d’un arbre.

Guido Gennaro demeura dix minutes à la place même où il étaittombé, ne respirant pas ; la nuit étant opaque, il avait ferméles yeux et concentré en ses oreilles toute sa forced’inquisition.

Aucun bruit suspect ne lui parvint.

Alors, lentement, il se redressa.

« De deux choses l’une, songea-t-il. Ou Roland est ici, etje cours chercher dix hommes ; alors, mort ou vif, il est ànous. Ou il n’y est pas, et je trouve le vieux Philippe. Il y alongtemps que je veux faire connaissance avec cet imbécile, il peutservir. Allons… »

Alors il rampa à travers les massifs dépouillés de leurfeuillage.

Parvenu vers le milieu du jardin, il s’arrêta net ; lamaison lui était visible. Et par les interstices d’un volet durez-de-chaussée filtrait un mince filet de lumière.

Le cœur du chef de police se mit à battre sourdement.

« De la lumière à cette heure-ci !… Le vieuxdomestique ne veille pas tout seul… Qui est là ?… Oh ! nepouvoir, d’ici, percer ces murs, voir l’homme qui est là ?Pourtant, il faut que je le voie !… Allons !… »

Il se remit à ramper et arriva contre la maison.

Voir était impossible. Gennaro se mit à écouter.

À genoux près du volet du rez-de-chaussée, l’oreille collée à lafente par où s’échappait le filet de lumière, pétrifié, statueinsensible à tout ce qui n’était pas la voix de l’intérieur, lechef de police eût provoqué l’admiration de l’observateur qui eûtpu l’examiner à ce moment.

Cinq minutes s’écoulèrent.

Gennaro se mit alors à reculer lentement.

À cet instant, le même observateur l’eût trouvé effroyable. Unrictus déformait sa bouche. Il était devenu plus souple encore, sipossible, dans son mouvement de retraite, il s’entourait de plus desilence et de nuit.

Voici les dernières paroles que le chef de police avaitnettement entendues :

« Monseigneur, passerez-vous la nuit ici ?

– Oui, Philippe. Je suis las. J’ai besoin d’une bonne nuitde repos, peut-être la trouverai-je ici. »

Gennaro avait reconnu les deux voix. La première était celle duvieux Philippe, la deuxième celle de Roland.

Un autre se fût trahi par quelque mouvement précipité.

Gennaro, qui avait mis un quart d’heure à gagner la maison, mitune demi-heure à retraverser le jardin.

Il atteignit le mur et se redressa. Et cette fois, sûr de lui,il murmura avec un indicible accent de joie folle :

« Je le tiens ! »

À ce moment, une ombre se dressa près de lui, une main s’abattitsur son épaule. Gennaro ne tressaillit pas, ne cria pas.

Toutes les forces de sa pensée se concentrèrent sur cettepensée : se débarrasser, sans faire de bruit, de cetassaillant quel qu’il fût.

La main de l’inconnu avait glissé de l’épaule à son bras gauchequ’elle serrait comme un étau.

Gennaro chercha son poignard à sa ceinture.

Mais il n’eut pas le temps de dégainer.

L’autre main de l’inconnu venait de s’abattre sur son brasdroit.

Le chef de la police se sentit paralysé. Tout mouvement luiétait impossible. Son sang-froid ne l’abandonna pas. D’une voixbasse qui ne tremblait pas, il dit :

« Mille ducats si tu me lâches ! »

Pour toute réponse, l’inconnu serra plus violemment ses mains defer dont les doigts s’incrustèrent dans les bras de Gennaro.

Le chef de police se sentit soulevé en l’air.

Le formidable inconnu qui venait de l’agripper se mit en marchesilencieusement. Alors Gennaro essaya une suprême défense.

Les doigts de fer s’incrustèrent plus tenaces, et cette fois, uncri de douleur échappa au chef de police.

L’inconnu, toujours portant le policier qui, maintenant,n’essayait plus aucune résistance, traversa rapidement le jardin,atteignit la maison et frappa du pied. La porte s’ouvrit, et, aujet de lumière, Gennaro reconnut son mystérieux et rudeadversaire.

« Scalabrino ! » murmura-t-il d’une voixétouffée.

Le géant déposa le chef de police dans la pièce durez-de-chaussée, où plus d’une fois déjà le lecteur a pénétré.C’était, on se le rappelle, l’ancienne salle à manger deDandolo.

Là se trouvaient Roland Candiano et le vieux Philippe.

Gennaro, libre de ses mouvements, se frotta l’un et l’autrebras.

« Pardieu, compère, dit-il avec une gaieté qui n’avait riend’affecté, je vous fais compliments sur les tenailles d’acier quivous servent de mains. »

Roland interrogea Scalabrino d’un coup d’œil.

« C’est bien simple, dit le colosse ; lorsque je suisparti, il y a une heure, j’ai eu l’idée de faire en flânant le tourdu mur. J’ai vu monsieur qui sautait. J’ai sauté après lui, je l’aisuivi pas à pas, et je l’ai saisi au moment où il allait s’en allerpar le même chemin.

– Vraiment ! s’écria le chef de police avecadmiration, les choses se sont-elles passées comme vousdites ?

– Puisque vous voilà !

– Eh bien, je vous félicite. Je ne pensais pas quequelqu’un fût capable de me suivre à la piste sans que mes yeux,mes oreilles ou mon nez m’avertissent.

– Qui êtes-vous ? demanda Roland.

– Un pauvre barcarol qui se confie à votre générosité. Vouspouvez, seigneur, me livrer aux sbires, et je serai condamné. Decinq ans peut-être, je ne reverrai plus la lumière du jour…

– Que veniez-vous donc chercher ici ? Parlezfranchement, je ne suis pas un homme à vous livrer auxsbires. »

Si maître de lui que fût Gennaro, il eut un mouvement comme pourse frotter les mains ; heureusement la douleur l’arrêtanet.

