Les Chasseurs de chevelures

Chapitre 19LUTTE D’ADRESSE.

 

J’avais regagné ma couverture, et j’étais surle point de m’y étendre, quand le cri d’un gruya attiramon attention. Je levai les yeux et j’aperçus un de ces oiseaux quivolait vers le camp. Il venait par une des clairières ouvrant surla rivière, et se tenait à une faible hauteur. Son vol paresseux etses larges ailes appelaient un coup de fusil. Une détonation se fitentendre. Un des Mexicains avait déchargé son escopette, maisl’oiseau continuait à voler, agitant ses ailes avec plus d’énergie,comme pour se mettre hors de portée.

Les trappeurs se mirent à rire, et une voixcria :

– Fichue bête ! est-ce que tu pourraisseulement mettre ta balle dans une couverture étendue, avec cetteespèce d’entonnoir ? Pish !

Je me retournai pour voir l’auteur de cettebrutale apostrophe. Deux hommes épaulaient leurs fusils et visaientl’oiseau. L’un d’eux était le jeune chasseur dont j’ai décrit lecostume, l’autre un Indien que je n’avais pas encore aperçu. Lesdeux détonations n’en firent qu’une, et la grue, abaissant son longcou, tomba en tournant au milieu des arbres, et resta accrochée àune branche. De la position que chacun d’eux occupait, aucun destireurs n’avait pu voir que l’autre avait fait feu. Ils étaientséparés par une tente, et les deux coups étaient partis ensemble.Un trappeur s’écria :

– Bien tiré, Garey ! que Dieu assistetout ce qui se trouve devant la bouche de ton vieux tueurd’ours, quand ton œil est au point de mire !

À ce moment, l’Indien faisait le tour de latente. Il entendit cette phrase, et vit la fumée qui sortait encoredu fusil du jeune chasseur ; il se dirigea vers lui endisant :

– Est-ce que vous avez tiré,monsieur ?

Ces mots furent prononcés avec l’accentanglais le plus pur, le moins mélangé d’indien, et cela seul auraitsuffi pour exciter ma surprise si déjà mon attention n’eût étévivement éveillée sur cet homme.

– Quel est cet Indien ? demandai-je à unde mes voisins.

– Connais pas ; nouvel arrivé, fut toutela réponse.

– Croyez-vous qu’il soit étrangerici ?

– Tout juste ; venu il y a peu detemps ; personne ne le connaît, je crois ; si faitpourtant ; le capitaine. Je les ai vus se serrer la main.

Je regardai l’Indien avec un intérêtcroissant. Il pouvait avoir trente ans environ et n’avait guèremoins de sept pieds (anglais) de taille. Ses proportions vraimentapolloniennes le faisaient paraître moins grand. Sa figure avait letype romain. Un front pur, un nez aquilin, de larges mâchoires,accusaient chez lui l’intelligence aussi bien que la fermeté etl’énergie. Il portait une blouse de chasse, de hautes guêtres etdes mocassins ; mais tous ces vêtements différaientessentiellement de ceux des chasseurs ou des Indiens. Sa blouseétait en peau de daim rouge, préparée autrement que les trappeursn’ont l’habitude de le faire. Presque aussi blanche que la peaudont on fait les gants, elle était fermée sur la poitrine etmagnifiquement brodée avec des piquants de porc-épic ; lesmanches ornées de la même manière ; le collet et la juperehaussés par une garniture d’hermine douce et blanche comme laneige. Une rangée de peaux entières de cet animal formait, toutautour de la jupe, une bordure à la fois coûteuse etremarquablement belle. Mais ce qui distinguait le plusparticulièrement cet homme, c’était sa chevelure. Elle tombaitabondante sur ses épaules et flottait presque jusqu’à terre quandil marchait. Elle avait donc près de sept pieds de longueur. Noire,brillante et plantureuse, elle me rappelait la queue de ces grandschevaux flamands que j’avais vus attelés aux chars funèbres àLondres. Son bonnet était garni d’un cercle complet de plumesd’aigles, ce qui, chez les sauvages, constitue la suprême élégance.Cette magnifique coiffure ajoutait à la majesté de son aspect. Unepeau blanche de buffalo pendait de ses épaules, et ledrapait gracieusement comme une toge. Cette fourrure blanches’harmonisait avec le ton général de l’habillement et formaitrepoussoir à sa noire chevelure. Il portait encore d’autresornements ; l’éclat des métaux resplendissait sur ses armes etsur les différentes pièces de son équipement ; le bois et lacrosse de son fusil étaient richement damasquinés en argent.

