Les Aventures de Todd Marvel, détective milliardaire

Les Aventures de Todd Marvel, détective milliardaire

de Gustave Le Rouge

Premier épisode – LE SECRET DEWANG-TAÏ

CHAPITRE PREMIER – LA SEÑORA OVANDO

Fiévreusement, presque brutalement, une jeune femme en deuil se frayait un passage à travers la cohue bigarrée de ce curieux quartier de San Francisco qu’on appelle le Faubourg d’Orient.

Les yeux brillants de fièvre, la face crispée par l’expression d’un désespoir immense, elle allait droit devant elle, sans un regard pour cette foule tourbillonnante où dominaient les Chinois et les indigènes des archipels océaniens, aux parures de coquillages, aux vêtements éclatants et bizarres.

Arrivée enfin dans une rue presque déserte, la jeune femme ralentit le pas, secoua d’un geste rapide la poussière qui s’était attachée au bas de sa jupe, remit un peu d’ordre dans les boucles de sa chevelure d’un noir profond, et tamponna d’un petit mouchoir de soie ses yeux rougis par des larmes récentes.

Elle s’était arrêtée, comme hésitante, en face d’une spacieuse maison à trois étages, entièrement constituée –comme beaucoup d’édifices bâtis après le dernier tremblement de terre, – par des poutres d’acier et des briques.

– Pourvu, murmura-t-elle, le cœur serré,qu’on ne me demande pas trop cher…

Elle ajouta en soupirant :

– Et que cela serve à quelquechose !…

Avec une brusque décision, elle ouvrit lagrille qui donnait accès dans une avant-cour ornée de géraniums etde jasmins des Florides, et sonna à une porte dans laquelle étaitencastrée une plaque de nickel, avec cette inscription en groscaractères :

JOHN JARVIS

Private detective

Elle fut introduite par un noir dans un salond’attente sévèrement meublé de chêne et dont les fenêtres donnaientsur un vaste jardin.

Une sorte de géant blond, à la physionomiesouriante, aux yeux bleus pleins de candeur, vint à la rencontre dela jeune femme et lui indiqua un siège.

Il parut vivement frappé de l’expressiondouloureuse qui se reflétait sur le visage de la visiteuse, etaussi, de la beauté de celle-ci. Ses traits brunis par le soleil,offraient une régularité parfaite ; ses mains tigrées de hâleétaient d’un modelé délicat et le méchant costume de confectiondont elle était vêtue accusait des formes élancées, une taillemince et ronde, des hanches harmonieuses et larges, toute laplastique splendide des femmes de sang espagnol, si nombreuses enCalifornie.

De son côté, la visiteuse ne s’était nullementreprésenté un détective de cette mine débonnaire et joviale.

Il y eut quelques minutes d’un silenceembarrassé.

– Vous êtes Mr John Jarvis ?demanda-t-elle enfin.

– Non, señora, simplement son secrétaireet parfois son collaborateur, mais puis-je savoir ce qui vousamène ?

– Je suis au désespoir !…balbutia-t-elle avec accablement. Il y a huit jours, mon mari étaitvivant, nous étions presque riches, maintenant je suis veuve, etnous sommes ruinés ! Ma petite Lolita qui va sur ses neuf ans,sera sans pain et sans asile…

Elle fondit en larmes, incapable d’en diredavantage. Le secrétaire du détective paraissait presque aussi émuque sa cliente.

– Ne vous désolez pas, dit-ilaffectueusement, si quelqu’un peut apporter remède à votresituation, c’est bien M. Jarvis.

Il ajouta, dans un élan de réelleadmiration :

– Je ne crois pas qu’il y ait un hommeplus habile dans l’univers entier !

– Il veut sans doute des honoraires trèsélevés ? demanda-t-elle anxieusement.