« Bon ! songea-t-il. La chose est limpide, maintenant.Il va me renvoyer en me donnant quelque pièce de monnaie. Dans unedemi-heure, je viendrai… la lui rendre. »

En même temps, il baissa la tête, comme honteux d’avoir à avouersa faute.

« Eh bien ? insista doucement Roland, parlez donc, etsurtout dites la vérité…

– C’est que cette vérité est dure à dire, seigneur, et jesuis d’autant plus honteux, maintenant, que vous m’avez promis dene pas me livrer.

– Je tiendrai ma promesse si tu me dis la vérité. Maissonges-y bien avant de parler ; tu n’es libre qu’à cettecondition. Si tu mens, je ne me croirai tenu à aucuneindulgence.

– Soit donc ! La vérité tout entière, je vais vous ladire. Depuis quelque temps mes affaires vont mal.

– Tes affaires de barcarol ? »

Gennaro sourit.

« Vous ne le pensez pas, seigneur. Je ne suis barcarolqu’en apparence et vous avez l’œil trop fin pour ne pas vous êtreaperçu que je porte un déguisement. De plus, je me suis vanté toutà l’heure de ne m’être jamais laissé prendre… excepté par ce dignecompagnon, ajouta-t-il en désignant Scalabrino. Non, non, monmétier n’est pas de pousser les gondoles le long des canaux, enchantant des poésies, et de ronfler sur les quais, les pieds ausoleil tout l’après-midi… Métier de paresseux, seigneur !

– Quel est donc le tien ?

– Vous l’avez deviné, j’en suis sûr ; c’est me glisserla nuit dans les maisons mal gardées, de les visiter en tout bientout honneur, sans réveiller personne, puis de me retirer poliment.Ces visites, je ne les fais qu’à des maisons dignes d’être vues, ettelle est en général mon admiration pour les choses que je vois,que je m’en vais rarement sans emporter un petit souvenir, quelquebijou précieux ou quelque argenterie, ou même quelque sac rempli deces médailles qu’on appelle des ducats et des écus. Vous ne pouvezvous figurer à quel point j’aime les médailles… »

Roland s’était assis et, le menton dans la main, regardaitGennaro avec une sorte de gravité.

« Bon, pensa le chef de police, il va me faire un cours devertu ; pourvu que cela ne dure pas troplongtemps ! »

« En un mot, dit Roland, vous exercez le métier devoleur ?

– Hélas ! Il faut bien faire quelque chose en cemonde. Or, comme je vous le disais, seigneur, mes affaires vont maldepuis quelque temps. Point d’aubaine. Plus de franche lippée. Lamisère ! Et ce soir, j’allais, vagabond, triste et morose,lorsque je vis cette maison. J’entrai dans le jardin, jem’approchai, j’entendis des voix, je vis une lumière et je meretirai fort désappointé. J’allais de nouveau enjamber le mur, mepromettant de revenir demain… vous voyez que je suis franc jusqu’aubout… lorsque je sentis s’abattre sur moi les tenailles de ce rudecompagnon… Vous savez tout, seigneur. »

Roland, comme nous avons dit, avait écouté gravement cettehistoire, et pas un signe extérieur ne put laisser croire à Gennaroqu’il en eût reçu une impression défavorable.

Le chef de police attendit pourtant sans trop d’inquiétude.

La connaissance qu’il avait du caractère de Roland lui donnaitune assurance qu’il n’eût certes pas eue devant un de sessbires.

À ce moment retentit dans le jardin un coup de sifflet doucementmodulé. Roland et Scalabrino tressaillirent. Gennaro dressa lesoreilles. Alors Roland se leva et, se dirigeant vers la porte,dit :

« Scalabrino, surveille étroitement pendant mon absence leseigneur Guido Gennaro, chef de la police vénitienne, qui veut biennous rendre visite. »

Et il sortit, laissant Gennaro foudroyé, hébété destupéfaction.

Dans le jardin, Roland marcha jusqu’au cèdre. Là, il répéta lecoup de sifflet qu’il avait entendu. Presque aussitôt, un homme sedressa près de lui et dit :

« Monseigneur, c’est pour cette nuit.

– Et tu peux nous conduire ?

– Oui, monseigneur, sans danger.

– C’est bien, attends-moi ici. »

Roland rentra dans la maison.

« Monsieur, dit-il à Gennaro, vous êtes monprisonnier. »

Le chef de police avait essayé d’employer ces quelques minutes àtrouver une issue au traquenard où il s’était jeté.

Mais cette fois il était pris de court.

« Vous êtes mon prisonnier, reprit Roland. Et je vais vousappliquer le traitement même que vous m’eussiez appliqué si lehasard m’avait fait votre prisonnier.

– Je ne feindrai pas plus longtemps, dit alors GuidoGennaro. Je suis en effet celui que vous dites. Je me borne donc àvous demander quel traitement vous prétendezm’appliquer ? »

Le chef de police avait repris tout son sang-froid.

« Je suis perdu, songea-t-il, mais je ne mourrai pas commeun imbécile. Montrons à cet adversaire que je suis digne de lui.Une suprême joute de ruse et d’audace n’est pas une banaleagonie. »

On conviendra que l’homme qui, en de si terribles circonstances,était capable de penser et de combiner avec une pareille lucidité,ne manquait pas de courage.

« Qu’auriez-vous fait de moi, si vous m’aviez pris ?demanda Roland.

– Je vous eusse livré au tribunal. Là s’arrêtait mamission.

– Et qu’eût fait de moi le tribunal ?

– Il vous eût livré au bourreau, répondit Gennaro.

– Et qu’eût fait de moi le bourreau ?

