Les Amours du Chico

Les Amours du Chico

de Michel Zévaco

Chapitre 1 LES IDÉES DE JUANA

Nous avons dit que Pardaillan, mettant à profit le temps, assez long, pendant lequel les conjurés se retiraient un à un, avait eu un entretien assez animé avec le Chico.

Pardaillan avait demandé au petit homme s’il n’existait pas quelque entrée secrète, inconnue des gens qui se trouvaient en ce moment dans la grotte, par où lui, Pardaillan, pourrait entrer et sortir à son gré.

Le nain s’était d’abord fait tirer l’oreille. Pour lui, pénétrer seul et sans autre arme qu’une dague, dans cet antre, c’était une manière de suicide. Il ne pouvait pas comprendre que le seigneur français, qui venait d’échapper par miracle à une mort affreuse,s’exposât ainsi, comme à plaisir. Son affection grandissante lui faisait un devoir de ne pas se prêter à un jeu qui pouvait être fatal à celui qui l’entreprenait.

Mais Pardaillan avait insisté, et comme il avait une manière à lui, tout à fait irrésistible, de demander certaines choses, le nain avait fini par céder et l’avait conduit dans un couloir où se trouvait, affirmait-il, une entrée que nul autre que lui ne connaissait.

On a vu qu’il ne se trompait pas, et qu’en effet, ni Fausta, ni les conjurés ne connaissaient cette entrée.

Pendant que Pardaillan était dans la salle, le nain,horriblement inquiet, se morfondait dans le couloir, la main poséesur le ressort qui actionnait la porte invisible, ne voyant etn’entendant rien de ce qui se passait de l’autre côté de ce mur,contre lequel il s’appuyait, se doutant cependant qu’il y auraitbataille, et attendant, angoissé, le signal convenu pour ouvrir laporte et assurer la retraite de celui qu’il considérait maintenantcomme un grand ami. Car Pardaillan, avec son naturel simple et bonenfant, profondément touché d’ailleurs par le sacrifice quasihéroïque du Chico, lui parlait avec une grande douceur qui étaitallée droit au cœur du petit paria sevré de toute affection, endehors de son adoration pour Juana.

Lorsque Pardaillan frappa contre le mur les trois coupsconvenus, le nain s’empressa d’ouvrir et accueillit le chevaliertriomphant avec des manifestations d’une joie aussi bruyante quesincère qui l’émurent doucement.

– J’ai bien cru que vous ne sortiriez pas vivant delà-dedans, dit-il, quand il se fut un peu calmé.

– Bah ! répondit Pardaillan en souriant, j’ai la peautrop dure, on ne m’atteint pas aisément.

– J’espère que nous allons nous en aller maintenant ?fit le Chico qui tremblait à la pensée que, pris de quelquenouvelle lubie, le Français ne s’avisât de s’exposer encore, bieninutilement, à son sens.

À sa grande satisfaction, Pardaillan dit :

– Ma foi, oui ! Ce séjour est peut-être agréable pourdes bêtes de nuit, mais il n’a rien d’attrayant et il est trop peuhospitalier pour d’honnêtes gens comme Chico. Allons-nous-endonc !

Le soleil se levait radieux, lorsque Pardaillan, accompagné deson petit ami, le nain Chico, fit son entrée dans l’auberge deLa Tour.

Tout le personnel s’activait, frottant, lavant, balayant,nettoyant, mettant tout en ordre, car ce jour était un dimanche etla clientèle serait nombreuse.

Dans la vaste cheminée de la cuisine, un feu clair pétillait, etla gouvernante Barbara, pour ne pas en perdre l’habitude, maugréaitet bougonnait contre les jeunes maîtresses qui ne veulent en fairequ’à leur tête, et qui, après avoir passé la plus grande partie dela nuit debout, sont levées les premières et parées de leurs plusbeaux atours, gênent les serviteurs honnêtes et consciencieuxacharnés à leur besogne.

C’est qu’en effet la petite Juana était descendue la première,n’ayant pu trouver le repos espéré.

Elle était bien pâle, la petite Juana, et ses yeux cernés,brillants de fièvre, trahissaient une grande fatigue… ou peut-êtredes larmes versées abondamment. Mais si inquiète, si fatiguée et sidésorientée qu’elle fût, la coquetterie n’avait pas cédé le paschez elle. Et c’est, parée de ses plus riches et de ses plus beauxvêtements, soigneusement coiffée, finement chaussée – coiffure etchaussures, ses deux plus grandes coquetteries, en vraie Andalousequ’elle était – qu’elle allait et venait, par habitude, maisl’esprit absent, ne surveillant nullement les serviteurs, ayanttoujours l’œil et l’oreille tendus vers la porte d’entrée comme sielle eût attendue quelqu’un.

C’est ainsi qu’elle vit parfaitement, et du premier coup d’œil,entrer Pardaillan, flanqué de Chico, l’air triomphant. Et du mêmecoup le sourire s’épanouit sur la pourpre fleur de grenadierqu’étaient ses lèvres, ses joues si pâles rosirent, et ses yeuxinquiets, comme embués de larmes, retrouvèrent tout leur éclat,comme par enchantement.