Si ma description est aussi minutieuse, celatient à ce que le premier aspect de cet homme me frappa tellementque jamais il ne sortira de ma mémoire. C’était le beauidéal d’un sauvage romantique et pittoresque ; et, deplus, chez lui rien ne rappelait le sauvage, ni son langage, ni sesmanières. Au contraire, la question qu’il venait d’adresser autrappeur avait été faite du ton de la plus exquise politesse. Laréponse ne fut pas aussi courtoise.

– Si j’ai tiré ? N’as-tu pas entendu lecoup ? N’as-tu pas vu tomber la bête ? Regardelà-haut !

Et Garey montrait l’oiseau accroché dansl’arbre.

– Il parait alors que nous avons tirésimultanément.

L’Indien, en disant cela, montrait son fusil,de la bouche duquel la fumée s’échappait encore.

– Voyez-vous, ça, l’Indien ! que nousayons tiré simultanément, ou étrangèrement, ou similairement, jem’en fiche comme de la queue d’un blaireau ; mais j’ai vul’oiseau, je l’ai ajusté, et c’est ma balle qui l’a mis bas.

– Je crois l’avoir touché aussi, répliqual’Indien modestement.

– J’m’en doute, avec cette espèce dejoujou ! dit Garey, jetant un regard de dédain sur le fusil deson compétiteur, et ramenant ses yeux avec orgueil sur le canon,bronzé par le service et les intempéries de son rifle qu’il étaiten train de recharger, après l’avoir essuyé.

– Joujou, si vous voulez, répondit l’Indien,mais il envoie sa balle plus droit et plus loin qu’aucune arme queje connaisse jusqu’à présent. Je garantis que mon coup a porté enplein corps de la grue.

– Voyez-vous ça, môssieu ! car je supposequ’il faut appeler môssieu un gentleman qui parle si bienet qui paraît si bien élevé, quoiqu’il soit Indien. C’est bien aiséà voir qui est-ce qui a touché l’oiseau. Votre machine est dunuméro 50 ou à peu près, mon killbair[13], du90. C’est pas difficile de dire qui est-ce qui a tué la bête. Nousallons bien voir.

Et, en disant cela, le chasseur se dirigeavers l’arbre ou le gruya était accroché.

– Comment vas-tu faire pour l’atteindre ?cria un des chasseurs qui s’était avancé pour être témoin de lacurieuse dispute.

Garey ne répondit rien et se mit en devoird’épauler son fusil. Le coup partit, et la branche, frappée par laballe, s’affaissa sous la charge du gruya. Mais l’oiseauétait pris dans une double fourche et resta suspendu sur la branchebrisée. Un murmure d’approbation suivit ce coup ; et leshommes qui applaudissaient ainsi n’étaient point habitués às’émouvoir pour peu de chose. L’Indien s’approcha à son tour, ayantrechargé son fusil. Il visa, et sa balle atteignit la branche aupoint déjà frappé, et la coupa net. L’oiseau tomba à terre, aumilieu des applaudissements de tous les spectateurs, mais surtoutdes Indiens et des chasseurs mexicains. On le prit et onl’examina ; deux balles lui avaient traversé le corps ;l’une ou l’autre aurait suffi pour le tuer. Un nuage demécontentement se montra sur la figure du jeune trappeur. Êtreainsi égalé, dépassé, dans l’usage de son arme favorite, enprésence de tant de chasseurs de tous les pays, et cela par unIndien, bien plus encore, avec un fusil declinquant ! Les montagnards n’ont aucune confiance dansles fusils à crosses ornées et brillantes. Les rifles à paillettes,disent-ils, c’est comme les rasoirs à paillettes : c’est bonpour amuser les jobards. Il était évident cependant que le rifle del’Indien étranger avait été confectionné pour faire un bon usage.Il fallut tout l’empire que le trappeur avait sur lui-même pourcacher son chagrin. Sans mot dire, il se mit à nettoyer son armeavec ce calme stoïque particulier aux hommes de sa profession. Jeremarquai qu’il le chargeait avec un soin extrême. Évidemment, ilne voulait pas en rester là de cette lutte d’adresse, et il tenaità battre l’Indien ou à être battu par lui complètement. Ilcommuniqua cette intention à voix basse à un de ses camarades. Sonfusil fut bientôt rechargé, et, le tenant incliné à la manière deschasseurs, il se tourna vers la foule, à laquelle on était venu sejoindre de toutes les parties du camp.