– Il vous eût tranché la tête à moins qu’il ne se fûtcontenté de vous aveugler. Mais je crois sincèrement que vousauriez eu la tête tranchée. J’ajoute qu’on n’eût pas attendu, cettefois. Pris maintenant, vous auriez été jugé cette nuit même, et dèsdemain matin, l’échafaud se fût dressé pour vous. »

Guido Gennaro avait tenu le langage qu’il croyait le plus propreà impressionner fortement Roland.

Il cherchait avidement sur la physionomie de Roland les tracesde cette émotion qu’il espérait provoquer.

Mais cette physionomie demeurait impénétrable, d’une froideurtelle que le chef de police, détournant son regard, sentit lepremier frisson d’angoisse mortelle grimper à sa nuque.

Il se répéta :

« Je suis perdu. »

Mais cette fois, aucune pensée de bravade ne vint leréconforter. Il attendit la parole qui allait tomber des lèvres deRoland.

Et cette minute de silence fut poignante.

Roland suivit d’un œil attentif les dégradations successives quifaisaient passer le regard de Gennaro de l’audace à la fermeté, dela fermeté à l’indécision, et de l’indécision à la terreur.

Ce fut quand il le vit dans cette dernière phase qu’ilprononça :

« Guido Gennaro, vous êtes venu m’attaquer chez moi sansque je vous aie jamais fait le moindre mal.

– Je voulais sauver l’État, c’était mon devoir.

– Dites que vous vouliez vous présenter au Conseil des Dixma tête à la main, et pour prix de cette tête que vous lui eussiezjetée, lui réclamer sans doute quelque faveur nouvelle. Me suis-jetrompé ?

– Eh bien, non ! Vous ne vous trompez pas, s’écriaGennaro, l’ambition m’a poussé en effet. »

Un rapide et insaisissable éclair de joie passa dans les yeux deRoland. Mais le chef de police ne s’en aperçut pas.

« Donc, reprit Roland, vous m’avez attaqué. Vous êtesvaincu. Vous m’auriez livré au tribunal de la république. Je vaisvous livrer au tribunal de la montagne qui vous jugera selon deslois plus justes que celles que vous m’auriez appliquées.

– Le tribunal de la montagne ? » murmura GuidoGennaro.

Il ne connaissait que trop cette redoutable institution quifonctionnait dans les montagnes de la Piave.

« Dites-moi tout de suite que vous voulez me fairetuer !

– Le tribunal jugera », répondit Roland.

À ce moment, on gratta au volet d’une façon spéciale.

« Entre ! » fit Roland.

L’homme que nous avons entrevu sous le cèdre du jardin se montradans l’entrebâillement de la porte et dit :

« Monseigneur, il est temps.

– C’est bien, partons », répondit Roland qui, d’uncoup d’œil, désigna le chef de police à Scalabrino.

Roland se mit en marche sans plus s’occuper de sonprisonnier.

Scalabrino, d’une main, avait empoigné Gennaro par le bras, etde l’autre avait tiré sa dague, en disant :

« Un cri, un geste, et vous n’aurez pas la peine d’êtrejugé.

– C’est bon, fit Gennaro, je me tairai. »

Au moment où Roland passa près de l’église, onze heuressonnèrent.

La petite troupe, Roland en avant, Gennaro entre ses deuxgardes, atteignit le canal. Parmi les gondoles amarrées à quai, uneseule avait encore son fanal allumé – un petit fanal rouge placé aubout recourbé de la proue.

Roland marcha jusqu’à cette gondole et fit entendre lesifflement modulé qui lui avait déjà servi de signal dans le jardind’Olivolo.

Presque aussitôt deux hommes surgirent de la tente, et l’und’eux, sautant à terre, le bonnet à la main, s’approcha endisant :

« Où faut-il vous conduire, monseigneur ?

– À Saint-Marc », dit Roland en prenant place dansl’embarcation.

Guido Gennaro fut invité à entrer sous la tente et à s’y tenirtranquille. Roland demeura près des rameurs.

La gondole se mit à filer le long des canaux, et une demi-heureplus tard, s’arrêta près de la place Saint-Marc.

Les quatre passagers débarquèrent, c’est-à-dire Roland, le chefde police, Scalabrino et son compagnon.

Celui-ci, dès lors, marcha le premier.

« Où me conduisent-ils ? » songea le chef depolice.

Il avait d’abord supposé que la gondole allait sortir de Veniseet qu’on allait le conduire dans la montagne. Cela lui laissait unjour de réflexion, et puis il comptait sur les hasards de laroute.

Or, on le faisait débarquer devant Saint-Marc.

Silencieusement, on longeait le pied du vaste et sombremonument.

Enfin, on s’arrêta devant une petite porte basse pratiquée surl’un des flancs de la cathédrale.

L’homme qui, depuis le jardin, servait de guide à Roland, sortitde ses vêtements une clef et ouvrit. Quelques instants plus tardils étaient dans l’intérieur de l’église, vaguement éclairée parquelques lumières placées en des chapelles latérales.

« Vite ! dit l’homme. Il va être trop tard. »

Il entraîna ses compagnons derrière le maître-autel, ouvrit uneautre porte et commença à descendre un escalier.

Au bout de trente marches, il s’arrêta.

Là, l’obscurité était complète. L’homme alluma une lanternesourde.

Gennaro constata qu’il se trouvait dans une des cryptes deSaint-Marc. C’était une salle assez vaste autour de laquelleétaient rangés des tombeaux.

L’homme se dirigea vers l’un de ces tombeaux, poussa un ressortet dérangea une dalle. Roland entra dans le tombeau.

Scalabrino l’y suivit, entraînant le chef de police.

Alors la dalle reprit sa place.

Au centre de cette dalle, un trou en losange avait été percé,sorte de fenêtre grillagée.

Par cette fenêtre, de l’intérieur du tombeau, on pouvait voir etentendre ce qui se passait et ce qui se disait dans la crypte.