Elle les vit parfaitement, mais il se trouva, comme par hasard,que juste à ce moment elle remarqua une négligence d’une servante àqui elle se mit à faire des reproches très vifs, des reprochesexagérés par rapport à la faute commise, ce qui parut surprendre etchagriner la servante, peu habituée sans doute à une tellesévérité.

Quand elle jugea que le seigneur français avait suffisammentattendu, Juana daigna remarquer sa présence, et avec un joli petitcri de surprise, admirablement jouée, et avec un air d’indifférencehypocrite :

– Ah ! monsieur le chevalier, vous voici deretour ? Savez-vous que vos amis, don Cervantès et don César,sont très inquiets à votre sujet ? dit-elle.

– Bon ! fit Pardaillan en souriant, je vais lesrassurer… dans un instant.

Mais, chose bizarre, Juana, qui avait, quelques heures plus tôt,si vivement pressé le Chico de sauver le chevalier, s’il étaitpossible, Juana, qui avait prodigué des promesses sincères dereconnaissance et d’attachement, Juana ne dit pas un mot au nain,dont l’air triomphant se changea en consternation. Elle ne parutmême pas le voir ; ou plutôt, si. Elle lui jeta un coup d’œil.Mais un coup d’œil foudroyant, comme si elle eût eu à lui reprocherquelque trahison indigne.

Le pauvre Chico, qui s’attendait à des remerciements bienmérités, somme toute, demeura pétrifié, et son petit visage secrispa douloureusement : « Qu’a-t-elle donc ? Quelui ai-je fait ? »

Juana, sans plus s’occuper du nain, demandait :

– Seigneur, désirez-vous monter vous reposer desuite ? Désirez-vous prendre quelque chose avant ?

– Juana, ma jolie, je désire me restaurer d’abord.Faites-moi donc servir la moindre des choses, quelque tranche depâté, par exemple, avec deux bouteilles de vin de France.

– Je vais vous servir moi-même, seigneur, dit Juana.

– Honneur auquel je suis très sensible, ma belleenfant ! Pendant que vous y êtes, voyez donc, s’ils ne dormentpas, à rassurer sur mon compte MM. Cervantès et ElTorero.…

– Tout de suite, seigneur !

Vive et légère et heureuse, Juana s’élança dans l’escalier pourinformer les amis du seigneur français de son retour inespéré,après avoir fait signe à une servante de dresser le couvert.

Lorsque Juana eut disparu, Pardaillan se tourna vers le Chicoet, voyant dans ses yeux toujours la même interrogation, il se mità rire franchement, de son bon rire clair et sonore. Et comme lenain le regardait d’un air de douloureux reproche, il luidit :

– Tu ne comprends pas, hein ? C’est que tu ne connaispas les femmes !

– Que lui ai-je fait ? murmura le nain de plus en plusinterloqué.

Pardaillan haussa les épaules et :

– Tu lui as fait que tu m’as sauvé, dit-il.

– Mais c’est elle qui m’en a prié !

– Précisément !

Et comme le nain ouvrait des yeux énormes, il se mit à rire detout son cœur.

– Ne cherche pas à comprendre, dit-il. Sache seulementqu’elle t’aime.

– Oh ! fit le Chico incrédule, elle ne m’a pas dit unmot. Elle m’a foudroyé du regard.

– C’est précisément à cause de cela que je dis qu’ellet’aime.

Le nain secoua douloureusement la tête. Pardaillan en eutpitié.

– Écoute, dit-il, et comprends, si tu peux. Juana estcontente de me voir vivant…

– Vous voyez bien…

– Mais elle est furieuse après toi.

– Pourquoi ?… Je n’ai fait que lui obéir.

– Justement !… Juana aurait bien voulu que je ne fussepas tué. Elle n’aurait pas voulu que ce fût toi qui, précisément,me sauvasses.

– Parce que ?

– Parce que je suis ton rival. La femme qui aime n’admetpas qu’on ne soit pas jaloux d’elle. Si tu avais bien aimé Juana,tu eusses été jaloux d’elle. Jaloux, tu ne m’eusses passauvé ! Voilà ce qu’elle se dit. Comprends-tu ?

– Mais si je ne vous avais pas sauvé, elle m’eût tourné ledos. Elle m’eût traité d’assassin.

– Parfaitement !

– Alors ?

– Alors il vaut mieux que les choses soient comme ellessont. Ne t’inquiète pas. Juana t’aime… ou t’aimera, morbleu !As-tu confiance en moi ? Oui ou non ?

– Oui, tiens.

– Alors, laisse-moi faire et ne prends pas des airsd’amoureux transi. Tes affaires vont bien, je t’en réponds.