– Soyez sans inquiétude à cet égard,M. Jarvis n’est pas un détective ordinaire ; il neréclame d’argent qu’en cas de succès, et ses prétentions sonttoujours proportionnées à la fortune de ses clients, mais vousallez lui parler immédiatement. Vous verrez que du premier coup, ilvous inspirera confiance… Qui dois-je lui annoncer ?

– La señora Pepita Ovando, la veuveOvando, hélas ! fit-elle avec une tristesse poignante.

Au moment où elle se levait pour passer dansla pièce voisine, à la suite du secrétaire, elle entendit le bruitsec d’un déclic et aperçut dans la muraille en face d’elle uneouverture ronde, cerclée de métal, qui ne s’y trouvait pasl’instant d’auparavant.

– Qu’est-ce que cela ?demanda-t-elle avec méfiance.

– Ne craignez rien : M. Jarvis,par mesure de prudence, a l’habitude de faire photographier toutesles personnes qui pénètrent dans son salon d’attente. C’est sur sonconseil, que la Central Bank en fait autant, pour tous ceux quiviennent toucher un chèque de quelque importance à ses guichets.Cette simple précaution a déjà donné les meilleurs résultats.

Un peu inquiète, la señora Ovando pénétra dansune immense pièce qui ressemblait beaucoup plus au laboratoire d’unsavant qu’au cabinet d’un homme d’affaires. De hautes bibliothèquesvoisinaient avec des armoires de produits chimiques, des appareilspour la télégraphie sans fil et les rayons X, un gros microscope,et jusqu’à une petite forge mue par l’électricité. Dans un coin sedressait un grand miroir dont le cadre de porcelaine était hérisséde fils de cuivre qui allaient se perdre dans la muraille.

Ce bizarre décor impressionna vivement laseñora ; à la vue de ces machines dont l’usage lui étaitinconnu, une étrange appréhension s’emparait d’elle. Elleregrettait presque d’être venue. Elle eut un instant l’impressionde sentir planer sur elle de mystérieux dangers.

Ce ne fut qu’à force de bonnes paroles queM. Jarvis parvint à la rassurer.

Le détective, qui paraissait posséder à undegré extraordinaire le don de la persuasion, était un jeune hommede haute taille, à la physionomie pleine de mélancolie et dedouceur. Le front élevé, couronné de cheveux bruns, les yeux noirs,pleins de franchise, le menton énergique et la mâchoire un peucarrée des anglo-saxons, il inspirait confiance à première vue.

La señora Ovando fut étonnée de trouver en luiune courtoisie raffinée, une élégance native de manières qui nepouvaient appartenir à un vulgaire policier. Mais en dépit de cetteexquise politesse, de cette douceur apparente, elle remarqua qu’ilsavait, sans élever la voix, donner à ses phrases un ton decommandement qui n’admettait pas de réplique.

– Señora, dit-il, après avoir faitasseoir la jeune femme en face de lui, je vous écoute avec la plusgrande attention. Pour que je puisse vous être utile, il estnécessaire que je connaisse les faits dans le plus minutieuxdétail.

– Ce ne sera ni long, ni compliqué,répondit-elle. Je me suis mariée, il y a dix ans et jusqu’à lacatastrophe qui vient de me frapper, nous avions été parfaitementheureux. Avant de m’épouser, mon mari avait amassé une petitefortune en travaillant au Mexique, dans les mines d’or.

« Avec une partie de son argent il achetaun grand terrain, à six milles de Frisco, et fit construire lapetite ferme que nous habitons et qu’on appelle la Fazenda desOrangers, malheureusement, tout cela n’est pas entièrementpayé.

– Et c’est sans doute, interrompit ledétective, la somme que vous destiniez à parfaire ce paiement quivous a été dérobée ?

– Hélas oui, trois mille dollars,exactement. Mais si ce n’était que cela ! Mon mari avaitrapporté du Mexique une pierre de grande valeur, un diamant rouge,rouge comme un rubis.

