Les Diaboliques

Les Diaboliques

de Jules Amedee Barbey d’Aurevilly

Première préface aux Diaboliques

A qui dédier cela ?…

J. B. d’A.

Voici (sauf modifications ultérieures) la Préface de mes Diaboliques.

Pourquoi les Diaboliques ?

Est-ce pour les histoires qui sont ici ?

Ou pour les femmes de ces histoires ?

Qui sait ?

Les Histoires sont vraies. Rien d’inventé. Tout vu. Tout touché du coude ou du doigt. Il y aura certainement des têtes vives,montées par ce titre de Diaboliques, qui ne les trouveront pas aussi diaboliques qu’elles ont l’air de s’en vanter. Elles s’attendaient à des inventions, à des complications, à des recherches, à des raffinements, à tout le tremblement du mélodrame moderne, qui se fourre partout, même dans le roman : quelque chose comme les Mémoires du Diable qui n’ont donné à leur auteur qu’une peine du Diable. Mais les Diaboliques ne sont point des diableries,ce sont des diaboliques : des histoires réelles de ce temps civilisé et si divin que, quand on s’avise de les écrire, il semble que ce soit le Diable qui ait dicté… Le Diable est comme Dieu. Le manichéisme qui est la souche de toutes les grandes hérésies du Moyen-âge, le manichéisme n’est pas si bête ! Malebranche disait que Dieu se reconnaissait à l’emploi DES MOYENS LES PLUS. Le Diable aussi.

Quant aux femmes de ces histoires, pourquoi ne seraient-elles pas les diaboliques ? N’ont-elles pas assez de diabolisme enleur personne pour mériter ce doux nom-là ?… Diabolique, iln’y en a pas une seule ici qui ne le soit à quelque degré. Il n’yen a pas une seule à qui on puisse dire le mot de « mon ange » sansexagérer. Comme le Diable qui était un ange aussi, mais qui aculbuté, si elles sont des anges encore, c’est la tête en bas, lereste… en haut ! Pas une ici qui soit pure, vertueuse,innocente. Monstres même à part, elles présentent un effectif debons sentiments et de moralité bien peu considérable. Ellespourraient donc s’appeler Diaboliques sans l’avoir volé. On a voulufaire un petit Musée de ces Dames, en attendant qu’on fasse leMusée, encore plus petit, des Dames qui leur font pendant etcontraste dans la société, car toutes choses sont doubles. L’Art adeux lobes, comme le cerveau. La Nature ressemble à ces femmes quiont un œil bleu et un œil noir. Voici l’œil noir, dessiné àl’encre… de la PETITE VERTU. Oh ! de la plus petite qu’on aitpu trouver !

On donnera peut-être l’œil bleu, plus tard, si on trouve du bleuassez, pur. Mais y en a-t-il ?

En ce cas-là, après les DIABOLIQUES viendraient lesCELESTES.

Fin de 1870. Décembre.

J. B. d’A.

 

Préface de la première édition

Voici les six premières !

Si le public y mord, et les trouve à son goût, on publieraprochainement les six autres ; car elles sont douze, comme unedouzaine de pêches, – ces pécheresses !

Bien entendu qu’avec leur titre de Diaboliques, elles n’ont pasla prétention d’être un livre de prières ou d’Imitation chrétienne…Elles ont pourtant été écrites par un moraliste chrétien, mais quise pique d’observation vraie, quoique très hardie, et qui croit –c’est sa poétique, à lui – que les peintres puissants peuvent toutpeindre et que leur peinture est toujours assez morale quand elleest tragique et qu’elle donne l’horreur des choses qu’elle retrace.Il n’y a d’immoral que les Impassibles et les Ricaneurs. Or,l’auteur de ceci, qui croit au Diable et à ses influences dans lemonde, n’en rit pas, et il ne les raconte aux âmes pures que pourles en épouvanter.

Quand on aura lu ces Diaboliques, je ne crois pas qu’il y aitpersonne en disposition de les recommencer en fait, et toute lamoralité d’un livre est là…

Cela dit pour l’honneur de la chose, une autre question.Pourquoi l’auteur a-t-il donné à ces petites tragédies deplain-pied ce nom bien sonore – peut-être trop – deDiaboliques ?… Est-ce pour les histoires elles-mêmes qui sontici ? ou pour les femmes de ces histoires ?…

Ces histoires sont malheureusement vraies. Rien n’en a étéinventé. On n’en a pas nommé les personnages : voilà tout ! Onles a masqués, et on a démarqué leur linge. « L’alphabetm’appartient », disait Casanova, quand on lui reprochait de ne pasporter son nom. L’alphabet des romanciers, c’est la vie de tousceux qui eurent des passions et des aventures, et il ne s’agit quede combiner, avec la discrétion d’un art profond, les lettres decet alphabet-là. D’ailleurs, malgré le vif de ces histoires àprécautions nécessaires, il y aura certainement des têtes vives,montées par ce titre de Diaboliques, qui ne les trouveront pasaussi diaboliques qu’elles ont l’air de s’en vanter. Elless’attendront à des inventions, à des complications, à desrecherches, à des raffinements, à tout le tremblement du mélodramemoderne, qui se fourre partout, même dans le roman. Elles setromperont, ces âmes charmantes !… Les Diaboliques ne sont pasdes diableries : ce sont des Diaboliques, – des histoires réellesde ce temps de progrès et d’une civilisation si délicieuse et sidivine, que, quand on s’avise de les écrire, il semble toujours quece soit le Diable qui ait dicté !… Le Diable est comme Dieu.Le Manichéisme, qui fut la source des grandes hérésies du MoyenAge, le Manichéisme n’est pas si bête. Malebranche disait que Dieuse reconnaissait, à l’emploi des moyens les plus simples. Le Diableaussi.

Quant aux femmes de ces histoires, pourquoi ne seraient-ellespas les DIABOLIQUES ? N’ont-elles pas assez de diabolisme enleur personne pour mériter ce doux nom ? Diaboliques ! iln’y en a pas une seule ici qui ne le soit à quelque degré. Il n’yen a pas une seule à qui on puisse dire sérieusement le mot de «Mon ange ! » sans exagérer. Comme le Diable, qui était un angeaussi, mais qui a culbuté, – si elles sont des anges, c’est commelui, – la tête en bas, le… reste en haut ! Pas une ici quisoit pure, vertueuse, innocente. Monstres même à part, ellesprésentent un effectif de bons sentiments et de moralité bien peuconsidérable. Elles pourraient donc s’appeler aussi « lesDiaboliques », sans l’avoir volé… On a voulu faire un petit muséede ces dames, – en attendant qu’on fasse le musée, encore pluspetit, des dames qui leur font pendant et contraste dans lasociété, car toutes choses sont doubles ! L’art a deux lobes,comme le cerveau. La nature ressemble à ces femmes qui ont un œilbleu et un œil noir. Voici l’œil noir dessiné à l’encre – à l’encrede la petite vertu.

On donnera peut-être l’œil bleu plus tard.

Après les DIABOLIQUES, les CELESTES… si on trouve du bleu assezpur…

Mais y en a-t-il ?

Jules BARBEY D’AUREVILLY.

Paris, 1er mai 1874.

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