« Regardez et écoutez ! fit Roland d’une voixgrave ; mais pas un mot, ou vous êtes mort. »

Scalabrino montra son poignard.

« Ne craignez rien », dit Gennaro frappéd’étonnement.

À ce moment, la faible lueur qui éclairait la cryptes’éteignit ; l’homme qui avait conduit Roland s’étaitéloigné.

Un quart d’heure s’écoula dans le plus profond silence.

Tout à coup, les sons lointains, graves et tristes du bronze sefirent entendre en haut, comme très loin. Gennaro compta douzecoups.

« Minuit ! » murmura-t-il.

Les dernières vibrations du bronze résonnaient encore sourdementlorsque la crypte s’emplit de lumière.

« Regardez bien », souffla Roland.

Et il se recula pour laisser place à Gennaro.

Le chef de police colla son visage au grillage de la minusculefenêtre du tombeau, et le spectacle qu’il eut sous les yeuxl’absorba au point qu’il oublia la situation où il se trouvait.

Une douzaine d’hommes venaient d’apparaître dans la crypte.

Ils portaient des torches. Et c’était la rouge lueur de cestorches qui venait d’éclairer soudain la crypte.

Ces hommes se rangèrent autour de la salle et fichèrent leurstorches, qui sur des dalles, qui sur le socle d’une statue.

Ils étaient douze.

Il y eut ainsi douze torches rangées symétriquement autour de lasalle. Chacun des hommes demeura debout près de sa torche.

Gennaro remarqua alors que cette disposition formait une sortede fer à cheval autour d’une estrade basse sur laquelle étaientplacés plusieurs sièges.

Un quart d’heure s’écoula encore.

Alors, des hommes descendant tous par le même escaliercommencèrent à apparaître dans la crypte. Ils arrivaient isolément,ou par groupes. Mais tous étaient masqués, tous étaientsilencieux ; chacun d’eux, en arrivant dans la salle, prenaitplace près de l’une des torches. Au bout de vingt minutes, il y eutainsi autour de chaque torche une dizaine de ces fantômes.

Gennaro comprit que les hommes aux torches devaient être deschefs de groupes.

À ce moment, il y avait en tout une centaine d’hommes dans lacrypte. Sur l’estrade, quatre avaient pris place et s’étaientassis.

« Qui sont ces hommes ? songeait le chef de policedont la stupéfaction grandissait. Que veulent-ils ? Sont-ilspour moi ?… Est-ce donc là le terrible tribunal de lamontagne ?… Mais non !… Roland Candiano serait avec euxet ne se cacherait pas !… Mais alors !… oh ! savoir…comment savoir !…

À cette minute, l’un des hommes qui se trouvaient sur l’estradese leva et s’avança jusqu’au bord de l’estrade.

Alors, il détacha son masque et le laissa tomber à sespieds.

Le chef de police retint à grand-peine un cri d’effarement.

Cet homme, qui venait de montrer son visage, cet homme quiparaissait être le chef de cette mystérieuse assemblée, c’était lecapitaine général de l’armée vénitienne.

C’était Altieri.

« Seigneurs, amis et frères, dit Altieri d’une voix calme,veuillez, selon l’usage à chacune de nos réunions, découvrir vosvisages, afin que la trahison ne puisse se glisser parminous. »

Tous les masques tombèrent à la fois.

Le chef de police était stupide d’étonnement. Avec une sorted’angoisse, il examinait les visages des gens qui venaient de sedémasquer. Et après avoir reconnu le capitaine général Altieri, ilreconnaissait des personnages de l’entourage du doge, des officierssupérieurs de la flotte vénitienne, des patriciens de marque.

Que faisaient là ces hommes ?… Quel était le but de cettemystérieuse réunion ?

Et surtout, oh ! surtout cela, pourquoi Roland qui pouvaitle tuer, Roland qui avait parlé de le livrer au tribunal de lamontagne, l’avait-il conduit dans les cryptes de Saint-Marc ?…Oui ! Pourquoi l’avait-il fait spectateur invisible de cettescène étrange ?

« Seigneurs, amis et frères, reprit Altieri qui paraissaitêtre le président de cette assemblée, je crois que nous sommes aucomplet. Tous vous avez compris que l’heure de l’action est proche,et je vous remercie d’être venus vous serrer autour demoi. »

Il parlait avec l’autorité d’un futur maître.

Et sans doute nul ne songeait à lui contester cette autorité,car un murmure général de sympathie accueillit l’exorde ducapitaine.

« Un seul d’entre nous manque à cette suprême et dernièreréunion, reprit Altieri, et non des moins importantes, c’estDandolo. »

Un silence inquiet indiqua à Gennaro que l’absence de Dandoloétait peut-être une grave déception pour ces hommes.

L’autorité personnelle du grand inquisiteur n’était pasconsidérable. Mais de par les hautes fonctions qu’il occupait, etsurtout de par le prestige du nom glorieux qu’il portait si mal etpour les forces policières dont il disposait, Dandolo étaitconsidéré comme un élément indispensable dans une entreprise de cegenre.

Altieri s’aperçut qu’on attendait de lui desexplications :

« Seigneurs et amis, continua-t-il aussitôt, le bras que jeporte en écharpe vous dit assez que j’ai été blessé. Je me suisbattu en effet, battu contre Dandolo. Oui, pour l’intérêt supérieurde notre cause, je n’ai pas hésité à tirer l’épée contre le père dela femme qui porte mon nom… Mais j’avoue que ma main atremblé ; c’est une faiblesse excusable. Dandolo n’a pas eupareille faiblesse, lui, et son épée a touché le mari de safille. »

Un silence haletant… Toute la salle suspendue aux lèvres duprésident…

« Pourquoi je me suis battu, le voici : Dandolo m’abrusquement annoncé qu’il ne voulait plus être des nôtres. Il m’adit avoir réfléchi, et que le bien de l’État exigeait que Foscaridemeurât au pouvoir, et que l’intérêt de Venise était de ne rienchanger dans la république. »

Les murmures menacèrent.