– Ce sont les plus rares ; undiamant pareil, s’il est sans défaut et d’une certaine grosseur,possède une valeur énorme. Comment votre mari ne songea-t-il pas àle vendre pour se faire de l’argent comptant ?

– Il avait ses idées là-dessus. Ilprétendait qu’avec le temps, le prix d’une pareille pierre nepourrait qu’augmenter. Il faut vous dire que le diamant est groscomme un petit œuf de pigeon et d’une eau irréprochable. Ce sera ladot de notre Lolita, répétait-il souvent…

La señora s’interrompit, ses yeux étaientbaignés de larmes.

– Du courage, lui dit affectueusementM. Jarvis ; je sais combien un tel récit doit vous êtrepénible.

– L’argent et le diamant, reprit-elleavec effort, étaient enfermés dans un petit coffre-fort d’acierscellé dans le mur de la chambre à coucher et que nous restionsparfois des semaines sans ouvrir, quand mardi dernier – il y aexactement quatre jours – nous trouvâmes notre trésor disparu.

– Il n’y avait pas eu d’effraction ?demanda le détective.

– Aucune, même tout était en ordre, dansle coffre, seulement le diamant et les trois billets de milledollars s’étaient envolés… Mon mari était consterné ; aprèsavoir fait inutilement les recherches les plus exactes, il portaplainte au coroner du district qui ne fut pas plus habile que nousà découvrir un indice quelconque.

– Vous ne soupçonnez personne ?

– Personne ; le pays, de ce côté,est tranquille. Nous connaissons tous nos voisins, et, d’ailleurs,ils ne nous font visite que très rarement. Nous n’avons pour toutdomestique qu’un Chinois, Wang-Taï, un homme de confiance, employéà la fazenda depuis quatre ans et qui m’est tout dévoué.

– A-t-il été interrogé ?

– Oui, et on l’a même scrupuleusementfouillé ; sur sa demande on a examiné avec le plus grand soin,la chambre qu’il occupe, à côté de l’écurie. Je répondrais deWang-Taï comme de moi-même. D’ailleurs, il n’est jamais à lamaison, il travaille toute la journée dans la plantation et il a ennous une telle confiance que, la plupart du temps, c’est moi qu’ilcharge d’expédier dans son pays par la poste les petites sommesqu’il arrive à mettre de côté.

La señora Ovando s’était arrêtée sous le coupd’une intense lassitude plus morale encore que physique.Visiblement ce récit de ses malheurs lui était un torturantsupplice. Ce gentleman si correct, aux mains si blanches, auxongles polis comme des agates, en saurait-il plus que lecoroner ? Au fond, elle ne le croyait pas, mais il fallaitqu’elle allât jusqu’au bout de son douloureux récit. N’était-ellepas venue pour cela ?

Les sourcils froncés, le regard vague, JohnJarvis réfléchissait avec une intensité, une concentration de sapensée qui à des regards inattentifs, eût pu passer pour la rêveried’un homme distrait.

Dans le silence, on perçut le grincement légerd’un stylographe courant sur le papier ; dans un coin, legéant blond prenait des notes.

– Qu’importerait ce vol, sans la mort dupauvre Leonzio, de mon cher époux mille fois aimé ! reprittout à coup la jeune femme d’une voix rauque, les mains jointes,dans un geste de désespoir.

– On l’a tué ? fit le détective àdemi-voix.

– Non, répliqua-t-elle, pas cela. Unaccident, une fatalité ! Aussi, j’avais été trop heureuse, leMalheur nous guettait ! Il fallait que cela se produisît. Hiermatin, il descendit de très bonne heure, comme de coutume pourfaire le tour de la plantation ; c’était par là qu’ilcommençait sa journée…

« Une heure après, je le retrouvais mortdans l’écurie sur la litière de paille de maïs, à côté du chevalqui d’un coup de pied lui avait ouvert le crâne…

Le détective était puissamment intéressé parl’exposé de la malheureuse veuve, si poignant dans sasimplicité.

