Les Chasseurs de chevelures

Chapitre 46SINGULIÈRE RENCONTRE DANS UNE CAVE.

 

La cavité dans laquelle je m’étais réfugiéprésentait une forme irrégulière. Dans les parois du rocher, lesmineurs avaient creusé d’étroites galeries, suivant lesramifications de la quixa…. La cave n’était pasprofonde : la veine s’était trouvée insuffisante, sans doute,et on l’avait abandonnée. Je m’avançai jusque dans la partieobscure, puis, grimpant contre un des flancs, je trouvai une sortede niche où je me blottis. En regardant avec précaution au bord dela roche, je voyais à une certaine distance dehors, jusqu’au fondde la barranca, où les buissons étaient épais etentrelacés. À peine étais-je installé, que mon attention futattirée par une des scènes qui se passaient à l’extérieur. Deuxhommes rampaient sur leurs mains et sur leurs genoux à travers lescactus, précisément devant l’ouverture. Derrière eux unedemi-douzaine de sauvages à cheval fouillaient les buissons, maisne les avaient point encore aperçus. Je reconnus immédiatement Godéet le docteur. Ce dernier était le plus rapproché de moi. Comme ils’avançait sur les galets, quelque chose sortit d’entre les pierresà portée de sa main. C’était, autant que je pus en juger, un petitanimal du genre des armadilles. Je vis le docteur s’allonger, lesaisir, et d’un air tout satisfait, le fourrer dans un petit sacplacé à son côté.

Pendant ce temps, les Indiens, criant ethurlant, n’étaient pas à plus de cinquante yards derrière lui. Sansdoute l’animal appartenait à quelque espèce nouvelle, mais le zélénaturaliste ne put jamais en donner connaissance au monde ; ilavait à peine retiré sa main, qu’un cri de sauvages annonça que luiet Godé venaient d’être aperçus. Un moment après, ils étaientétendus sur le sol, percés de coups de lance, sans mouvement etsans vie ! Leurs meurtriers descendirent de cheval avecl’intention de les scalper. Pauvre Reichter ! son bonnet luifut ôté, le trophée sanglant fut arraché, et il resta gisant, lecrâne dépouillé et rouge, tourné de mon côté. Horriblespectacle ! Un autre Indien se tenait auprès du Canadien, sonlong couteau à la main. Quoique vraiment apitoyé sur le sort de monpauvre compagnon, et fort peu en humeur de rire, je ne pusm’empêcher d’observer avec curiosité ce qui allait se passer. Lesauvage s’arrêta un moment, admirant les magnifiques boucles quiornaient la tête de sa victime. Il pensait sans doute à l’effetsuperbe que produirait une telle bordure attachée à ses jambards.Il paraissait extasié de bonheur, et, aux courbes qu’il dessinaiten l’air avec son couteau, on pouvait juger que son intention étaitde dépouiller la tête tout entière. Il coupa d’abord quelquesmèches à l’entour, puis il saisit une poignée de cheveux ;mais avant que la lame de son couteau eût touché la peau, lachevelure lui resta dans la main et découvrit un crâne blanc etpoli comme du marbre ! Le sauvage poussa un cri de terreur,lâcha la perruque, et, se rejetant en arrière, vint rouler sur lecadavre du docteur. Ses camarades arrivèrent à ce cri ;plusieurs, mettant pied à terre, s’approchèrent, avec un air desurprise, de l’objet étrange et inconnu.

L’un deux, plus courageux que les autres,ramassa la perruque, et ils se mirent tous à l’examiner avec unecuriosité minutieuse. L’un après l’autre, ils vinrent considérer deprès le crâne luisant et passer la main sur sa surface polie, enaccompagnant ces gestes d’exclamations étonnées. Ils replacèrent laperruque dessus, la retirèrent de nouveau, l’ajustant de toutessortes de façons. Enfin, celui qui l’avait réclamée comme étant sapropriété ôta sa coiffure de plumes, et, mettant la perruque sur satête, sens devant derrière, il se mit à marcher fièrement, leslongues boucles pendant sur sa figure. C’était une scène vraimentgrotesque et dont je me serais beaucoup amusé en toute autrecirconstance.