Ces paroles ne rassurèrent qu’à demi El Chico. Il avaitconfiance, certes, et puisque le seigneur Pardaillan disait que sesaffaires allaient bien, c’est que cela devait être. Mais un seulpetit sourire de Juana l’eût rassuré plus que toutes les assurancesde l’ami. Néanmoins, pour ne pas désobliger Pardaillan, ils’efforça de refouler son chagrin et de montrer un visage sinonsouriant, du moins un peu moins morose.

À ce moment, Juana redescendait et annonçait :

– Ces seigneurs s’habillent. Dans un instant ilsrejoindront Votre Seigneurie. En attendant, votre couvert est mis,et si vous voulez prendre place, goûtez cet excellent pâté enattendant l’omelette qui saute.

Pardaillan s’approcha de la table et feignit un grandcourroux.

– Comment, un couvert seulement ? fit-il. Mais,malheureuse, ne savez-vous pas que je traite un brave ! Je disbien : un brave. Et je pense m’y connaître.

Et comme Juana cherchait machinalement quel pouvait être celuiqui avait l’honneur d’être qualifié de brave par le seigneurfrançais, le brave des braves :

– Vite ! ajouta Pardaillan, un second couvert pour cebrave, qui est aussi un ami que j’aime.

À dire vrai, si Juana était surprise et intriguée, le Chico nel’était pas moins. Comme elle, il se demandait qui pouvait être cetami dont parlait Pardaillan.

Quoi qu’il en soit, Juana se hâta de réparer le mal, etcurieuse, comme toute fille d’Ève, elle attendit. Elle n’attenditpas longtemps, du reste.

Pardaillan, une lueur de malice dans l’œil, s’approcha de latable et, désignant l’escabeau au nain confus de cet honneur, augrand ébahissement de Juana qui n’en pouvait croire ses yeux ni sesoreilles :

– Ça, mon ami Chico, fit-il gaiement, assieds-toi là, enface de moi, et soupons, morbleu ! Nous ne l’avons pas volé,que t’en semble ?

Chico commençait à considérer Pardaillan comme un êtreexceptionnel, plus grand, plus noble, meilleur en tout cas que tousceux qu’il avait appris à respecter. Non qu’on se fût donné lapeine de lui apprendre quelque chose, mais de voir et d’entendreautour de soi, on se forme sans s’en apercevoir. Pour lui, un désirde Pardaillan devenait un ordre à exécuter sans discuter, et séancetenante. En outre, il ne manquait ni de fierté ni de dignité, bienqu’on l’eût fort étonné sans doute en lui disant qu’il possédaitces qualités.

Pardaillan ayant dit : « Assieds-toi là », lenain s’assit et avec une aisance parfaite se mit à faire honneur àce festin improvisé. Pardaillan, d’ailleurs, paraissait se faire unplaisir de le traiter comme on traite un hôte de marque.

Sur ces entrefaites, Cervantès et le Torero étaient descenduset, assis à la même table, choquaient leurs verres contre lesverres de Pardaillan et de Chico.

Naturellement Cervantès et le Torero, s’ils furent surpris devoir le chevalier attablé avec le petit vagabond, se gardèrent biend’en laisser rien paraître. Et puisque Pardaillan traitait le Chicosur un pied d’égalité, c’est qu’il avait sans doute de bonnesraisons pour cela, et ils s’empressèrent de l’imiter. En sorte queJuana vit avec une stupeur qui allait grandissant ces personnages,qu’elle vénérait au-dessus de tout, témoigner une grandeconsidération à son éternelle poupée, cette poupée à qui ellecroyait faire un très grand honneur en lui permettant de baiser lebout de son soulier.

Elle ne disait rien, la petite Juana ; mais Pardaillan,amusé, lisait sur sa physionomie mobile et loyale toutes lesquestions qu’elle se posait sans oser les formuler tout haut. Etpour la renseigner indirectement, il feignit de s’en prendre àCervantès et à don César, à qui il se mit à faire, en l’arrangeantà sa manière, le récit de sa délivrance par le Chico.

– Croiriez-vous, dit-il à un certain moment, que ce petitdiable a osé lever la dague sur moi ? À telles enseignes queje me demande comment je suis encore vivant.

– Ah bah ! fit Cervantès sans railler, le petit estbrave ?

– Plus que vous ne croyez, dit gravement Pardaillan. Dansla petite poitrine de cette réduction d’homme bat un cœur ferme etgénéreux Et je sais bien des hommes forts, réputés braves etgénéreux, qui n’auraient jamais été capables de montrer la moitiéde la grandeur d’âme et de courage de ce petit héros. Il n’est pasde bravoure comparable à celle qui s’ignore. Je vous expliquerai unjour peut-être ce qu’a fait cet enfant Pour le moment, sachez queje l’aime et l’estime, et je vous prie de le traiter en ami, nonpour l’amour de moi, mais pour lui-même.

– Chevalier, dit gravement Cervantès, du moment que vous lejugez digne de votre amitié, nous nous honorerons de faire commevous.