« Bref, toute la défaite d’un homme non pas décidé àtrahir, je me hâte de le dire, mais décidé à se retirer.

– Et qui prouve qu’il ne trahira pas ? »s’écrièrent plusieurs voix.

Altieri sourit :

« J’ai arraché à Dandolo sa parole d’honneur de ne rienrévéler de ce qu’il sait. Mais j’ai fait mieux : Dandolo estgardé à vue dans mon palais, et ce soir je l’ai obligé à signer ladémission de ses fonctions de grand inquisiteur. Nous n’avons rienà craindre de ce côté, j’en donne la formelle assurance. » Unhomme monta sur l’estrade.

« L’amiral des flottes ! murmura Gennaro quifrémissait dans toutes ses fibres et dans son instinct depolicier.

– Seigneurs et frères, dit l’amiral, ce qu’a fait notrecher compagnon, futur doge de la république, est tout ce qu’ilpouvait faire. Je conçois, vous concevez tous la douleur qu’il a dûéprouver de la défection de Dandolo. Oui, en y songeant, il nepouvait aller plus loin. Mais nous n’avons pas, nous, les mêmesmotifs de famille. Il faut que Dandolo périsse.

– Oui, oui, qu’il meure dès cette nuit !

– Dès cette nuit, c’est mon avis, reprit l’amiral. Voici ceque je propose. Le sort va désigner trois d’entre nous. Ces troisse rendront au palais Altieri où Dandolo est gardé à vue. Ils luiproposeront un loyal duel. S’il n’accepte pas, un coup de daguefera justice. S’il accepte, l’un des trois se battra, puis ledeuxième s’il le faut, puis le troisième, jusqu’à ce que Dandolosoit tué. »

Une acclamation prouva que l’assemblée acceptait cettesolution.

L’amiral descendit de l’estrade.

Un nuage passa sur le front d’Altieri.

On sait en quelles conditions Dandolo était installé au palaisAltieri ; on sait que loin d’être le prisonnier du capitainegénéral, c’était lui au contraire qui le menaçait et lui dictaitdes lois. Il n’y avait en somme de vrai dans le récit d’Altieri quela résolution de Dandolo de se retirer, et sa démission qu’il avaitsignée dans la soirée pour se consacrer plus sûrement àLéonore.

Qu’adviendrait-il de cette visite de trois desconspirateurs ?

À quelles extrémités Léonore, poussée par le désespoir, seporterait-elle ?

Altieri demanda le silence et parla ainsi :

« Seigneurs et frères, je combats la proposition qui vientde vous être soumise. Dandolo tué dans mon propre palais, commentexpliquerai-je cet événement ?… J’affirme que le père de mafemme est gardé à vue et qu’il ne sortira pas de mon palais. Sinous le tuons maintenant, nous éveillons des soupçons ; aucontraire, si nous attendons au lendemain de la réussite, Dandolomort ou vif demeure jusque-là inoffensif. Je demande donc que vousvous en rapportiez à moi seul de tout ce qui concerne le grandinquisiteur. »

Altieri parlait avec une visible émotion.

Cette émotion fut par tous attribuée aux sentiments que devaitéprouver le capitaine général, placé dans la nécessité de frapperle père de sa femme.

En outre, on avait en lui une confiance inébranlable.

Puisqu’il affirmait que Dandolo était gardé à vue, on pouvaits’en rapporter à lui. L’assemblée signifia sa volonté dans ce sens,et l’amiral lui-même déclara que la proposition du président étaitla plus raisonnable.

Gennaro vit le visage d’Altieri s’éclairer.

« Je ne savais pas, songea-t-il, que le capitaine généralaimât à ce point le grand inquisiteur. Il me semblait qu’aucontraire… Mais écoutons.

– Que les chefs de groupes, dit Altieri, nous communiquentleurs rapports, et nous prendrons ensuite les suprêmesrésolutions. »

Le chef de police vit alors les douze premiers conspirateurs quiétaient arrivés avec des torches se détacher l’un après l’autre etremettre à Altieri des listes sur lesquelles il darda vainement unregard de curiosité intense.

« Sans doute les listes complètes de tous lesconspirateurs ! » murmura Gennaro.

Altieri, cependant, aidé de deux ou trois assesseurs, parcouraitles papiers qui lui avaient été remis, puis les classait.

Quand ce fut fini, Altieri se dirigea vers l’un destombeaux.

Une douzaine de conspirateurs déplacèrent la dalle.

Les papiers furent placés là.

Puis la dalle fut remise en place.

Gennaro tressaillit de joie… Décidément, il oubliait Roland etScalabrino qui, derrière lui, assistaient à toutes les péripétiesde la réunion.

Un murmure confus régnait maintenant dans l’assemblée.

Altieri et les douze chefs de groupes conféraient surl’estrade.

La conférence dura une heure.

Au bout de ce temps, les chefs de groupes allèrent reprendreleurs places, chacun près de sa torche.

Le silence se rétablit, profond et solennel.

Les définitives paroles allaient être prononcées.

En effet, Altieri se plaça de nouveau au bord de l’escalier, etce fut d’une voix grave, qu’il parla :

« Seigneurs, amis et frères, nous avons avec nous tout cequi compte dans Venise ; tout ce qui porte un nom, tout ce quioccupe un rang honorable dans notre société est prêt à agir dans lesens que nous voudrons. Quant à la tourbe du peuple, ne nous enoccupons pas. Le peuple verra tomber avec joie Foscari qu’ilredoute, et me verra d’un œil indifférent prendre sa place. Lesfonctions que chacun de vous doit occuper dans le nouvel État quenous fondons sont connues dès longtemps.