Il y avait quelque chose d’irrésistiblementcomique dans l’étonnement des acteurs ; mais la tragédiem’avait trop ému pour que je fusse disposé à rire de la farce. Tropd’horreurs m’environnaient. Séguin peut-être mort !Elle perdue pour jamais, esclave de quelque sauvagebrutal ! Ma propre situation était terrible aussi ; je nevoyais pas trop comment je pourrais en sortir, et combien de tempsj’échapperais aux recherches. Au surplus, cela m’inquiétaitbeaucoup moins que le reste. Je ne tenais guère à ma proprevie ; mais il y a un instinct de conservation qui agit même endehors de la volonté ; l’espérance me revint bientôt au cœur,et avec elle le désir de vivre. Je me mis à rêver. J’organiseraisune troupe puissante ; j’irais la sauver. Oui ! Quandbien même je devrais employer à cela des années entières,j’accomplirais cette œuvre. Je la retrouverais toujoursfidèle ! Elle ne pouvait pas oublier, Elle !Pauvre Séguin ! les espérances de toute une vie détruitesainsi en une heure ! et le sacrifice scellé de son propresang ! Je ne voulais cependant pas désespérer. Dût mon destinêtre pareil au sien, je reprendrais la tâche où il l’avait laissée.Le rideau se lèverait sur de nouvelles scènes, et je ne quitteraispoint la partie avant d’arriver à un dénoûment heureux ou, dumoins, avant d’avoir tiré de ces maux une effroyable vengeance.

Malheureux Séguin ! Je ne m’étonnais plusqu’il se fût fait chasseur de scalps. Je comprenais maintenant toutce qu’il y avait de saint et de sacré dans sa haine impitoyablepour l’Indien sans pitié. Moi aussi, je ressentais cette haineimplacable. Toutes ces réflexions passèrent rapidement dans monesprit, car la scène que j’ai décrite n’avait pas duré longtemps.Je me mis alors à examiner tout autour de moi pour reconnaître sij’étais suffisamment caché dans ma niche. Il pouvait bien leurvenir à l’idée d’explorer les puits de mine. En cherchant à percerl’ombre qui m’environnait, mon regard rencontra un objet qui me fittressaillir et me donna une sueur froide. Quelque terriblesqu’eussent été les scènes que je venais de traverser, ce que jevoyais me causa une nouvelle épouvante. À l’endroit le plus sombre,je distinguai deux petits points brillants. Ils ne scintillaientpas, mais jetaient une sorte de lueur verdâtre. Je reconnus quec’étaient des yeux. J’étais dans la cave avec une panthère !ou peut-être avec un compagnon plus terrible encore, un oursgris ! Mon premier mouvement fut de me rejeter en arrière dansma cachette. Je me reculai jusqu’à ce que je rencontrasse leroc.

Je n’avais pas l’idée de chercher àm’échapper. C’eût été me jeter dans le feu pour éviter la glace,car les Indiens étaient encore devant la cave. Bien plus, toutetentative de retraite n’aurait fait qu’exciter l’animal, quipeut-être en ce moment se préparait à s’élancer sur moi. J’étaisaccroupi, et je cherchais dans ma ceinture le manche de moncouteau. Je le saisis enfin, et, le dégainant, je me mis enattitude de défense. Pendant tout ce temps, j’avais tenu mon regardfixé sur les deux orbes qui brillaient devant moi. Ils étaientégalement arrêtés sur moi, et me regardaient sans un clignement. Jene pouvais en détacher mes yeux, qui semblaient animés d’unevolonté propre. Je me sentais saisi d’une espèce de fascination, etje m’imaginais que si je cessais de le regarder, l’animals’élancerait sur moi.