– C’est un cheval vicieux ?interrogea-t-il.

– Aucunement, Nero est la bête la plusdouce qui soit. Je n’ai pas compris… il y a dans cette série decatastrophes quelque chose de mystérieux et de vraimentdiabolique !

« Dans le premier moment, j’étais sidésolée, si furieuse, que je voulais abattre moi-même le chevalassassin, c’est le coroner qui m’en a empêchée.

– Il a bien fait, dit gravement JohnJarvis, et naturellement il a conclu à un simpleaccident ?

– Il lui eût été difficile de faireautrement, les pieds de Nero étaient encore barbouillés de sang.Malgré tout, ce qui s’est passé reste inexplicable pour moi.

« Il me reste à vous dire que lepropriétaire auquel nous devons encore trois mille dollars, neserait pas fâché de reprendre son terrain avec les plantations quinous ont coûté tant de peine et tant d’argent. Si je ne paye pas àl’échéance, il fera un procès et comment veut-on que je paye, je nepossède plus rien !…

– Il faut que vous ayez une aveugleconfiance en moi, déclara John Jarvis avec autorité, j’arriverai àretrouver vos voleurs.

– Oh ! si vous pouviez dire vrai,balbutia-t-elle en tournant vers lui ses beaux yeux chargés demuettes supplications.

– Je vous répète qu’il faut me faireconfiance, dit-il en dissimulant la profonde émotion qu’ilressentait ; et d’abord j’ai encore des questions à vousposer. Quand vous vous êtes aperçus du vol, pourquoi ce jour-làplutôt qu’un autre, avez-vous eu l’idée d’ouvrir lecoffre-fort ?

– C’est vrai, il y a une chose que j’aioublié de vous dire… D’ordinaire, nous nous levions dès l’aube monmari et moi, ce jour-là nous ne nous sommes réveillés qu’à dixheures passées et ma petite Lolita, dont le lit est dans notrechambre, a dormi d’un sommeil de plomb jusqu’à midi ; une foishabillée, elle s’est plainte d’un violent mal de tête, elleprétendait que l’atmosphère de la chambre était imprégnée d’une« drôle d’odeur de pharmacie ».

– Vous n’avez donc pas senti cetteodeur ? demanda le détective avec surprise.

– Si, mais nous l’avons expliquée toutnaturellement. Je vous ai peut-être dit qu’à la fazenda, nous necultivons que des orangers et des citronniers, et précisément laveille nous avions emmagasiné une grande quantité de fruits, dansune resserre qui communique avec notre chambre. Réunies en grandnombre les oranges, vous le savez, dégagent un violent parfumd’éther. C’est à ces émanations que nous avons attribué notresommeil prolongé et l’odeur de pharmacie dont s’est plainteLolita.

– C’est possible, après tout, murmura ledétective devenu pensif, l’écorce des oranges contient une certainequantité d’un éther spécial… Et pourtant !… Si cetteexplication était la bonne, le même fait aurait dû se produirechaque fois que la resserre était pleine de fruits.

– Le fait ne s’est produit pourtant quecette seule et unique fois, avoua la jeune femme. Un autre détailque j’avais oublié : la fenêtre de la chambre que j’avaisfermée la veille à cause de la fraîcheur de la nuit, étaitentrouverte quand nous nous sommes réveillés.

– Le vent a pu l’ouvrir si elle était malfermée.

– C’est ce que nous avons pensé, sur lemoment, nous n’y avons attaché aucune importance.

– Bon, mais vous ne m’avez pas encore ditpourquoi vous avez ouvert le coffre-fort.