Par exemple, le Chico ne savait quelle contenance garder. Ilétait heureux, certes, mais ces compliments de la part d’hommesqu’il regardait comme des héros, le plongeaient dans une gêne qu’ilne parvenait pas à surmonter. Cependant, nous devons dire qu’illouchait constamment du côté de Juana pour juger de l’effet produitsur elle par ces louanges qu’on faisait de sa petite personne. Etil avait lieu d’être satisfait, car Juana, maintenant, le regardaitd’un tout autre œil et lui faisait son plus gracieux sourire… Aussile cœur du nain s’épanouissait d’aise, et s’il avait osé, il auraitbaisé la main de Pardaillan en signe de soumission et de gratitude,car il était trop fin pour n’avoir pas deviné que toute la scèneavait été imaginée par le chevalier, à seule fin d’impressionnerJuana et la faire revenir de sa bouderie, réelle ou affectée. Etles résultats de cette comédie étaient très visibles pour lui, simodeste et si aveuglé par la passion qu’il fût.

Après avoir ainsi frappé indirectement l’esprit de la fillette,Pardaillan la prit à partie directement et, moitié plaisant moitiésérieux :

– C’est vous, ma gracieuse Juana, qui avez pris soin de cetabandonné, votre compagnon d’enfance. Par lui qui m’a sauvé, jevous suis redevable. Je ne l’oublierai pas, croyez-le. Mais unechose qu’il faut que vous sachiez, c’est que la femme qui aura lebonheur d’être aimée de Chico pourra compter sur cet amour jusqu’àla mort. Jamais cœur plus vaillant et plus fidèle n’a battu dansune poitrine d’homme.

Juana ne dit rien, mais elle fit une jolie moue quisignifiait :

– Vous ne m’apprenez rien de nouveau.

Pardaillan se montra très sobre d’explications. C’était du resteassez son habitude. Il se garda de souffler mot de ce qu’il avaitsurpris concernant le Torero et ne dit que juste ce qu’il fallaitpour faire ressortir le rôle de Chico, qu’il prit plaisir àexagérer, sincèrement d’ailleurs, car il était de ces naturesd’élite qui s’exagèrent à elles-mêmes le peu de bien qu’on leurfait.

Ces explications données, il prétexta une grande fatigue, et surce point il n’exagérait pas, car tout autre que lui se fût écroulédepuis longtemps, et monta s’étendre dans les draps blancs quil’attendaient.

Pardaillan parti, Cervantès se retira. Le Torero remonta aupremier saluer la Giralda et le Chico resta seul.

Juana, fine mouche, ne daigna pas lui adresser la parole.Seulement, après avoir tourné et viré dans le patio, sûre qu’il nela quittait pas des yeux, elle se dirigea d’un air détaché vers unpetit réduit qu’elle avait arrangé à sa guise et qui était commeson boudoir à elle, boudoir bien modeste. Et en se retirant, lapetite madrée regardait par-dessus son épaule pour voir s’il lasuivait. Et comme il ne bougeait pas de sa place, elle eut une mouecomme pour dire : « Il ne viendra pas, lenigaud ! »

Et comme elle voulait qu’il vînt, elle tourna à demi la tête etl’ensorcela d’un sourire.

Alors le Chico osa se lever et, sans avoir l’air de rien, il larejoignit dans le petit réduit, le cœur battant à se briser dans sapoitrine, car il se demandait avec angoisse quel accueil elleallait lui faire.

Juana s’était assise dans l’unique siège qui meublait la pièce,très petite. C’était un vaste fauteuil en bois sculpté, comme on enfaisait à cette époque, où l’on se fût montré fort embarrassé denos meubles étriqués d’aujourd’hui. Comme elle était petite, sespieds reposaient sur un large et haut tabouret en chêne, ciré,frotté à se mirer dedans comme le fauteuil, comme tous les meubles,car elle était, nous l’avons dit, d’une propreté méticuleuse, etveillait elle-même à ce que tout fût bien entretenu dans lamaison.

Le Chico se faufila dans la pièce et resta devant elle muet etl’air fort penaud. À le voir, on l’eût pris pour un enfant qui acommis quelque grave délit et attend la correction.

Voyant qu’il ne se décidait pas à parler, elle entama laconversation, et avec un visage sérieux, sans qu’il lui fûtpossible de discerner si elle était contente ou fâchée :

– Alors dit-elle, il paraît que, tu es braveChico ?

Ingénument, il dit :

– Je ne sais pas.

Agacée, elle reprit avec un commencement de nervosité :

– Le sire de Pardaillan l’a dit bien haut. Il doit s’yconnaître, lui qui est la bravoure même.

Il baissa la tête et, comme on avouerait une faute, ilmurmura :

– S’il le dit, cela doit être… Mais moi, je n’en saisrien.

Les petits talons de Juana commencèrent de frapper sur le boisdu tabouret un rappel inquiétant pour Chico, qui connaissait cessignes révélateurs de la colère naissante de sa petite maîtresse.Naturellement cela ne fit qu’accroître son trouble.

– Est-ce vrai ce qu’a dit M. de Pardaillan quecelle que tu aimeras, tu l’aimeras jusqu’à la mort ? fit-ellebrusquement.