– Un coup comme ça, dit-il, ça n’est pas plusdifficile que de mettre dans un tronc d’arbre. Il n’y a pas d’hommequi ne puisse en faire autant, pour peu qu’il sache regarder droitdans son point de mire. Mais je connais une autre espèce de coupqui n’est pas si aisé ; faut savoir tenir ses nerfs.

Le trappeur s’arrêta et regarda l’Indien quirechargeait aussi son fusil.

– Dites donc, étranger ! reprit-il ens’adressant à lui, avez-vous ici un camarade qui connaisse votreforce ?

– Oui ! répondit l’Indien, après unmoment d’hésitation….

– Et ce camarade a-t-il une pleine confiancedans votre adresse ?

– Oh ! je le crois. Pourquoi medemandez-vous cela ?

– Parce que je vas vous montrer un coup quenous avions l’habitude de faire au fort de Bent, pour amuser lesenfants. Ça n’a rien de bien extraordinaire comme coup ; maisça remue un peu les nerfs, faut le dire. Hé ! oh !Rubé !

– Au diable, qu’est-ce que tu veux ?

Ces mots furent prononcés avec une énergie etun ton de mauvaise humeur qui firent tourner tous les yeux versl’endroit d’où ils étaient sortis. Au premier abord, il semblaitqu’il n’y eût personne dans cette direction. Mais, en regardantavec plus de soin à travers les troncs d’arbres et les cépées, ondécouvrait un individu assis auprès d’un des feux. Il aurait étédifficile de reconnaître que c’était un corps humain, n’eût été lemouvement des bras. Le dos était tourné du coté de la foule, et latête, penchée du côté du feu, n’était pas visible. D’où nousétions, cela ressemblait plutôt à un tronc de cotonnier recouvertd’une peau de Chevreuil terreuse qu’à un corps humain. Ens’approchant et en le regardant par devant, on reconnaissait avoiraffaire à un homme très extraordinaire il est vrai, tenant à deuxmains une longue côte de daim, et la rongeant avec ce qui luirestait de dents. L’aspect général de cet individu avait quelquechose de bizarre et de frappant. Son habillement, si on pouvaitappeler cela un habillement, était aussi simple que sauvage. Il secomposait d’une chose qui pouvait avoir été autrefois une blouse dechasse, mais qui ressemblait beaucoup plus alors à un sac de peau,dont on aurait ouvert les bouts et aux côtés duquel on aurait cousudes manches. Ce sac était d’une couleur brun sale ; lesmanches, râpées et froncées aux plis des bras étaient attachéesautour des poignets ; il était graisseux du haut en bas, etémaillé çà et là de plaques de boue ! On n’y voyait aucunessai d’ornements ou de franges. Il y avait eu autrefois un collet,mais on l’avait évidemment rogné, de temps en temps, soit pourrapiécer le reste, soit pour tout autre motif, et à peine enrestait-il vestige. Les guêtres et les mocassins allaient de pairavec la blouse et semblaient sortir de la même pièce. Ils étaientaussi d’un brun sale, rapiécés, râpés et graisseux. Ces deuxparties du vêtement ne se rejoignaient pas, mais laissaient à nuune partie des chevilles qui, elles aussi, étaient d’un brun sale,comme la peau de daim. On ne voyait ni chemise, ni veste, ni aucunautre vêtement, à l’exception d’une étroite casquette qui avait étéautrefois un bonnet de peau de chat, mais dont tous les poilsétaient partis laissant à découvert une surface de peau graisseusequi s’harmonisait parfaitement avec les autres parties del’habillement. Le bonnet, la blouse, les jambards et les mocassins,semblaient n’avoir jamais été ôtés depuis le jour où ils avaientété mis pour la première fois, et cela devait avoir eu lieu nombred’années auparavant. La blouse ouverte laissait à nu la poitrine etle cou qui, aussi bien que la figure, les mains et les chevillesavaient pris, sous l’action du soleil et de la fumée des bivouacs,la couleur du cuivre brut. L’homme tout entier, l’habillementcompris, semblait avoir été enfumé à dessein ! Sa figureannonçait environ soixante ans. Ses traits étaient fins etlégèrement aquilins ; son petit œil noir vif et perçant. Sescheveux noirs étaient coupés courts. Son teint avait du êtreoriginairement brun, et nonobstant, il n’y avait rien de françaisou d’espagnol dans sa physionomie. Il paraissait plutôt appartenirà la race des Saxons bruns.