J’avais entendu parler de bêtes férocesdominées par le regard de l’homme, et je faisais tous mes effortspour impressionner favorablement mon vis-à-vis. Nous restâmes ainsipendant quelque temps sans bouger ni l’un ni l’autre d’un pouce. Lecorps de l’animal était complètement invisible pour moi ; jen’apercevais que les cercles luisants qui semblaient incrustés dansde l’ébène. Voyant qu’il demeurait si longtemps sans bouger, jesupposai qu’il était couché dans son repaire, et n’attaquerait pastant qu’il serait troublé par le bruit du dehors, tant que lesIndiens ne seraient pas partis. Il me vint à l’idée que je n’avaisrien de mieux à faire que de préparer mes armes. Un couteau nepouvait m’être d’une grande utilité dans un combat avec un oursgris. Mon pistolet était à ma ceinture, mais il était déchargé.L’animal me permettrait-il de le recharger ? Je pris le partid’essayer.

Sans cesser de regarder la bête, je cherchaimon pistolet et ma poire à poudre ; les ayant trouvés, jecommençai à garnir les canons. J’opérais silencieusement, car jesavais que ces animaux y voient dans les ténèbres, et que, sous cerapport, mon vis-à-vis avait l’avantage sur moi. Jebourrai la poudre avec mon doigt. Je plaçai le canon chargé en facede la batterie, et armai le pistolet. Au cliquetis du chien, je visun mouvement dans les yeux. L’animal allait s’élancer ! Promptcomme la pensée, je mis mon doigt sur la détente. Mais avant quej’eusse pu viser, une voix bien connue se fit entendre :

– Un moment donc, s… mille ton… !s’écria-t-elle. Pourquoi diable ne dites-vous pas que vous êtes unblanc ? Je croyais avoir affaire à une canaille d’Indien. Quidiable êtes-vous donc ! Serait-ce Bill Garey ? Oh !non, vous n’êtes pas Billye, bien sûr.

– Non, répondis-je, revenant de ma surprise,ce n’est pas Bill.

– Oh ! je le pensais bien, Bill m’auraitdeviné plus vite que ça. Il aurait reconnu le regard du vieuxnègre, comme j’aurais reconnu le sien. Ah ! pauvreBillye ! je crains bien que le bon trappeur soit flambé !Il n’y en a pas beaucoup qui le vaillent dans les montagnes ;non, il n’y en a pas beaucoup.

– Maudite affaire ! continua la voix avecune expression profonde, voilà ce que c’est que de laisser sonrifle derrière soi. Si j’avais eu Targuts entre les mains, je neserais pas caché ici comme un opossum effrayé. Mais il estperdu le bon fusil ; il est perdu ! et la vieille jumentaussi ; et je suis là, désarmé, démonté ! gredin desort !

Ces derniers mots furent prononcés avec unsifflement pénible, qui résonna dans toute la cave.

– Vous êtes le jeune ami du capitaine,n’est-ce pas ? demanda Rubé en changeant de ton.

– Oui, répondis-je.

– Je ne vous avais pas vu entrer, autrementj’aurais parlé plus tôt. J’ai reçu une égratignure au bras, etj’étais en train d’arranger ça quand vous serez entré. Quipensiez-vous donc que j’étais ?

– Je ne croyais pas que vous fussiez un homme.Je vous prenais pour un ours gris.

– Ha ! ha ! ha ! hé !hi ! hi ! C’est ce que je me disais quand j’ai entenducraquer votre pistolet. Hi ! hi ! hi ! Si jamais jerencontre encore Bill Garey, je le ferai bien rire. Le vieux Rubépris pour un ours gris ! La bonne farce ! Hé !hé ! hé ! hi ! hi ! Hi ! ho !ho ! hoou !

Et le vieux trappeur se livra à un accès degaieté, tout comme s’il eût assisté à quelque farce de tréteaux àcent milles de toute espèce de danger.