On se tromperait étrangement si on concluait de cette questionque Juana était une effrontée ou une rouée sans pudeur ni retenue.Juana était parfaitement ignorante, et cette ignorance suffirait àelle seule à justifier ce qu’il y avait de risqué dans sa question.Rouée, elle se fût bien gardée de la formuler. En outre, il fautdire que les mœurs de l’époque étaient autrement libres que cellesde nos jours, où tout se farde et se cache sous le masque del’hypocrisie. Ce qui paraissait très naturel à cette époque feraitrougir d’indignation feinte tous les pères de la Morale de nosjours. Enfin il ne faut pas oublier que Juana, se considérant unpeu comme la petite madone du Chico, habituée à son adorationmuette, le considérant comme sa chose à elle, accomplissait trèsnaturellement certains gestes, prononçait certaines paroles qu’ellen’eût jamais eu l’idée d’accomplir ou de prononcer avec une autrepersonne.

Le Chico rougit et balbutia :

– Je ne sais pas !

Elle frappa du pied avec colère et dit en lecontrefaisant :

– Je ne sais pas !… Tu ne vois donc rien ? C’estagaçant. Pour qu’il ait dit cela, il a bien fallu pourtant que tului en parles.

– Je ne lui ai pas parlé de cela, je le jure, dit vivementle Chico.

– Alors comment sait-il que tu aimes quelqu’un et que tul’aimeras jusqu’à la mort ?

Et câline :

– Et c’est vrai que tu aimes quelqu’un, dis, Chico ?Qui est-ce ? Je la connais ? Parle donc ! tu resteslà, bouche bée. Tu m’agaces.

Les yeux de Chico lui criaient : « C’est toi quej’aime ! » Elle le voyait très bien, mais elle voulaitqu’il le dît. Elle voulait l’entendre.

Mais le Chico n’avait pas ce courage. Il se contenta debalbutier :

– Je n’aime personne… que toi. Tu le sais bien.

Vierge sainte ! si elle le savait ! Mais ce n’étaitpas là l’aveu qu’elle voulait lui arracher, et elle eut une mouedépitée. Sotte qu’elle était d’avoir cru un instant à la bravouredu Chico. Cette bravoure n’allait même pas jusqu’à dire deuxmots : « Je t’aime ! », Elle ne savait pas, lapetite Juana, que ces deux mots font trembler et reculer les plusbraves. Elle était ignorante, la petite Juana, et habituée àdominer ce petit homme, elle eût voulu être dominée à son tour parlui, ne fût-ce qu’une seconde. Ce n’était pas facile à obtenir. Peupatiente, comme elle était, son siège fut fait. Pour elle, le Chicoserait toujours le bon chien fidèle, trop heureux de lécher le piedqui venait de le repousser.

Et dans son dépit, cette pensée lui vint, puisqu’il n’était bonqu’à cela, de l’humilier, de l’amener à se prosterner devant elle,de lui faire humblement lécher les semelles de ses petits souliers,puisque ce brave n’osait aller plus loin.

Et agressive, l’œil mauvais, la voix blanche :

– Si tu ne sais rien, si tu n’as rien dit, rien fait,qu’es-tu venu faire ici ? Que veux-tu ?

Très pâle, mais plus résolument qu’il ne l’eût cru lui-même, ildit :

– Je voulais te demander si tu étais contente.

Elle prit son air de petite reine pour demander :

– De quoi veux-tu que je sois contente ?

– Mais… d’avoir trouvé le Français… de l’avoir ramené.

Avec cette impudence particulière à la femme, elle se récriad’un air étonné et scandalisé :

– Eh ! que m’importe le Français ! Ça, perds-tula tête ?

Effaré, ne sachant plus à quel saint se vouer, ilbalbutia :

– Tu m’avais dit…

– Quoi ?… Parle !…

– De le sauver, de le ramener…

– Moi ?… Sornettes ! Tu as rêvé !

Du coup, le Chico fut assommé. Eh quoi ! avait-il rêvéréellement, comme elle le disait avec un aplomb déconcertant ?Il savait bien que non, tiens ! S’était-elle jouée delui ? Avait-elle voulu le mettre à l’épreuve ? Voir s’ilserait jaloux, s’il se révolterait ? Le seigneur dePardaillan, qui savait tant de choses, venait de le lui dire :la femme qui aime ne déteste pas, au contraire, qu’on se montrejaloux d’elle. Oui ! ce devait être cela. Mais alors, Juanal’aimerait donc aussi ? Un tel bonheur était-ilpossible ? Eh ! non ! il n’avait pas rêvé, elleavait pleuré cette nuit, devant lui, et ses larmes coulaient pourle Français. Il la voyait, il l’entendait encore !Alors ?… Alors il ne savait plus. Il était profondément peinéet humilié : pourtant l’idée d’une révolte ne lui venait pas.Il était à elle, elle avait le droit de le faire souffrir, de lebafouer, de le battre si la fantaisie lui en prenait. Son rôle àlui était de courber l’échine, de subir ses humeurs et sescaprices. Trop heureux encore qu’elle daignât s’occuper de lui,fût-ce pour le martyriser. Un sourire d’elle et tout seraitoublié.