« Seigneurs, en présence de vous tous, nos frères, enprésence des morts qui m’entendent peut-être, en présence de Dieuqui est dans ce temple, je jure de respecter fidèlement toutes nosconventions ; je jure de respecter les garanties que nousavons débattues et convenues ; je jure de donner à chacun, dèsle jour de la réussite, ce qui a été promis à chacun, honneur,argent ou places, chacun ayant demandé en toute liberté, et lademande de chacun ayant été discutée, adoptée par tous. Je jure enun mot de continuer à être votre président lorsque vous aurez placésur ma tête la couronne ducale. Que Dieu et les morts soienttémoins de mon serment de fidélité. De même, souvenez-vous que vousm’avez juré la même fidélité. »

Tous, d’un mouvement spontané, étendirent la main.

Pendant quelques secondes, on n’entendit que le bruit des voixrépétant la même formule sous les voûtes de la cryptemortuaire :

« Je jure… je jure !… »

Puis, à nouveau, le silence retomba sur les tombeaux muets.

Alors Altieri continua :

« Tout est prêt. Chacun de nous connaît son poste et cequ’il doit faire. Seul, le jour de l’action reste à fixer. C’est cedernier point que nous venons d’arrêter. »

Altieri s’arrêta une seconde, comme pour être plus sûr del’attention générale. Mais cette précaution était inutile. Lesvisages des assistants révélaient l’ardeur passionnée de leursesprits.

« Nous ne nous verrons plus, dit alors le capitainegénéral. Cette réunion est la dernière. Nous avons donc choisi unjour tel qu’il ne soit plus besoin de nous prévenir… Vous n’ignorezpas, seigneurs et frères, que le doge Foscari n’a pas encoreaccompli l’antique et traditionnelle cérémonie du mariage du dogeavec l’Adriatique. Il a de mois en mois et d’année en année reculécette cérémonie, qui devait le consacrer. Peut-être espérait-il uneautre cérémonie. Or, sur mes instances, et aussi d’après lemécontentement des mariniers, Foscari a résolu d’exécuter cetteannée la cérémonie. Elle doit avoir lieu bientôt, bien que le journ’en soit pas fixé encore. Seigneurs et frères, ce jour-là sera lenôtre. Le mariage du doge et de l’Adriatique sera aussi le mariagedu doge et de la mort… L’heure même où retentiront les bombardessera notre heure. Le signal de la fête sera le signal de l’actionpour chacun de nous. Tout cela vous convient-il ? »

Une longue acclamation éveilla encore une fois de sourds échosdans la crypte.

« Adieu donc ! proclama Altieri, jusqu’au jour dumariage du doge et de l’Adriatique !… »

Toutes les mains se tendirent vers Altieri qui, ému en apparenced’une puissante émotion, salua ses alliés, serra des mains,prononça des paroles de cordiale affection et se dirigea versl’escalier.

Un quart d’heure plus tard, tous les conjurés étaientpartis.

Les chefs de groupes reprirent leurs torches, et s’étantmasqués, s’éloignèrent à leur tour.

La crypte retomba dans une profonde obscurité.

Une demi-heure s’écoula, pendant laquelle le chef de policetourna et retourna mille fois cette question dans sonesprit :

« Pourquoi Roland Candiano m’a-t-il fait assister audernier acte de cette formidable conspiration ? »

Soudain, une faible lueur se montra.

L’homme qui avait conduit Roland apparut dans la crypte, unelanterne sourde à la main.

Comme il avait fait en arrivant, il poussa le ressort. La dallese déplaça. Roland sortit le premier, puis le chef de police, puisScalabrino. On remonta l’escalier, et on se retrouva dans la nef dela cathédrale.

Guido Gennaro, encore tout étourdi du spectacle auquel il venaitd’assister, palpitait d’une joie profonde : la joie del’artiste qui se trouve soudain en présence de l’œuvre parfaite.Jamais, dans ses rêves de policier, il n’avait osé concevoir uneaussi magnifique occasion, une conspiration parfaite, sur le pointd’aboutir, tous les fils dans sa main.

Il se surprit à se frotter les mains.

« Superbe ! proclama-t-il en lui-même ;admirable ! Depuis longtemps, Venise, le mystérieux réceptacledes conspirations, n’aura eu une pareille conspiration ! Lecapitaine général ! L’amiral ! Les grands dignitaires dupalais ! Tous en sont ! Tous… excepté moi ! moi quivais sauver l’État ! »

Comme il en était là, il s’aperçut que ses guides, ou plutôtceux dont il était le prisonnier, s’étaient arrêtés et quelui-même, machinalement, s’était arrêté aussi.

Il leva les yeux et regarda autour de lui.

Il vit qu’il se trouvait derrière le maître-autel de Saint-Marc,et que six hommes assis en demi-cercle, graves, immobiles, muets,semblaient l’avoir attendu.

Près de lui, Scalabrino.

À deux pas, Roland Candiano.

Trois cierges avaient été allumés et éclairaient cette scènebizarre.

« Quelle nouvelle scène se prépare ? »songea-t-il.

Lentement, il étudia les six hommes assis en demi-cercle.

Ils avaient des visages hâlés par la vie au grand air etportaient des costumes à demi guerriers. À leurs ceintures, il vitreluire des crosses de pistolets et des lames de poignardsnues.

« Qui sont ceux-là ? » se demanda-t-il.

Ses yeux se baissèrent, un peu hagards.

Aux pieds des six hommes, dans le demi-cercle, sur les dalles,il vit un objet long, une sorte de boîte oblongue.

« Qu’est-ce là ? demanda-t-il à haute voix, sans ysonger.

– Ton cercueil », répondit une voix.

Guido Gennaro sentit ce frisson mortel, qui des talons remonterapidement jusqu’à la nuque, le parcourir, et il devint livide.

