Les Aventures d’Arthur Gordon Pym de Nantucket

Les Aventures d’Arthur Gordon Pym de Nantucket

d’ Edgar Allan Poe

Préface

Lors de mon retour aux États-Unis, il y a quelques mois, après l’extraordinaire série d’aventures dans les mers du Sud et ailleurs, dont je donne le récit dans les pages suivantes, le hasard me fit faire la connaissance de plusieurs gentlemen de Richmond (Virginie), qui, prenant un profond intérêt à tout ce qui se rattache aux parages que j’avais visités, me pressaient incessamment et me faisaient un devoir de livrer ma relation au public. J’avais, toutefois, plusieurs raisons pour refuser d’agir ainsi : les unes, d’une nature tout à fait personnelle et ne concernant que moi ; les autres, il est vrai, un peu différentes. Une considération qui particulièrement me faisait reculer, était que, n’ayant pas tenu de journal durant la plus grande partie de mon absence, je craignais de ne pouvoir rédiger de pure mémoire un compte rendu assez minutieux, assez lié pour avoir toute la physionomie de la vérité, dont il serait cependant l’expression réelle, ne portant avec lui que l’exagération naturelle, inévitable, à laquelle nous sommes tous portés quand nous relatons des événements dont l’influence a été puissante et active sur les facultés de l’imagination. Une autre raison, c’était que les incidents à raconter se trouvaient d’une nature si positivement merveilleuse, que, mes assertions n’ayantnécessairement d’autre support qu’elles-mêmes (je ne parle pas dutémoignage d’un seul individu, et celui-là à moitié Indien), je nepouvais espérer de créance que dans ma famille et chez ceux de mesamis qui, dans le cours de la vie, avaient eu occasion de se louerde ma véracité ; mais, selon toute probabilité, le grandpublic regarderait mes assertions comme un impudent et ingénieuxmensonge. Je dois dire aussi que ma défiance de mes talentsd’écrivain était une des causes principales qui m’empêchaient decéder aux suggestions de mes conseillers.

Parmi ces gentlemen de la Virginie que marelation intéressait si vivement, particulièrement toute la partieayant trait à l’océan Antarctique, se trouvait M. Poe, naguèreéditeur du Southern Literary Messenger, revue mensuellepubliée à Richmond par M. Thomas W. White[1]. Ilm’engagea fortement, lui entre autres, à rédiger tout de suite unrécit complet de tout ce que j’avais vu et enduré, et à me fier àla sagacité et au sens commun du public, affirmant, non sansraison, que, si grossièrement venu que fût mon livre au point devue littéraire, son étrangeté même, si toutefois il y en avait,serait pour lui la meilleure chance d’être accepté commevérité.

Malgré cet avis, je ne pus me résoudre à obéirà ses conseils. Il me proposa ensuite, voyant que je n’en voulaispas démordre, de lui permettre de rédiger à sa manière un récit dela première partie de mes aventures, d’après les faits rapportéspar moi, et de la publier sous le manteau de la fictiondans le Messager du Sud. Je ne vis pas d’objection à faireà cela, j’y consentis et je stipulai seulement que mon nomvéritable serait conservé. Deux morceaux de la prétendue fictionparurent conséquemment dans le Messager (numéros dejanvier et février 1837), et, dans le but de bien établir quec’était une pure fiction, le nom de M. Poe fut placé en regarddes articles à la table des matières du Magazine.

La façon dont cette supercherie fut accueilliem’induisit enfin à entreprendre une compilation régulière et unepublication desdites aventures ; car je vis qu’en dépit del’air de fable dont avait été si ingénieusement revêtue cettepartie de mon récit imprimée dans le Messager (oùd’ailleurs pas un seul fait n’avait été altéré ou défiguré), lepublic n’était pas du tout disposé à l’accepter comme une purefable, et plusieurs lettres furent adressées à M. Poe, quitémoignaient d’une conviction tout à fait contraire. J’en conclusque les faits de ma relation étaient de telle nature qu’ilsportaient avec eux la preuve suffisante de leur authenticité, etque je n’avais conséquemment pas grand-chose à redouter du côté del’incrédulité populaire.

Après cet exposé, on verra tout d’abord ce quim’appartient, ce qui est bien de ma main dans le récit qui suit, etl’on comprendra aussi qu’aucun fait n’a été travesti dans lesquelques pages écrites par M. Poe. Même pour les lecteurs quin’ont point vu les numéros du Messager, il serait superflude marquer où finit sa part et où la mienne commence ; ladifférence du style se fera bien sentir.

A. G. PYM New York, juillet1838.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer