Les Chasseurs de chevelures

Chapitre 47ENFUMÉS.

 

Nous avions parlé à voix basse, car lesIndiens se tenaient toujours devant la cave. Un grand nombreétaient venus se joindre aux premiers, et examinaient le crâne duCanadien avec la même curiosité et la même surprise qu’avaientmanifestées leurs camarades. Rubé et moi nous les observions engardant le silence ; le trappeur était venu se placer auprèsde moi, de façon qu’il pouvait voir dehors et me parler tous bas.Je craignais toujours que les sauvages ne dirigeassent leursrecherches du côté de notre puits.

– Ça n’est pas probable, dit moncompagnon ; il y a trop de puits comme ça, voyez-vous ;il y en a une masse, plus de cent, de l’autre côté. De plus,presque tous les hommes qui se sont sauvés ont pris par là, et jecrois que les Indiens suivront la même direction ; ça lesempêchera de… Jésus, mon Dieu, ne voilà-t-il pas ce damné chien,maintenant !

Je ne compris que trop la signification du tonde profonde alarme avec lequel ces derniers mots avaient étéprononcés. En même temps que Rubé j’avais aperçu Alp. Il courait çàet là devant la cave. Le pauvre animal était à ma recherche. Unmoment après il était sur la piste du chemin que j’avais suivi àtravers les cactus, et venait en courant dans la direction del’ouverture. En arrivant près du corps du Canadien, il s’arrêta,parut l’examiner, poussa un hurlement, et passa à celui du docteur,autour duquel il répéta la même démonstration. Il alla plusieursfois de l’un à l’autre, et enfin les quitta ; puisinterrogeant la terre avec son nez, il disparut de nos yeux.

Ses étranges allures avaient attirél’attention des sauvages, qui, tous, l’observaient. Mon compagnonet moi, nous commencions à espérer qu’il avait perdu mes traces,lorsque, à notre grande consternation, il reparut une seconde fois,suivant ma piste comme auparavant. Cette fois il sauta par-dessusles cadavres, et un moment après il s’élançait dans la cave. Lescris des sauvages nous annoncèrent que nous étions découverts. Nousessayâmes de chasser le chien, et nous y réussîmes, Rubé lui ayantdonné un coup de couteau ; mais la blessure elle-même et lesallures de l’animal démontrèrent aux ennemis qu’il y avaitquelqu’un dans l’excavation. L’entrée fut bientôt obscurcie par unemasse de sauvages criant et hurlant.

– Maintenant, jeune homme, dit mon compagnon,voilà le moment de vous servir de votre pistolet. C’est un pistoletdu nouveau genre que vous avez là ! Chargez-en tous lescanons.

– Est-ce que j’aurai le temps de lescharger ?

– Vous aurez tout le temps. Il faut qu’ilsaillent à la masure pour avoir une torche, dépêchez-vous !Mettez-vous en état d’en descendre quelques-uns.

Sans prendre le temps de répondre, je saisisma poudrière et chargeai les cinq autres canons du revolver.

À peine avais-je fini, qu’un des Indiens semontra devant l’ouverture, tenant à la main un brandon qu’il sedisposait à jeter dans la cave.

– À vous maintenant, cria Rubé. F… ichez-moice b…-là par terre ! Allons !

Je tirai, et le sauvage, lâchant la torche,tomba mort dessus !

Un cri de fureur suivit la détonation, et lesIndiens disparurent de l’ouverture. Un instant après, nous vîmes unbras s’allonger, et le cadavre fut retiré de l’entrée.

– Que croyez-vous qu’ils vont fairemaintenant ? demandai-je à mon compagnon.

– Je ne peux pas vous dire exactement ;mais la position n’est pas bonne, j’en conviens. Rechargez votrecoup. Je crois que nous en abattrons plus d’un avant qu’ils neprennent notre peau. Gredin de sort ! mon bon fusilTarguts ! Ah ! si je l’avais seulement avec moi !Vous avez six coups, n’est-ce pas ? bon ! Vous pouvezremplir la cave de leurs carcasses avant qu’ils arrivent jusqu’ànous. C’est une bonne arme que celle-là : on ne peut pas direle contraire. J’ai vu le cap’n s’en servir. Bon Dieu ! quellemusique il lui a fait jouer sur ces moricauds dans la masure !Il y en a plus d’un qu’il a mis à bas avec. Chargez bien, jeunehomme. Vous avez tout le temps. Ils savent qu’il ne fait pas bon des’y frotter.

Pendant tout ce dialogue, aucun des Indiens nese montra ; mais nous les entendions parler de chaque côté del’ouverture, en dehors. Ils étaient en train de discuter un pland’attaque contre nous. Comme Rubé l’avait supposé, ils semblaientse douter que la balle était partie d’un revolver. Probablementquelqu’un des survivants du dernier combat leur avait donnéconnaissance du terrible rôle qu’y avaient joué ces nouveauxpistolets, et ils ne se souciaient pas de s’y exposer.Qu’allaient-ils essayer ? De nous prendre par lafamine ?

– Ça se peut, dit Rubé, répondant à cettequestion, et ça ne leur sera pas difficile. Il n’y a pas un brin devictuaille ici, à moins que nous ne mangions des cailloux. Mais ily a un autre moyen qui nous ferait sortir bien plus vite, s’ils ontl’esprit de l’employer. Ha ! s’écria le trappeur avecénergie ; je m’y attendais bien. Les gueux vont nous enfumer.Regardez là-bas !

Je regardai dehors à une certaine distance, jevis des Indiens venant dans la direction de la cave, et apportantdes brassées de broussailles. Leur intention était claire.

– Mais pourront-ils réussir ?demandai-je, mettant en doute la possibilité de nous enfumer par cemoyen ; – ne pourrons-nous pas supporter la fumée ?

– Supporter la fumée ! Vous êtes jeune,l’ami. Savez-vous quelle sorte de plantes ils vont chercherlà-bas !

– Non ; qu’est-ce que c’estdonc ?

– C’est une plante qui ne sent pas bon :c’est la plante la plus puante que vous ayez jamais sentie, je leparie. Sa fumée ferait sortir un chinche de son trou. Je vous ledis, jeune homme, nous serons forcés de quitter la place, ou nousétoufferons ici. L’Enfant aimerait mieux se battre contre trenteIndiens et plus que de rester à cette fumée. Quand elle commenceraà gagner, je prendrai mon élan dehors ; voilà, ce que jeferai, jeune homme.

– Mais comment ? demandai-je haletant,comment nous y prendrons-nous ?

– Comment ? Nous sommes sûrs d’êtrepincés ici, n’est-ce pas ?

– Je suis décidé à me défendre jusqu’à ladernière extrémité.

– Très bien ; alors voici ce qu’il fautfaire, et il ne faut pas faire autrement : quand la fumées’élèvera de manière qu’ils ne puissent pas nous voir sortir, vousvous jetterez au milieu d’eux. Vous avez le pistolet et vous pouvezaller de l’avant. Tirez sur tous ceux qui vous barreront le chemin,et courez comme un daim ! Je me tiendrai sur vos talons. Siseulement nous pouvons passer au travers, nous gagnerons lesbroussailles, et nous nous fourrons dans les puits de l’autre côté.Les caves communiquent de l’une à l’autre, et nous pourrons lesdépister. J’ai vu le temps où le vieux Rubé savait un peucourir ; mais les jointures sont un peu raides maintenant.Nous pouvons essayer pourtant ; et puis, jeune homme, nousn’avons pas d’autre chance, comprenez-vous ?

Je promis de suivre à la lettre lesinstructions que venait de me donner mon compagnon.

– Ils n’auront pas encore le scalp du vieuxRubé de cette fois, ils ne l’auront pas encore, hi ! hi !hi ! murmura mon camarade, incapable de jamais désespérer.

Je me retournai vers lui. Il riait de sapropre plaisanterie, et, dans une telle situation, cette gaieté mecausa comme une sorte d’épouvante.

Plusieurs charges de broussailles avaient étéempilées à l’embouchure de la cave. Je reconnus des plantes decréosote : l’ideondo. On les avait placées sur latorche encore allumée ; elles prirent feu et dégagèrent unefumée noire et épaisse. D’autres broussailles furent ajoutéespar-dessus, et la vapeur fétide, poussée par l’air du dehors,commença à nous entrer dans les narines et dans la gorge,provoquant chez nous un sentiment subit de faiblesse et desuffocation. Je n’aurais pu supporter longtemps cetteatteinte ; Rubé me cria :

– Allons, voilà le moment, jeune homme !dehors, et tapez dessus !

Sous l’empire d’une résolution désespérée, jem’élançai, le pistolet au poing, à travers les broussaillesfumantes. J’entendis un cri sauvage et terrible. Je me trouvai aumilieu d’une foule d’hommes, – d’ennemis. Je vis les lances, lestomahawks, les couteaux sanglant levés sur moi, et….

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