Pendant que je regardais aussi cet homme verslequel la curiosité m’avait attiré, je crus m’apercevoir qu’il yavait en lui quelque chose de particulièrement étrange, en dehorsde la bizarrerie de son accoutrement. Il semblait qu’il manquâtquelque chose à sa tête. Qu’est-ce que cela pouvait être ? Jene fus pas longtemps à le découvrir. Lorsque je fus en face de lui,je vis que ce qui lui manquait, c’étaient… ses oreilles. Cettedécouverte me causa une impression voisine de la crainte. Il y aquelque chose de saisissant dans l’aspect d’un homme privé de sesoreilles. Cela éveille l’idée de quelque drame épouvantable, dequelque scène terrible, d’une cruelle vengeance ; cela faitpenser au châtiment de quelque crime affreux. Mon esprit s’égaraitdans diverses hypothèses, lorsque je me rappelai un détailmentionné par Séguin, la nuit précédente. J’avais devant les yeux,sans doute, l’individu dont il m’avait parlé. Je me sentistranquillisé. Après avoir fait la réponse mentionnée plus haut, cethomme singulier resta assis quelques instants, la tête entre lesgenoux, ruminant, marmottant et grognant comme un vieux loup maigredont on troublerait le repas.

– Viens ici, Rubé ! j’ai besoin de toi uninstant, continua Garey d’un ton presque menaçant.

– T’as beau avoir besoin de moi ;l’Enfant ne se dérangera pas qu’il n’ait fini de nettoyer sonos ; il ne peut pas maintenant.

– Allons, vieux chien, dépêche-toialors !

Et l’impatient trappeur, posant la crosse deson fusil à terre, attendit silencieux et de mauvaise humeur. Aprèsavoir marronné, rongé et grogné quelques minutes encore, le vieuxRubé, car c’était le nom sous lequel ce fourreau de cuir étaitconnu, se leva lentement et se dirigea vers la foule.

– Qu’est-ce que tu veux, Billye ?demanda-t-il au trappeur en allant à lui.

– J’ai besoin que tu me tiennes ça, réponditGarey en lui présentant une petite coquille blanche et ronde à peuprès de la dimension d’une montre. La terre à nos pieds étaitcouverte de ces coquillages.

– Est-ce un pari, garçon ?

– Non, ce n’est pas un pari.

– Pourquoi donc user ta poudre alors ? enas-tu trop ?

– J’ai été battu, reprit le trappeur à voixbasse, et battu par cet Indien.

Rubé chercha de l’œil l’Indien, qui se tenaitdroit et majestueux, dans toute la noblesse de son plumage. Aucuneapparence de triomphe ou de fanfaronnade ne se montrait sur safigure ; il s’appuyait sur son rifle dans une attitude à lafois calme et digne. À la manière dont le vieux Rubé le regarda, onpouvait facilement deviner qu’il l’avait déjà vu auparavant, maisailleurs que dans ce camp. Il le toisa du haut en bas, arrêta uninstant les yeux sur ses pieds, et ses lèvres murmurèrent quelquessyllabes inintelligibles qui se terminèrent brusquement par lemot : « Coco ».

– Tu crois que c’est un Coco ? demandal’autre avec un intérêt marqué.