– C’est moi qui en eus l’idée. En melevant, j’avais comme le pressentiment d’une catastrophe. Jem’étais éveillée la tête lourde, après une nuit de cauchemars. Sanssavoir pourquoi, j’avais le cœur serré par l’angoisse. On eût ditque je sentais venir le malheur qui planait sur notre maison. Tuvois, dis-je à mon mari, la fenêtre est ouverte, regarde comme ilserait facile de nous voler. Il voulut me rassurer, me montra letrousseau de clefs qu’il plaçait chaque soir sous son chevet, àcôté de son browning, et, pour me tranquilliser tout à fait, ilfinit par ouvrir le coffre-fort. C’est alors que nous constatâmesle vol.

John Jarvis s’était levé brusquement.

– Je vais me rendre immédiatement avecvous à la fazenda, déclara-t-il, quel malheur que vous ne soyez pasvenue me trouver plus tôt ! Un dernier renseignement :quand a lieu l’inhumation de votre mari ?

– Demain matin.

– Cela suffit. Je vous emmène dans monauto. Je vous recommande surtout quand nous serons là-bas, de nepas dire qui je suis. Racontez, si vous voulez, que je suis venupour acheter la propriété. Mon secrétaire et ami, Monsieur FloridorQuesnel, sur la discrétion et le dévouement duquel je puisentièrement compter, nous accompagnera.

Le géant blond auquel ce compliment étaitadressé quitta le bureau sur lequel il venait de sténographiertoute cette conversation.

– Je puis peut-être fournir unrenseignement intéressant, dit-il. Ce matin, de très bonne heure,un peu après l’ouverture des portes, j’étais à la Central Bank. Lesbureaux étaient à peu près déserts. Un Chinois est venu toucher àla caisse un chèque assez important. Le fait m’a d’autant plusfrappé qu’il est très rare que les Chinois s’adressent à la banque.Ils préfèrent confier leur argent à l’administration des Postes, ouaux changeurs usuriers du faubourg d’Orient.

– Il me paraît impossible que ce soitWang-Taï, affirma la jeune femme.

– C’est ce que nous allons vérifierimmédiatement. En sortant d’ici, nous passerons par la banque.

L’instant d’après, le détective et sa clienteprenaient place dans une luxueuse Rolls Royce de cent cinquantechevaux. Floridor s’était assis au volant et pilotait la voitureavec une dextérité merveilleuse à travers les rues encombrées.

L’auto stoppa devant la majestueuse façade dela Central Bank. John Jarvis descendit. Il revint quelques minutesplus tard, la mine dépitée.

– Rien à faire de ce côté, expliqua-t-il,il est venu ce matin un Chinois toucher un chèque de 2500 dollars,mais il se nomme Ping-Fao. On a bien voulu me confier saphotographie que, suivant l’usage de la maison, on a prise, sansqu’il s’en aperçût, pendant qu’il attendait à la caisse. Lavoici.

– Ce n’est pas Wang-Taï, fit la señoraOvando, en secouant la tête ; d’ailleurs, il n’a pas quitté laplantation. Je vous le répète, c’est le dernier que jesoupçonnerais.

John Jarvis remit silencieusement laphotographie dans son porte-cartes et se replongea dans sesréflexions. L’auto avait traversé à toute allure les faubourgsdéserts et filait maintenant en quatrième vitesse sur une largeroute bordée de ces cultures d’arbres fruitiers : orangers,abricotiers, pêchers, qui font de certaines régions de laCalifornie un véritable paradis terrestre. Partout les branchespliaient sous le poids des fruits, l’atmosphère lourde du parfumdes orangers et des citronniers en fleurs, était d’une douceuraccablante.

Il y avait dix minutes que l’auto roulait àcette vitesse vertigineuse, lorsque Floridor tira de sa poche unnuméro du San Franscico Evening News qu’il tenditpar-dessus son épaule à John Jarvis, en disant :

– Voici qui vous concerne, l’entrefiletest souligné.

Jarvis eut un geste mécontent en lisant enpetites capitales, au-dessous d’un portrait d’homme, le titresuivant :

LE MYSTÉRIEUX TODD MARVEL

Le Détective milliardaire disparu depuis six mois

NOTRE ENQUÊTE

Mais tout de suite son visage serasséréna.