Elle le guignait du coin de l’œil et jouissait délicieusement deson trouble, de son effarement, de son humiliation. Elle eût voulule piétiner, le faire souffrir, le meurtrir, l’humilier, oh !surtout l’humilier, lui qu’elle savait si fier, l’humilier aupossible, au-delà de tout… Peut-être alors se révolterait-il enfin,peut-être oserait-il redresser la tête et parler enmaître !

Est-ce à dire qu’elle était mauvaise et méchante ?Nullement. Elle s’ignorait, voilà tout. On ne passe pas impunémentde longues années d’enfance, celles où les impressions se graventle plus profondément, dans l’intimité complète d’un garçon – cegarçon fût-il un nain comme le Chico, et il ne faut pas oublierqu’il était de formes irréprochables et vraiment joli – on ne vitpas dans l’intimité d’un garçon sans éprouver quelque sentimentpour lui. Surtout lorsque ce garçon se double d’un adorateurpassionné dans sa réserve voulue.

Dire qu’elle était amoureuse de Chico serait exagéré. Elle étaità un tournant de sa vie. Jusque-là elle avait cru sincèrementn’éprouver pour lui qu’une affection fraternelle. Sans qu’elle s’endoutât, cette affection était plus profonde qu’elle ne croyait.

Il suffirait d’un rien pour changer cette affection en amourprofond. Il suffirait aussi d’un rien pour que cette affectionrestât immuablement ce qu’elle la croyait : purementfraternelle. C’était l’affaire d’une étincelle à faire jaillir.

Or, au moment précis où ces sentiments s’agitaientinconsciemment en elle, Pardaillan lui était apparu. Sur cecaractère quelque peu romanesque, il avait produit une impressionprofonde. Elle s’était emballée comme une jeune cavale indomptée.Pardaillan lui était apparu comme le héros rêvé. Trop innocenteencore pour raisonner ses sensations elle s’était abandonnée, lesyeux fermés. Pardaillan présent, elle avait soudain vu le Chico, cequ’il était en réalité : un nain. Un nain joli, gracieux,élégant, follement épris, mais un nain quand même, une réductiond’homme dont on ne pouvait faire un époux. Dans sa pensée, elledécida que le Chico ne pouvait être qu’un frère et resterait unfrère autant que cela lui conviendrait. Elle s’était livrée avectoute la fougue de son sang chaud d’Andalouse à son rêve d’amourpour l’étranger si fort et si brave. Elle n’avait rien vu desà-côtés de l’aventure dans laquelle elle s’engageait tête baissée.Et c’est ainsi que nous l’avons vue pleurer des larmes de désespoirà la pensée que celui qu’elle avait élu était peut-être mort.

Et voici qu’en faisant ses confidences au Chico, avec cettecruauté inconsciente de la femme qui aime ailleurs, voici que leChico, sans se révolter, sans s’indigner, refoulant stoïquement sonamour et sa douleur, voici que le Chico, avec cette clairvoyanceque donne un amour profond, avait dit simplement, sans insister,sans se rendre un compte exact de la valeur de son argument, leChico avait dit la seule chose peut-être capable de l’arrêter surla pente fatale où elle s’engageait :« Qu’espères-tu ? »

Sans le savoir, sans le vouloir, c’était un coup de maître quefaisait le nain en posant cette question. Sans le savoir, il venaitde l’échapper belle, car ses paroles, après son départ, Juana lestourna et les retourna sans trêve dans son esprit.

Elle était la fille d’un modeste hôtelier, un hôtelier dont lesaffaires étaient prospères, un hôtelier qui passait pour être mêmeassez riche, mais un hôtelier quand même. Et ceci, c’était une tareterrible à une époque et dans un pays où tout ce qui n’était pas« né » n’existait pas. Or, elle, fille d’hôtelier,hôtelière elle-même – hôtelière par désœuvrement, par fantaisie,pour rire si on veut, mais hôtelière quand même – elle avait jetéles yeux sur un seigneur qui traitait d’égal à égal avec sonsouverain à elle, puisqu’il était, lui, le représentant d’un autresouverain. Que pouvait-elle espérer ? Rien, assurément. Jamaisce seigneur ne consentirait à la prendre pour épouse légitime.Quant au reste, elle était trop fière, elle avait été élevée tropau-dessus de sa condition pour que l’idée d’une bassesse pûtl’effleurer.

Le résultat de ses réflexions avait été que son amour pourPardaillan s’était considérablement atténué. Or le terrain queperdait le chevalier, le Chico le regagnait sans qu’elle s’endoutât elle-même. Elle était donc combattue par deux sentimentscontraires : d’une part son amour tout récent, amour violent,en surface, pour Pardaillan ; d’autre part, son affectionlointaine, plus profonde qu’elle ne croyait, pour le Chico. Lequelde ces deux sentiments devait l’emporter ?