– Est-ce que tu es aveugle, Billye ?Est-ce que tu ne vois pas ses mocassins ?

– Tu as raison ; mais j’ai demeuré chezcette nation, il y a deux ans, et je n’ai pas vu d’homme pareil àcelui-là.

– Il n’y était pas.

– Où était-il donc ?

– Dans un pays où on ne voit guère depeaux-rouges. Il doit bien tirer : autrefois, il couvrait lamouche à tout coup.

– Tu l’as donc connu ?

– Oui, oui, à tout coup. Jolie fille, beaugarçon ! – Où veux-tu que j’aille me mettre ?

Je crus voir que Garey n’aurait pas mieuxdemandé que de continuer la conversation. Il tendit l’oreille avecun intérêt marqué quand l’autre prononça les mots : joliefille. Ces mots éveillaient sans doute en lui un tendresouvenir ; mais, voyant que son camarade se préparait às’éloigner, il lui montra du doigt un sentier ouvert qui sedirigeait vers l’est, et lui répondit simplement :Soixante.

– Prends garde à mes griffes,entends-tu ? Les Indiens m’en ont déjà enlevé une, et l’Enfanta besoin de ménager les autres.

Le vieux trappeur, en disant cela, fit ungeste arrondi de la main droite, et je vis que le petit doigt étaitabsent.

– As pas peur, vieille rosse ! lui fut-ilrépondu.

Sans plus d’observations, l’homme enfumés’éloigna d’un pas lent à la régularité duquel on reconnaissaitqu’il mesurait la distance. Quand il eut marqué le soixantième pas,il se retourna et se redressa en joignant les talons ; puis ilétendit son bras droit de manière que sa main fût au niveau de sonépaule ; il tenait entre deux doigts la coquille dont ilprésentait la face au tireur :

– Allons, Billye, cria-t-il alors, tire ettiens-toi bien.

Le coquillage était légèrement concave, et lecreux était tourné de notre côté. Le pouce et le doigt indicateuren cachaient une partie du bord sur la moitié de la circonférence,et la surface visible pour le tireur ne dépassait pas la largeur dufond d’une montre ordinaire. C’était un émouvant spectacle ;l’on aurait tort de penser, comme quelques voyageurs voudraient lefaire croire, que des faits de ce genre fussent très communs parmiles hommes de la montagne. Un coup pareil prouve doublementl’habileté du tireur, d’abord, en montrant tout l’empire qu’il saitexercer sur lui-même, et, en second lieu, par la confianceéclatante qu’un autre manifeste dans cette adresse, confiance mieuxétablie par une semblable preuve que par tous les serments dumonde. Certes, en pareil cas, il y a au moins autant de mérite àtenir le but qu’à le toucher. Beaucoup de chasseurs consentiraientà risquer le coup, mais bien peu se soucieraient de tenir lacoquille. C’était, dis-je, un émouvant spectacle, et je me sentaisfrémir en le regardant. Plus d’un frémissait comme moi ; maispersonne ne tenta d’intervenir. Peu l’eussent osé, quand bien mêmeles deux hommes se fussent disposés à tirer l’un sur l’autre. Tousdeux étaient considérés parmi leurs camarades, comme d’excellentstireurs, comme des trappeurs de premier ordre. Garey, après avoiraspiré fortement, se planta ferme, le talon de son pied gaucheopposé et un peu en avant de son cou-de-pied droit. Puis, armantson fusil, il laissa tomber le canon dans la main gauche, et cria àson camarade :

– Attention, vieux rongeur d’os, garde àtoi !

Ces mots à peine prononcés, le chasseurmettait en joue. Il se fit un silence de mort ; tous les yeuxétaient fixés sur le but. Le coup partit et l’on vit la coquilleenlevée, brisée en cinquante morceaux ! Il y eut une grandeacclamation de la foule. Le vieux Rubé se baissa pour ramasser undes fragments, et, après l’avoir examiné un moment, cria à hautevoix :

– Plomb centre ! nom d’unepipe.

Le jeune trappeur avait en effet touché aucentre même de la coquille, ainsi que le prouvait la marquebleuâtre faite par la balle.

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