« Chefs de la montagne, dit alors Roland, et sa voix, sousles voûtes de Saint-Marc, avait de sourdes sonorités, lerendez-vous que nous avions dans l’île d’Olivolo aura lieu ici.Nous y sommes en parfaite sûreté. Mais avant de nous occuper de nosaffaires, et puisque nous voilà réunis, je vous prie tout d’abordde vous constituer en tribunal pour juger cet homme.

– Anto nous a mis au courant, dit alors l’un des hommes,et, vous le voyez, maître, nous avons pris nos précautions pour lecas où celui-ci serait condamné. »

Du geste, il désignait successivement le cercueil etGennaro.

Anto, disons-le tout de suite, c’était l’homme qui avaitintroduit Roland dans l’église d’abord, puis dans les cryptes, puisdans le tombeau.

Celui qui venait de parler reprit :

« Qu’a fait l’accusé ? Qui l’accuse ?

– Moi, dit Roland.

– Parlez, maître. Nous écoutons, et, selon les lois de lamontagne, nous jugerons en toute équité, en toute indépendance.

– Mon accusation, dit Roland, tient dans un seul mot :cet homme est Guido Gennaro, le chef de la police deVenise. »

Les six juges regardèrent le faux barcarol sans curiositéapparente.

« La chose est-elle prouvée ? demanda celui qui avaitdéjà parlé.

– Il est venu ce soir même dans l’île d’Olivolo pourm’arrêter. Est-ce vrai, Guido Gennaro ?

– C’est vrai, dit le chef de police. Mais en cherchant àvous arrêter, je faisais mon devoir, je remplissais mesfonctions.

– L’aveu est formel, reprit le juge de sa même voix calmeet tranchante ; il est donc inutile d’insister davantage etnous n’avons qu’à appliquer la loi de la montagne. »

Il se leva.

« Guido Gennaro, poursuivit-il, votre fonction est de noustraquer, nous qui rêvons l’indépendance et la liberté pour tout unpeuple opprimé. Nous avons déclaré la guerre à la sociétévénitienne que vous représentez ici. Votre loi veut la mort pourquiconque d’entre nous vous prenez. Notre loi vous considère commeennemi et vous condamne à mort. Guido Gennaro, préparez-vous àmourir.

– Je demande pour l’accusé le droit de se défendre »,dit Roland.

Les six juges regardèrent Candiano avec étonnement.

« Soit ! qu’il parle, dit celui qui semblait lesprésider. Guido Gennaro, vous avez entendu ? Nous vousconsidérons comme ennemi parce que vous nous considérez commeennemis ; nous vous condamnons à mort parce que vouscondamneriez à mort celui de nous que vous prendriez. Notre cher etvénéré maître, celui qui nous a arrachés à l’ignorance et nous aenseigné le sens des choses et de la vie, celui-là veut que vouspuissiez vous défendre. Défendez-vous donc, si vous pouvez. Etessayez de nous convaincre que nous ne devons pas vous tuer. Sivous y parvenez, votre vie sera respectée. Parlez, car vous serezécouté en toute équité.

– Vous n’êtes pas des juges, dit Gennaro.

– Ceux qui nous condamnent le sont-ils davantage ?

– Oui, car ils jugent au nom de nos lois.

– Et nous jugeons au nom des nôtres. Vous jugez selon lemensonge et l’iniquité, vous frappez le faible et le pauvre, vousexaltez le riche et le puissant ; notre loi à nous, c’est lavie, le droit de vivre pour tout homme, le droit d’être heureuxpour tout ce qui vit. Vous instituez des juges. De qui entenez-vous le mandat, sinon de vous-mêmes ? Ne soyez donc passurpris que nous ayons institué des juges émanés denous-mêmes. »

Le chef de police écoutait avec stupéfaction ces parolesprononcées avec une sorte de fermeté qui ne manquait pas degrandeur.

« Soit, dit-il, vous êtes des juges. En toute équité, vousne pouvez me condamner pour avoir rempli mon devoir.

– Vous avez appelé votre devoir l’obligation de tuer vossemblables, ou de les saisir et de les livrer au bourreau.

– Non pas nos semblables, mais ceux qui attaquent l’ordresocial.

– C’est-à-dire ceux qui vous attaquent vous-mêmes. Notredevoir est donc de tuer qui nous attaque.

– En ce cas, dit Gennaro, vous qui vous vantez d’avoir despensées de plus de justice que nous, vous êtes en tout pointsemblables à nous-mêmes.

– C’est vrai ; bien que nos buts soient différents,nos moyens sont les mêmes. Ce sont les moyens de la guerre.

– En ce cas, c’est en vain que j’entreprendrais unedéfense. Je suis votre prisonnier après le combat, voilà tout.Faites de moi ce qu’il vous plaira. Je ne dirai plusrien. »

Gennaro baissa la tête. Si près de mourir, le courage quil’avait jusque-là soutenu commençait à l’abandonner…

À ces derniers mots, Roland répondit :

« Voilà, monsieur, ce que je voulais vous faire dire àvous-même, en vous laissant libre de présenter une défense. Vousêtes notre prisonnier après combat et nous devons vous traitercomme un ennemi acharné.

– Tuez-moi donc, puisque vous en êtes le maître. »

Le chef de police croisa les bras et attendit le coup fatal.

Roland Candiano s’approcha de lui et lui mit une main surl’épaule.

« Guido Gennaro, dit-il, au moment où vous allez mourir,écoutez-moi. Mon père vivait au palais ducal dans le respect deslois et de la liberté de tous. Son crime fut d’avoir pensé que ledernier des mariniers était devant la justice et la loi égal auplus hautain des patriciens. Par la traîtrise, félonie etbrigandage, mon père fut saisi et aveuglé ; ma mère mourut dedouleur, moi, je demeurai six ans dans les puits et ma vie futbrisée. Guido Gennaro, ceux qui accomplirent ces forfaitss’appellent Foscari, Bembo, Altieri. Ils sont tout-puissants. Vousconnaissiez leur crime. Vous saviez que leur puissance étaitcimentée de larmes et de sang. Et pourtant vous les serviezaveuglément !