Et c’est à ce moment-là que Pardaillan revenait. Certes, ellefut heureuse de le voir sain et sauf. Mais le Chico baissa à sesyeux et reperdit une notable partie du terrain acquis. Juana lui envoulait de s’être effacé et sacrifié. Dans sa logique spéciale,elle se disait que, elle, elle ne se serait pas sacrifiée et auraitdéfendu son bien du bec et des ongles. De là l’accueil frigidequ’elle fit au nain.

Or Pardaillan raconta que le nain s’était défendu comme un beaudiable et avait voulu le poignarder, lui, Pardaillan. Du coup, lesactions du Chico montèrent. Pourquoi rêver de chimères ? Lebonheur était peut-être là. Ne serait-ce pas folie de le laisserpasser ? De là le revirement en faveur du nain. De là cetête-à-tête. Il fallait que le Chico se déclarât. Et voilà qu’ellese heurtait à sa timidité insurmontable. Elle enrageait d’autantplus que malgré elle, tout en s’efforçant de l’amener àcomposition, elle ne pouvait s’empêcher de songer à Pardaillan, etil lui semblait que lui n’eût pas tant tergiversé. De là sa rage etsa colère contre le Chico, de là ce désir furieux de le maltraiter,de l’humilier.

Donc le Chico, au lieu de s’indigner devant son impudentedénégation, après être resté un long moment perplexe et silencieux,courba l’échine, accepta la rebuffade et parut s’excuser en disantdoucement :

– J’ai fait ce que tu m’as demandé, et Dieu sait s’il m’ena coûté ! Pourquoi es-tu fâchée ?

Ainsi voilà tout ce qu’il trouvait à dire. Ah ! si elleavait été à sa place, comme elle eût vertement relevél’impertinente prétention de celui qui eût voulu la faire passerpour une sotte et se fût gaussé à ce point d’elle. Décidément, leChico n’était pas un homme. Il resterait éternellement un enfant.Quelle aberration avait été la sienne de croire un instant qu’unenfant pourrait parler et agir comme un homme ! Et sa fureurs’accrut, d’autant plus qu’elle était peut-être encore plusmécontente d’elle même que lui. Et cette, pensée, fugitive qu’elleavait eue de l’amener à se prosterner, à lécher ses semelles, toutpareil a un chien couchant, cette pensée lui revint plus précise,prit la forme d’un désir violent, se changea en obsession tenace,tant et si bien qu’elle résolut de la réaliser coûte que coûte.

Pour réaliser cet impérieux désir, elle radoucit son ton en luidisant :

– Mais je ne suis pas fâchée.

– Vrai ?

– En ai-je l’air ? fit-elle en lui adressant unsourire qui l’affola.

En disant ces mots, tout à son projet, elle croisa négligemmentune jambe fine et nerveuse, moulée dans un bas de soie rose, surl’autre, et tout en lui souriant, elle agitait doucement son piedqui arrivait à hauteur de la poitrine du nain. Et elle regardait cepied complaisamment comme une chose qu’on trouve jolie, puis elleregardait le Chico, comme pour lui dire : « Embrasse-ledonc, nigaud ! »

Et ce petit pied, finement chaussé de mignons souliers en cuirde Cordoue souple et parfumé, richement brodés, tout neufs, cepetit pied se balançant mollement à quelques pouces de son visage,fascinait le petit homme et une envie folle lui venait de leprendre, de l’étreindre, de l’embrasser à pleine bouche. Et lepetit pied allait, venait, s’agitait, lui présentait la semelle,très blanche, à peine maculée, lui répétait dans son langagemuet : « Mais va donc ! va donc ! »

Si bien que le Chico ne put résister à la tentation, et commeelle souriait encore, preuve qu’elle n’était pas fâchée, il selaissa tomber sur les genoux.

Elle eut un sourire qu’il ne vit pas, un sourire où il y avaitla joie du triomphe assuré et aussi un peu de pitié dédaigneusetandis que dans son esprit elle clamait : « Tu yviendras ! Tu y viens ! ».

Et le petit pied, dans son balancement, vint lui effleurer levisage. Car le mouvement de va-et-vient continuait comme si ellen’eût pas remarqué qu’ainsi agenouillé elle lui touchait la figure.Et toujours c’était la semelle qui se présentait à lui, qui luifrôlait le front, les joues, les lèvres, au hasard, comme pourdire : « C’est là que tu poseras tes lèvres, làoù c’est maculé, là seulement. »

Du moins c’est ce que traduisit le Chico. Mais c’était unincorrigible timide que ce pauvre Chico. La pensée de toucher à cepetit pied sans son autorisation à elle ne lui venait même pas.Qu’eût-elle dit ? Tiens ! ; Il était bien loin de sedouter que s’il avait eu le courage de la prendre dans ses bras etde plaquer ses lèvres sur ses lèvres, elle lui eût probablementrendu son baiser, pâmée.