– Savez-vous quelque chose de Séguin ?demandai-je, désirant savoir s’il y avait quelque probabilité quemon ami fût encore vivant.

– Si je sais quelque chose ? Oui, je saisquelque chose. Je l’ai perçu un instant. Avez-vous jamais vu uncatamount bondir ?

– Je crois que oui, répondis-je.

– Eh bien, vous pouvez vous le figurer. Ilétait dans la masure quand elle s’est écroulée. J’y étaisaussi ; mais je n’y suis pas resté longtemps après. Je meglissai vers la porte, et je vis alors le capitaine aux prises avecun Indien sur un tas de décombres. Mais ça n’a pas été long. Lecap’n lui a logé quelque chose entre les côtes, et le moricaud esttombé.

– Mais Séguin, l’avez-vous revudepuis ?

– Si je l’ai revu depuis ? Non, je nel’ai pas revu.

– Je crains qu’il n’ait été tué.

– Ça n’est pas probable, jeune homme. Ilconnaît les puits d’ici mieux que personne de nous ; et il adu savoir où se cacher. Il s’est mis à l’abri, sûr et certain.

– Sans doute, il a pu le faire s’il a voulu,dis-je, pensant que Séguin avait peut-être exposé témérairement savie en voulant suivre les captives.

– Ne soyez pas inquiet de lui, jeune homme. Lecap’n n’est pas un gaillard à fourrer ses doigts dans une ruche oùil n’y a pas de miel ; il n’est pas homme à ça.

– Mais où peut-il être allé, puisque vous nel’avez plus revu depuis ce moment-là ?

– Où il peut être allé ? Il y a cinquantechemins qu’il a pu prendre au milieu de la bagarre. Je ne me suispas occupé de regarder par où il passait. Il avait laissé làl’Indien mort sans prendre sa chevelure ; et je m’étais baissépour la cueillir ; quand je me suis relevé, il n’était pluslà, mais l’autre, l’Indien, y était, lui. Cet Indien-là aquelque amulette, c’est sûr.

– De quel Indien voulez-vous parler ?

– Celui qui nous a rejoints sur le Del-Norte,le Coco.

– El-Sol ! que lui est-il arrivé ?est-il tué ?

– Lui, tué ! par ma foi, non ; il nepeut pas être tué : telle est l’opinion de l’Enfant. Il estsorti de la cabane après qu’elle était tombée, et son bel habitétait aussi propre que s’il venait de le tirer d’une armoire. Il yen avait deux après lui ; et, bon Dieu ! fallait voircomme il les a expédiés ! J’arrivai sur un par derrière et jelui plantai mon couteau dans les côtes ; mais la manière dontil a dépêché l’autre était un peu soignée. C’est le plus beau coupque j’aie vu dans les montagnes, où j’en ai vu plus d’un, je peuxle dire.

– Comment donc a-t-il fait ?

– Vous savez que cet Indien, le Coco,combattait avec une hachette !

– Oui.

– Bien, alors ; c’est une fameuse armepour ceux qui savent s’en servir, et il est fort sur cetinstrument-là, lui ; personne ne lui en remontrerait. L’autreavait une hachette aussi ; mais il ne l’a pas gardéelongtemps ; en une minute elle lui avait été arrachée desmains, et le Coco lui a planté un coup de la sienne !Wagh ! c’était un fameux coup, un coup comme on n’envoit pas souvent. La tête du moricaud a été fendue jusqu’auxépaules. Elle a été séparée en deux moitiés comme on n’aurait paspu le faire avec une large hache ! Quand la vermine futétendue à terre on aurait dit qu’elle avait deux têtes. Juste à cemoment, je vis les Indiens qui arrivaient des deux côtés ; etcomme l’Enfant n’avait ni cheval ni armes, si ce n’est un couteau,il pensa que ça n’était pas sain pour lui de rester là pluslongtemps, et il alla se cacher. Voilà !

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