– Ô justice ! murmura sourdement Gennaro.

– Pourquoi dites-vous que vous faisiez votre devoir envenant m’arrêter ce soir dans l’île d’Olivolo ?… Vous saviezque j’étais le justicier accomplissant une œuvre nécessaire ;comme Jean de Médicis, comme tant d’autres, vous pouviez choisirentre le crime et la justice. Vous avez servi le crime ! Jetezbas le masque. Mettez votre âme à nu. Dépouillez votre pensée desverbes sonores et mensongers dont vous voilez votre turpitude.Devoir ! Loi ! Justice !… Et remplacez tout cefatras par un seul mot qui résume tout ce que vous avez de penséeet de sentiment, vous et vos pareils : intérêt ! Intérêtsordide, calcul ignoble, ambition forcenée ! Alors, vous aurezdit la vérité.

– Ô justice ! » répéta Gennaro.

Et cette fois, comme sous la parole brûlante de Roland, unerévolution s’opérait dans son cœur, ses yeux s’emplirent delarmes.

« Guido Gennaro, reprit Roland, une seule larme rachètebien des erreurs. Méditez sur tout ce que vous avez entendu et vudans cette nuit sous les voûtes de Saint-Marc. Allez, vous êteslibre.

– Libre !… »

Ce fut une rauque exclamation qui s’échappa de la gorgeenflammée du chef de police.

Il répéta :

« Libre ! »

Et il tomba à la renverse, évanoui.

Lorsqu’il revint à lui, les personnages qui l’entouraientavaient disparu ; la nuit profonde l’entourait.

Affolé, bouleversé, il se leva et vit qu’il n’était plus dansl’église.

On l’avait transporté sur les bords du canal.

Le chef de police jeta un long gémissement et se mit à courir,éperdu.

Rentré chez lui, il se laissa tomber sur un fauteuil, mit satête dans ses deux mains, et sa longue méditation commença par cemot qui tomba sourdement de ses lèvres :

« Justice !… »

*

* *

Les décisions promptes jaillissent tout à coup d’un cerveauchargé de pensées comme la foudre jaillit soudain d’un cield’électricité. Roland Candiano, en allant à Saint-Marc, savait cequ’il allait y trouver. Dans la grande conspiration d’Altiericontre Foscari, peut-être avait-il joué un rôle actif, bienqu’occulte. Il est certain, en tout cas, que quelques-uns desconspirateurs lui étaient dévoués. Par eux, il était au courant desintentions du capitaine général.

L’idée de mettre ses deux ennemis en compétition était un traitde génie. Foscari ou Altieri succomberait sûrement. Quoi qu’iladvînt, lui, Roland, divisait l’adversaire et par conséquentl’affaiblissait. Il paraît prouvé que ce fut notamment sur sesinstances que l’amiral prit fait et cause pour Altieri.

Ainsi le doge et le capitaine général entraient en lutte sans sedouter que Roland les armait l’un contre l’autre.

Donc, le soir où Roland fut prévenu par une de ses créatures quela dernière réunion des conspirateurs allait se tenir dans lessouterrains de Saint-Marc, il connaissait d’avance le spectacle quil’attendait là. Ce fut à ce moment que le hasard lui livra le chefde police Guido Gennaro. Il l’entraîna avec lui.

Dès que, sous son déguisement de barcarol, il eut reconnu lechef de la police vénitienne, dès cet instant lui vint la penséeque Guido Gennaro devait être un élément actif dans le dispositifde ses forces et l’accomplissement de l’œuvre qu’il poursuivaitavec une terrible patience.

Instantanément, les deux idées de la conspiration et du chef depolice s’associèrent en lui.

Révéler à Guido Gennaro tout ce qui se tramait, et les noms desconspirateurs, et le chef de l’entreprise, tel fut le planimmédiatement conçu et exécuté comme on a vu.

Les conséquences de cette décision pouvaient êtreformidables.

Ce pouvait être la guerre civile entre les patriciens partagésen deux camps, c’est-à-dire l’extermination ou tout au moinsl’épuisement de tous ceux qui avaient intérêt à asservir le peupleet Venise.

Une fois Gennaro informé par le spectacle qu’il avait sous lesyeux, Roland lui faisait grâce ! Une fois le tigre armé dedents solides, il le lâcherait. C’était formidable commeconception.

*

* *

Guido Gennaro revint au bout de deux ou trois heures duprodigieux étonnement qui avait d’abord paralysé sa pensée. Peu àpeu, son émotion se calma aussi, et il se mit à réfléchir.

Mais, par une sorte d’étrange pudeur, toutes les fois que sesréflexions s’arrêtaient à Roland Candiano, il faisait effort poursonger à autre chose. Cependant, c’était à Roland qu’il revenaittoujours comme malgré lui. Et de ce côté, l’étonnementpersistait : étonnement de se voir encore vivant, étonnementde cette scène de la condamnation, qui se terminait par cettesecousse violente :

Roland lui disant : « Vous êtes libre… »

Il mit fin au trouble qui l’agitait en grognant :

« Mon devoir est de l’arrêter. Je l’arrêterai. Mais voyonsd’abord au plus pressé. »

Et tout son instinct de policier réveillé, il se mit à riresilencieusement, en songeant au vaste coup de filet qu’il allaitpréparer. Longuement, il se promena à pas lents, se frottant lesmains, continuant son effort.

« Cette fois, conclut-il, je crois que je serai grandinquisiteur… »

Puis, après un tressaillement soudain :

« Et quant à lui… oui… il faut que jel’arrête ! »

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