Mais comme la semelle passait encore un coup à portée de sabouche, comme la tentation était trop forte, il réunit tout soncourage, et d’une voix implorante :

– Si tu n’es pas fâchée, tu veux bien que…

Il ne put achever sa phrase. Brusquement la semelle s’étaitplaquée sur ses lèvres et les frottait avec une sorte de ragenerveuse, comme si elle eût voulu les écorcher, les fairesaigner.

Si naïf et si timide qu’il fût, le Chico comprit cette fois.Ivre de joie, il posa ses lèvres partout sur cette semelle sanss’inquiéter de savoir si elle était maculée ou non. Tiens ! ilavait bien baisé la terre où s’était posé le soulier ; ilpouvait, à plus forte raison, baiser le soulier lui-même.

Et comme le pied se retirait lentement, semblant vouloir luirationner son humble bonheur, il allongea la tête, le suivit deslèvres, se courbant davantage, jusqu’à poser sa face sur le bois dutabouret.

C’est là sans doute que voulait l’amener le petit pied, car ilcessa de se dérober. Alors, avec un sourire triomphant, avec unsoupir de joie satisfaite, elle leva son autre pied et le lui posasur la tête, d’un air dominateur qui semblait dire : « Tuseras toujours ainsi sous mes pieds, puisque tu n’es bon qu’à cela.Je te dominerai toujours, toujours ! car tu es ma chose, àmoi ! »

Et elle le maintint longtemps ainsi, et il y serait bien restéplus longtemps encore, le pauvre diable, tant il était heureux. Etc’était en plus puéril, en plus sincère, avec la violence en moinset la grâce mutine en plus, la répétition du geste de Fausta avecCenturion.

Son impérieux désir enfin satisfait, contente d’être arrivée àses fins, elle éprouva soudain une gêne indéfinissable et comme dela honte aussi. Tout doucement, avec la crainte de lui faire mal,et explique cela qui pourra, avec le remords de le priver de cepauvre bonheur, elle retira ses pieds.

Lui, heureux d’avoir obtenu plus qu’il n’aurait osé espérer,plus qu’il n’en avait jamais obtenu, en tout cas, la laissa faire,ne chercha pas à prolonger son bonheur, redressa la tête, ettoujours agenouillé la contempla extasié.

Alors, toute rouge – de plaisir ? de honte ? deregret ? qui peut savoir ! – sans trop savoir ce qu’elledisait :

– Tu vois bien que je n’étais pas fâchée, dit-elle.

Et comme elle lui souriait doucement en disant cela, ils’enhardit un peu, se courba encore un coup, posa une dernière foisses lèvres sur le bout du pied, qui se cachait timidement, et sereleva enfin en disant très convaincu, avec un air de gratitudeprofonde :

– Tu es bonne ! Tiens, bonne comme la Vierge.

Elle rougit davantage encore. Non, elle n’était pas bonne. Elleavait été mauvaise et méchante. Au lieu de la remercier, il devraitla battre, elle l’avait bien mérité. En se morigénant ainsielle-même, elle voulut tenter un dernier effort, et, àbrûle-pourpoint :

– Est-ce vrai que tu as voulu poignarder leFrançais ?

À son tour il rougit comme si cette question eût été un reprochesanglant. Il baissa la tête et fit signe oui, d’un air honteux.

– Pourquoi ? fit-elle avidement.

Elle espérait qu’il allait répondre enfin :

– Parce que je t’aime et que je suis jaloux !

Hélas ! encore un coup le pauvre Chico laissa passerl’occasion. Il bredouilla :

– Je ne sais pas !

C’était fini. Il n’y avait plus rien à faire, rien à espérer. Denouveau le dépit déchaîna la fureur en elle. Elle se mit àtrépigner, et rouge, de colère cette fois, elle cria :

– Encore ! je ne sais pas ! je ne sais pas !Tu m’agaces ! Tiens, va-t’en ! va-t’en !

Cette explosion de colère subite, après sa gentillesse de tout àl’heure le stupéfia. Il ne comprenait plus. Qu’avait-elle donc, bonDieu ! et que lui avait-il fait encore ?

Comme il ne bougeait pas, dans son ébahissement, elle leva sonpetit poing et, le repoussant brutalement, le frappant avec rage,elle cria plus fort, en trépignant plus que jamais :

– Va-t’en ! va-t’en !

Il courba l’échine et se retira humblement.

Or, s’il fût revenu à l’improviste, il eût pu voir deux larmes,des perles brillantes, couler lentement sur les joues roses de samadone prostrée dans son fauteuil.

Mais le Chico n’aurait jamais eu l’audace de reparaître devantelle quand elle le chassait brutalement. Il s’en allait la mortdans l’âme, attendant que la tempête fût apaisée, et qu’elle luifît signe pour accourir de nouveau se prêter à ses caprices et àses humeurs.

Et puis, qui sait ? Même s’il avait vu ces deux larmes, leChico était si naïf – pour les choses de l’amour – il était si bienpersuadé qu’on ne pouvait éprouver un sentiment sérieux pour unbout d’homme tel que lui, qu’il se fût imaginé que ces larmescoulaient encore pour le Français.

Et pourtant !…

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