– Heureusement, cria-t-il à Floridor,qu’ils n’ont pas la bonne photo. Cela peut durer longtemps.

Voici ce que contenait l’entrefilet soulignéde crayon bleu que John Jarvis lut avec la plus grandeattention.

On est toujours sans nouvelles del’honorable Todd Marvel, un des milliardaires les plus distinguésde la société des Cinq Cents, propriétaire de plusieurs puits àpétrole en Pennsylvanie et d’immenses gisements de chrome etd’iridium, récemment découverts au Guatemala.

D’un caractère très original – onpeut même dire tout à fait excentrique – M. ToddMarvel qui est doué d’une puissance de logique extraordinaire,s’est pris de passion pour le métier de détective. Un beau matin ila quitté son palais de la cinquième avenue à New York et l’on a étéquelque temps sans savoir ce qu’il était devenu. Trois semainesaprès, affublé d’un pseudonyme, il faisait arrêter à Chicago lesauteurs du vol d’un million de dollars. Le retentissement de cetteaffaire fut énorme.

Le détective milliardaire fuit lapopularité. Son identité une fois découverte, il a quittébrusquement Chicago et depuis on est sans nouvelles de lui. Les unsle croient partis pour l’Amérique du Sud, les autres pourl’Europe.

L’immense fortune de M. Todd Marvelne souffre d’ailleurs aucunement des fantaisies de sonpropriétaire. Gérée par des fondés de pouvoir d’une scrupuleuseprobité – largement rétribués d’ailleurs – elleva sans cesse en augmentant. Ajoutons que toutes les décisions dequelque importance sont prises par lui, et son habileté, dans lestractations les plus délicates est proverbiale dans le monde desaffaires.

Dans le clan des milliardaires, c’estactuellement l’homme à la mode, le héros du jour. Il a refusé lamain des plus opulentes héritières américaines, comme il a refuséles plus flatteuses propositions d’association des« trusters » les plus en vue. L’engouement pour sapersonne atteignait récemment un tel degré que nombre des héritiersdes rois de l’or, du pétrole, de l’acier ou de la viande,regardaient comme le nec plus ultra du chic et comme le comble dusport, l’exercice du métier de policier.

Il est très difficile de se procurer unrenseignement quelconque sur cet étrange milliardaire. Trèsgénéreux, très loyal, il a su mettre entre sa personne et lacuriosité publique un rempart de serviteurs dévoués qu’aucunargument ne peut décider à rompre le silence. Dans le monde desCinq Cents on observe également à son endroit un mutisme rigoureux.Ce n’est qu’à grand-peine que nous avons pu obtenir d’un de sesamis la photographie que nous publions.

Dans l’intention d’être agréable à noslecteurs que passionne l’énigmatique personnage, nous avons pumettre à jour un point important jusqu’ici complètement négligé parses récents biographes. Il y a une vingtaine d’années, le pèrede M. Todd Marvel fut assassiné dans des circonstancesdemeurées obscures et la moitié de son énorme fortune disparut sanslaisser de traces, en même temps que son assassin. C’est dansces faits maintenant oubliés, mais qui, à l’époque, firent grandbruit, qu’il faut peut-être chercher l’explication de l’étrangemanie policière de l’élégant gentleman. Cette manie, désormais, neparaîtra plus aussi excentrique à nos lecteurs. Qu’il s’agisse devenger son père ou de récupérer une fortune volée, ce n’estcertainement pas pour l’amour de l’art, que M. Todd Marvels’est improvisé détective.

À bientôt de plus completsrenseignements.

John Jarvis froissa le journal avec colère etle fourra dans la poche de son cache-poussière. Puis il haussa lesépaules et sa physionomie reprit sa placidité habituelle. L’autovenait de s’engager dans une allée d’eucalyptus qui aboutissait àla propriété de la señora Ovando.

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